Hugo, Dumas, Baudelaire, Maupassant, Nerval, Delacroix, Manet, Rossini, Berlioz, Offenbach ou encore Wagner, ces grands hommes du XIXème siècle ont en commun d’être passés devant l’objectif du grand Nadar.
Félix Tournachon, dit Nadar, a révolutionné l’histoire de la photographie en élevant la pratique du portrait au rang d’art. S’il est connu aujourd’hui pour sa carrière de photographe, il n’a pourtant consacré qu’une courte partie de sa vie à ce médium. Curieux de tout, l’entrepreneur a mené une carrière des plus polyvalentes : romancier, patron de presse, journaliste, caricaturiste, photographe, chef d’entreprise mais aussi homme de science et aérostier.
Son pseudonyme, repris par son frère Adrien et son fils Paul, est associé à son atelier photographique, l’un des plus célèbres du XIXème siècle.
Gaspard-Félix Tournachon naît le 6 avril 1820 à Paris dans une famille d’imprimeurs lyonnais. C’est à Lyon qu’il débute des études de médecine. Attiré par la littérature, il publie en parallèle des critiques théâtrales dans la presse locale.
Mais la famille connaît des difficultés financières et la situation s’aggrave à la mort du père de Félix en 1837.
De retour à Paris, il met à profit ses expériences journalistiques lyonnaises et effectue différents travaux dans les « petites feuilles » de la presse parisienne. Il participe à la fondation d’un journal judiciaire, L’Audience, avec Polydore Millaud.
Félix intègre très vite la bohème étudiante du quartier latin. Ce grand roux au regard effaré et au caractère fantasque se définit lui-même comme « un vrai casse-cou, un touche-à-tout, mal élevé jusqu'à appeler les choses par leur nom, et les gens aussi ».
Ses amis, Gérard de Nerval, Charles Baudelaire ou encore Théodore Bainville, le surnomment « Tournadar ». Tout simplement car il est à la mode, chez la jeunesse rebelle du milieu du XIXème siècle, de rajouter la terminaison « dar » à n’importe quel mot. Pour abréger, dès 1838, ce sera « Nadar ».
Pour gagner sa vie, Nadar dessine des caricatures et écrit des romans. À 19 ans, il se lance dans la création d’une revue prestigieuse, Le Livre d’or, dont il devient le rédacteur en chef. Mais malgré la collaboration de ses amis : Honoré de Balzac, Alexandre Dumas ou bien Honoré Daumier, l’aventure s’arrête dès le troisième numéro.
Face à cet échec, Nadar, qui a une grande soif de notoriété, ne baisse pas les bras. Il reprend du service en tant que caricaturiste et puise dans son tempérament exubérant pour publier des nouvelles et billets fantaisistes. Baudelaire décèle chez lui « la plus étonnante expression de vitalité ».
Son premier succès arrive à la veille de la révolution de 1848 lorsqu'il publie l'une des premières bandes dessinées française dans La Revue comique à l'usage des gens sérieux, un journal de satire politique fondé par Pierre-Jules Hetzel qui s'en prend à Louis-Napoléon Bonaparte et concurrence le Charivari de Philippon.
Nadar met en pause sa carrière et rejoint le régiment franco-polonais avec son frère Adrien pour « délivrer la Pologne ». Le 30 mars, ils quittent Paris et entament une marche vers la Pologne.
Proche des idées républicaines, Nadar est très tôt influencé par les idées politiques de Félicité de Lamennais (1782-1854), figure du catholicisme libéral et ardent défenseur de la cause polonaise, car c’est son père qui, le premier, a publié ses brochures philosophiques.
Fait prisonnier en Saxe, il est condamné aux travaux forcés. Il est rapidement libéré et rejoint Paris pour reprendre sa carrière de caricaturiste et en commencer une nouvelle : photographe.
Dans les années 1850, une fabuleuse idée va lui permettre d'installer définitivement sa notoriété. Nadar se lance le défi d'éditer des lithographies de caricatures de personnalités.. La plus connue, le Panthéon Nadar, parait en 1854 et rencontre un succès immédiat en librairie et chez les marchands d'images. La fresque réunit 249 hommes de lettres de son temps. Parmi les plus en vue : Hugo, Balzac, Dumas, Lamartine ou encore Baudelaire.
En 1854, il s’installe dans un atelier très luxueux de la rue Saint-Lazare à Paris puis déménage six ans après boulevard des Capucines. Alors que la photographie n’a que quinze ans d’existence, Nadar s’en empare de manière frénétique et inlassable.
Toutes les personnalités en vue de Paris viennent se faire photographier : hommes politiques (Guizot, Proudhon), acteurs (Sarah Bernhardt), peintres (Corot, Delacroix, Millet), écrivains (Dumas, Hugo, Baudelaire, Nerval, Sand, Gautier) ou encore musiciens (Liszt, Rossini, Offenbach, Berlioz).
