Archéologie du judaïsme en France

Deux mille ans de présence juive

À grand renfort d'illustrations, Archéologie du judaïsme en France (La Découverte, 2022, 176 pages, 23 euros) nous offre un passionnant survol de l'histoire méconnue du judaïsme français depuis deux mille ans. Son auteur, Paul Salmona, redonne toute sa place au judaïsme dans l’Histoire de France à la lumière des découvertes archéologiques récentes et plus anciennes...

Archéologie du judaïsme en France (Paul Salmona, La Découverte, 176 pages, 23 euros)Le judaïsme est une tache aveugle dans le récit national. Il n'est abordé qu'à travers l'histoire des Hébreux, l'Affaire Dreyfus et la Shoah. En dépit d'une présence avérée dès l'Antiquité, les juifs de France ont été jusqu'à nos jours quasiment absents tant des manuels d'histoire que des travaux universitaires, des musées et des expositions, note Paul Salmona, directeur du musée d'Art et d'Histoire du judaïsme (Paris).

Les manuels accordent ainsi beaucoup de place à la révocation de l'Édit de Nantes, qui a conduit à l'expulsion de quelques centaines de milliers de protestants en 1685, mais ils demeurent muets sur les expulsions des juifs, en 1182, 1306 et 1394, bien qu'elles aient affecté des dizaines de milliers de personnes, voire plus de cent mille. Même Marc Bloch, grand historien du Moyen Âge, fait l'impasse sur ces drames sans pour autant renier sa propre judéité, tout comme un autre grand historien de la France, Jules Isaac.

Le musée du Louvre lui-même a inauguré en 2012 un magnifique département dédié aux arts de l'islam mais dans le même temps, il a remisé ses pièces relatives au judaïsme ou les a confiées au musée d'Art et d'Histoire du judaïsme. Tout cela sans intention malveillante mais sans doute par déni inconscient.

Depuis les années 1990, le judaïsme français commence toutefois à sortir de l'ombre grâce à l'archéologie préventive, à la faveur des chantiers de génie civil, et aux recherches toponymiques (noms de lieux) et épigraphiques (inscriptions).

Du Ier siècle avant notre ère à la Shoah, Paul Salmona nous conduit de la Narbonnaise romaine au camp de Drancy et à celui du Struthof en passant par les synagogues, cimetières et quartiers juifs encore identifiables en France.

Expulsion des Juifs (portant rouelle à la taille) par Philippe Auguste en 1182. Miniature des Grandes Chroniques de France attribuée au Maître de Fauvel, 1321, musée de la Diaspora, Tel Aviv.

Des témoignages ténus et poignants

Le plus ancien témoignage de la présence de juifs sur le sol français remonte au Ier siècle avant notre ère. C'est une lampe à huile décoré d'un chandelier à sept branches, la menorah hébraïque. Elle a été découverte à Orgon (Bouches-du-Rhône) en 1967. Elle atteste de la présence d'un juif dans la Narbonnaise romaine.

Lampe à huile avec menorah ou chandelier à sept branches (Orgon, Bouches-du-Rhône)Faut-il s'en étonner ? La Mare Nostrum romaine donnait lieu à de nombreux brassages de population et il est normal que des habitants de la Judée, légionnaires ou marchands, s'établissent là comme ailleurs. Rappelons aussi que la religion hébraïque était alors très ouverte et que les conversions étaient nombreuses dans la diaspora (dico) dans les deux sens (des gens du cru adoptaient cette religion cependant que des juifs se convertissaient à la religion locale). Elles le sont restées jusqu'à la fin du Moyen Âge.

L'autre témoignage incontestable relevé par Paul Salmona est un sarcophage double très émouvant, découvert à Arles en 2009 à la faveur de travaux de voirie. On peut lire sur un côté du sarcophage les noms de la femme et l'homme ici inhumés, sans doute un couple : POMPEIAE IVDEAE ET COSSVTIVS EVTYCLES. Ce que l'on traduit par « Pompeia Judéenne (la Juive) et Cossutius Eutycles. »

Pour le reste, on n'a pas retrouvé en Gaule de trace de synagogue antique mais on en a retrouvé dans les pays voisins, à Elche (Espagne) comme à Cologne (Allemagne) ou encore Ostie (Italie). Il est donc très vraisemblable qu'il y en avait aussi dans les provinces gallo-romaines, prospères et densément peuplées.

La présence juive est encore perceptible après la chute de Rome, avec deux stèles funéraires découvertes à Auch (Gers) et Narbonne (Aude), qui remontent aux Ve-VIIe siècles. « Que peut-on en déduire sur la présence juive en Gaule durant la fin de l'Antiquité et le début du Moyen Âge ? Rien sur le plan statistique, sinon que l'on a affaire à des juifs jouissant d'un statut social qui leur permet de financer une inhumation signalée par une stèle inscrite » note Paul Salmona. À la même époque, en 461 ou 465, le concile de Vannes « défend aux clers de se trouver à des repas de noces, aux festins des juifs. » Et en 614 ou 615, le concile de Paris impose le baptême aux juifs qui occupent des fonctions publiques, ce qui est la preuve implicite de leur présence sur le territoire et de leurs liens étroits avec le reste de la population.

