Michel Rocard (1930 - 2016)
« Nous ne pouvons pas héberger en France toute la misère du monde... La France doit rester une terre d'asile mais pas plus »
Source : Le Monde diplomatique, Thomas Deltombe, 30 septembre 2009)
Michel Rocard, fils d'un grand physicien, fonde le PSU (Parti socialiste unifié) et popularise en France les idées d'autogestion yougoslave. Ayant rejoint le Parti socialiste de François Mitterrand en 1974, il va s'affirmer comme le rival de celui-ci. Sensible à sa popularité, le président ne l'en nomme pas moins à la fonction de Premier ministre en juin 1988.
C'est à ce titre qu'il intervient à l'Assemblée nationale le 6 juin 1989 : « Il y a, en effet, dans le monde trop de drames, de pauvreté, de famine pour que l’Europe et la France puissent accueillir tous ceux que la misère pousse vers elles ».
Le 18 novembre 1989 à la Villette (Paris), Michel Rocard participe à la célébration des 50 ans de la Cimade, association d'aide aux migrants. De son intervention que les médias n'ont pas enregistrée, on a plus tard retenu cette formule : « N'y a-t-il pas aujourd'hui un certain détournement du droit d'asile qui, s'il n'y est pas porté remède, finira par menacer l'existence de ce droit lui-même ? (...) Il s'agit d'accueillir les personnes persécutées pour leur opinion et leurs engagements, notamment politiques, et elles seulement. (...) Car à confondre les réfugiés politiques et les demandeurs d'emploi, nous finirions par mettre en danger la Convention de Genève elle-même et, par conséquent, tous ceux pour qui elle est faite ».
Le 3 décembre 1989, sur TF1, face à la présentatrice Anne Sinclair, après l'affaire des « foulards islamiques » du collège de Creil, le Premier ministre renchérit : « Il faut lutter contre toute immigration nouvelle : à quatre millions… un peu plus : quatre millions deux cent mille étrangers en France, nous ne pouvons pas héberger toute la misère du monde : ce n’est pas possible. ».
À une question de la journaliste sur l'asile, il répond : « Les réfugiés, ce n’est pas une quantité statistique, c’est des hommes et des femmes qui vivent à Vénissieux, aux Minguettes, à Villeurbanne, à Chanteloup ou à Mantes-la-Jolie. Et là, il se passe des choses quand ils sont trop nombreux et qu’on se comprend mal entre communautés. C’est pourquoi je pense que nous ne pouvons pas héberger toute la misère du monde, que la France doit rester ce qu’elle est, une terre d’asile politique (…), mais pas plus ».
Le 7 janvier 1990, à l'Assemblée nationale, devant des élus socialistes « d'origine maghrébine », il va plus loin : « Aujourd’hui, je dis clairement — je n’ai pas de plaisir à le dire, j’ai beaucoup réfléchi avant d’assumer cette formule, il m’a semblé que mon devoir était de l’assumer complètement : la France n’est plus, ne peut plus être une terre d’immigration nouvelle. Je l’ai déjà dit et je le réaffirme : quelque généreux qu’on soit, nous ne pouvons accueillir toute la misère du monde. Le temps de l'accueil de main-d'oeuvre étrangère relevant de solutions plus ou moins temporaires est donc désormais révolu ».
La déclaration scandalise par sa franchise les cercles intellectuels et dès le 10 janvier 1990, la Cimade, dans une conférence de presse, retourne la formule du Premier ministre : « Sans recevoir toute la misère du monde, nous avons pour devoir de prendre notre part de la misère du monde… ».
Beaucoup plus tard, le 24 août 1996, alors qu'il a quitté la vie politique et n'a plus de responsabilités, l'inspirateur de la « deuxième gauche » peaufine son image et corrige son propos en reprenant à son tour la formule de la Cimade : « La France ne peut pas accueillir toute la misère du monde, mais elle doit savoir en prendre fidèlement sa part (...). Ce rappel des contraintes pesant sur les responsables politiques a été perversement interprété comme un ralliement à une doctrine d'immigration zéro qui n'a jamais été la mienne ».
Sébastien Castellion (1515 - 1563)
« Tuer un homme, ce n’est pas défendre une idée, ce n’est que tuer un homme »
L'humaniste et théologien Sébastien Castellion, natif du Bugey, près de Lyon, rejoint en 1541 Jean Calvin à Genève. Bon pédagogue, il devient recteur du collège de Rive, qui vient d'être créé.
Mais il va rompre avec Calvin suite à la condamnation au bûcher du médecin Michel Servet comme hérétique.
La condamnation a été prononcée par le Conseil de Genève, avec l'accord de Calvin. Celui-ci s'en justifie par un écrit mais dès l'année suivante, il s'attire une réponse cinglante de Castellion, qui publie sous un pseudonyme un opuscule simplement intitulé « Contra libellum Calvini » (Contre le libelle de Calvin).
