14 décembre 2016 : Olivier Delorme est agrégé d'Histoire, romancier et auteur d'une somme sur l'Histoire de la Grèce et des Balkans.
Il nourrit ici le débat sur l'Union européenne avec le recul de l'historien, en joignant l'intelligence à la qualité de l'écriture. De quelque bord que l'on soit, chacun trouvera dans ces 30 (bonnes) raisons pour sortir de l'Europe matière à affûter sa réflexion et ses arguments.
Les Amis d'Herodote.net peuvent télécharger et lire à titre d'exemple tout le chapitre V : « L'Europe n'est pas la paix, c'est la guerre froide à perpétuité »
Nous avons été conquis par ce pamphlet, malgré son parti-pris, parce que son auteur, qui écrit parfois pour Herodote.net des articles sur la Grèce et les Balkans, est un historien consciencieux et doté d'une belle plume.
Parce qu'aussi il nous paraît important de débattre avec intelligence de la crise que vit l'Union européenne et qui affecte notre vie quotidienne (emploi, services publics...).
Olivier Delorme, en 30 courts chapitres, balaie tous les aspects de cette crise et les décrypte en s'adossant aux enseignements de l'Histoire. Nous ne partageons pas toutes ses analyses, tant s'en faut, mais toutes nous instruisent et nous portent à réfléchir.
De la Ligue de Délos à l'Union européenne
Qu'est-ce d'abord que l'Union européenne ? « Le premier empire non impérial », issu de l'union volontaire de plusieurs États souverains chargés d'Histoire et de culture. C'est la définition donnée à un journaliste par le président de la Commission Manuel Barroso le 10 juillet 2007. Elle sous-entend que notre génération - pleine de sagesse - a su rompre avec le cours sanglant de l'Histoire.
Las, Olivier Delorme, qui a de la mémoire, rappelle qu'on a déjà connu semblable expérience. C'était il y a 2 500 ans : « En 478 avant notre ère, après la victoire sur les Perses, la plupart des cités grecques riveraines de l'Égée se regroupèrent volontairement dans une confédération de cités souveraines, appelée Ligue de Délos. Dans cette Ligue, une cité était cependant un peu plus égale que les autres : Athènes disposait de la flotte la plus puissante et avait l'économie la plus florissante. Volontairement toujours, la plupart des cités renoncèrent à se défendre elles-mêmes, confiant ce soin aux Athéniens en échange d'une contribution... ».
Périclès, l'homme fort d'Athènes, fait transférer le trésor commun de l'île sacrée de Délos à Athènes, sous prétexte de le soustraire à la menace perse. Il va servir à financer la reconstruction de l'Acropole !
Athènes, désormais décomplexée, impose sa monnaie aux autres cités et quand celles-ci font mine de récriminer, ne manque pas de les châtier. Mais Sparte, restée en-dehors de la Ligue, supporte de moins en moins son arrogance, jusqu'à ce qu'éclate en 431 la guerre du Péloponnèse, plus terrible que toutes celles qui l'ont précédé.
Gardons-nous de pousser trop loin l'analogie : les Perses sont les Soviétiques, Athènes figure à la fois les États-Unis et l'Allemagne, Sparte pourrait être l'Angleterre ! Retenons seulement de cet utile rappel historique qu'« il n'y a rien de nouveau sous le soleil » (Ecclésiaste). La prudence et le bon sens commandent de connaître le passé pour en éviter les travers.
La monnaie unique a 150 ans
Sans remonter à l'Antiquité, on peut trouver plus près de nous des précédents à la construction européenne. Nous avons nous-mêmes rappelé le Projet de paix perpétuelle de l'abbé de Saint-Pierre, en 1715, et la naissance de l'idée européenne au Congrès de la paix de 1849, par la bouche de Victor Hugo.
Olivier Delorme évoque aussi l'Union latine, une zone monétaire avant l'heure qui a réuni à l'initiative de Napoléon III la Belgique, l'Italie, la Suisse, la Grèce et bien sûr la France. De nombreux autres pays s'y sont associés, à l'exception notable du Royaume-Uni et de l'Allemagne.
