René Rémond (Seuil, 320 pages, 1998)
René Rémond publie Religion et société en Europe (Seuil), un essai instructif sur la sécularisation des sociétés européennes aux XIXe et XXe siècles, au coeur de ses propres préoccupations.
La sécularisation, il est vrai, n'est pas une idée neuve en Europe ! « Dès Philippe le Bel, l'État s'était affranchi de la tutelle cléricale », rappelle-t-il. En Allemagne, le mouvement remonte à la Querelle des Investitures et à l'affrontement des guelfes et des gibelins... Mais s'agissait-il vraiment de sécularisation au sens actuel ou simplement d'une querelle de préséance entre souverains temporels ? « Les motivations intellectuelles étaient moins décisives que le souci de faire respecter la souveraineté de l'État », écrit l'historien.
Le 12 juillet 1790, le vote de la Constitution civile du clergé n'est pas a priori scandaleux au regard de la pratique de Philippe le Bel ! « Le Saint-Siège avait abandonné depuis des siècles aux monarques la désignation des évêques. Était-il plus scandaleux de les faire élire par les citoyens ? »
L'historien souligne dans cet essai le rôle grandissant de la papauté (le Magistère) au cours de ces deux siècles. On a peine à imaginer aujourd'hui que, sous l'Ancien Régime, il était fréquent d'ignorer le nom du pape en exercice ! « L'Église catholique en Europe était plus une fédération d'Églises qu'une Église centralisée ». Deux papes à la longévité exceptionnelle, Pie IX et Léon XIII, dans la deuxième moitié du XIXe siècle, ont pris une part essentielle à cet accroissement d'autorité. Les souffrances de Pie VII, prisonnier de Napoléon, ont aussi leur part dans le regain de considération de la papauté. Dès 1868, le pape Pie IX a pu réunir un concile sans en référer aux gouvernements catholiques de France ou d'Autriche.
En 1881, l'État en finit avec le cloisonnement religieux des cimetières (il impose leur laïcisation) et, en 1885, Victor Hugo soi-même est enterré sans la religion. Avec la loi de séparation des Églises et de l'État de 1905, la France, toujours en avance dans la voie de la sécularisation des institutions - et prompte à l'exporter par la force -, conduit le processus à son terme après avoir expérimenté toutes les formules possibles.
« Depuis que s'est produite la rupture entre les idées de la Révolution et les principes du catholicisme, on est conduit à considérer que celui-ci est entraîné vers la défense de l'ordre établi. Ce raidissement, incontestable au XIXe siècle, ne doit pas faire oublier que le catholicisme comporte d'autres virtualités : la plupart de nos pratiques électorales, des règles suivies par nos assemblées délibérantes, ont été inventées et appliquées par les ordres religieux ».
René Rémond conclut son essai en faisant le constat qu'aujourd'hui, l'indifférence, et non plus la laïcité militante, est devenue le moteur de la sécularisation. Ainsi, quand le ministère de l'Éducation fixe les dates des vacances scolaires, c'est en toute ingénuité qu'il prend en compte toutes sortes de critères mais ignore les fêtes catholiques.
La religion peut-elle ainsi devenir une affaire strictement privée comme le prédisait Taine et le Décalogue (les dix commandements) serait-il en voie de privatisation selon le mot d’un ecclésiastique anglican ? Ou éprouverons-nous encore la nécessité d’une force morale (le christianisme ou autre chose) propre à lier les citoyens entre eux et les instruire sur les choix de société et les règles de vie en communauté ?
Lire la suite : Un témoin avisé de son siècle
Publié ou mis à jour le : 14/05/2024 11:13:09
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