Aliénor d'Aquitaine (1120 - 1204)

Deux fois reine

Née en 1120 ou 1122, la reine Aliénor accueille la mort à quatre-vingts ans passés dans sa chère abbaye de Fontevraud, près de Saumur.

Une femme d'exception

Avec Aliénor prend fin un siècle épique qui a connu plusieurs croisades ainsi que les premières grandes cathédrales gothiques.

Peu de vies, il est vrai, furent aussi remplies que la sienne : par ses mariages avec Louis VII Le Jeune puis Henri II Plantagenêt, elle fut successivement reine de France et reine d'Angleterre ; deux de ses fils, Richard Coeur de Lion et Jean sans Terre, devinrent eux-mêmes rois d'Angleterre. Elle eut deux filles du roi de France et huit enfants de celui d'Angleterre, le dernier de ses enfants, le futur Jean sans Terre, étant né dans l'année de ses 45 ans.

Femme de caractère, Aliénor a pris part à toutes les péripéties politiques de son époque et, par son divorce d'avec le roi de France et son remariage avec le futur roi d'Angleterre, elle inaugura huit siècles de guerres et de rivalités entre les deux nations !

Un grand-père troubadour

La duchesse Aliénor n'a pas manqué non plus à la tradition familiale et, sa vie durant, a entretenu autour d'elle une cour de poètes comme son grand-père.

Celui-ci, Guillaume IX d'Aquitaine, troubadour autant que chevalier, célébrait l'amour courtois et accueillait les poètes à la cour de Poitiers. Il avait encouru les foudres de l'Église pour avoir enlevé à son époux Maubergeonne, vicomtesse de Châtellerault. Il mourut en 1126 et fut enterré au Moutier-Neuf (le « nouveau monastère », près de sa bonne ville de Poitiers).

Son fils et successeur hérita de ses titres sous le nom de Guillaume X. Il devint comte de Poitiers et duc d'Aquitaine (le titre de duc d'Aquitaine a longtemps été disputé entre les comtes de Toulouse et ceux de Poitiers). En 1136, sur le chemin de Saint-Jacques de Compostelle, il tomba malade.

Scènes de ménage

Sentant sa mort proche et n'ayant que deux filles, le duc décide de marier l'aînée au fils du roi de France, Louis VI le Gros. L'idée lui aurait été suggérée par l'abbé Suger, conseiller de la monarchie capétienne. Le roi de France, également à l'agonie, reçoit avec chaleur la proposition. Son fils Louis le Jeune (17 ans) prend sans attendre la route de Bordeaux avec une escorte de chevaliers. Le mariage est célébré en l'église Saint-André.

C'est ainsi qu'Aliénor, âgée d'environ 15 ans, hérite des immenses possessions de son père, et dans le même temps, épouse l'héritier de la couronne de France. Quelques jours après le mariage, son beau-père décède. La voilà duchesse et reine ! Et pour la première fois de l'Histoire, le royaume capétien atteint les Pyrénées.

Le couple royal est aussi mal assorti que possible. La petite duchesse, née pour la poésie et la gaudriole, supporte mal son époux, dont la prédisposition à la bile a été aggravée par l'éducation à l'abbaye de Saint-Denis. « J'ai cru épouser un homme, non un moine », aurait-elle confié.

Aliénor a le privilège d'assister aux côtés de son mari à la consécration de l'abbatiale de Saint-Denis, première révélation de l'art gothique. Dans le même temps, son royal mari prépare une deuxième croisade en Terre sainte, en guise de pénitence après l'horrible massacre de Vitry-sur-Marne.

Aliénor à la croisade

La croisade s'ébranle à la Pentecôte 1147. Elle traverse l'Europe centrale et atteint Constantinople, traverse le Bosphore puis gagne en bateau la citadelle d'Antioche, capitale de la Syrie franque. Ils y sont accueillis par Raymond de Poitiers, brillant chevalier et bel homme, au charme duquel la reine Aliénor est immédiatement sensible. Les conversations se prolongent entre Aliénor et son oncle tant et si bien qu'une méchante rumeur prêtera à la reine de France une liaison coupable avec son séduisant parent. Cela ne va pas contribuer à restaurer la paix de son ménage.

