8 septembre 1303

L'« attentat » d'Anagni

Le 8 septembre 1303, à Anagni, à une quarantaine de kilomètres au sud de Rome, la rencontre entre le pape et le représentant du roi de France tourne mal. On parle d'un « attentat » contre la personne du pape.

Cet événement marque une rupture avec le XIIIe siècle, siècle chrétien par excellence. Sous le pontificat d'Innocent III puis, en France, sous le règne de Saint Louis, les gouvernements se soumettaient bon gré mal gré aux exigences du pape. Tout change avec Philippe IV le Bel, petit-fils de Saint Louis, qui se pose en précurseur du gallicanisme et de la laïcité, autrement dit de la séparation de l'Église et de l'État.

Jean Brillet

Une histoire d'argent

Philippe le Bel a besoin d'argent pour poursuivre la guerre contre les Flamands et ses offensives diplomatiques et pour maintenir le train de vie de l'État malgré quelques signes de dépression économique. Il ne lui suffit pas de dévaluer la monnaie ni de dépouiller les juifs et les banquiers lombards. Il lève en 1295 un impôt occasionnel sur le clergé, la « décime ». Le clergé s'incline, bien que le roi se soit dispensé de demander l'autorisation au pape de lever cet impôt.

Lorsque Philippe IV revient à la charge avec une taxe supplémentaire, la « cinquantième », les évêques s'en plaignent au pape Boniface VIII (Benedetto Caetani, connu en particulier pour avoir institué la célébration périodique de l'Année Sainte.

Le pape publie la bulle (dico) « Clericis laicos » où il précise à l'ensemble des souverains que le clergé ne peut être soumis à aucun impôt sans l'accord du Saint-Siège. Les évêques eux-mêmes sont tenus de suivre les recommandations du Saint-Siège sous peine d'excommunication !

Dans le même temps, Philippe Le Bel interdit toute exportation de valeurs hors du royaume de France, ce qui a pour effet de priver le pape d'une grosse partie de ses ressources.

Pressé par le clergé français qui s'inquiète pour le roi, son protecteur naturel, Boniface VIII en vient à publier une série de bulles assouplissant sa position. En 1297 il doit finalement s'incliner et le « conflit de la décime » se résout à l'avantage du roi de France. La même année, le prestige de Philippe le Bel est encore accru par la canonisation de Louis IX (Saint Louis) qui fait du roi rien moins que le petit-fils d'un saint.

Forfaiture de Bernard Saisset

Tandis que le roi de France est aux prises avec la papauté, survient la forfaiture de Bernard Saisset, évêque de Pamiers.

Dans un Midi encore mal remis de la croisade des Albigeois, celui-ci conteste haut et fort la légitimité du roi de France. Il suggère même au comte de Foix, Roger-Bernard, de libérer le Languedoc de la tutelle capétienne. Il agit de même avec le comte de Comminges pour le comté de Toulouse. Le comte de Foix révèle l'affaire à l'évêque de Toulouse et celui-ci en parle à son tour à Philippe le Bel.

Imbroglio médiéval

Le roi lance une enquête et met les biens de l'évêque sous séquestre. Bernard Saisset veut s'en plaindre auprès de Boniface VIII, à Rome. Non sans naïveté, il fait part de son intention au roi, lui demandant par la même occasion... « s'il avait quelque commission à faire au pape » !

Dans la nuit du 12 au 13 juillet 1301, le vidame d'Amiens, Jean de Picquigny, réveille l'évêque. Il le fait conduire sous bonne escorte devant le roi, qui se trouve être à Senlis. L'acte d'accusation est lu en première audience par le conseiller Pierre Flotte.

Sceau de Bernard Saisset Le roi décide de déférer Bernard Saisset devant un tribunal laïque, contre l'usage qui réserve aux prélats le droit d'être jugés par un tribunal ecclésiastique. Il confie l'évêque félon à la garde de son supérieur hiérarchique, l'archevêque de Narbonne, Gilles Aycelin, qui accepte, contraint et forcé.

