Le 24 juillet 1802 naît à Villers-Cotterêts, dans le Valois, au nord-est de Paris, un gros garçon aux cheveux frisés. Sa mère est la fille de l'aubergiste local, son père est un valeureux général de la Révolution, en semi-retraite du fait de sa mésentente avec Napoléon Bonaparte.
D'une vitalité sans pareille, épicurien de bonne compagnie, grand chasseur, fin gastronome, amateur de femmes et auteur prolifique à l'imagination débordante, Alexandre Dumas va laisser à la postérité environ 300 oeuvres dont de nombreux romans historiques que l'on confond encore aujourd'hui avec la véritable Histoire de France, des Trois mousquetaires au Collier de la Reine...
Le Diable Noir
Le père du futur auteur des Trois mousquetaires est issu d'une noble famille normande, les marquis Davy de la Pailleterie, qui possèdent un modeste château à Belleville-en-Caux.
En 1738, Alexandre Davy de la Pailleterie, officier d'artillerie, rejoint son cadet Charles dans l'île de Saint-Domingue, la grande colonie à sucre des Antilles. Charles est planteur à Jérémie et pratique le commerce du « bois d'ébène » (nom donné au trafic d'esclaves).
Alexandre, endetté et débauché, doit bientôt vendre sa plantation, esclaves compris. Il prend le large sous une fausse identité. Au bout de 27 ans, le 4 décembre 1775, il reparaît au Havre, se fait reconnaître et récupère l'héritage laissé par son défunt père.
De ses mystérieuses pérégrinations, il ramène avec lui Thomas, 13 ans, un des quatre enfants qu'il a eus d'une esclave noire. Les gens des îles appelaient celle-ci Césette « du mas » car elle vivait avec le maître dans la maison principale de la plantation. Le mystère continue de planer sur le sort de cette femme.
Alexandre ne tarde pas à dilapider ses biens à droite et à gauche. Peu après sa mort, son fils Thomas s'engage dans le régiment des dragons de la reine. C'est à compter de ce moment qu'il se fait appeler... Alexandre Dumas, curieuse combinaison du prénom paternel et du surnom maternel. Au début de la Révolution, il est cantonné à Villers-Cotterêts, à l'Écu de France. L'hôtelier Claude Labouret lui cède sa fille Marie en mariage.
En 1792, au plus fort de la Révolution, Alexandre devient lieutenant-colonel de la légion franche de cavalerie des Américains et du Midi. Dans ce régiment exclusivement composé d'hommes de couleur, on proclame avec fierté que « terre de France ne porte pas esclave ». Le commandant est le chevalier de Saint-Georges, un mulâtre de la Guadeloupe, escrimeur et musicien réputé.
L'année suivante, année cruciale pour la France, assaillie de toutes parts par les ennemis, Alexandre Dumas devient général de brigade de l'armée du Nord puis général de division et commandant en chef de l'armée des Pyrénées-Occidentales. Il est affecté à l'armée d'Italie, commandée par le général Bonaparte. Alexandre Dumas, à la tête du 5e régiment de dragons, fait merveille à la bataille de Clausen. Ses exploits guerriers lui valent de la part des Autrichiens le surnom élogieux : « der Schwarze Teufel » (le Diable noir).
En 1798, Dumas suit Bonaparte en Égypte. Lors de la révolte du Caire, il subjugue les musulmans en osant entrer à cheval dans une mosquée. Ce fait d'armes donnera plus tard lieu à une peinture de propagande mais le héros sera représenté avec une chevelure blonde et un teint clair ! C'est qu'à la différence de la plupart de ses compatriotes, Bonaparte laisse transpirer des préjugés raciaux.
Le commandant de la désastreuse expédition d'Égypte ne laisse rien passer au général mulâtre. Celui-ci se résout à quitter l'Égypte dès mars 1799. Mais sa felouque est déportée vers les côtes de Calabre et il subit deux ans de captivité pénible avant de regagner la France.
Bonaparte, qui règne en maître tout-puissant avec le titre de Premier Consul, le relègue dans l'armée de réserve sans lui offrir de promotion. La désillusion est terrible. Plus ancien général dans son grade, Alexandre Dumas meurt sans le sou le 26 février 1806 à Villers-Cotterêts, à 44 ans, quatre ans après la naissance de son fils et homonyme.
Le père des Trois Mousquetaires
Le deuxième Alexandre Dumas acquiert dès son enfance, à l'auberge familiale et dans les forêts de Villers-Cotterêts, la passion de la chasse et celle des fourneaux. Ces passions ne le quitteront jamais. Grand chasseur, épicurien, amateur de bonne chère et fin cuisinier, il tirera fierté à la fin de sa vie, en 1869, d'un dictionnaire de recettes de cuisine à son image, fantasques et savoureuses.
Malgré une éducation négligée, le garçon se passionne très tôt pour l'écriture. Après des débuts modestes comme troisième clerc de notaire, il monte à Paris et, rêvant d'écrire pour le théâtre, va solliciter un ami de son père, le général Foy. Celui-ci, sans grande illusion, lui demande de lui laisser ses coordonnées. Il jette un oeil sur le papier et s'exclame : « Nous sommes sauvés ! Vous avez une belle écriture ».
Voilà le jeune homme embauché au secrétariat du duc d'Orléans, futur Louis-Philippe Ier. Il a désormais assez de loisirs pour écrire et monte une première pièce, Christine, à la Comédie française. Il devient définitivement célèbre à 27 ans avec la deuxième pièce, un drame romantique, Henri III et sa cour, qui est très chaleureusement applaudie à sa sortie, le 10 février 1829.
