Le 1er mars 1815, Napoléon débarque à Golfe-Juan, près d'Antibes, avec 900 grenadiers, en provenance de l'île d'Elbe. Il a quitté l'île d'Elbe quatre jours plus tôt. Commence ce que Chateaubriand appellera « l’invasion d’un pays par un seul homme ».
Un empire de la taille d'une île
Après sa première abdication et la signature du traité de Fontainebleau avec les Alliés, l'ex-empereur des Français a été confiné dans cette île pauvre de 230 km2, à peine peuplée de 12 000 habitants. Il s'y est refait une santé et a mis tout son génie au service de ses nouveaux sujets en s'appliquant à moderniser ses infrastructures. Mais il s'en lasse très vite. Ruminant son abdication forcée, il ne se satisfait pas de la souveraineté sur l'île et du titre d'Empereur qui lui a été généreusement laissé.
Il regrette l'absence de sa femme Marie-Louise et de son fils et est aussi contrarié de ne pas recevoir la pension de 2 millions de livres qui devait lui être versée par son successeur Louis XVIII d'après l'article 3 du traité de Fontainebleau. Il a par ailleurs vent de rumeurs faisant état de son possible transfert sur un îlot beaucoup plus hostile, Sainte-Hélène !
Il est informé du mécontentement latent chez les paysans français, chez les acquéreurs de biens nationaux, inquiets de devoir les restituer, et surtout chez les militaires, tenus à l'écart par le nouveau roi, rentré à Paris dans les fourgons des Alliés. 22 000 officiers ont été mis à la retraite ou en demi-solde cependant que des émigrés qui ont servi dans les rangs ennemis se sont vus promus à des grades élevés !
Le Mémoire au roi de Lazare Carnot, cité par l'historien Jean Tulard (Les Révolutions, 1985), fait sensation : « Si vous voulez paraître à la Cour avec distinction gardez-vous de dire que vous êtes l'un de ces 25 millions de citoyens qui ont défendu leur patrie avec quelque courage contre l'invasion des ennemis, car on vous répondra que ces prétendus citoyens sont autant de révoltés, que ces prétendus ennemis furent toujours des amis... »
Napoléon se convainc donc que les Français n'attendent que son retour.
Au demeurant, il considère que le roi Louis XVIII ayant refusé de signer le traité de Fontainebleau, celui-ci est invalide et avec lui sa propre abdication !
Il décide de s'enfuir et profite de ce que le commandant anglais Campbell chargé de surveiller l'île est amoureux d'une Florentine et se rend fréquemment sur le continent.
À la faveur de l'une de ces escapades à Livourne, il réquisitionne tous les navires de Portoferraio, capitale de l'île, et quitte celle-ci le 26 février 1815 à bord du brick L'Inconstant, accompagné de six autres bateaux. Échappant aux Anglais, la flotille gagne par surprise Golfe-Juan.
N'ayant rien perdu de son art de la communication, Napoléon lance sur la plage cette proclamation à ses soldats et aux quelques centaines de curieux venus le saluer : « La victoire marchera au pas de charge, l'aigle, avec les couleurs nationales, volera de clocher en clocher, jusqu'aux tours de Notre-Dame... »
À Paris, la nouvelle fait l'effet d'une bombe. Dans un ordre du jour, le maréchal Soult, ministre de la Guerre, met en garde les soldats contre le retour du pire fléau qui soit, la « guerre civile »...
Triomphe...
Évitant la Provence et la vallée du Rhône, qui se sont montrées hostiles à son égard lors de son transfert à l'île d'Elbe, l'année précédente, Napoléon emprunte avec sa troupe la route des Alpes. Le 4 mars, il arrive à Digne. Mais le surlendemain, une ordonnance royale l'a déclaré « traître et rebelle » et le 7 mars, à Laffrey, sur la route de Grenoble, Napoléon se retrouve pour la première fois face à des soldats ayant reçu mission de l'arrêter.
Jouant de son charisme, il s'avance vers eux : « Soldats du 5e de ligne, je suis votre Empereur, reconnaissez-moi ! ». Désemparés, les soldats ont un moment d'hésitation.
L'empereur entrouve sa redingote : « S'il est parmi vous un soldat qui veuille tuer son Empereur, me voici ». À ces mots, ils rendent les armes et le portent en triomphe. Napoléon peut alors dire à Cambronne : « C'est fini. Dans huit jours nous serons à Paris ».
Dans la soirée, il entre à Grenoble avec tous les honneurs. Le 11 mars, à Lyon, il rétablit le drapeau tricolore et prend des décisions comme s'il était déjà au pouvoir. À Auxerre, enfin, le 18 mars, il reçoit le ralliement du maréchal Michel Ney qui, s'étant soumis à Louis XVIII comme la plupart des anciens maréchaux d'Empire, lui avait pourtant juré de « ramener l'usurpateur dans une cage de fer ».
