Jacques Offenbach se rêvait compositeur classique reconnu. Il a pourtant choisi de persévérer dans la musique légère et les spectacles comiques, registres qui lui ont assuré succès et fortune.
Quelques incursions cependant dans la musique de chambre ou de ballet lui permirent d’espérer réaliser son ambition. Mais ce n’est qu’à la fin de sa vie qu’il a pu composer des œuvres lyriques pour de grandes salles d’opéra.
Compositeur emblématique du Second empire, la vie d’Offenbach est parsemée de ritournelles qui continuent de nous captiver.
Sous l’égide de Napoléon III
En trois décennies, entre 1829 et 1858, Jacques Offenbach s’est littéralement métamorphosé : le jeune virtuose adulé à ses débuts s’est transformé en directeur de théâtre soucieux de ses deniers. Mais il est toujours resté un compositeur contrarié.
Afin de ne parler ni d’opéra, ni d’opéra-comique, il crée en 1855 un nouveau genre : l’opérette, qui correspond à un opéra en un acte, et surtout l’opéra bouffe, dont les sujets légers et comiques rendent les spectacles si plaisants et les spectateurs euphoriques. Rossini, fervent adepte de ce style, composera des œuvres célèbres, encore jouées de nos jours.
À partir de 1859, Offenbach devient le compositeur emblématique du second empire, particulièrement apprécié de Napoléon III. La guerre de 1870 n’interrompt pas sa carrière, mais démodé, il devra travailler davantage au détriment de ses finances et de sa santé.
Fils d’un père relieur qui était aussi chantre à la synagogue de Cologne, Jacob Offenbach est le septième enfant et deuxième garçon dans une fratrie de dix enfants dont sept atteindront l’âge adulte. Il est né le 20 juin 1819, tout près de Cologne, dans une famille qui pratique couramment la musique.
Très doué pour le violoncelle et déjà vrai « communicant », il joue dans les tavernes, les Winstub, ce qui l’aidera plus tard pour Les Contes d’Hoffmann ou Le Roi Carotte. Son père lui fait apprendre le français, qui devient sa langue usuelle, même s’il conservera toujours un fort accent allemand, qu’il entretiendra toutefois consciencieusement.
En 1833, à 14 ans, son père l’emmène étudier à Paris plutôt qu’à Vienne car il veut lui épargner l’ostracisme qui frappe les Juifs en Autriche. Son objectif est alors le Conservatoire, mais le directeur Luigi Cherubini, lui-même italien, refuse d’accepter un étranger ! Finalement, il est reçu en auditeur libre, c’est-à-dire qu’il suit les cours mais ne peut concourir ni pour le Prix de Rome, ni pour les diplômes.
Il s’installe alors dans une maison de la rue des Martyrs et restera fidèle à ce quartier parisien, au pied de la butte Montmartre, même s’il se déplace beaucoup au cours de son existence. Le Conservatoire l’intéressant peu, il démissionne au bout d’un an. Il préfère l’apprentissage sur le terrain et va donc occuper des postes de musicien boulevard du Temple.
À l’époque de Louis-Philippe, il y avait des orchestres dans tous les théâtres, qui comportaient parfois jusqu‘à 20 musiciens, notamment sur le fameux « boulevard du Crime » réputé à cause des nombreuses pièces noires qu’on y jouait, disparu en 1857 lors du percement de la place de la République...
Offenbach joue à l’Ambigu Comique, boulevard du Temple (démoli en 1966), puis à l’Opéra-Comique (qui se trouvait alors face à la Bourse actuelle). En 1836, il a 17 ans et compose de la musique de valse avec un certain brio. Deux ans plus tard, il rencontre le compositeur Friedrich Von Flotow, Allemand et exilé comme lui. Celui-ci fréquente les cercles aristocratiques et lui ouvre les portes des salons parisiens réputés.
