Thomas Bugeaud (1784 - 1849)

Un militaire adepte de la « terre brûlée »

Thomas Robert Bugeaud, marquis de la Piconnerie, est un militaire de la vieille noblesse périgourdine. Il va sortir de l’anonymat sous le règne du « roi-bourgeois » Louis-Philippe Ier.

D’abord en devenant le geôlier de la duchesse de Berry, à Blaye, puis en commandant la répression de la manifestation parisienne du 13-15 avril 1834, endeuillée par le massacre de la rue Transnonain, enfin en se voyant confier la lutte contre Abd el-Kader jusqu'à la soumission complète de l’Algérie.

Dans cette dernière mission qui lui vaudra les honneurs du maréchalat, il agira avec une brutalité sans pareille, peut-être héritée de ses engagements dans la campagne d’Espagne, trente ans plus tôt…

Le maréchal Bugeaud à la bataille de l'Isly (14 août 1844), image de propagande

Une carrière militaire sans éclat particulier

Né à Limoges le 15 octobre 1784, le jeune Bugeaud attendra sagement la fin de la Révolution et l’avènement de l’Empire napoléonien pour participer à l’épopée nationale.

Le maréchal Thomas Bugeaud, duc d'Isly (1784-1849) ; vers 1845, portrait par Charles-Philippe Larrivière, Musée de VersaillesIl s’engage en 1804, à 20 ans, dans la Garde impériale et participe à la bataille d’Austerlitz comme caporal. Il devient chef de bataillon cinq ans plus tard, lors de la campagne d’Espagne, une guerre de partisans cruelle et sans règles, marquée par les pillages, les massacres, tortures, viols, mutilations, etc.

Colonel, il rallie l’Empereur lorsque celui-ci s’enfuit de l’île d’Elbe, pendant les « Cent-Jours ». Membre de l’Armée des Alpes sous les ordres de Suchet, il remporte le 28 juin 1815 sur les Autrichiens la bataille de l’Hôpital à Albertville. Mais dix jours plus tôt, une autre bataille a mis fin aux ultimes espoirs de Napoléon…

Ce ralliement malvenu lui vaut d’être mis en demi-solde comme beaucoup d’autres soldats de Napoléon, sous les règnes de Louis XVIII et Charles X.

Mais qu’à cela ne tienne, le marquis se retire sur ses terres en Dordogne et se consacre à l’agriculture et aux belles lettres, se passionnant en particulier pour les historiens romains.

Il mettra plus tard à profit en Algérie cette double expérience en appliquant la tactique de la « terre brûlée » théorisée par les Romains et en tentant d’installer dans la plaine de la Mitidja des colonies de vétérans selon la devise latine Ense et aratro (« Par le glaive et la charrue »).

Le « soldat à tout faire » de Louis-Philippe

L’accession au trône du « roi-bourgeois » Louis-Philipe Ier met fin à sa disgrâce et lui ouvre à 36 ans de nouvelles opportunités.

Élu député de la circonscription d’Excideuil (Dordogne) en juillet 1831, il siègera presque sans discontinuer à la Chambre jusqu’à sa mort, d’abord parmi les monarchistes libéraux puis, sous la Seconde République, en 1848-1849, dans le Parti de l’Ordre.

En attendant, le roi, bienveillamment, le réintègre dans l’armée avec le titre de maréchal de camp assimilable à celui de général. En même temps, il le nomme gouverneur de la forteresse de Blaye, avec pour mission de surveiller la duchesse de Berry, mère de « l’enfant du miracle » et championne du camp légitimiste, et de la convoyer à Palerme.

Vindicatif et provocateur, le député Bugeaud se bat plusieurs fois en duel. Le 27 janvier 1834, il tue d’une balle dans la tête son collègue François-Charles Dulong qui lui avait reproché en séance d’avoir veillé sur la duchesse de Berry avec une rudesse extrême. Bugeaud lui lance : « L’obéissance est le premier devoir du soldat ». « Même en tant que geôlier ? » avait répliqué son malheureux adversaire.

Deux mois plus tard, le député-général sort pour de bon de l’anonymat. Il se voit confier par le ministre de l’Intérieur Adolphe Thiers la répression d’une manifestation républicaine avec quarante mille soldats sous ses ordres.

