L'idée impériale ensorcelle les hommes depuis plus de deux millénaires.
Jules César, auquel nous attribuons la naissance de l’empire romain, a acquis une telle renommée en Occident que le souverain allemand s’est appelé Kaiser et les souverains russes, serbes et bulgares Czar ou Tsar alors même que leurs États respectifs n'avaient rien à voir avec les empires du passé ou des autres continents, tels que les décrit l'historien Gabriel Martinez-Gros...
Un État multiculturel ou multinational reposant sur la force
C’est au début de notre ère qu’apparaît le mot « empereur ». Auparavant, Alexandre le Grand n'était que basileus (« roi » en grec) et Cyrus chah in chah (« Roi des Rois » ou « Grand Roi » en perse), ce qui était déjà un peu mieux.
Le mot dérive du latin imperium, qui s'appliquait à Rome au commandement militaire et à l'autorité civile. Il désignait un pouvoir de vie et de mort exercé par les consuls, sans possibilité d’appel. D’où son attribut principal, le faisceau de verges entourant la hache, qui permettait soit une simple punition corporelle, par les verges, soit une mise à mort sans jugement par décapitation à la hache...
À ce propos, il peut paraître choquant que faisceau et hache soient encore aujourd’hui des symboles de notre république !
Quant au titre d’imperator, dont nous avons fait « empereur », il fut d’abord attribué aux généraux victorieux par leurs soldats avant de l’être par le Sénat aux magistrats en charge d’un imperium.
Jules César fut le premier à garder le titre d’imperator jusqu’à sa mort.
À mesure que Rome a étendu son emprise sur le bassin méditerranéen par le succès de ses armes, l'imperium de ses généraux en est venu à se confondre avec la nouvelle réalité géopolitique : un État multiculturel ou multinational reposant sur la force militaire.
C'est la définition que l'on peut donner de l'empire même si les Romains n'en sont pas à proprement parler les inventeurs. Avant eux, Sargon, Cyrus, Alexandre et Qin Shi Huangdi ont fondé des entités qui répondent à cette définition. Deux d’entre elles durent encore : la Perse (Iran) et la Chine.
Tous les termes de la définition sont importants.
L’empire byzantin et l’empire carolingien, qui ont succédé à l’empire romain, y satisfont tout comme les différents empires musulmans, depuis les empires de Damas et de Bagdad jusqu’à l’empire ottoman en passant par l’empire séfévide (Iran), l’empire des Grands Moghols (Indes), sans oublier non plus l’empire de Gengis Khan, le plus grand de tous les temps, et plus loin de nous, les empires inca et aztèque.
Par contre, malgré leur intitulé officiel, l’Empire de Napoléon III et celui de Guillaume 1er et Bismarck, au XIXe siècle, n’étaient pas des empires car ils n’avaient pas de caractère multiculturel ou multinational. C’étaient des États-Nations conventionnels, autrement dit des État de droit adossés à une communauté nationale. Même chose pour le Japon.
La Suisse et l'Inde contemporaines, États multiculturels ou multinationaux, ne sont pas davantage des empires car leur cohésion repose sur un lien fédéral librement consenti par toutes les parties et non sur la force militaire.
C'est aussi par un abus de langage que l'on qualifie d'empires les domaines coloniaux constitués en Afrique au XIXe siècle par la République française et le Royaume-Uni car ils n'avaient pas de lien étatique avec la métropole ; ils n'étaient que des terrains de jeux lointains pour militaires, commerçants et aventuriers en mal d'action.
Les empires selon Ibn Khaldoun
L’historien Gabriel Martinez-Gros montre dans un essai détonant (note) comment, selon son homologue arabe Ibn Khaldoun (XIVe siècle), naissent et meurent les empires.
Les empires sont des constructions destinées à capter un maximum de richesses et les faire remonter vers la classe dirigeante. Celle-ci pressure les populations après les avoir désarmées pour leur ôter l'envie de se rebeller car « l'impôt est une humiliation que des hommes libres et armés ne tolèreraient pas », écrit-il.
Ayant tout de même besoin de la force pour maintenir son pouvoir, elle recrute à prix d’or des mercenaires, de préférence parmi les barbares de la périphérie, avec le risque qu’ils ne finissent par s’emparer du pouvoir…
Cette représentation de l’Histoire universelle ne manque pas d’attraits. Elle se vérifie assez largement comme le montre la longue succession des empires au fil des derniers millénaires.
Notons que ces empires, s’ils ont été prédateurs plutôt que créateurs de richesses, ont tout de même largement contribué à brasser les hommes, les idées et la civilisation.
Fondateurs d'empire
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jarrige (20-02-2017 17:09:18)
IMPERIUM. L'Imperium n'était pas un pouvoir de vie et de mort sans appel: existaient l'appel au peuple, la provocatio ad populum,qui appartenait au condamné, et le droit d'intercession des tribuns d... Lire la suite