Lors d’un concert, Offenbach fait la connaissance de la famille d’Alcain, d’origine espagnole, et tombe amoureux de la jeune fille de la maison, Herminie, avec qui il se fiance en 1843. Les parents de cette dernière mettront deux conditions à ce mariage : d’abord qu’il fasse fortune et puis qu’il se convertisse au catholicisme.
Sa future belle-famille va fortement contribuer à l’amélioration de ses revenus en l’envoyant quelques mois à Londres chez leur ami l’agent théâtral John Mitchell. Celui-ci lui organise une succession de représentations dont l’une sera marquante : jouer devant la reine Victoria et le prince Albert.
Dès juillet 1844, il revient à Paris. Il se fait baptiser le 9 août à l’église Notre-Dame-de-Bonne-Nouvelle et se marie le 13 août à l’église Saint-Roch. Il habite alors passage Saulnier, proche de la prestigieuse salle Herz, rue de la Victoire, dans laquelle il se produit le plus souvent.
À 30 ans, il est candidat à la Comédie Française où on lui propose de prendre la direction de l’orchestre pour tous les interludes. Si l’on y joue souvent de la musique entre et pendant les spectacles, cette pratique n’est pas très appréciée des acteurs qui la considèrent comme marginale. Mais la salle étant l’une des mieux fréquentées de Paris par les membres de la haute société, il espère bien y nouer des relations fructueuses.
L’Opéra lui ouvre les bras
Plutôt bien rémunéré, il supporte en revanche tous les aléas et risques de cette fonction : il embauche et paye les musiciens, doit régler les partitions, les annulations sont à sa charge… Il accepte néanmoins la charge et devient en 1850 le chef d’orchestre attitré de la Comédie Française. Ce contrat porte sur 3 ans, une éternité pour Offenbach qui est toujours en mouvement. Et pourtant il restera 4 ans !
Il continue par ailleurs à composer et imaginer des spectacles comiques. Dès 1853, il est inscrit à la SACD, la puissante Société des Auteurs et Compositeurs Dramatiques fondée en 1829 par Scribe, pour laquelle il joue un rôle important. La concurrence d’Hervé, l’autre grand créateur de l’opérette, va le stimuler. Il crée alors Pépito au Théâtre des Variétés, mais il se trouve trop à l’étroit pour créer un véritable opéra-bouffe.
En 1854, il joue au Théâtre Déjazet et aux Folies Concertantes, puis aux Nouvelles, et profite de l’assouplissement des privilèges pour monter des pièces nouvelles. La toute proche ouverture de l’Exposition Universelle de 1855 lui donne des idées et il inaugure la même année une petite salle bien placée, à l’emplacement du Théâtre Marigny, où il crée Les Deux Aveugles.
L’été fini, il doit penser à d’autres sites pour l’hiver. Il trouve une salle Passage Choiseul à l’arrière de la Salle Ventadour. Destiné à un public mondain, il appelle ce théâtre : Les Bouffes-Parisiens. Il y créera Ba-ta-clan, un spectacle à 4 personnages (la police ne permettant pas plus à l’époque).
Bien que toujours soumis à la règle des privilèges, héritée d'un décret de Napoléon Ier, Offenbach s’autorise toutefois quelques libertés avec la législation. Croquefer est un opéra en un acte mais avec un 5e personnage. Orphée aux Enfers est un opéra-comique en 2 actes… mais de 4 tableaux. En outre, la SACD empêche les directeurs de jouer leurs propres œuvres, l’obligeant à prendre des noms d’emprunt à plusieurs reprises.
Les années 1858-59 marquent le début d’une période triomphale avec Geneviève de Brabant. Orphée dans sa version limitée à 4 personnages est un grand succès. De plus, la réglementation s’est assouplie : on permet plusieurs actes et plus de chanteurs. Les représentations de Mesdames de la Halle dévoileront des chœurs et de nombreux personnages.
Les deux opéras semblent lui ouvrir enfin les bras. Son ballet Papillon est créé à l’Opéra en 1860 et joué 47 fois. Doté d’une très jolie musique, il est pourtant réputé... porter malheur. La ballerine Emma Livry s’étant approchée trop près de l’éclairage (au gaz), son tutu s’est enflammé. Par pudeur, elle ne l’a pas ôté et est morte dans les douleurs plusieurs jours après. Néanmoins, le ballet est un véritable chef d’œuvre qui mériterait d’être remonté.