À l'époque de Charlemagne, les chroniques relèvent la présence de trois « royaumes juifs », à Narbonne, Mayence et Rouen. En fait de royaumes, il s'agirait de communautés autonomes avec un chef qui les représente auprès de l'administration impériale.

Excavation de la Maison sublime à Rouen en 1976En 1976, des travaux d'excavation dans la cour du Palais de justice de Rouen, au coeur de l'ancien quartier juif, ont permis de découvrir une maison romane du XIIe siècle, vraisemblablement une maison communautaire, avec synagogue, bain rituel et école rabbinique. 

De nombreux graffiti en hébreu figurent sur les pierres. Plusieurs évoquent un verset du Livre des Rois : « Que cette maison soit sublime (pour l’éternité) ». D’où le nom donné aujourd’hui à l’ensemble archéologique.

Maison Sublime de Rouen, base de colonne avec lion renversé à deux corps et une tête - photo : Eliot-Rioland, 2005On y voit aussi quelques pierres sculptées, dont un lion à double corps qui pourrait rappeler le lion de Judas et un ensemble avec dragon et vipère, peut-être une allusion au psaume 90 de la Bible (« tu marcheras sur la vipère et le scorpion / tu écraseras le lion et le dragon »).

Notons que cette maison est contemporaine de Rachi de Troyes, un vigneron juif de Champagne dont on sait seulement qu'il est mort le 13 juillet 1105. Rabbin, il a fondé une école talmudiste et développé une exégèse de la Bible hébraïque très réputée parmi les spécialistes. Sa philosophie aurait aussi inspiré les intellectuels chrétiens du XIIe siècle, tel Abélard...

Le mikveh ou bain rituel de la synagogue médiévale de StrasbourgLa  « Maison sublime » de Rouen est pour l'heure le plus ancien monument juif découvert en France. Ce n'est toutefois pas le seul. À Montpellier, on a identifié un ancien bain rituel (« mikveh » en hébreu) qui a servi de citerne longtemps après que la synagogue attenante a été détruite. L'ensemble est en cours de restauration.

Pour le reste, les chroniques signalent plus d'une centaine de synagogues (149 selon Paul Salmona) dont la localisation demeure souvent imprécise, notamment en Lorraine, à Metz, Saint-Mihiel, Verdun, Marsal, et en Alsace, à Strasbourg, Colmar, Haguenau et Rouffach. Seule cette dernière subsiste. Dans l'ancien Comtat Venaissin, à Carpentras et Cavaillon, les synagogues médiévales ont pu être reconstruites au XVIIIe siècle. Elles ont été aussi reconstruites aussi à Avignon et L'Isle-sur-la-Sorgue.

La présence juive est bien sûr aussi attestée par les très nombreux noms de rues tels que rue des Juifs, rue aux Juifs, rue de la Juiverie, etc. Elle est aussi attestée par les cimetières tel celui de Châteauroux, fouillé entre 1997 et 2019. 56 tombes ont pu être identifiées.

Le cimetière juif de Labastide-Clairence (Pyrénées-Atlantique)Notons le cas particulier de La Bastide-Clairence, un village du Pays basque. Comme d'autres villes et villages de la région, Biarritz, Bayonne, Bordeaux, Peyrehorade et Bidache, il a accueilli des juifs chassés d'Espagne et du Portugal en vertu d'une lettre patente du roi Henri II en 1550 : « auxdits Portugais, dits Nouveaux Chrétiens, il leur est venu singulier désir de venir résider en notre royaume, et amener leurs femmes et familles et apporter leur argent et meubles. [Le roi] se plaît à leur accorder lettres de naturalité et congés de jouir des privilèges dont ont joui et jouissent les autres étrangers du royaume ».

En vertu de quoi, ces « Nouveaux Chrétiens », en fait des juifs, ont pu s'établir dans lesdits lieux et y vivre en bonne entente avec leurs habitants. En témoigne leur cimetière de La Bastide-Clairence accolé au cimetière chrétien et reconnaissable à ses pierres tombales horizontales. Jusqu'à la Révolution, les juifs n'avaient pas le droit en effet d'ériger des stèles funéraires.

Le 27 septembre 1791, un décret de l'Assemblée nationale offrent aux juifs français le statut de citoyen actif, autrement dit les mêmes droits qu'aux autres Français. C'est une innovation radicale en France (et dans le monde) mais il est vrai que les juifs, du fait des expulsions dont ils ont été l'objet au Moyen Âge, sont encore très peu nombreux dans le pays, hormis en Alsace et dans le Comtat Venaissin. 

L'archéologie ne s'arrête pas là. Elle nous renseigne aussi sur l'ascension sociale des juifs dans la France du XIXe siècle et leurs tourments jusqu'au milieu du XXe siècle, avec des témoignages émouvants tels que les graffiti du camp de transit de Drancy.

André Larané
Publié ou mis à jour le : 2022-12-12 10:40:26
Jonas (30-12-2022 09:57:28)

Merci , pour cet excellent article , qui rappelle un pan oublié de notre histoire. Une histoire avec ses ombres et ses lumières.

Jacmé (14-12-2022 10:29:52)

N'oublions pas la rue Judaïque de Bordeaux!

Rina (11-12-2022 10:29:07)

Cet article nous donne envie d'acheter le livre de Paul Salmona pour en savoir plus, surtout quand on est Juif en France.
Merci de l'avoir écrit.

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