Il répartit ses hommes en trois brigades et prend le commandement de l’une d’elles. La répression bat son plein les 13 et 14 avril 1834 jusqu’au drame : le soir du 14 avril, suite à des coups de feu venus d’une maison de la rue Transnonain (aujourd’hui rue Beaubourg), des soldats de la brigade du général Lascours investissent la maison et massacrent douze de ses habitants. Quoiqu’il n’ait pas participé directement au massacre, Bugeaud devient dès lors pour l’opinion « l’homme de la rue Transnonain ».

Mais qu’à cela ne tienne, Thomas Robert Bugeaud a un ange gardien en la personne d’Adolphe Thiers. Le 22 février 1836, Thiers accède à la présidence du Conseil des ministres et le 6 juin suivant, il envoie Bugeaud en Afrique du nord avec mission de réprimer le soulèvement d’Abd el-Kader, six ans après la prise d’Alger par le général Bourmont.

Le 6 juillet 1836, dans la région de Tlemcen, après avoir réorganisé l’armée, Bugeaud remporte la bataille de la Sikkak, un affluent de la rivière Tafna. Puis, le 30 mai 1837, il signe le traité de la Tafna, à l’avantage d’Abd el-Kader qu’il avait en estime, et qui se voit reconnaître la possession de l’Oranie et de l’Algérois, la France ne conservant qu’Oran et Alger, ainsi qu’une petite zone de colonisation dans la Mitidja.

Mis devant le fait accompli, le gouverneur général Damrémont envoie un rapport à Paris dans lequel il proteste contre les conclusions de ce traité : « Le traité n’est pas avantageux, car il rend l’émir plus puissant qu’une victoire éclatante n’aurait pu le faire et nous place dans une situation précaire, sans garanties, resserrés dans de mauvaises limites ; il n’est pas honorable, car notre droit de souveraineté ne repose sur rien et nous abandonnons nos alliés ; il n’était pas nécessaire, car il ne dépendait que de nous de nous établir solidement dans la Mitidja et autour d’Oran, et de nous y rendre inattaquables en réservant l’avenir ».

Le 22 mai 1837, le comte Louis Molé, président du Conseil, répond au gouverneur général : « Le but que le gouvernement se propose n’est pas la domination absolue ni l’occupation effective de la Régence (…) La France a surtout intérêt à être maîtresse du littoral. Les principaux points à occuper sont Alger, Oran et Bône avec leurs territoires. Le reste doit être abandonné à des chefs indigènes. »

C’est aussi l’avis de Bugeaud qui est rentré en France et a retrouvé son siège de député. Mais voilà qu’à l’automne 1839, Abd el-Kader rompt le traité et proclame le jihad, la guerre sainte. La Mitidja est attaquée. De nombreux colons originaires d’Espagne, d’Italie et de Malte, plus encore que de France, sont massacrés dans des conditions d’extrême cruauté. L’avant-garde d’Abd el-Kader arrive jusque sous les murs d’Alger.

Le député Bugeaud intervient durant la séance parlementaire du 15 janvier 1840. Il ne voit que trois options possibles : l’abandon du territoire, l’occupation de « quelques Gibraltar » ou enfin la conquête totale. Partisan de la première option, il déclare : « […] à mon avis, la possession d’Alger est une faute, mais puisque vous voulez la faire […], il faut que vous la fassiez grandement. Il faut donc que le pays soit conquis et la puissance d’Abd el-Kader détruite […] »

Au mois de décembre 1840, le maréchal Sylvain Valée, gouverneur général de l’Algérie, est rappelé en France et Bugeaud désigné pour le remplacer ! C’est ainsi que le général, en soldat obéissant, va devoir mener une politique qu’il réprouve, à savoir la conquête totale de l’Algérie. Il débarque à Alger le 22 février 1841…

Une « Vendée musulmane »

Un timbre de 1950 à l'effigie des deux adversaires, Bugeaud et l'émir Abd el-KaderSitôt à pied d’œuvre, le nouveau gouverneur général réorganise l’armée en vue d’une guerre de partisans. Il allège l’équipement des soldats et constitue des unités mobiles, adaptées à des actions brusques. Meneur d’hommes, il jouit d’une grande popularité auprès de ses troupes comme l’atteste la chanson « La casquette du père Bugeaud » !

Mais il ne se fait pas d’illusions sur l’ampleur de la mission qui lui a été confiée et n’aura pas de trop des cent mille hommes placés sous ses ordres pour soumettre un pays vaste comme la moitié de la France et peuplé de trois millions d’habitants.