Mais le problème se pose de savoir où emprisonner Bernard Saisset. L'archevêque de Reims, Robert de Courtenay, dont dépend l'évêché de Senlis, exige qu'il soit emprisonné à Narbonne comme il se doit. Philippe le Bel refuse cette perspective car il craint avec raison une sédition.

Robert de Courtenay n'hésite pas à convoquer un concile provincial à Compiègne et, le 22 novembre 1301, menace d'interdit les terres de Senlis si l'on persiste à y maintenir l'évêque en prison.Finalement, les légistes du Conseil du roi proposent astucieusement de faire de la prison laïque de l'evêque une enclave de l'archevêché de Narbonne !... Et chacun d'accepter cet arrangement. Mais le pape Boniface VIII s'irrite de ces infractions au droit canonique. Désireux de maintenir l'indépendance de l'Église et la prééminence du Saint-Siège, il publie le 18 novembre 1302 une nouvelle bulle, « Unam sanctam », où il réaffirme la primauté du Saint-Siège sur les souverains temporels.

Entraîné par un tempérament coléreux et excessif, le pape en arrive à menacer le roi de France d'une excommunication. Il convoque un concile à cet effet, ce qui a l'heur d'inquiéter le haut clergé français.

Arrestation de Boniface VIII, Giovanni Villani, XIVe siècle.

Rencontre houleuse à Anagni

Guillaume de Nogaret, en fidèle serviteur du roi de France, se rend en Italie en vue de se saisir de Boniface VIII.

Son intention est de faire traduire le pape devant un concile général en vue de sa destitution. Le projet a l'assentiment d'une bonne partie de l'Église et de bonnes chances d'aboutir tant le pape s'est fait d'ennemis.

L'homme de confiance de Philippe le Bel se présente avec une petite troupe à Anagni, dans le palais pontifical de la ville natale du pape. Il est accompagné des hommes de la famille romaine des Colonna, qui a un contentieux avec celle du pape, les Caetani.

Sept ans plus tôt, un Colonna s'était emparé d'un trésor que transportait le neveu du pape. Ce dernier s'était vengé en faisant raser Palestrina, le chef-lieu de leurs terres. 

Colonna giflant Boniface VIII, illustration d'Alphonse de Neuville pour L'Histoire de France : depuis les temps les plus reculés jusqu'en 1789, racontée à mes petits-enfants de François Guizot, 1883.Depuis lors, les Colonna animaient une cabale contre Boniface VIII, l'accusant d'avoir poussé son prédécesseur Célestin V à la démission ainsi que de se faire idolâtrer ou d'invoquer les démons !... Il est vrai que Boniface VIII a une haute opinion de lui-même et, en seigneur de l'Église, ne se fait pas faute de défendre ses droits temporels autant que spirituels.

À Anagni, Guillaume de Nogaret et ses hommes atteignent les appartements du pape. Ils surviennent de façon importune au beau milieu d'une dispute entre Italiens.

Le pape est conspué, tout le monde se dispute avec tout le monde et, selon la chronique, un Colonna tente de gifler Boniface VIII. Il en est empêché par un Français (peut-être Guillaume de Nogaret ?).

Les Français n'osent pas toutefois se saisir de la personne du pape et se contentent de lui signifier la convocation au concile. Après deux jours d'attente, ils doivent s'enfuir, chassés par les paysans des environs.

Le pape, cependant, ne survivra qu'un mois à cette humiliante rencontre. Après le court pontificat de son successeur Benoît XI, l'élection du français Bertrand de Got sur le trône de Saint-Pierre consacrera la victoire par KO du roi de France.

Publié ou mis à jour le : 2023-09-06 11:41:47
Michael (08-09-2023 05:49:11)

"Une dispute entre Italiens"... J'essaie d'imaginer ce que pourrait être une dispute entre Espagnols, ou pire, peut-être, entre Allemands. Peut-être y voit-on des mozzarella voler, dans une odeur d... Lire la suite

cortier (21-10-2016 17:31:55)

"Ils surveillent de façon importune au beau milieu d'une dispute entre Italiens." (parlant de Guillaume de Nogaret et ses hommes). N'avez pas voulu dire : "ils surviennent"
Cordialement

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