Napoléon Ier peut remonter triomphalement jusqu'à Paris et fait son entrée le 20 mars 1815 au palais des Tuileries, d'où s'est enfui le roi pas plus tard que la veille. L'accueil des Parisiens est triomphal et l'Empereur est littéralement porté par la foule dans son palais des Tuileries. Mais il ne va pas tarder à prendre la mesure de la réalité...
... et désillusions
L'empereur se rend très vite compte que la France a beaucoup changé en quelques mois. Les notables, en particulier, aspirent à la paix et à la stabilité. Ils ne veulent plus d'une dictature, fut-elle révolutionnaire comme le souhaitent les soldats et les anciens sans-culotte qui manifestent dans la plupart des villes derrière le drapeau tricolore. Les classes populaires appréhendent aussi le retour des guerres et de la conscription.
Napoléon va donc tenter de concilier l'inconciliable, en ne pouvant guère compter que sur le soutien de ses anciens soldats et officiers, ces militaires demi-soldes qui haïssent les Bourbons.
Il forme un ministère avec d'anciens proches : Cambacérès à la Justice, Decrès à la Marine, Mollien au Trésor, Davout à la Guerre, Caulaincourt aux Affaires étrangères, Fouché à la Police. La surprise vient de Carnot, à l'Intérieur. Celui qui s'est illustré vingt ans plus tôt comme « l'organisateur de la victoire » engage une sévère épuration dans les rangs des préfets, des conseillers d'État et des maires. La première de l'histoire nationale. De quoi refroidir les soutiens au nouveau régime. Mais Napoléon ne veut pas pour autant rejouer 93. « Je ne veux pas être le roi de la Jacquerie », dit-il.
Il demande donc à l'écrivain Benjamin Constant, qui figura parmi ses plus virulents adversaires, de rédiger dans un sens libéral un Acte additionnel aux Constitutions de l'Empire. Le texte reprend sans le dire les principaux acquis de la Charte octroyée par Louis XVIII. Il est promulgué le 22 avril 1815, soumis à plébiscite et approuvé à une écrasante majorité des votants (1,550 million oui, 5 700 non). Mais sur sept millions d'électeurs inscrits, plus de cinq millions se sont abstenus.
Une pompeuse et froide cérémonie est organisée le 1er juin 1815 au Champ-de-Mars, rebaptisé pour l'occasion Champ-de-Mai, pour officialiser le texte constitutionnel. Il ne sera jamais appliqué. C'est qu'entre-temps, au Congrès de Vienne, les participants qui se divisaient sur le sort de la Saxe ressoudent leurs rangs face au danger que constitue le retour du proscrit.
Dès le 13 mars 1815, ils le déclarent hors-la-loi comme « ennemi et perturbateur du repos du monde » . Une armée anglaise sous les ordres de Wellington et une armée prussienne sous ceux de Blücher se disposent à entrer en Belgique en vue de lui courir sus.
Napoléon lève une nouvelle armée. Mais les Français sont las et réticents et il n'arrive à rassembler que 124 000 hommes et 370 pièces d'artillerie soit moins que chacune des deux armées ennemies qui se préparent à envahir le pays. Il ne voit d'issue que dans une victoire sur l'une et l'autre avant qu'elles aient pu faire leur jonction...
Épilogue
L'équipée entamée à Golfe-Juan va s'achever à peine trois mois plus tard à Waterloo par une défaite militaire définitive, le 18 juin 1815. Le 22 juin, Napoléon abdique une seconde fois et le 8 juillet 1815, Louis XVIII revient une nouvelle fois de Gand. Il est accueilli à Paris par le préfet de la Seine Chabrol de Volvic, qui invente pour l'occasion l'expression « Cent-Jours » destinée à qualifier l'éphémère retour de l'île d'Elbe.
Les Cent-Jours vont aboutir à un deuxième traité de Paris, beaucoup plus dur que le précédent à l'égard de la France. Ils vont aussi, plus gravement encore, se solder par une exacerbation des clivages politiques à l'intérieur du pays. Alors que le roi, lors de la première restauration, était en passe de réconcilier les Français de tous les camps, désormais ceux-ci vont s'opposer plus que jamais, parfois de façon violente. Et ce sera la « Terreur blanche », vengeance des royalistes sur les républicains et les bonapartistes.
La plupart des notables, toutefois, rentrent dans le rang après avoir connu en moins d'une année pas moins de quatre régimes différents. Un journal de l'époque applique pour la première fois le qualificatif de « girouettes » à ces serviteurs soucieux d'assurer envers et contre tout la continuité de l'État.
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Jacques (04-03-2015 18:17:07)
Présentation claire de ces trop fameux Cent Jours. Une folie, un mauvais coup porté au pays par un irresponsable égocentrique. Nous en subissons encore les conséquences. Après les multiples renve... Lire la suite