Mao Zedong a été idolâtré pendant deux ou trois décennies comme seul avant lui Staline. En Chine mais aussi en Occident, des millions de jeunes ne juraient que par lui...
Mais quand le « Grand Timonier » meurt à 82 ans, le 9 septembre 1976, le fondateur de la République Populaire de Chine n'est plus le héros de la Longue Marche mais un vieillard népotique et paranoïaque. Les langues se délient et bientôt apparaissent dans toute leur ampleur les dommages de sa politique.
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Le 10 octobre 1911 («Double-Dix»), des troupes républicaines renversent la dynastie mandchoue (Qing). Au terme d'une longue guerre civile, ponctuée par la Longue Marche et la terrible invasion japonaise, les communistes s'emparent du pouvoir en Chine continentale...
Mao est né le 30 décembre 1893 à Shaoshan, un village du Hunan, au coeur de la Chine, dans la famille d'un riche paysan.
Il est marié d'office à 14 ans, selon la tradition, mais la jeune épouse meurt au bout d'un an et Mao, libéré, quitte son village pour des études dans la capitale de la région.
On est en 1911 et le vieil empire mandchou laisse la place à une République.
Devenu instituteur puis directeur d'école, Mao se remarie tout en manifestant dès ce moment une fringale sexuelle qui ne le quittera plus jusqu'à la sénilité.
Occasionnellement journaliste, il affiche son intérêt pour la démocratie à l'occidentale, la libération de la femme et toutes les formes de modernité. Il participe, semble-t-il, au mouvement étudiant du 4 mai 1919 puis, de façon discrète, à la fondation du Parti communiste chinois (PCC), en 1921, à Shanghai. Il est l'un des treize délégués de ce premier congrès.
Devenu président du comité du parti communiste au Hunan, Mao accède à un confortable statut de hiérarque grâce aux subsides de Moscou, siège de l'Internationale communiste.
Il rencontre à cette occasion Liu Shaoki. Cet intellectuel et fils de mandarin, lui aussi originaire du Hunan, le secondera à la tête du pays puis deviendra son rival avant d'être éliminé par la Révolution culturelle de 1966.
En janvier-février 1927, Mao publie un Rapport sur le mouvement paysan au Hunan. Il y affirme que le communisme dans sa version marxiste-léniniste n'a pas d'avenir en Chine où le véritable prolétariat est constitué non par les ouvriers mais par les paysans, si méprisés soient-ils. Cette opinion, qu'il n'est pas le seul ni le premier à afficher, l'amène à privilégier l'implantation du parti en milieu rural.
C'est dans ledit rapport qu'il énonce aussi une formule passée à la postérité : « La Révolution n'est pas un dîner de gala ».
Les événements vont très vite lui donner raison. L'alliance de raison entre les communistes et les nationalistes du Guomindang (KMT) débouche sur une rupture brutale et, le 12 avril 1927, à Shanghai, les militants communistes de la ville sont impitoyablement massacrés par leurs ex-alliés.
Cet épisode, que l'écrivain André Malraux a mis en scène dans La Condition humaine, a été orchestré par Chiang Kaï-shek, qui a succédé à la tête du parti nationaliste à Sun Yat-sen, mort le 12 mars 1925.
Mao y voit la confirmation de son analyse. Il consolide son emprise sur le parti communiste dans sa province. Profitant de la déliquescence des pouvoirs publics, il crée un État communiste au Jiangxi, au sud du Yangsi Jiang (le Fleuve Bleu) et à l'est du Hunan. Il impose son autorité sans rechigner aux exécutions sommaires, aux tortures et aux massacres de masse.
Mais l'offensive de Chiang Kaï-shek sur ce dernier bastion communiste chinois l'oblige à fuir vers le nord. C'est la Longue Marche qui le mènera au Shaanxi au terme d'un périple de 12000 km.