Comme l'euro actuel, cette première monnaie unique entraîne des tensions internes de plus en plus fortes, les économies de la zone n'évoluant pas au même rythme. La Grèce est la première à s'en extraire en 1890, puis l'Italie en 1893.
La Première Guerre mondiale balaie ces illusions. Le 3 juillet 1933, confrontés à la crise mondiale, la France, la Belgique, les Pays-Bas, le Luxembourg, l'Italie, la Suisse, la Pologne et la Tchécoslovaquie renouvellent l'expérience de la monnaie unique en s'imposant un taux de change fixe. Et rapidement, pour maintenir la compétitivité de leur économie, faute de pouvoir dévaluer la monnaie, ils doivent dévaluer les salaires, les pensions et les dépenses publiques. C'est en France la « déflation Laval » au moment où, de leur côté, les États-Unis et le Royaume-Uni entament leur redressement.
Mais, rappelle Olivier Delorme, le déni est identique à celui d'aujourd'hui comme en témoigne cette citation du Temps (Le Monde de l'époque), le 20 juillet 1935 : « La réduction des dépenses publiques, parce qu'elle allège les charges qui pèsent sur la production, parce qu'elle rend l'aisance au marché des capitaux, parce qu'elle tend à remettre en marche le mécanisme du crédit, ne peut qu'accroître le pouvoir d'achat de l'ensemble des consommateurs. »
Le rêve européen se transforme en cauchemar avant d'être dévoyé par les nazis et leurs collaborateurs : « L'Europe Unie, c'est le travail uni, les efforts unis, le rendement multiplié, les loisirs augmentés, le bien-être diffusé, la fin des guerres, la concorde ». Ce slogan aux allures si contemporaines désignait d'après Olivier Delorme une exposition de la salle Wagram (Paris, mars 1942).
L'équilibre de la terreur fait l'Europe
La Libération, enfin ! Les Européens ne sont pas pour autant au bout de leurs difficultés. Le 5 juin 1947, en réponse à la guerre civile en Grèce, le Secrétaire d'État américain Alfred Marshall lance le plan d'aide économique et militaire qui porte son nom. Les pays occupés par l'Armée rouge sont sommés par Staline de le refuser. Le gouvernement tchécoslovaque étant tenté de l'accepter malgré tout, il est renversé le 25 février 1948 par le « coup de Prague ». Le 22 août 1949, la première bombe atomique soviétique explose dans le Kazakhstan.
« Dès lors, la coupure de l'Europe en deux blocs ne peut plus être remise en cause et chacun est maître chez soi, comme le montreront les deux crises de Berlin, les interventions soviétiques en Hongrie et en Tchécoslovaquie », écrit Olivier Delorme. Le 11 juin 1948, le sénateur républicain Vandeberg fait voter une résolution autorisant les États-Unis à conclure une alliance permanente, ce qui permet la signature du traité de l'Atlantique Nord (OTAN) le 4 avril 1949. Et le 21 septembre 1949 est fondée très officiellement la République Fédérale Allemande.
Dans ce processus, la déclaration Schuman du 9 mai 1950 à l'origine de la CECA (Communauté européenne du charbon et de l'acier) ne joue aucun rôle, sinon de renforcer la cohésion du bloc occidental et de mettre l'Allemagne de l'Ouest à l'abri d'une offensive soviétique. Elle intervient en parallèle avec le renforcement stratégique de ce bloc. « Ce qui assuré la paix en Europe jusqu'en 1990, ce n'est pas l'Europe mais l'équilibre de la terreur. C'est peut-être moins romantique mais c'est la réalité ». Sur ce point, nous ne pouvons que donner raison à l'auteur de 30 (bonnes) raisons pour sortir de l'Europe.
Mais ne jetons pas le bébé avec l'eau du bain. L'Europe s'honore aussi de belles réalisations intergouvernementales : Airbus (1970) et l'Agence Spatiale Européenne (1975). Ce sont aussi les projets intégrateurs, dans le droit fil de l'utopie européenne : traité de Schengen (1985) et Erasmus (1987).
Depuis que la finance a pris le pas sur l'industrie, il est vrai, aucun autre projet n'est venu renforcer l'intégration européenne et l'on a vu au contraire les relations entre les pays de l'Union se tendre à l'extrême sous l'effet des distorsions commerciales et monétaires.
