Dante Alighieri, reconnu comme le plus grand écrivain et poète du Moyen Âge, a donné à la langue italienne ses lettres de noblesse.
Né à Florence, une république marchande en rupture avec les traditions médiévales, il amorce avec son ami le peintre Giotto (1266-1335) la révolution intellectuelle et culturelle qui va mener à la Renaissance.
Méconnu des Français, le « triste Florentin » (selon le mot de Joachim du Bellay) fut aussi un homme d'action, un combattant et un politique au service de sa patrie. Il demeure outre-monts l'indépassable symbole de l'identité italienne...
Un patriote Florentin
Au mitan du XIIIe siècle, Florence est déjà une cité assez prospère pour frapper la première monnaie d'or depuis l'Antiquité, le florin. Ses bourgeois sont plus soucieux de commerce et d'industrie que de théologie. Comme dans les autres cités italiennes, ils sont divisés entre guelfes et gibelins, partisans du pape contre partisans de l'empereur germanique.
C'est dans ce contexte que naît le poète. Dante est-il « Celui qui donne » ou « Celui qui dure » ? Si l'origine de ce prénom rare reste incertain, on sait que le petit Alighieri a été baptisé le 26 mars 1266, en même temps que tous les enfants nés dans l'année.
Son père, de petite noblesse, est agent de change. L'enfance du poète est marquée par la disparition de sa mère, « la madre bella », alors qu'il n'a pas 10 ans, puis par celle de son père en 1281.
À 17 ans à peine, le voici donc chef de famille. A-t-il encore le temps de rêver à la petite Béatrice Portinari dont il est tombé amoureux à 9 ans ? Toujours est-il que cet amour platonique sera plus tard au coeur de son inspiration poétique : « Elle m'apparut vers le début de sa neuvième année, et je la vis presque à la fin de mes neuf ans » (Vita Nova).
En attendant, comme il faut bien vivre, c'est avec Gemma Donati qu'il s'unit en 1285. Le couple aura plusieurs enfants. Il se lie aussi d'amitié avec les plus grands noms de son temps, le poète Cino da Pistoia, le musicien Casella ou encore le peintre Giotto.
Avec son premier livre, la Vita Nova (« La Vie nouvelle », 1292), Dante emprunte de façon originale la voie de la biographie en mélangeant prose et vers pour raconter son amour pour Béatrice :
« Cette charmante femme dont il vient d’être question paraissait si aimable aux gens que, quand elle passait quelque part, on accourait pour la voir ce qui me comblait de joie. Et, quand elle s’approchait de quelqu’un, il venait au cœur de celui-ci un sentiment d’humilité tel qu’il n’osait pas lever les yeux ni répondre à son salut. Et ceux qui l’ont éprouvé peuvent en porter témoignage à ceux qui ne le croiraient pas. Elle s’en allait couronnée et vêtue de modestie, ne tirant aucune vanité de ce qu’elle voyait ou entendait dire. Beaucoup répétaient, quand elle était passée : « Ce n’est pas une femme, c’est un des plus beaux anges de Dieu. » D’autres disaient : « C’est une merveille ; béni soit Dieu qui a fait une œuvre aussi admirable » (Vita Nova, 1292).
Noir ou blanc ?
À 24 ans, il prend part à deux expéditions militaires contre les cités rivales d'Arezzo et de Pise. Mais en juin 1290, il apprend la mort de Béatrice, qui s'est entretemps mariée. « Percé par la tristesse », il cherche du réconfort dans la philosophie dispensée par les écoles des dominicains et franciscains.
La politique le rattrape lorsqu'en 1295 une nouvelle loi permet aux nobles de participer activement à la vie publique. Obligé pour cela de s'inscrire à une corporation, Dante rejoint celle des Médecins et Apothicaires, la plus digne aux yeux des intellectuels.
Il effectue une mission diplomatique à San Gimignano et cela lui vaut d'accéder en 1300 à la Seigneurie, la magistrature suprême de la ville, qui compte neuf membres appelés Prieurs. Nommés pour deux mois, ils représentent l'ensemble des corporations.
Le moment est mal choisi pour Dante car le parti guelfe qui dirige la ville est alors déchiré deux factions : d'un côté les Blancs issus de la bourgeoisie et proches du peuple, de l'autre les Noirs, proches de la noblesse. Pour tenter d'apaiser les tensions, Dante, qui lui-même se range du côté des Blancs, choisit d'exiler les chefs des deux factions.
En 1301, il se rend à Rome pour convaincre le pape Boniface VIII de ne pas s'immiscer dans les affaires de la ville. Mais sa mission échoue. À la Toussaint 1301, Charles de Valois, frère du roi de France Philippe le Bel, entre à Florence à la demande du pape. Les Noirs en profitent pour prendre le pouvoir et se livrent à des représailles contre les Blancs. Menacé du bûcher, Dante choisit l'exil. Il ne reviendra jamais dans sa ville natale.
L'exil
Commence une longue errance de ville en ville qui durera vingt ans. Sans jamais renoncer à poursuivre le combat politique, le banni parcourt Vénétie et Toscane, une plume à la main. C'est en effet dans la littérature qu'il se réfugie en profitant d'un long séjour à Vérone pour rédiger l'essentiel de la Commedia (1312-1316), cette oeuvre monumentale que ses admirateurs, notamment le poète Boccace, rebaptiseront pour l'éternité la « Divine Comédie ».