Jacques Offenbach entretient plutôt de bons rapports avec la presse et les politiques. Il se fait bien voir au Figaro en devenant l’ami d’Hippolyte de Villemessant, le directeur du journal. Il est aussi soutenu par le puissant duc de Morny, demi-frère de l’Empereur, qui se pique de littérature et a même écrit sous un pseudonyme le livret de M. Choufleuri restera chez lui le… qui sera créé au Palais-Bourbon. C’est avec son aide qu’il est naturalisé français en 1860.
Un an plus tard, Jacques Offenbach commence une deuxième carrière à Vienne. Mais il ne la poursuivra pas, bien que l’opéra de Vienne, le Hofoper, lui ait commandé un grand opéra romantique Les Fées du Rhin qui sera créé en 1864. Son succès encourage aussi grandement le roi de la valse Johann Strauss à créer l’opérette viennoise La Chauve-Souris.
Le rêve d’Offenbach ? Se faire commander un grand opéra ou opéra-comique qui puisse être joué dans l’une des salles les plus prestigieuses. Pendant longtemps, il multipliera les contacts et même les promesses qui n’aboutiront pas. « J’ai frappé avec courage mais vainement à la porte de l’Opéra-Comique », écrira-t-il dans son autobiographie.
Son œuvre sera toujours critiquée ou tombera au plus mauvais moment, ainsi l’échec de Barkouf sur un livret de Scribe en 1860 sera retentissant. Il le réutilisera en partie quelques années plus tard dans Boule de neige.
Grande tournée aux États-Unis
Si les échecs minent la santé et le portefeuille du musicien, il garde toujours un indéfectible optimisme. Il continue à travailler à de nouvelles œuvres, à envisager d’autres créations et à prendre en charge des salles de plus en plus grandes.
Côté familial, il est soutenu par sa famille, sa femme et ses filles. Le compositeur sépare strictement sa vie privée de sa vie publique. Cependant, les soirées du vendredi chez Offenbach sont réputées et devenues le rendez-vous du Tout-Paris. Il reçoit beaucoup chez lui, impasse Saulnier, dans le 9e arrondissement. L’été, il embarque tout le monde à Étretat où il a fait édifier la Villa Orphée avec les gains… d’Orphée aux Enfers.
Après avoir quitté la direction des Bouffes-Parisiens en 1862, Offenbach se réoriente. En 1864, la liberté des théâtres est accordée, si bien que de nombreuses scènes s’ouvrent au théâtre lyrique. Le Théâtre des Variétés se lance dans l’opérette. Avec ses librettistes Henri Meillac et Ludovic Halévy, il enchaîne d’énormes succès qui reposent en grande partie sur de fortes personnalités féminines, de véritables « stars » telles qu’Hortense Schneider en France ou Marie Geistinger en Autriche.
Le 17 décembre 1864, il crée La Belle Hélène avec Hortense Schneider, puis Barbe-bleue en 1866. La même année, La Vie Parisienne au Théâtre du Palais Royal avec Zulma Bouffar est un véritable triomphe. Elle est jouée 265 fois.
En avril 1867, pour l’Exposition universelle, il propose La Grande-Duchesse de Gérolstein (sous-titrée Le Passage des Princes), puis 1868 voit naître La Périchole, toujours avec Hortense Schneider. Face à la concurrence qui s’accroît, il réplique par Les Brigands.
Parallèlement, Offenbach se fait reconnaître comme compositeur sérieux à l’Opéra-Comique avec un Robinson Crusoé inventif qui prend de nombreuses libertés avec l’œuvre originale de Daniel De Foe et la création Vert-Vert en 1869.
