Décembre 2005

Lois mémorielles : l'Histoire en délire

Les parlementaires français ont pris l'habitude de réécrire l'Histoire. Danger ! A trop juger les événements et les acteurs du passé à l'aune du présent, on risque de faire de l'Histoire un facteur de division et une excuse pour oublier les enjeux du futur (mise à jour : novembre 2009).

La classe politique française ne trouve rien de mieux que de s'écharper sur la colonisation d'il y a 50 ou 150 ans !... La raison en est compréhensible : sanctionnés par le référendum du 29 mai 2005, plombés par deux décennies d'échecs (banlieues en déshérence, économie en panne, finances à sec, recherche à l'abandon...), gouvernants et élus font du racolage en instrumentalisant l'Histoire avec des lois aussi inutiles que perverses.

 La loi Gayssot donne du crédit au négationnisme:

La dérive commence avec la loi Gayssot du 13 juillet 1990 : elle envoie devant les tribunaux les gens désaxés ou stupides qui nient la réalité du génocide juif et, de façon plus grave, tout historien qui examinerait d'un oeil critique un phénomène que la loi française aurait qualifié de « crime contre l'humanité » (le massacre des Arméniens ou l'esclavage par exemple). Sanction : un an d'emprisonnement et/ou 45 000 euros d'amende...

« Ce texte est hautement critiquable pour trois raisons », écrit dans Le Monde du 21 mai 1996 l'historienne Madeleine Rebérioux, présidente de la Ligue des Droits de l'Homme :
• Il confie à la loi ce qui est de l'ordre du normatif et au juge chargé de son application la charge de dire la vérité en histoire alors que la vérité historique récuse toute autorité officielle. L'URSS a payé assez cher son comportement en ce domaine pour que la République française ne marche pas sur ses traces.
• Il entraîne quasi inéluctablement son extension un jour à d'autres domaines qu'au génocide des juifs : autres génocides et autres atteintes à ce qui sera baptisé « vérité historique ».
• Il permet aux négationnistes de se présenter comme des martyrs, ou tout au moins comme des persécutés.

Cet avertissement va se vérifier au fil des années...

 Le Parlement français écrit l'Histoire... de la Turquie :

On a eu ensuite la loi du 29 janvier 2000 : « Article unique : La France reconnaît publiquement le génocide arménien de 1915 ». Nul ne conteste ce génocide (en-dehors de la Turquie et de quelques historiens comme Bernard Lewis, dont c'est le droit). Mais appartient-il au Parlement français d'en faire un texte de loi ?

Si c'est le cas, qu'il ne s'arrête pas en si bon chemin et condamne aussi le « viol de Nankin » par les Japonais, l'invasion du Tibet par les Chinois, le massacre des Peaux-Rouges par les Américains, l'extermination des Pygmées par les Noirs, le massacre des harkis par le FLN, la destruction de Bagdad par les Mongols, les sacrifices humains des Aztèques...

Et s'il faut complaire à toutes les communautés immigrées, pourquoi pas une condamnation des massacres de Kurdes par les Turcs ou de musulmans par les hindous (et vice versa) ?

 Taubira blanchit les esclavagistes non-européens:

La loi Taubira du 21 mai 2001 qualifie la traite atlantique et l'esclavage dans les anciennes colonies françaises, et plus généralement européennes, de crime contre l'humanité. À côté de cela, elle s'abstient de condamner les esclavagistes passés et actuels, au Moyen-Orient, en Afrique et en Asie... et ne dit mot du sort fait aux clandestins haïtiens en Guyane et aux Antilles, dont la condition ne diffère en rien des anciens esclaves.

Cette loi, qui interprète de façon anachronique des événements lointains, a été votée à l'unanimité, sans réflexion et sans débat, les députés ayant mis leur intelligence en veilleuse pour ne pas s'attirer les foudres de quelques militants. « Est-ce que les Grecs d'aujourd'hui vont décréter que leurs ancêtres les Hellènes commettaient un crime contre l'humanité car ils avaient des esclaves ? Cela n'a pas de sens ! », lance à son propos l'historien Pierre Vidal-Naquet (Le Monde, 17 décembre 2005).

 La droite exalte l'oeuvre coloniale de la gauche :

Pour couronner le tout, la loi du 23 février 2005 s'est enrichie d'un amendement proposé par le député du Nord Christian Vanneste. Il énonce : « Les programmes scolaires reconnaissent en particulier le rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord, et accordent à l'histoire et aux sacrifices des combattants de l'armée française issus de ces territoires la place éminente à laquelle ils ont droit... »

Ce voeu pieux a été voté sans difficulté par les députés (droite et gauche réunies) et, dans un premier temps, approuvé par le président Jacques Chirac pour complaire aux anciens rapatriés d'Algérie et faire contrepoids à la loi Taubira. D'une certaine manière, il a été comblé par la sortie sur les écrans du film Indigènes l'année suivante.