Devenu célèbre, il peut fièrement refuser en 1315 la proposition que lui font les nouveaux dirigeants florentins de revenir dans sa patrie d'origine. C'est donc en exil, à Ravenne, qu'il meurt de la malaria le 14 septembre 1321, à 56 ans, et c'est là qu'il repose depuis lors.
Dante ne se réduit pas à la poésie. N'ayant jamais renoncé à la politique, il s'est rapproché des gibelins vers la fin de sa vie et publia vers 1313 un traité en latin, De monarchia. Considéré comme l'un des principaux ouvrages politiques du Moyen Âge, ce traité d'une étonnante modernité pose en principe que l'homme a deux fins dernières, l'une temporelle comme membre d'une communauté politique, l'autre spirituelle par son âme appelée à la vie éternelle. Il s'ensuit fort logiquement la séparation des pouvoirs et, en d'autres termes, de l'Église et de l'État ! Au pape revient le pouvoir spirituel et la direction des âmes, à l'empereur le pouvoir temporel et la direction des affaires terrestres...
L'inventeur d'une langue
L'œuvre poétique de Dante s'inscrit dans le courant du Dolce Stil Nuovo (« doux style nouveau »), cette poésie courtoise florentine caractéristique du XIIIe siècle et héritière des troubadours (dico). Mais il va plus loin en refusant de limiter son œuvre à l'expression de l'amour et en choisissant, pour ses 14 000 vers, non le latin mais une langue nouvelle qu'il baptise le « vulgaire illustre ».
Convaincu qu'il lui faut être universel, compris par tous les hommes, il rédige en « langue naturelle », celle, dit-il, avec laquelle ses parents ont échangé leurs premiers mots. Son italien est donc essentiellement du toscan auquel s'ajoutent des éléments d'autres langues régionales mais aussi des néologismes, chers à la Renaissance.
Avec la Divine comédie, Dante montre la voie dans laquelle vont s'engouffrer les grands auteurs de l'Italie du XIVe siècle, comme Pétrarque et Boccace.
Le poète va faire l'objet d'un véritable culte au siècle suivant, dans la Florence des Médicis. Botticelli consacrera ainsi dix ans de sa vie à illustrer les cent chants de la Commedia cependant que les humanistes de la Renaissance célébreront son goût pour l'Antiquité, son « amour de la connaissance » et sa quête de l'« humanité dignité ».
En arrivant en Enfer, Dante est accueilli par des « paroles de couleur sombre » inscrites au-dessus d'une porte :
« Par moi l’on va dans la cité dolente,
par moi l’on va dans l’éternelle douleur,
par moi l’on va parmi le peuple perdu.
Justice a poussé mon suprême créateur ;
la divine puissance, la suprême sagesse
et le premier amour me firent.
Avant moi rien ne fut créé
qui ne soit éternel, et moi éternellement je dure.
Vous qui entrez, laissez toute espérance » (La Divine comédie, « L'Enfer », III)
Un voyage fabuleux
« Notre œuvre peut être appelée Comédie, car, si nous considérons le contenu, le début, l'Enfer, est horrible et fétide, mais le dénouement, le Paradis, est agréable et heureux ».
Ces quelques mots résument le projet de Dante : il s'agit de raconter son propre voyage, imaginaire bien sûr, au royaume des morts. Guidé par le poète Virgile, il suit un « cheminement fatal » au milieu des pièges et des monstres peuplant les 9 cercles de l'Enfer avant d'atteindre le centre de la Terre, le nombril de Lucifer.
Puis c'est le détour par le Purgatoire où il voit Béatrice en rêve avant d'être aspiré vers le haut, vers le Paradis et rejoindre l'Empyrée, siège du divin. D'abord intitulée La Vision, cette œuvre relate une expérience personnelle intense destinée à être partagée par chaque humain, confronté aux châtiments et récompenses qui risquent de l'attendre après son passage sur Terre.
Il s'agit pour Dante, marqué par l'instabilité de son temps, de faire prendre conscience du sort qui attend chacun et ainsi de tenter de rendre l'humanité meilleure. « Scribe de la matière divine », il donne naissance à ce qu'il définit comme un « poème sacré » qui marquera fortement toute la culture européenne.
Parcourant l'Enfer, Dante et Virgile croisent des ombres...
« Parmi cet amas repoussant et sinistre
couraient des gens nus et pleins d'épouvante,
sans espoir de refuge ou d'héliotrope :
les mains liées derrière le dos par des serpents
qui leur dardaient aux reins leurs queues
et leurs têtes, et se nouaient par-devant.
Soudain sur un damné qui était près de nous
un serpent se jeta, qui le transperça
à l'endroit où le cou se rattache à l'épaule.
En moins de temps qu'on écrit O ou I
il s'alluma, et il brûla,
puis il tomba tout entier en cendres ;
et quand il fut à terre ainsi détruit,
la poussière se rassembla d'elle-même
et recomposa la forme précédente.
Ainsi les grands sages disent-ils
que le phénix meurt et puis renaît,
quand il approche la cinq centième année ; [...]
Tel est celui qui tombe, sans savoir comment,
par l'effet d'un démon qui l'attire à terre,
ou par un autre mal qui le paralyse,
quand il se lève et regarde autour de lui,
tout égaré par la grande angoisse
qu'il a soufferte, et qu'il soupire en regardant;
tell est le pécheur qui s'était redressé.
Quelle est sévère la puissance de Dieu
qui frappe de tels coups dans sa vengeance ! » (La Divine comédie, « L'Enfer », XXIV)
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