La guerre franco-prussienne de 1870 l’oblige certes à s’exiler en le contraignant même à essayer de récupérer sa nationalité allemande, mais n’interrompt pas sa carrière. Il part quelques mois dans le Sud, jusqu’à Saint-Sébastien. De retour à Paris où la guerre et la Commune ont laissé des séquelles, Offenbach est attaqué comme s’il était un espion à la solde de l’Allemagne.
Il va cependant parvenir à se renouveler, notamment avec Boule de neige et Le Roi Carotte, féérie à grand spectacle créée avec l’aide de Victorien Sardou. Joué au Théâtre de la Gaîté (1800 places), cet opéra est accueilli par un critique enthousiaste : Stéphane Mallarmé. À cette même époque, il compose pour l’Opéra-Comique Fantasio d’après l’œuvre d’Alfred de Musset.
Installé au 76 rue Laffitte, il va rejouer tous ses spectacles, notamment une version modifiée d’Orphée, opéra féérique avec 40 rôles, qui connaîtra 1015 représentations. En 1873, il réinterprète aussi Le Voyage dans la Lune mais essuie un échec cuisant.
Partout, il exige de beaux décors, de beaux costumes, ce qui coûte très cher. Il est finalement acculé à la faillite. En 1875, sa fortune obérée, il part 6 mois aux États-Unis faire une grande tournée à 1000 dollars par concert. Un accueil exceptionnel lui permettra d’éponger ses dettes. Il revient à Paris avec un ouvrage littéraire : Notes d’un musicien en voyage, qui ne sera publié qu’en 1927.
En 1878, Offenbach est fatigué. Il n’est pas joué à la nouvelle Exposition Universelle. On lui préfère Lecocq avec Le Petit Duc ou La Fille de Madame Angot. Néanmoins, il passe un accord avec le Théâtre de la Renaissance et Les Folies dramatiques. Il crée sa 100ème pièce : La Fille du tambour-major.
Atteint de la goutte qui le fait énormément souffrir, il arrive à produire Maître Péronilla et Madame Favart en 1878. Ces deux œuvres ont été rejouées en juin 2019 à Paris, l’une au Théâtre des Champs-Élysées, l’autre à l'Opéra-Comique.
Le compositeur meurt le 4 octobre 1880. Ses obsèques se déroulent à La Madeleine et il repose depuis lors au cimetière Montmartre.
Il est mort en mettant la dernière main à son oeuvre la plus sérieuse, Les Contes d’Hoffmann, son ultime chef-d’œuvre et l’un des opéras français aujourd’hui les plus joués dans le monde, au demeurant jamais représenté ni publié de son vivant.
Cette œuvre composite dont il existe une grande variété de versions, sera créée le 10 février 1881 à l’Opéra-Comique et connaîtra un succès mondial qui ne se dément pas. Cette oeuvre est une adaptation de la pièce de Michel Carré : Les Contes fantastiques d'Hoffmann, écrite en 1851...
NB : sous le règne de Napoléon III, les caricaturistes avaient eu à coeur de détourner la pièce de Michel Carré pour critiquer les travaux dispendieux du baron Haussmann à Paris. Ils dénoncèrent à qui-mieux-mieux les Comptes fantastiques d'Haussmann.
Jacques Offenbach a mené sa vie tambour battant. S’il est bien l’auteur du galop infernal d’Orphée aux Enfers, il n’a en revanche pas créé le French Cancan, qui a vu le jour deux ans après sa mort, dans les années 1880. Devenu un phénomène de mode au début du XXème siècle, l’engouement pour ce spectacle ne s’est depuis lors jamais démenti. On ne prête qu’aux riches !
Bibliographie
Claude Dufresne, Offenbach ou la gaîté parisienne, Criterion Histoire, 1992, 300 p,
Jean-Paul Bonami, Hortense Schneider, éditions Herault, 1995, 168 p,
Jean-Claude Yon, Jacques Offenbach, NRF Biographies, Gallimard 2000, 816 p,
Jean-Philippe Biojout, Jacques Offenbach, Horizons, bleu nuit éditeur, 2019, 176 p.
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