Olivier Delorme a beau jeu de noter que l'Europe est de ce fait entrée en décomposition : Brexit (23 juin 2016), retrait par l'Islande et la Suisse de leur candidature à l'UE. Il souligne que les pays européens dont on vante la résistance à la crise sont tous en dehors de la zone euro : Danemark, Suède, Norvège, République tchèque, Royaume-Uni... à la seule exception de l'Allemagne, pour la bonne raison que l'euro a été façonné à sa mesure.
La tentation de la sortie n'effleure pas seulement les pays méridionaux dont la France, soupçonnés de paresse congénitale et de mauvaise gouvernance. Elle touche aussi les Pays-Bas et même la Finlande, en perte de vitesse sur ses voisins depuis qu'elle a adopté la monnaie unique.
L'Europe contre les solidarités nationales
Le reproche le plus constant qu'adresse l'historien aux doux rêveurs de la construction européenne comme aux néolibéraux est de vouloir détruire les vieilles nations et les solidarités qu'elles ont lentement établies entre leurs citoyens : services sociaux, services publics, fiscalité, éducation, armée... Comme si, de leur disparition, devait immanquablement émerger une nation européenne.
Illusion, avertit l'auteur, au lieu d'une plus grande nation, vous aboutirez à un émiettement des solidarités, un repli sur les clans et les tribus, un retour à la barbarie des premiers âges. Voilà tout ce quoi conduira la substitution d'une Europe « ouverte » à nos nations solidaires, que l'on dit « fermées » pour mieux les déprécier.
Insidieuse, la ruine des nations passe par la privation de leur souveraineté, représentée par le roi avant de l'être par le peuple. C'est Jean de Blanot (1230-1280), conseiller de saint Louis, qui l'affirme le premier : « Le roi est empereur en son royaume ». Autrement dit, aucune autorité étrangère, pas plus l'empereur que le pape, n'est habilitée à le diriger.
Les révolutionnaires, dont la pensée politique, nourrie de références grecques et latines, était autrement plus subtile que celle de nos actuels dirigeants, transfèrent cette souveraineté au peuple. « Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la Nation. Nul corps, nul individu ne peut exercer d'autorité qui n'en émane expressément », énonce l'article 3 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen.
Cet article, bien que toujours en vigueur, est ignoré par ceux-là mêmes qui ont mission de le défendre : les parlementaires mais aussi, plus gravement, les magistrats du Conseil constitutionnel et du Conseil d'État qui accordent la préséance aux textes commis dans les officines de Bruxelles, en-dehors de toute légitimité démocratique.
À ce propos, Olivier Delorme rappelle que le Parlement européen n'en est pas un par le fait qu'il est privé du droit d'initiative, du vote de l'impôt, du droit de révoquer l'exécutif et n'a que la possibilité d'amender les textes présentés par la Commission.
Cette interprétation valide l'assimilation de l'Europe à un « empire » par Manuel Barroso et l'on ne peut manquer d'être frappé par les similitudes entre l'Union issue des traités de Maastricht et de Lisbonne et la définition des empires par un autre historien, Gabriel Martinez-Groz.
Mais gardons-nous d'en tirer des conclusions hâtives. L'Histoire et les scrutins de ces derniers mois, en Europe et aux États-Unis, montrent que rien n'est écrit par avance. Voilà au moins une bonne raison de garder espoir.
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Voir les 6 commentaires sur cet article
Gerry (27-03-2017 00:44:29)
A Claude du 14/12/2016: vos petits enfants ne connaîtront l'invasion allemande certes... Ils connaîtront bien pire : ce que l'Europe et son impuissance politique, son incompétence idéologique, et... Lire la suite
Robert (18-12-2016 21:54:23)
Je respecte votre position anti Union européenne tout en la trouvant souvent très subjective. les comparaisons avec des époques et situations totalement différentes est navrant pour des historiens... Lire la suite
Michel Batreau (16-12-2016 10:42:57)
je suis profondément Européen. Mis à part les pays de l'ex-Yougoslavie (mais qui ne faisaient pas partie de la CEE) il n'y a eu aucune guerre européenne depuis 1945. Mon meilleur ami était Allema... Lire la suite