Pourquoi les Anglais roulent-ils à gauche et les Français à droite ? L’origine du sens de circulation est longtemps restée un mystère avec son lot d’hypothèses. Certains y ont vu l’œuvre des révolutionnaires cherchant à rompre avec les normes de l’Ancien Régime, d’autres celle de Napoléon à des fins tactiques.
Il semble aujourd’hui beaucoup plus plausible que l’adoption de la conduite à droite résulte d’un long processus enclenché parallèlement en France et aux États-Unis à la fin du XVIIIe siècle, causé par l’emploi d’un nouveau véhicule hippomobile.
L’essentiel des pays concernés par la conduite à gauche sont d’anciennes colonies britanniques : l’Inde, le Pakistan, l’Australie, le Bangladesh, l’Afrique du Sud, la Tanzanie, le Kenya, la Malaisie, la Jamaïque, la Nouvelle-Zélande ou les îles Fidji. À cela il faut encore ajouter le Japon, l’Indonésie, la Thaïlande, le Suriname et le Mozambique. On roule aussi à gauche dans trois pays de l’Union Européenne : Irlande, Chypre et Malte.
La gauche, sens de circulation originel
Aussi étonnant que cela puisse paraître, le sens de circulation sur les routes ou dans les rues n’a été réglementé qu’à partir du XVIIIe siècle. Avant cette date, nul ne sait avec certitude de quel côté de la chaussée se serraient les véhicules, les cavaliers ou les simples piétons, en Europe comme dans le reste du monde.
Les Romains, pourtant édificateurs d’un réseau routier sophistiqué, n’ont laissé aucune prescription en la matière. Quelques indices peuvent toutefois laisser à penser que dès l’Antiquité la circulation à gauche a été privilégiée.
Sur un denier romain du Ier siècle, on peut voir par exemple deux cavaliers se croisant par la droite. Autre indice : dans la carrière romaine de Swindon, en Angleterre, découverte en 1998, les ornières laissées par les chariots sont plus profondes du côté gauche de la route que du côté droit. Les chariots qui quittaient la carrière étant plus lourd que ceux qui y entraient, on peut en déduire que le sens de circulation était à gauche.
Si la conduite à gauche semble avoir été préférée, c’est pour une raison d’abord pratique : la prédominance des droitiers. Depuis l’Antiquité, ceux-ci portaient leur épée à gauche pour la saisir plus facilement en cas d’attaque. Or s’ils circulaient à droite de la chaussée, leur arme était dirigée vers l’intérieur de la route, rendant les croisements plus dangereux.
C’est cette même logique qui aurait conduit les chevaliers des tournois médiévaux à s’engager à gauche de la palissade (la lice) afin de tenir la lance de la main droite.
Boniface VIII impose la circulation à gauche
Curieusement, c’est de la papauté que va venir la première règlementation en matière de circulation. En 1300, le pape Boniface VIII décrète la première Année sainte de l’Histoire (l’actuel jubilé). Il promet à tous ceux qui viendraient en pèlerinage à Rome et visiteraient à quinze reprises les basiliques Saint-Pierre et Saint-Paul, une indulgence plénière, soit l’absolution de leurs péchés !
Cette décision a pour conséquence de voir affluer dans la Ville Éternelle une foule de pèlerins venus de toute l’Italie et même au-delà. On en dénombre près de 200 000 pour une cité qui ne compte plus qu’à peine 30 000 âmes ! Il en résulte d’inévitables difficultés de circulation aussi bien dans les rues que dans les églises. Pour mettre un peu d’ordre et faciliter l’accès aux édifices, Boniface VIII décrète que le sens de la circulation dans la ville se fera à gauche.
Quant au pont Saint-Ange qui donne accès à la basilique Saint-Pierre, il est tellement encombré qu’on dresse une palissade pour le diviser en deux voies à sens unique, comme Dante le décrit dans La Divine Comédie :
C’est ainsi que dans Rome, en raison de la foule,
L’année du jubilé, un ordre est établi,
À l’usage des gens qui passent le pont,
Si bien que, d’un côté, tous portent le visage
Vers le château et s’en vont vers Saint-Pierre,
Et que de l’autre vont ceux qui gagnent le mont.
