Chiang Kaï-Shek (1887 - 1975)

Un résistant pétri de doutes

Tchang Kaï-chek (31 octobre 1887 ; 5 avril 1975)La vie de Chiang Kaï-shek embrasse le XXe siècle chinois.

Entre la fondation de la République par Sun Yat-sen en 1911 et la victoire de Mao Zedong en 1949, c'est à Chiang Kaï-Shek  (son nom s’écrit aussi Tchang Kaï-chek ou Jiang Jieshi) que revient la charge de maintenir la cohésion de la Chine, menacée par les « seigneurs de la guerre » et l'envahisseur japonais.

Il permet à la Chine de gagner son statut de « Quatrième Grand » et sa place au Conseil de sécurité de l'ONU. Mais il est incapable de combattre la corruption dans son entourage et échoue face à la détermination des rebelles communistes. Il ne peut empêcher leur chef Mao de remporter la mise.

Thomas Tanase

Officier au service de la Nation

Tchang Kaï-chek à l'Académie militaire du Jaon en 1907 (31 octobre 1887 ; 5 avril 1975)Né en 1887 dans une famille de commerçants et d'agriculteurs du Zhejiang, Chiang fait partie de ces officiers partis se former au Japon à l’orée du siècle, où ils découvrent une voie asiatique de modernisation. Il y noue les contacts qui l’amèneront dans l’entourage de Sun Yat-sen, le père du nationalisme chinois.

Chiang rentre à Shanghai à l’occasion la révolution de 1911, qui voit l’avènement de la République, le retour de Sun des États-Unis, mais surtout l’effondrement de la Chine en une multitude de principautés dirigées par des « seigneurs de la guerre ».

Dans ce contexte, au contact des milieux interlopes de Shanghai, il devient l’homme à tout faire de Sun alors que ce dernier prend la tête d’un gouvernement sécessionniste en Chine du Sud.

C’est en tant qu’envoyé de Sun qui a fait le choix d’une alliance anti-impérialiste (et qui reçoit des conseillers soviétiques) que Chiang se rend à Moscou en 1923 pour un stage de quatre mois. À son retour, il reçoit la direction de l’académie militaire de Whampoa, près de Canton, créée sur le modèle des académies soviétiques. Là sera formée toute une génération de cadres, y compris communistes, comme Lin Biao ou Zhou Enlai.

À la mort de Sun en 1925, Chiang, qui n’avait jusque-là pas occupé le premier rang, dispose d’un atout : son contrôle de l'académie et de l’armée. Il prend ainsi le contrôle du parti nationaliste, le Guomindang, avec l'objectif de réunifier d'abord la Chine, en finir avec les concessions occidentales et rétablir la pleine indépendance du pays.

Avec l'aide de conseillers soviétiques comme Borodine et Galen, il s'assure la maîtrise du bassin du Jangz, s'empare de Nankin où il établit sa capitale le 22 mars 1927, puis de Shanghai le 26 mars 1927. Au fil de ses conquêtes, il occupe les concessions occidentales et exige le retrait des troupes étrangères. Mais il n'entend pas pour autant faire allégeance à ses alliés communistes !

Le 12 avril 1927, à Shangai, il liquide des milliers d'ouvriers et de communistes après qu'ils l'ont aidé à s'emparer de la ville. Le drame va inspirer à André Malraux La Condition humaine (prix Goncourt, 1933).

Chiang rompt enfin avec ses alliés soviétiques après la formation à Nankin d'un gouvernement nationaliste modéré présidé par Wang Tsing-mei le 3 avril 1927 et, en décembre 1927, écrase le mouvement révolutionnaire de Canton. Le 2 juin 1928, enfin, il occupe sans coup férir Pékin, déserté par les « seigneurs de la guerre ».

Ainsi aura-t-il réussi en trois ans à réunifier l'essentiel de l'empire chinois. Cependant, il ne va pas profiter de ces années où il maîtrise la Chine pour imposer un ordre stable.

Le gouvernement nationaliste chinois à Nankin (1927)

La Chine réunifiée

Élu président de la République le 4 octobre 1928, Chiang s'installe dans sa capitale de Nankin. Il s’appuie sur les milieux d’affaires, qui se croisent avec le grand banditisme de Shanghai. Mais il renonce vite à faire une véritable réforme agraire et manque d’un projet à la mesure des défis posés, même si l’on peut relever l’ébauche d’une modernisation industrielle et d’une intervention de l’État.

Tchang Kaï-chek et Song Meiling en 1928En se mariant en 1927 avec Song Meiling, Chiang s’allie en effet avec les Song, un des plus grands clans affairistes du pays, lié aux États-Unis comme à Sun Yat-sen.

Sur le modèle de son épouse, Chiang , comme Sun avant lui, se convertit au christianisme protestant. Son grand objectif reste de tenir l’État au moyen d’une armée modernisée à l’aide de conseillers allemands, comme von Seeckt. 

Soucieux de détourner les jeunes militants du Guomindang de l'Occident, il s'efforce de revivifier les traditions chinoises et déclare la fête de Confucius fête nationale.

Mais, malgré un discours et des pratiques qui rappellent les régimes autoritaires d'Europe, à l’image de ses milices baptisées « Chemises bleues », Chiang se montre dans la réalité incapable de contrôler véritablement le pays, et plus encore de le transformer. L’économie continue de s’effondrer alors que la corruption règne parmi ses plus proches.