Fier que son atelier soit devenu le passage obligé pour les célébrités qui veulent ancrer dans la durée leur identité sociale, Nadar voit plus grand. Enfin, plus haut surtout.
À la fin des années 1850, il se passionne pour la navigation en ballon et s’envole à plusieurs reprises pour capturer ces instants hors du temps. Il prend les tout premiers clichés aériens.
En 1863, un atterrissage très brutal dans la région de Hanovre le laisse gravement blessé. Son épouse Ernestine, qui l’accompagnait, restera hémiplégique. C’est la fin d’une aventure mais le début de bien d’autres ! Sa passion pour l’aéronautique, toujours bien présente, l’amène à créer la Compagnie d’aérostiers. C’est à bord de l’un de ses ballons que Gambetta quittera Paris en 1870.
En 1860, les ateliers photographiques se mutliplient à Paris. Pour s’épargner la concurrence, chacun se spécialise dans un domaine et s’adresse à une clientèle définie. Se faire photographier, dans le Paris du XIXème siècle, c’est marquer son identité sociale.
L’atelier Nadar est fréquenté par la bourgeoisie libérale. L’impressionnant « N » rouge à la forme élancée avec lequel il signe ses photographies rappelle ses positions républicaines.
Mais la Commune marque la fin de son activité et Nadar se retrouve sans le sou dans les années 1870.
De 1887 à 1894, il s’installe au manoir de l’Ermitage de la forêt de Sénart puis part à Marseille pour tenter de nouveau sa chance à l’âge de 75 ans. « Dès aujourd’hui, mes soixante-quinze ans s’apprêtent à aller recommencer l’œuvre du côté de Nice… Mon nom, qu’on me laisse porter au moins là-bas, y vaut peut-être encore quelque chose… » Il laisse la gestion de ses affaires à son fils, Paul, et crée un atelier dans la cité phocéenne.
La ville est fière de le compter parmi ses habitants et le « doyen des photographes français » se lie d’amitié avec Frédéric Mistral. Il s’intéresse à la photostérie, sorte de photogravure, et la rend industriellement pratique.
En 1900, au crépuscule de sa vie, Nadar est célébré à l’Exposition universelle de Paris à travers une rétrospective de son œuvre organisée par son fils.
En 1904, il s’installe à nouveau dans la capitale où il passe ses vieux jours avec son épouse, qui décède des suites d’une attaque cérébrale en 1909. Six ans plus tard, le 20 mars 1910, Félix Tournachon s’éteint à Paris quelques jours seulement avant son 90èmeanniversaire. Mais Nadar, lui, vivra encore longtemps...
C'est que Félix Tournachon n’est pas le seul de sa famille à s’intéresser à la photographie. Son demi-frère Adrien et son fils Paul partagent avec lui cette passion. Les deux hommes vont, eux aussi, renoncer à leur nom de famille pour s’approprier le pseudonyme inventé par Félix.
Adrien, le bohème-type, est talentueux et sensible. Il est introduit par Félix dans le milieu artistique parisien et participe avec lui à l’aventure du Panthéon de 1852. Ses deux activités favorites sont la peinture et la photographie.
Il monte la Société Tournachon avec Félix et signe ses photographies du pseudo « Nadar jeune ».
Vient ensuite Paul, le « troisième de nous » comme s’amuse à l’appeler Adrien. Enfant unique, choyé, et photographié mille fois, il se décide à passer derrière l’objectif en 1870.
Il se distingue de son oncle et de son père en étant le seul des trois à consacrer sa carrière à la photographie. Paul hérite du nom Nadar mais le patronyme est lourd à porter et il ne parvient pas à imposer son prénom devant. Aussi reste-t-il dans l’ombre de son père, malgré son talent et son investissement dans l’entreprise familiale.
Toute la tribu a néanmoins participé à la gloire de l’entreprise. Même si son frère et son fils ont emprunté le patronyme de Félix, l’Histoire ne retient qu’un Nadar. C’est en pensant à son ami Félix que Jules Verne a donné au héros de De La Terre à la Lune le nom Ardan. Une anagramme bien trouvée pour un aventurier.
Depuis 1934, le studio Harcourt, créé par les frères Lacroix, patrons de presse, Robert Ricci, fils de Nina Ricci et Cosette Harcourt, a pris la relève en devenant un passage obligé pour se faire immortaliser, qu’on soit acteur, sportif, danseur, écrivain ou encore homme politique.
« En France, on n’est pas acteur si l’on n’a pas été photographié par le studio Harcourt », écrit le philosophe Roland Barthes en 1957.
Au XXème siècle, être photographié par Harcourt revient à intégrer un Panthéon de personnalités, qui n’est pas sans rappeler celui de Nadar un siècle plus tôt.
• 7 mai 1869 : La photographie se met à la couleur
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Pierre Nalin (25-09-2024 15:05:53)
Nadar fut pas un entrepreneur aussi dynamique qu'innovant, mais c'est sans grande importance : il y en eut d'autres. Il fut surtout un très grand photographe qui donna à ses portraits une intensité... Lire la suite