Cette prescription demeure cependant anecdotique et ne sera suivie nulle part. Partout, la circulation se fera de manière anarchique ou selon des règles tacites de préséance.
Dans les villes françaises, les rues pavées sont concaves afin de permettre aux eaux usées jetées depuis les fenêtres des habitations de s’écouler au milieu de la chaussée, dans une sorte de rigole. Aussi, lorsque deux personnes se croisent, la plus élevée socialement a priorité sur l’extérieur, tandis que le plus pauvre doit passer par le centre. Cette habitude est à l’origine de l’expression : « tenir le haut du pavé. ».
De même, sur les routes, priorité est donnée en cas de croisement aux véhicules officiels. Une ordonnance de Louis XVI stipule ainsi : « Sa majesté a ordonné et ordonne que tous routiers, charretiers, voituriers et autres seront tenus de céder le pavé et de faire place à tous courriers et voyageurs allant en poste. »
La France circule à droite
Il faut attendre la fin du XVIIIe siècle pour que, face à l’accroissement du trafic routier, les autorités se décident à opter pour un sens de circulation obligatoire. En 1773, l’Angleterre préconise la conduite à gauche.
Au même moment, en France, c’est la circulation à droite qui est adoptée. La raison tient à la nature de ses routes. Au XVIIIe siècle, la France édifie le premier réseau routier moderne. Il est l’œuvre du corps des ponts et chaussées lequel dispose d’une main d’œuvre gratuite grâce à la corvée royale.
Deux innovations vont surtout révolutionner la construction des routes : Pierre Trésaguet met au point une technique de soubassement, ancêtre du macadam, tandis que Louis-Alexandre de Cessart (architecte du pont des Arts) invente le rouleau compresseur.
Le royaume se dote de routes droites, solides et ombragées, permettant la circulation de véhicules plus massifs, telle la turgotine, une diligence créée à l’initiative de Turgot. Pour tracter ces énormes voitures hippomobiles, six chevaux sont désormais nécessaires, disposés en deux colonnes.
À la tête de l’attelage on trouve le postillon qui contrairement au cocher n’est pas assis à l’avant de la voiture mais sur un cheval. Et comme il tient son fouet de la main droite, le postillon prend place sur le cheval de gauche afin de contrôler plus facilement ceux qui sont à sa droite.
Ce détail a une importance capitale. Le postillon est décentré par rapport au véhicule et pour qu’il ait une meilleure visibilité, les diligences emprunteront la partie droite de la chaussée.
Le réseau routier anglais n’étant pas adapté aux diligences à six chevaux, la conduite à droite ne franchira pas la Manche, d’autant que les hippomobiles y seront très tôt concurrencées par le chemin de fer.
Parallèlement à la France, un processus comparable s’opère au même moment aux États-Unis. La faute non pas à la diligence mais au Conestoga. Ce chariot bâché, tracté par six chevaux, a pour particularité de ne pas avoir de siège pour le cocher. À l’instar du postillon, le conducteur se place donc sur le premier cheval de gauche.
La Pennsylvanie, d’où est originaire le Conestoga, sera le premier État américain à adopter la conduite à droite, en 1792. La conquête de l’Ouest réalisée avec ce modèle de charriot finira par étendre la norme à tout le pays.
L’automobile diffuse la conduite à droite
Les guerres de la Révolution et de l’Empire participent à la diffusion de norme française en Europe de l’Ouest. Celle-ci est adoptée en Allemagne, en Belgique, aux Pays-Bas, en Suisse et au Danemark. Chose curieuse, ce n’est qu’en 1893 qu’elle deviendra règlement officiel en France !
À l’inverse, les Britanniques répandent la circulation à gauche dans la totalité de leurs colonies et jusqu’au Japon. Si bien qu’au XIXe siècle, c’est la conduite à l’anglaise qui est majoritaire dans le monde.
L’essor de l’automobile va inverser le rapport de force. Pourtant sur les premières automobiles des années 1890, le volant est systématiquement placé à droite, y compris dans les pays où l’on ne roule pas à gauche ! La raison est une nouvelle fois d’ordre pratique : le frein à main est alors installé à l’extérieur de l’habitacle, à droite du conducteur, pour que les droitiers puissent facilement s’en saisir. Il faudra attendre une dizaine d’années pour l’intégrer à l’intérieur du véhicule.