Mais Chiang doit avant toute chose affronter le Japon qui s’est emparé de la Mandchourie en 1932 et ne cesse de multiplier les incidents. Autour de lui, les chefs du Guomindang hésitent sur la marche à suivre. Wang Tsing-mei prône  le compromis avec les Japonais. Chiang lui-même tergiverse.

Il penche pour l'affrontement et se montre disposé à s'allier dans ce but avec les communistes chinois.  Ces derniers ont échappé à la traque par les armées du Guomindang et ont pu se réfugier dans le repaire montagnard du Chensi à l'issue de la Longue Marche, en 1935. À vrai dire, ils n'ont guère envie de se battre en première ligne contre les Japonais...

Tchang Kaï-chek en 1941Le 16 décembre 1936, à Xi'an, Chiang est enlevé par les soldats de l'ancien gouverneur de la Mandchourie Tchang Hieue-leang qui le séquestre pendant plusieurs jours en vue de le convaincre d'agir contre les Japonais.

Ces derniers ne lui en laisseront pas le temps. Après l’incident du pont Marco Polo, ils occupent Pékin le 29 juillet 1937, Shanghai le 9 novembre 1937, Nankin le 13 novembre 1937, enfin Canton le 21 octobre 1938. On peut y voir le début de la Seconde Guerre mondiale.

Tandis que son principal collaborateur Wang Tsing-mei forme un gouvernement projaponais à Nankin, Chiang Kaï-shek se réfugie à l'intérieur, à Chongqing (Sichuan) et engage une résistance désespérée contre l'envahisseur. L’entrée en guerre de l’Union soviétique puis surtout des États-Unis en 1941 change la donne. Elle permet à Tchang de sortir de la guerre comme un des « Quatre Grands » même si, en vérité, les armées nationalistes, qui subissent encore des pertes importantes en 1944, ont joué un rôle secondaire dans la guerre du Pacifique.

Tchang Kaï-chek et Meiling Song à la conférence du Caire le 23 novembre 1943

La chute

Les tensions se multiplient avec les Américains, qui n’ont pas confiance en Chiang, constatant la corruption généralisée de son entourage et l’inefficacité de son pouvoir. Par contre, les communistes, se tenant à l’écart du conflit avec les Japonais, consolident leur implantation dans les campagnes et surtout construisent en 1945 une armée moderne grâce à l’aide apportée par les Soviétiques depuis la Mandchourie.

Tchang Kaï-chek et Mao Zedong en 1945Chiang, qui semble avoir toutes les cartes en main, relance la guerre civile en 1946. Mais ses premières victoires se révèlent une nouvelle fois incapables d’éliminer définitivement l’ennemi.

Le commandement militaire de son armée est médiocre, tout à l’inverse des chefs communistes comme Lin Biao, qui livrent une guerre moderne, et l’aide américaine est aléatoire. Les armées communistes réussissent à obtenir des ralliements paysans sur le terrain grâce à leurs réformes agraires cependant que leur guérilla démoralise les armées nationalistes. Dès les premiers revers, le pouvoir de Chiang s’effondre et les défections se multiplient, ouvrant la porte à la victoire de Mao Zedong en 1949.

Réfugié à Taïwan, Chiang Kaï-shek, secondé par son fils, Ching-kuo, construit la fiction d’un pouvoir appelé à reconquérir le continent. Dans la réalité il prend le contrôle d’une population taïwanaise attachée à ses particularismes et passée par cinquante ans de domination japonaise (elle a d’ailleurs fait l’objet d’une répression très dure lors du retour de l’île à la Chine en 1947).

Grâce à l’aide américaine, Taïwan réussit progressivement à se développer, avec une réforme agraire réussie suivie d’un véritable décollage industriel dans les années 1960. Mais ce n’est que plus d’une dizaine d’années après la mort de Chiang en 1975 que Taïwan devient une démocratie : le processus commence en 1986.

Après sa mort, le 5 avril 1975, le gouvernement taiwanais organise un culte civil autour de sa mémoire et de son mausolée, sur une immense esplanade au centre de Taipeh.

Billet de banque à l'effigie de Chiang Kai-Shel

Mais avec la montée sur l'île d'un nationalisme proprement taiwanais, ce culte a été remisé et la figure du héros revisitée d'un oeil plus critique. Paradoxalement, l'image de Chiang Kaï-shek se bonifie par contre sur le continent, les Chinois lui reconnaissant le mérite d'avoir lutté contre l'envahisseur.

Chiang apparaît au bilan comme un dictateur moderniste qui n’a pas su forcer le destin, à la manière d’un Mao Zedong ; incapable de fonder un nouveau pouvoir à la mesure de la Chine, il a subi les événements, jusqu’à Taïwan. C’est aussi peut-être son mérite, face à un Mao qui a su réunifier la Chine, mais au prix d’un totalitarisme impitoyable et de dizaines de millions de morts.

Publié ou mis à jour le : 2022-11-14 17:41:39

Aucune réaction disponible

Respectez l'orthographe et la bienséance. Les commentaires sont affichés après validation mais n'engagent que leurs auteurs.

Actualités de l'Histoire
Revue de presse et anniversaires

Histoire & multimédia
vidéos, podcasts, animations

Galerie d'images
un régal pour les yeux

Rétrospectives
2005, 2008, 2011, 2015...

L'Antiquité classique
en 36 cartes animées

Frise des personnages
Une exclusivité Herodote.net