La croisade tourne court et Aliénor et Louis VII s'en retournent rapidement à Paris. Les sages conseillers Suger et Raoul de Vermandois meurent dans les mois suivants, privant Aliénor de leur amical soutien à un moment crucial de son union.

Malgré la naissance d'une deuxième fille, Alix, le couple royal se déchire de plus belle. Irréfléchi comme à son habitude, le roi convoque un concile à Beaugency-sur-Loire. Le 21 mars 1152, il annule son mariage sous le prétexte habituel de consanguinité (cousinage au 4e degré) : l'Église, en ce domaine, sait se montrer accommodante avec les puissants ! Le roi retire ses troupes et ses agents de l'Aquitaine et du Poitou.

Un bonheur de courte duréee

Aliénor ne perd pas de temps. Puissante et dans toute la beauté de ses 30 ans, elle jette son dévolu sur Henri (20 ans), fils aîné du comte d'Anjou Geoffroy Plantagenêt. Henri est l'héritier de l'Anjou, du Maine et de la Touraine par son père. Il est aussi, par sa mère Mathilde, le petit-fils du roi d'Angleterre Henri 1er Beauclerc.

Le mariage est célébré dare-dare dans la chapelle ducale de Poitiers, le 18 mai 1152, deux mois après le fatal divorce. Ce jour-là, sans doute Louis VII le Jeune a-t-il regretté l'absence du sage Suger...

Pour ajouter à son désarroi, voilà que son ex-épouse donne le jour à un premier garçon le 17 août 1153, elle qui, jusque-là, n'avait eu que des filles ! Le lendemain, Étienne de Blois, qui dispute à Mathilde le trône d'Angleterre, perd son fils unique. Il se résout à adopter Henri Plantagenêt, faisant de lui l'héritier du trône de Guillaume le Conquérant.

Tandis qu'Aliénor met en ordre ses domaines aquitain et poitevin, Henri se rend en Angleterre pour préparer sa prochaine promotion. Le jeune et fringant comte Henri tombe au cours de son séjour outre-Manche sous le charme d'une jeune et blonde anglaise, Rosamonde Clifford, fille d'un baron local. Leur romance durera vingt ans et ne va pas peu contribuer à altérer le bonheur d'Aliénor. Le destin légendaire de la favorite, que l'on croira à tort morte empoisonnée sur ordre de la reine, inspirera de grands poètes comme Chaucer.

En attendant, tout sourit aux époux... Étienne de Blois et Mathilde étant morts, voilà le grand jour qui voit Aliénor et Henri ceindre la couronne royale dans l'abbaye de Westminster, au cœur de Londres. On est le 19 décembre 1154. Le comte d'Anjou devient le roi Henri II. Avec Aliénor, il possède l'Angleterre et tout l'Ouest de la France, de Calais à Bordeaux. Un véritable « Empire angevin » !

Ménage à la dérive

Le 25 février 1155, Aliénor donne le jour à un deuxième fils, Henri, héritier du trône du fait de la mort en bas âge de son aîné. Une fille naît peu après puis encore un fils, Richard, le futur Cœur de Lion, le 8 septembre 1157. Henri II et Louis VII concluent une trêve et l'accompagnent d'une promesse de mariage entre Marguerite, fille du roi capétien et de sa nouvelle épouse Constance de Castille, et l'aîné d'Aliénor.

La reine met au monde un nouveau fils, Geoffroy, en 1158, sans que cela ravive l'amour dans son ménage sur lequel plane l'ombre de la blonde Rosamonde (« fair Rosamund »). Aliénor prolonge ses séjours en Poitou et Aquitaine.