Fort du ralliement de l'influent Zhou Enlai, l'un des chefs de l'insurrection ouvrière de Shanghai de 1927, il se fait enfin élire président du Comité central du Parti Communiste Chinois en février 1935. Il convole aussi en troisièmes noces avec une militante ambitieuse, Jiang Qing, ex-actrice. Bien que séparée de Mao dès 1940, l'« impératrice rouge » ne cessera d'influer dans l'ombre sur les destinées du Parti.
Le dernier empereur
Enfin en sécurité au Shaanxi et assuré d'une autorité sans faille sur ses troupes (ou ce qu'il en reste), Mao introduit la révolution dans les campagnes par le partage des terres et le massacre des mécontents.
Le 13 juillet 1936 arrive à Xian, capitale du Shaanxi, un voyageur inattendu, le journaliste américain Edgar Snow. Ayant eu connaissance de l'équipée communiste, il aspire à rencontrer son chef. Demeurant sur place jusqu'au 12 octobre 1936, il va tirer de ses entretiens avec Mao un essai qui va contribuer à sa notoriété mondiale : Étoile rouge sur la Chine (1937), en faisant l'impasse sur sa brutalité.
Deux ans plus tard, en octobre 1938, le grand Staline, au nom de l'Internationale communiste (Komintern), ne pourra faire moins que d'avaliser le statut de N°1 du PCC acquis par Mao.
Celui-ci va peu après lancer un « mouvement de rectification » au sein de son propre parti. Il s'agit d'une épuration - la première du genre - qui va éliminer près du dixième des 800 000 militants de l'heure. Elle va déboucher sur le culte de la personnalité, Mao étant quasiment déifié à l'image des anciens empereurs. Sa « pensée » devient une référence idéologique obligée à côté de celles de Marx, Engels et Lénine.
Vers la victoire
Mao Zedong est par ailleurs très vite confronté comme tous les Chinois à la menace japonaise. Les Japonais ont en effet entamé en 1931 la conquête de l'immense Chine. Contre eux, le nouveau chef du parti communiste impose à son rival Chiang Kaï-shek une alliance tactique en l'« invitant » le 16 décembre 1936 à Xian. Après dix jours de séquestration, Chiang Kaï-shek s'incline et, au nom de l'intérêt national, consent à suspendre les opérations contre les communistes.
En contrepartie, Mao promet de joindre ses forces à la lutte contre l'envahisseur mais, dans les faits, s'en garde bien ! Il laisse les troupes du Guomindang s'épuiser dans cette lutte. Les nationalistes se battent avec courage malgré la corruption qui sévit dans le haut commandement (c'est ainsi que des armes livrées à grand-peine par les Anglo-Saxons se trouvent être revendues aux... Japonais eux-mêmes !).
Le bénéfice moral acquis par les nationalistes dans cette guerre est néanmoins gâché au printemps 1944 par l'offensive Ichi-Go (« Numéro 1 ») de l'Armée impériale japonaise. Mal soutenus par l'aviation américaine que le général Joseph Stilwell préfère employer en Birmanie, les nationalistes sont obligés de lâcher prise.
Durablement affaiblis, ils vont se montrer défaillants dans la reprise de la guerre civile contre les communistes. Celle-ci reprend dès la capitulation de Tokyo, en 1945. Battu, Chiang Kaï-shek doit se réfugier sur l'île de Taïwan (Formose) avec un million de soldats du Guomindang (KMT).
De son côté, Mao Zedong proclame le 1er octobre 1949, à Pékin, la naissance de la République populaire de Chine.
Cumulant les fonctions de président du Parti communiste chinois et de président de la République, le leader chinois jouit d'une autorité sans partage sur le pays le plus peuplé du monde (un cinquième de l'humanité).
Il peut tirer fierté d'avoir rétabli l'unité de l'empire du Milieu, Taiwan excepté, et d'avoir libéré la Chine de toute immixtion étrangère après cent cinquante ans d'humiliations, d'appauvrissement et de guerres civiles en tous genres.
Soucieux de tenir à distance les États-Unis, qui ne cachent pas leur préférence pour le régime de Taiwan, Mao se rapproche de l'autre grand pays communiste, l'URSS.