C’est finalement Henry Ford qui opte pour le volant à gauche pour faciliter la conduite sur la voie de droite. Il sera aussitôt imité par ses concurrents.
Au début du XXe siècle, du fait de la domination des constructeurs automobiles américains, français et allemands, plusieurs pays choisissent de passer à la conduite à droite : la Russie, la Pologne, le Portugal, ou encore l’Italie et l’Espagne où les deux normes cohabitaient suivant les régions (on roulait par exemple à droite en Catalogne et à gauche en Aragon !).
Au Canada, les provinces périphériques abandonnent la conduite à gauche pour se mettre au diapason du reste du continent. En Nouvelle-Écosse, la transition aura un effet inattendu : entraînés à circuler à gauche, les bœufs qui tractaient les chariots sont massivement envoyés à l’abattoir, conduisant à un effondrement du prix de la viande. L’année 1923 sera surnommée dans la région : « l’année du steak gratuit ».
Les conquêtes militaires accélèrent également les changements de normes. Lors de l’Anschluss, les autorités allemandes imposent la conduite à droite à l’Autriche. La transition se fera une seule nuit, provoquant un immense capharnaüm dans le pays. La Tchécoslovaquie et la Hongrie emboiteront le pas.
Après le second conflit mondial, la conduite à droite sera adoptée par de nouveaux pays pour faciliter les échanges avec leurs voisins. C’est le cas des anciennes colonies britanniques d’Afrique de l’Ouest (Nigéria, Ghana, Sierra Leone), enclavées dans l’ensemble francophone. À l’inverse, le Mozambique portugais qui n’a de frontière qu’avec des pays anglophones, opte pour la conduite à gauche.
En 1967, après bien des hésitations, la Suède, dernier pays d’Europe continentale à rouler à gauche, décide d’imiter ses voisins. Préparé jusque dans ses moindres détails (l’armée est même mise à contribution) le changement aura lieu le 3 septembre 1967 à 5 heures du matin. Connue sous le nom de « Dagen H » (en suédois : le jour H) l’opération sera un tel succès qu’elle sera imitée l’année suivante par l’Islande.
Enfin, pour des raisons purement idéologiques, la Chine imposera la conduite à gauche durant la Révolution culturelle avant de faire machine arrière à la mort de Mao.
Demain, tous à gauche ?
Depuis une quarantaine d’années, les sens de circulation ne sont plus modifiés à travers le monde. La raison est surtout d’ordre économique, les coûts de transformation d’un réseau routier étant moins supportables pour des économies en crise.
La question du marché des voitures d’occasion ravive pourtant le débat. Ainsi, en Extrême-Orient russe, dans le kraï du Primorié, près de 90% des véhicules ont le volant à droite car ils sont importés du Japon. En conséquence, les habitants de Vladivostok réclament ponctuellement le passage à la conduite à gauche.
Cependant, si le sens de circulation devait un jour se généraliser à l’ensemble du monde, c’est paradoxalement la conduite à gauche, pourtant minoritaire, qui gagnerait à être adoptée. Tout simplement parce que celle-ci est à l’origine d’un nombre plus faible d’accidents de la route. Rouler à gauche présenterait certains avantages physiologiques, la majorité de la population mondiale ayant l’œil droit pour œil directeur.
Gageons qu’une telle chose n’arrive jamais puisque ce sont les spécificités locales qui font la richesse de l’humanité.
Bibliographie
Cyrille Piatecki, « Pourquoi conduit-on à droite ? Une investigation historique dans la genèse d’un conflit de normes » .
La science et la vie
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Neiss (16-07-2022 09:07:55)
Sait-on pourquoi on a établi le sens giratoire des ronds-points de sorte à inverser la priorité (à gauche) à l'inverse des autres carrefours ?
joseph (19-05-2022 19:17:16)
reste à comprendre pourquoi nos trains roulent à gauche comme les anglais, mais les allemands roulent à droite...
Eugène MER (18-05-2022 13:33:53)
Pour ne décevoir, ni les conducteurs et conductrices droitistes ou gauchistes, certains automobiliste circulent en voiture carrément...au milieu!