Suivant la tradition familiale, elle anime des cours d'amour à Poitiers, où gentes dames et troubadours chantent et dissertent à loisir, rivalisant d'esprit et de charme. Ainsi débat-on par exemple du point de savoir si l'amour est encore possible dans le mariage, quand la relation charnelle devient une contrainte et n'est plus le fruit d'un libre choix ! On croit savoir qu'au cours de ces soirées, la reine Aliénor se serait éprise de l'un des plus célèbres troubadours de son temps, Bernard de Ventadour, et que son amour aurait été payé de retour... Ces cours d'amour vont déboucher plus tard sur l'académie des Jeux Floraux, à Toulouse.

En 1166, Henri II défait les Bretons et obtient pour son fils Geoffroy la main de Constance, héritière du duché. Sa puissance paraît alors immense et l'avenir des plus prometteurs. La reine, à 45 ans, met au monde son dernier enfant, encore un fils, Jean. Henri II ne prévoit pas de le doter, aussi restera-t-il dans l'Histoire sous le nom de Jean sans Terre. Par contre, selon la tradition familiale, le roi envisage de léguer à son fils aîné Henri le trône d'Angleterre et le duché de Normandie, à Richard, le préféré d'Aliénor, l'Aquitaine et l'Anjou, et à Geoffroy, la Bretagne.

Un peu plus tard, Henri II confirme le partage de ses domaines entre ses trois premiers fils. Il fait sacrer son fils Henri pour asseoir la dynastie. Mais Henri le Jeune, surnommé Court-Mantel en raison de ses habitudes vestimentaires, arrogant et vindicatif, ne se satisfait pas de cet honneur. Il réclame de jouir sans délai de la Normandie ! Son père refuse.

Aliénor contre Henri

Henri Court-Mantel complote avec quelques grands vassaux du Limousin et quand son père vient le chercher, il s'enfuit en catamini puis fait mander à sa mère d'engager ses frères Richard et Geoffroy en sa faveur. Aliénor hésite. La raison politique voudrait qu'elle ramène l'harmonie dans sa famille. Mais son amertume d'amoureuse trompée et d'épouse humiliée l'emporte au final : elle entraîne ses fils dans la révolte. Henri II réagit avec détermination. Il arrive à Chinon, s'empare d'Aliénor et l'incarcère dans la tour de Salisbury, près de Londres ! La reine s'y morfondra pendant dix ans.

La guerre parricide se poursuit entre temps. À la Noël 1184, Henri II réunit sa famille à Cantorbéry pour un plaid solennel. Il libère Aliénor et rend à Richard l'Aquitaine et l'Anjou. Nouveau drame : le 19 août 1186, Geoffroy meurt, piétiné par des chevaux, lors d'un tournoi à la cour du roi de France Philippe Auguste. Il laisse un héritier, Arthur (ou Artus) de Bretagne.

Le roi capétien, fils tardif de Louis VII le Jeune, veut profiter de la situation pour abattre les Plantagenêt. Une guerre se prépare quand soudain, coup de tonnerre, survient la nouvelle terrible : Jérusalem vient de tomber aux mains des Sarrasins ! Une nouvelle croisade s'impose, quarante ans après la précédente. Richard se croise sans attendre. Philippe II Auguste et Henri II conviennent de se croiser également mais ne se hâtent pas...

Richard, Henri II et Philippe Auguste se préparent (avec lenteur) à partir pour la Terre sainte. Cela laisse le loisir à Richard de se révolter une nouvelle fois contre son père et Jean se joint à lui ! Henri II meurt le 6 juillet 1189 à Chinon, abattu par la nouvelle de la trahison de son fils préféré et tourmenté par le remords d'avoir commandité l'assassinat de son fidèle ami, le pieux archevêque Thomas Becket.

Sérénité du grand âge

Brutal, colérique, cupide, Richard, pris en main par sa mère, s'assagit quelque peu. Il s'embarque enfin pour la Terre Sainte. Sa mère, anxieuse de lui trouver une femme en remplacement de la malheureuse Alix, déshonorée par son beau-père potentiel, va quérir Bérengère de Navarre et rejoint à la hâte son fils à Messine pour lui confier sa nouvelle fiancée.