Avec Staline, il conclut des accords de coopération destinés à industrialiser au plus vite la Chine, mais cette entente va très vite tourner court et se fracasser sur les différents frontaliers, au point de conduire les deux pays au bord de la guerre.
Dans un pays qui compte essentiellement de petits propriétaires terriens, très peu de fermiers et aucun grand propriétaire foncier, les communistes arrivés au pouvoir n'en décident pas moins de collectiviser les terres.
Cette « réforme agraire » a pour but véritable de briser les élites villageoises et d'assurer la mainmise du Parti communiste sur les campagnes. L'objectif est rapidement atteint au prix de grandes violences.
En 1956, après les campagnes de collectivisation, la Chine donne des signes de fatigue.
Les communistes, sous l'impulsion de Zhou Enlai, amorcent alors un virage à droite qui n'est pas sans rappeler la NEP de Lénine : les paysans bénéficient de lopins plus vastes, les grandes coopératives sont éclatées... Par ailleurs, les intellectuels sont encouragés à s'exprimer en toute liberté ou presque !
Mao, contraint et forcé, approuve cette timide libéralisation le 2 mai 1956, dans un discours où il rappelle une célèbre formule de l'époque des Royaumes combattants, vieille de 2500 ans : « Que cent fleurs s'épanouissent, que cent écoles rivalisent ! »
Les choses s'accélèrent l'année suivante, après la publication du rapport secret de Khrouchtchev et l'insurrection de Budapest. La campagne dite des « Cent Fleurs » monte en pression et, le 27 février 1957, Mao lui-même invite le peuple à critiquer le Parti pour lui permettre de se réformer (« De la juste solution des contradictions au sein du peuple »).
Les gens ne se font pas prier et les communistes sentent bientôt que le pouvoir est sur le point de leur échapper. Dès septembre, c'est la reprise en main. Brutale. Cette fausse ouverture se solde au final par un demi-million de victimes et 400.000 déportés, surtout des intellectuels et des enseignants. Peu de chose, somme toute...
Le « Grand Bond en avant » (1958-1961)
En mai 1958, à gauche toute ! Mao lance la Chine populaire dans le « Grand Bond en avant ». L'objectif officiel est de dépasser la Grande-Bretagne en quinze ans, grâce à la création de communes populaires fondées sur un mode de vie collectiviste.
Il s'agit d'arracher aux paysans tout le surplus dont ils peuvent disposer pour financer l'industrialisation du pays et son armée. Pour mieux les exploiter et les rationner, on les contraint à abandonner les cuisines familiales pour les cantines collectives.
Les paysans courbent l'échine devant les petits chefs du parti communiste. Ces derniers, pour conserver leur poste et leur vie, surévaluent le volume des récoltes et rivalisent de zèle dans les prélèvements. Très vite, les paysans sont réduits à la disette, avec des cantines collectives à peu près complètement démunies, cependant que les greniers de l'État regorgent de céréales destinées à l'exportation.
Dans le même temps, le pouvoir se met en tête de créer des hauts fourneaux artisanaux dans tous les villages pour accroître la production d'acier. Mao lui-même s'y met dans son jardin ! On déboise les forêts pour alimenter ces hauts fourneaux. Mais l'acier ainsi produit se révèle inutilisable.
La famine s'installe, avec d'innommables ravages : les survivants en viennent à déterrer les cadavres et se repaître de chair humaine. Les velléités de rébellion sont sanctionnées par une mise à mort immédiate, avec des raffinements de cruauté. À tous les échelons du parti communiste, jusque dans l'entourage du « Grand Timonier », nul n'ose émettre la moindre critique sous peine d'être qualifié de « traître » et exécuté.
Ce « Grand Bond en avant », qui mérite mieux d'être qualifié de « Grande Famine » s'est soldé par au moins 30 millions de morts (un demi-siècle plus tard, dans une Chine qui défie le monde aux Jeux Olympiques de Pékin, les survivants peuvent apprécier le chemin parcouru).