C'est là que l'on retrouve la formule ci-desus, exprimée comme suit : « Lorsque les Genevois ont mis à mort Servet, ils n’ont pas défendu une doctrine, ils n’ont fait que tuer un homme. La violence endurcit le cœur qui ne s’ouvre pas à la mansuétude. On ne surmonte le mal, on ne dissipe les ténèbres que par la lumière, non par l’épée ».
Chassé de toutes parts et oublié, Castellion publiera encore en 1560 un Conseil à la France désolée dans lequel il préconise un compromis religieux qui sera repris par l'Edit de Nantes, une génération plus tard.
Montaigne (1533 - 1892)
« Les guerres civiles ont cela de pire que les autres guerres, de nous mettre chacun en sentinelle en sa propre maison »
Source : Essais
Homme de belle prestance, malgré sa petite taille, Pierre Eyquem de Montaigne inspire le respect aux gens de rencontre, y compris aux soudards et aux bandits.
Il n'empêche qu'il endure les guerres de religion avec la peur au ventre et s'en confie à son journal : « Je me suis couché mille fois chez moi, imaginant qu’on me trahirait et assommerait cette nuit-là : composant avec la fortune, que ce fût sans effroi et sans langueur : Et me suis écrié après mon patenôtre, Impius haec tam culta novalia miles habebit ? » [Ces terres que j’ai tant cultivées, c’est donc un soldat impie qui les aura ? Virgile, Églogues]
Retenons de lui cette triste formule hélas toujours vérifiée : « Les guerres civiles ont cela de pire que les autres guerres, de nous mettre chacun en échauguette [sentinelle] en sa propre maison » (Essais, III, 9, 970-1).
Vaugelas (1585 - 1650)
« Le bon usage, c’est la façon de parler de la plus saine partie de la Cour, conformément à la façon d’écrire de la plus saine partie des auteurs du temps. »
Originaire de Savoie, Claude Favre, baron de Pérouges et seigneur de Vaugelas, fut l'un des membres fondateurs de l'Académie française dont il mit en en chantier le Dictionnaire en se consacrant pendant quinze ans aux cinq premières lettres.
Sa conception de la langue se reflète dans la définition célèbre qu'il donne du bon usage : « Il y a sans doute deux sortes d’Usages, un bon et un mauvais. Le mauvais se forme du plus grand nombre de personnes, qui presque en toutes choses n’est pas le meilleur, et le bon au contraire est composé non pas de la pluralité, mais de l’élite des voix... Voicy donc comme on definit le bon Usage. C’est la façon de parler de la plus saine partie de la Cour, conformément à la façon d’escrire de la plus saine partie des Autheurs du temps ».
En d'autres termes, ce n'est pas selon lui de façon informelle, dans les faubourgs et les villages, que s'ébauche la langue mais à la Cour, de façon autoritaire, sous l'égide du souverain.
Ne lui donnons pas tort. Cette gestion de la langue a permis au français de devenir une grande langue littéraire à vocation universelle et lui a évité de subir le sort du créole, du sabir ou d'un quelconque patois.
Son autorité littéraire était incontestée et le beau monde du XVIIe siècle s'appliqua à « parler Vaugelas » selon la formule de Molière.
Sir Winston Churchill (1874 - 1965)
« Chaque fois qu'il nous faudra choisir entre l'Europe et le grand large, nous serons toujours pour le grand large. »
Le 19 septembre 1946, à l'Université de Zurich, Winston Churchill, ex-Premier ministre britannique, appelle de ses vœux les « États-Unis d'Europe » sur la base d'une réconciliation franco-(ouest-)allemande... mais sans la Grande-Bretagne. À ses yeux, son pays a vocation à être seulement « au nombre des amis et garants de cette nouvelle Europe ».
Rappelons l'adresse de Churchill à de Gaulle en juin 1944 : « Sachez-le, général ! Chaque fois qu'il nous faudra choisir entre l'Europe et le grand large, nous serons toujours pour le grand large. Chaque fois qu'il me faudra choisir entre vous et Roosevelt, je choisirai Roosevelt ».
À Zurich, il ne pense sans doute pas autrement : « Chers amis continentaux, à deux reprises déjà, vous nous avez impliqués dans vos querelles. Faites donc la paix entre vous une bonne fois pour toutes et laissez-nous mener nos affaires avec le vaste monde ».
Toutefois, ses rivaux travaillistes, au pouvoir en Grande-Bretagne depuis juillet 1945 avec Anthony Eden, restent quant à eux fidèles à la tradition diplomatique britannique de l'équilibre des pouvoirs (balance of power). Le 4 mars 1947, ils signent avec la France le traité de Dunkerque par lequel ils s'engagent à soutenir militairement la France dans l'éventualité (très improbable) d'une renaissance du militarisme allemand.
Hérodote (484 av. J.-C. - 425 av. J.-C.)
« En temps de paix, les fils ensevelissent leurs pères ; en temps de guerre, les pères ensevelissent leurs fils. »
Cette observation troublante est extraite des Enquêtes du voyageur grec Hérodote. Il est à juste titre considéré comme le père de l'Histoire...