Comme son cher fils Richard est fait prisonnier par le duc d'Autriche près de Vienne, à son retour de croisade, Aliénor se démène une nouvelle fois pour lui sauver la mise, cependant que son frère Jean s'associe à Philippe Auguste pour le dépouiller de son pouvoir !

Jean sans Terre, héritier de l'ensemble des titres des Plantagenêt, monte à son tour sur le trône après la mort de Richard Coeur de Lion, le 6 avril 1199. Les querelles ne sont pas finies, loin de là : il voit se lever contre lui Constance de Bretagne, sa belle-sœur, veuve de son frère Geoffroy, et son jeune neveu Artus de Bretagne, allié à Philippe Auguste. Aliénor s'abstient de prendre parti mais se rend à Tours auprès du roi capétien, pour lui faire hommage pour « sa duché et sa comté ». Ainsi entend-elle préserver ses domaines à 80 ans passés. Mieux encore, elle accepte d'aller en Castille chercher l'une de ses petites-filles pour la donner en mariage à l'héritier du trône capétien ; spectaculaire réconciliation entre les deux lignées issues de Louis VII le Jeune.

En Castille, à la cour d'Alphonse VIII, Aliénor est reçue avec égard. Les plénipotentiaires français se voient présenter l'infante promise au futur roi de France. Elle a toutes les qualités requises sauf... son prénom, Urraca. Ils se demandent si les Français pourront jamais aimer une reine doter d'un si méchant prénom. Qu'à cela ne tienne, le roi de Castille leur rappelle qu'il a une fille de rechange. La cadette a quinze ans, elle ne manque pas non plus de qualités et porte le doux prénom de Blanca. Plus tard connue sous le nom de Blanche de Castille, elle donnera le jour au futur Saint Louis, qu'elle éduquera d'une excellente façon et auprès duquel elle gouvernera le royaume avec sagesse.

Après ces épreuves, Aliénor peut finir sa vie dans la plénitude de ses fonctions de reine mère. Tout en étant exceptionnelle, sa vie témoigne du comportement très libre des femmes au Moyen Âge, du moins dans les classes supérieures. Elles suivent leur mari à la croisade, étudient, animent des cours etc. Elles sont néanmoins handicapées dans la conduite de la guerre. Comme Aliénor, elles doivent dans ces occasions se faire épauler par un mari, un fils ou un fidèle vassal.

Les femmes perdront leur autonomie à la Renaissance, quand les juristes ressusciteront le droit romain et le statut d'infériorité féminine qui s'y attache. Le Code civil de Napoléon, plus romain que nature, aggravera encore cette situation...

Bibliographie

L'historienne Régine Pernoud a beaucoup écrit sur le Moyen Âge (et les femmes de cette époque). Elle est l'auteur d'une biographie agréable à lire : Aliénor d'Aquitaine, tout simplement (Livre de poche).-


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Publié ou mis à jour le : 2020-05-17 20:31:03

Voir les 6 commentaires sur cet article

Anonyme (09-09-2009 10:49:37)

Encore aujourd'hui, elle ne laisse pas indifférente : signe d'une personnalité hors du commun et intemporelle ; les associations "chiennes de garde" et autre "ni putes, ni soumises" pourraient consa... Lire la suite

CANNIZZARO (31-03-2009 00:14:20)

Si Philippe, le fils aîné de Louis VI le Gros, n'était mort d'une chute de cheval, Aliénor n'aurait pas eu à épouser Louis VII. Or, Louis VII était pressenti pour devenir ecclésiastique à la ... Lire la suite

Alain Martial (01-04-2008 21:24:02)

Le moins qu´on puisse en dire, c´est qu´elle n´avait aucun sens politique. Déchainer huit siècles de guerres contre la perfide Albion pour des questions de rancunes montre que le sens des respon... Lire la suite

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