La fin des utopies
Plombé par ses échecs, Mao chasse en 1960 les encombrants conseillers et experts soviétiques. Les raisons géopolitiques finissent par l'emporter sur la solidarité idéologique : la Chine populaire se fâche avec son protecteur et ex-allié soviétique, qui est aussi son voisin et dont elle n'oublie pas qu'il lui a volé d'immenses territoires quand il était encore gouverné par un tsar.
Moscou et Pékin revendiquent l'un et l'autre la conduite des mouvements révolutionnaires dans le monde et leur rivalité devient si vive que l'on craint un moment une guerre entre les deux voisins sur le fleuve Amour, si mal nommé. Comme si cela ne suffisait pas, la Chine entre dans une querelle frontalière avec son autre grand voisin, l'Inde.
Affaibli, Mao doit partager le pouvoir avec les réformistes, conduits par Liu Shaoqi et Deng Xiaoping. Ces derniers ont beaucoup contribué au « Grand Bond en avant » avant d'en reconnaître l'absurdité et d'abolir les communes populaires.
La Révolution culturelle (1966)
Mao, qui ne pardonne pas aux réformistes leur changement de cap, prend sa revanche en 1966, en lançant la « Révolution culturelle ». Il mobilise la jeunesse et ses « Gardes rouges » contre les hiérarques du Parti communiste et toutes les valeurs du passé. Liu Shaoqi est éliminé comme un ou deux millions d'autres Chinois. Le pays sort exsangue de cette nouvelle épreuve. Avec un cinquième de la population mondiale, la Chine populaire ne « pèse » plus guère que 3 à 4% du PNB mondial.
C'est l'époque où, dans les universités occidentales, les étudiants issus de la bourgeoisie et les intellectuels tombent en pamoison à la seule évocation du « Grand Timonier » et de son Petit Livre Rouge, un recueil de formules prudhommesques que tout bon révolutionnaire se doit d'apprendre par coeur et répéter à tout propos. Les représentants des droites européennes, comme Alain Peyrefitte ou Valéry Giscard d'Estaing, n'échappent pas à la « maolâtrie » ambiante !
Le 27 janvier 1968, Mao décide enfin de mettre fin aux turbulences de la Révolution culturelle. Dix sept millions de jeunes « Gardes rouges » sont expédiés manu militari dans les campagnes et confiés aux mauvais soins des paysans. Beaucoup deviendront du coup des opposants déterminés au maoïsme...
En septembre 1971, Lin Biao, connu comme l'auteur du Petit Livre Rouge et le dauphin de Mao, est, bien que malade, soupçonné par ce dernier de vouloir le renverser. Il s'écrase en avion en tentant de s'enfuir en URSS.
L'année suivante, le 21 février 1972, Mao tente de sortir de l'impasse en accueillant à Pékin le président américain Richard Nixon, alors que les États-Unis sont encore embourbés dans la guerre du Vietnam, aux portes de la Chine.
Cette ouverture diplomatique spectaculaire va rendre possible quelques années plus tard le rapprochement économique et commercial entre les deux pays et, donc, le décollage économique de la Chine.
Mais pour Mao, elle vient trop tard. Mettant à profit l'affaiblissement physique et intellectuel du vieux chef, le clan des ultra-révolutionnaires, plus tard surnommé la « Bande des Quatre », reprend la main sous la conduite de Jiang Qing, l'épouse du vieux chef. Le régime se durcit et enfonce le pays dans une crise apparemment sans issue. À la mort de Mao, le 9 septembre 1976, Jiang Qing n'attend pas la fin des funérailles pour tenter de s'approprier le pouvoir.
On s'attend à une catastrophe de dimension planétaire. Mais la « Bande des Quatre » est finalement renversée par le clan réformiste de Deng Xiaoping, miraculé des purges antérieures. Jiang Qing est finalement jugée et condamnée. Et sous la direction de Deng Xiaoping, le « Petit Timonier » (à peine plus de 1m 50 de taille !), la Chine populaire va s'engager dans un redressement aussi rapide qu'imprévisible.
Bibliographie
À sa façon palpitante et violente, le romancier Lucien Bodard a décrit la mort de Mao et la vie de Jiang Jing dans un excellent livre : Les dix mille marches.
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