Sa réputation grandit avec ses romans de cape et d'épée qui paraissent d'abord sous forme de feuilletons dans les quotidiens populaires. L'un de ses premiers romans, en1843, Georges, raconte une révolte d'esclaves et de gens de couleur sur l'île Maurice. Après cette unique référence à ses origines et à son père viennent les chefs d'oeuvre : Les Trois Mousquetaires en 1844, Le Comte de Monte-Cristo en 1845, Le Collier de la Reine en 1850... À quelqu'un qui s'indigne de ses libertés avec la vérité historique : « Monsieur, vous violez l'Histoire ! », il rétorque avec esprit : « Certes, mais je lui fais de beaux enfants ».
L'écrivain travaille avec une facilité déconcertante, en cultivant l'art de tenir le lecteur en haleine. « Amuser, intéresser, voilà mes seules règles », dit-il. Un jour de 1845, alors qu'il travaille à son dernier grand roman, Vingt Ans après, son fils le trouve en larmes : « Porthos est mort, j'ai été obligé de le sacrifier », dit-il en étouffant ses sanglots.
Comme son imagination court encore plus vite que sa plume, il fait appel à des collaborateurs grassement payés, tel Auguste Maquet. Outre celui-ci, on lui en connaît environ 90, qui forment ce qui pourrait ressembler à un atelier d'écriture.
Auteur le plus prolifique du XIXe siècle avec un total d'environ 300 oeuvres, il lui arrive d'écrire une pièce ou une nouvelle en un après-midi. Mais le plus souvent, il écrit dans les locaux des journaux qui l'éditent. Il y arrive le soir, après le spectacle et le dîner, s'enferme avec les notes que lui fournit Auguste Maquet, écrit debout à son pupitre, enfin livre sa copie aux linotypistes de l'imprimerie.
Devenu rapidement très riche, l'écrivain s'installe en 1844 à Saint-Germain-en-Laye, au calme, pour écrire un nouveau feuilleton : Les Trois Mousquetaires.
Lors de ses promenades dans la campagne, il est séduit par un site bucolique, au-dessus de la vallée de la Seine, à Port-Marly.
Sans regarder à la dépense, comme à son habitude, il fait édifier au flanc du coteau une demeure fantasque de style vaguement renaissance.
Au premier étage, deux artisans que Dumas a ramené de son voyage à Tunis réalisent un pittoresque salon mauresque.
Le château est très vite baptisé Monte-Cristo (du nom de l'un de ses héros). Dumas inscrit à son fronton : « J'aime qui m'aime ». Fidèle à cette devise, il tient table ouverte tous les soirs sans trop savoir qui il reçoit.
Au-dessus de la demeure principale, dans le parc anglais, un pavillon néo-gothique sert de cabinet de travail à l'écrivain.
Mais dès 1855, celui-ci doit se séparer de l'ensemble pour des raisons financières. Il séjourne dès lors à Paris, dans des hôtels autrement plus banals.
Le château de Monte-Cristo, aujourd'hui ouvert au public, offre un agréable voyage dans l'univers romanesque de Dumas.
Bon vivant
Passionné par les femmes, la chasse et la bonne chère, Alexandre Dumas mène grande vie et se ruine encore plus vite qu'il ne s'enrichit.
Dès ses débuts à Paris, il fréquente le milieu du théâtre et multiplie les conquêtes féminines parmi les comédiennes. On lui connaît au moins quatre enfants naturels dont l'un qui porte son nom. Il tente une fois l'expérience du mariage mais celui-ci se conclut par un divorce rapide et aucun enfant.
En 1846, de son plein gré, l'écrivain se lance dans un grand voyage qui le mène à travers l'Espagne jusqu'en Tunisie. Ce voyage marque la fin de sa grande période créatrice. En 1851, tandis que Louis-Napoléon Bonaparte prend le pouvoir et restaure l'empire, il s'exile à Bruxelles, non pour des raisons politiques comme son ami Victor Hugo... mais pour échapper à une meute de 150 créanciers.
En mal d'aventures, il s'engage également dans l'équipée italienne de Garibaldi et rejoint « Les Mille » à Naples en 1860, en compagnie d'un photographe réputé. Le romancier épaule le révolutionnaire dans l'administration du petit royaume. Il prend en charge en particulier la politique culturelle et dirige pendant quelques mois les fouilles de Pompéi.
De retour en France l'année suivante, il publie un roman « à la gloire du patriotisme napolitain », La San-Felice. C'est l'histoire d'une jeune aristocrate qui, en 1798, a pris le parti des révolutionnaires français et, bien qu'enceinte, a été exécutée sur ordre du roi Ferdinand VII.
Dumas poursuit son métier d'écrivain jusqu'à sa mort, le 5 décembre 1870, dans la maison de son fils, près de Dieppe.
La saga des Alexandre Dumas se clôt avec le fils naturel de l'écrivain, dit Dumas fils. Né d'une comédienne le 27 juillet 1824, il accède à la célébrité avec un roman plein d'émotion écrit en 1847 et plus tard adapté au théâtre avec un immense succès : La Dame aux camélias. C'est une histoire d'amour impossible entre une prostituée et un jeune homme au coeur pur.
« J'en ai certainement, Monsieur, du sang noir ! Mon père était mulâtre, mon grand-père était un nègre, mon arrière-grand-père était un singe. Vous voyez, Monsieur, que ma famille commence où la vôtre finit » (répartie attribuée à Alexandre Dumas père).
Au théâtre
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