Alcuin (732 - 804)

Notre maître d'école

Alcuin fait partie de cette poignée de clercs qui, dans la période sombre du haut Moyen Âge, ont jeté les bases de la société européenne. Sous l'égide de Charlemagne, il a jeté les bases d'un nouveau système d'enseignement, a purifié le latin savant des clercs, donné droit de cité aux langues populaires, entrepris la redécouverte et la copie des écrits antiques, enfin créé une nouvelle écriture, plus souple que les capitales romaines...

André Larané
Allégorie : Alcuin présente son élève Rabanus Maurus à saint Martin de Tours (mort quatre siècles plus tôt !), miniature extraite d'un manuscrit romain du IXe siècle

Rencontre heureuse entre le roi et le moine

Ce moine anglais, originaire de Northumbrie (capitale : York), est né vers 732, à l'époque où meurt Bède le Vénérable, une autre grande figure de la Northumbrie surtout connue pour son Histoire ecclésiastique du peuple anglais, premier texte important daté à partir de l'Incarnation de NS Jésus-Christ (l'an I de l'ère chrétienne).

En 768, Alcuin devient l'écolâtre de l'archevêque d'York. En 780, celui-ci l'envoie en mission à Rome, auprès du pape, et, sur le retour, à Ravenne, le moine croise le roi des Francs. Le futur Charlemagne, séduit par son intelligence, le convainc de le suivre à Aix-la-Chapelle. C'est ainsi qu'Alcuin entre à l'école du palais (scola palatina) dont il devient le chef.

Selon l'usage chez les clercs de l'école, il se choisit un nom latin et se fait désormais appeler Alcuin Albinus, Albinus étant le nom du poète latin Horace. Tout un programme ! Parmi ses collègues figurent Paul Diacre, un Lombard, et Theodulf, un Wisigoth d'Espagne, qui deviendra abbé de Fleury-sur-Loire (aujourd'hui Saint-Benoît-sur-Loire).

Alcuin se fait l'inspirateur de l'idéologie impériale, fondée sur le modèle de l'empire romain, celui des empereurs chrétiens Constantin et Théodose. Ainsi suggère-t-il en 796 au roi Charles de se faire couronner empereur d'Occident. Ce sera chose faite à la Noël 800.

Mais qui a donc inventé l'école ?...

Plat de couverture d'un psautier carolingienLe but de l'empire est d'instaurer ici-bas la paix et la concorde, et de conduire le peuple au salut dans l'au-delà. Pour cela, il faut un clergé instruit. Cet objectif est inscrit dans le capitulaire fameux de l'Admonitio generalis, publié en 789.

Il y est dit au chapitre 72 que les ministres de Dieu (les prêtres) doivent se signaler par leurs bonnes mœurs et doivent également instruire les garçons les mieux disposés pour les préparer à la carrière ecclésiastique.

C'est de là que vient la réputation faite à Charlemagne d'avoir « inventé l'école », selon une formule populaire.

Alcuin lui-même enseigne la Bible mais aussi les arts libéraux à la cour d'Aix-la-Chapelle. Parmi ses élèves figurent les enfants des dignitaires mais aussi les dignitaires eux-mêmes, les prélats et le souverain lui-même.

Excellent pédagogue, il se fait exégète et commente plusieurs livres de l'Ancien et du Nouveau Testament. Il fait en particulier un Exposé de l'Évangile de saint Jean, qu'il dédie à Gisèle, soeur de Charlemagne et abbesse de Chelles.

Écrire comme on parle ou parler comme on écrit ?

Alcuin et ses principaux collaborateurs, d'origine barbare, ont appris le latin classique comme une langue morte. C'est ce latin qu'ils vont remettre en vogue comme langue de l'administration civile et de l'église, au détriment du latin abâtardi pratiqué autour d'eux par les descendants des Gallo-Romains. Ainsi, c'est en latin classique que sont écrits les textes officiels, les capitulaires, destinés à être lus par des clercs et des gens instruits.

Le peuple lui-même ne comprend rien au latin de cuisine des clercs ordinaires et encore moins au latin classique de la scola palatina, aussi Alcuin a-t-il le souci de l'instruire dans sa langue usuelle. C'est ce que recommandera le concile de Tours, en 813, neuf ans après sa mort.

Paradoxalement, le retour du latin classique comme langue de l'administration va donc s'accompagner en parallèle du développement des langues vernaculaires (en particulier le roman et le tudesque à l'origine du français et de l'allemand actuels).

Monogramme du Christ (livre de Kells, manuscrit irlandais de l'an 800), Trinity College, DublinInfatigable réformateur, le moine écrit au cours de sa longue vie pas moins de 80 ouvrages et 350 lettres, avec le souci constant de la correction des mœurs et de l'émendation des textes (émendation est le synonyme savant de correction)...

Replié à l'abbaye de Saint-Martin de Tours, il développe un atelier de copistes qui va devenir le plus important d'Occident. Il va notamment produire plus de cinquante exemplaires de la Bible enrichis de ses propres commentaires.

C'est cette Bible, dans la traduction latine de saint Jérôme, corrigée par Alcuin (la Vulgate), qui sera choisie par le concile de Trente, au XVIe siècle, comme la référence officielle de l'Église catholique. Le travail des copistes carolingiens, à Tours et ailleurs, va permettre par ailleurs de conserver ou récupérer 150 œuvres originales issues de la culture latine classique (sur un total de 700 titres connus).

Les copistes d'Alcuin, à Aix-la-Chapelle comme à Tours, abandonnent l'écriture à la romaine, devenue illisible, et adoptent une nouvelle écriture standardisée sous forme de petits caractères ronds, en prenant soin de séparer les mots, ce qu'on ne faisait pas auparavant.

Cette nouvelle écriture, pratique et claire, sans doute mise au point à l'abbaye de Corbie, en Picardie, va être adoptée par les imprimeurs dès le XVe siècle, de préférence à toute autre. Elle sera baptisée « minuscule caroline » en 1838, en hommage à Charlemagne, et c'est encore elle que nous utilisons tous les jours.

Comme leurs prédécesseurs mérovingiens, ils écrivent de préférence sur du parchemin (peau non tannée d'agneau ou de veau). Ils se détournent du papyrus (ancêtre du papier), d'une part parce que ce produit d'origine orientale se fait rare en Occident depuis que les Arabes ont envahi le bassin méditerranéen, d'autre part parce qu'il est difficile à conserver, relier et enluminer.

Ainsi, grâce à l'action d'Alcuin et des copistes, en particulier ceux de Tours et de Corbie, on a pu parler de « Renaissance carolingienne », une expression inventée par le médiéviste Jean-Jacques Ampère (fils du physicien André Ampère). L'expression est toutefois exagérée car l'élan amorcé dans les monastères et les écoles n'atteindra pas la société civile avant deux siècles. Entretemps, l'empire de Charlemagne aura connu les épreuves les plus rudes qui soient.


Publié ou mis à jour le : 2023-06-30 12:08:10

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