Selon ses propres termes, il qualifie cette guerre de « Vendée musulmane » avec le même fanatisme… et la même répression que dans la Vendée catholique de 1793.

En émule de la Rome antique, il tente mais en vain de développer des colonies agricoles affermées à des militaires. Aux dires de l’historien et officier Corneille Trumelet, qui a servi en Algérie, ces paysans-soldats étaient plus adeptes « d’absinthologie appliquée » que d’agriculture (d’après Michel Pierre, Histoire de l’Algérie, Tallandier, 2023).

En attendant, la guerre reprend, plus violente que jamais. Partout et dans les deux camps, on massacre, on pille, on viole et on brûle. Dans La Démocratie pacifique du 22 juillet 1844, Victor Considérant décrit cela comme « la guerre brutale, la guerre d’extermination et de dévastation, la terreur ».

L’aspect le plus exécrable de cette guerre réside dans les « enfumades », utilisées à plusieurs reprises et dénoncées jusque dans les colonnes du Times, à Londres. Elles consistent à bloquer les populations villageoises dans les grottes où elles se sont réfugiées avec leurs troupeaux à l’approche des colonnes mobiles. Si elles refusent de se rendre, la troupe enfume leur refuge avec des feux de paille et il arrive plus d’une fois que les malheureux périssent asphyxiés plutôt que de sortir.

Le général Canrobert justifie cette pratique par le souci d’épargner la vie de ses hommes : « S’il avait fallu enlever pareille redoute de vive force, trois cents hommes, en y pénétrant tête baissée, y eussent succombé. »

 Interpellé à la Chambre des Pairs à la suite de l’enfumage des grottes du Dahra par le général Pélissier, Bugeaud assume la responsabilité de ce crime de guerre en faisant valoir la nécessité d'être inflexible : « Et moi, je considère que le respect des règles humanitaires fera que la guerre en Afrique risque de se prolonger indéfiniment » !

Cette guerre d’extermination exacerbe les haines, avec des effets contre-productifs qui se ressentent encore de nos jours. À preuve le témoignage du général de Lacretelle : « Nous rentrions de Mascara après avoir razzié plusieurs douards des Bordjias. Tout à coup, un Arabe sort de la broussaille et marche droit au colonel Gachot, qui nous commandait ; avant qu’on songe à l’arrêter, il est à deux pas du colonel et lui lance de grosses pierres qu’il portait dans le pan de son burnous. Il ne l’atteint pas, et un de mes grenadiers l’abat d’un coup de fusil. L’homme tombe et se soulève pour nous jeter, comme une malédiction, son regard haineux et désespéré. […] Sans doute, il avait perdu, dans nos dernières exécutions, sa famille, les êtres qui lui étaient chers et, ne voulant plus vivre sans eux, il avait du moins voulu essayer de se venger sur celui qui nous commandait. »

Mission accomplie, Bugeaud quitte l’Algérie le 5 juin 1847, après avoir défait son prestigieux ennemi à la bataille de l’Isly. L’émir Abd el-Kader rendra les armes peu après, le 23 décembre 1847, à ses successeurs, le général Lamoricière et le duc d’Aumale. Deux mois plus tard, Louis-Philippe sera chassé de son trône.

Quant au maréchal Bugeaud, couvert d’honneurs par la Seconde République, il siège à nouveau à l’Assemblée nationale comme député de la Charente Inférieure jusqu’à sa mort à Paris le 10 juin 1849, emporté par le choléra.

Bibliographie

Sur la conquête de l’Algérie et l’action du général Bugeaud, nous recommandons Histoire de l’Algérie, un ouvrage très complet et d’une lecture agréable (Michel Pierre, Tallandier, 2023).

Une casquette cache-sexe

La casquette du général Bugeaud est légendaire et sa popularité a quelque fait oublier la face sombre du personnage. Une nuit, surpris par une attaque ennemie, le général serait sorti de sa tente sabre au clair et encore coiffé de son bonnet de nuit en guise de casquette ! Il en est sorti une chanson militaire de l'Armée d'Afrique qui a fait oublier le côté obscur du personnage :
« As-tu vu la casquette, la casquette,
As-tu vu la casquette au père Bugeaud ?
Elle est faite la casquette, la casquette,
Elle est faite avec du poil de chameau… »


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Les souverains français
Publié ou mis à jour le : 2024-10-18 12:32:07

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