Des parlementaires de gauche proches des milieux algériens l'ont néanmoins contesté à la fin 2005 et le président de la République, au prix de quelques contorsions constitutionnelles, l'a validé tout en l'invalidant ! Paradoxe : dans cette querelle tardive, l'amendement a été défendu par une droite qui se réclame du liquidateur de l'empire colonial (le général de Gaulle), et renié par une gauche qui est pour l'essentiel à l'origine de cet empire.

Conseil de l'Europe : de quoi je m'occupe ?

Pour être juste, notons que les députés français ne sont pas les seuls à mettre en cause la liberté d'expression et l'Histoire. Le Conseil de l'Europe, une entité qui siège à Strasbourg, a voté dans l'indifférence générale, le 25 janvier 2006, la résolution 1481 : Nécessité d'une condamnation internationale des crimes des régimes communistes totalitaires.

Ce texte en quatorze articles décrit, pour qui ne les connaîtrait pas, les crimes des régimes communistes qui ont sévi en Europe jusque dans les années 1990. Il s'érige même en historien et prétend analyser les faits et les idéologies à l'origine de ces crimes. Il exprime sa compassion aux victimes de ces crimes et, plus gravement, « invite tous les partis communistes ou postcommunistes de ses Etats membres qui ne l'ont pas encore fait à reconsidérer l'histoire du communisme et leur propre passé, à prendre clairement leurs distances par rapport aux crimes commis par les régimes communistes totalitaires et à les condamner sans ambiguïté ». Comme si cela ne suffisait pas, le Conseil de l'Europe encourage les historiens « à continuer leurs recherches visant à établir et à vérifier objectivement le déroulement des faits » (sous-entendu : les chercheurs ont toute liberté de chercher sous réserve qu'ils aboutissent aux mêmes conclusions que l'auguste assemblée)...

Menaces sur la liberté d'expression

Dix-neuf historiens parmi les plus grands qualifient ces lois « d'indignes » ?... Dans une pétition en date du 13 décembre 2005, ils s'élèvent « contre la proclamation de vérités officielles, indignes d'un régime démocratique ». Pour eux, l'Histoire n'est la propriété de personne, pas davantage des historiens que de l'État, et celui-ci n'a pas à en imposer une lecture quelle qu'elle soit. Dans ce débat, c'est rien moins que la liberté d'expression de tous les citoyens qui est en jeu !

Les lois ci-dessus n'ont rien à voir avec les lois d'amnistie, de réparation ou de commémoration qui clôturèrent la Révolution ou l'Occupation (Arno Klarsfeld, Le Monde, 28 janvier 2006). Elles n'ont pas pour but de corriger des injustices tangibles. Elles n'ont pas d'incidence pratique et à ce titre, sont inutiles. Mais elles prétendent, fait nouveau, imposer une lecture officielle et obligatoire de l'Histoire. Prises une à une, elles semblent bénignes. Mais leur conjugaison débouche sur des restrictions de plus en plus pesantes de la liberté d'expression.

Une multitude d'associations s'arrogent désormais le droit de traquer les mal-disants. Premières victimes de ces « groupes d'oppression » :
- une fonctionnaire du ministère des anciens combattants coupable d'avoir un grand-père nommé Papon ;
- un érudit, Olivier Pétré-Grenouilleau, coupable de mettre sur le même plan la traite atlantique (décrétée « crime contre l'humanité ») et les traites musulmane et intra-africaine ;
- un député, Christian Vanneste, à l'origine de l'amendement sur le rôle positif de la présence française outre-mer, coupable par ailleurs de propos abrupts sur l'homosexualité qui auraient paru banals il y a quelques années...

Si d'aucuns pensent que de telles lois sont nécessaires pour établir la concorde dans un pays désormais métissé et communautarisé, la loi Taubira démontre le contraire, au vu de l'ampleur du malaise antillais, quatre ans après son adoption ! Quant à la loi Gayssot, on ne peut dire qu'elle ait fait refluer l'antisémitisme. Bien au contraire, celui-ci, par la bouche du pitre Dieudonné, se nourrit de cette loi en reprochant aux juifs de s'abriter derrière leur statut de victimes....

En marge de cela, le 11 février 2006, Georges Frêche, président socialiste du Languedoc-Roussillon a qualifié devant les caméras les harkis de « sous-hommes » (traduction de l'allemand « Untermenschen » par lequel les nazis désignaient les Juifs et les Slaves) sans que son parti l'exclue de ses rangs ! On voit bien par là le caractère arbitraire des lois ci-dessus, que les « groupes d'oppression » utilisent seulement lorsqu'elles les arrangent.

Depuis la loi Gayssot, les lois mémorielles et autres lois bien intentionnées, comme l'interdiction de statistiques ethniques, témoignent des incohérences et de l'arbitraire entourant la liberté d'expression, alors que, par ailleurs, des artistes et des libéraux réclament la liberté de moquer sans limite toutes les religions.

André Larané
L'affaire Pétré-Grenouilleau

L'historien érudit Olivier Pétré-Grenouilleau, spécialiste de l'esclavage et auteur d'une savante étude sur le sujet, est poursuivi en justice pour avoir rappelé dans Le Journal du Dimanche, le 12 juin 2005, que l'esclavage est « un phénomène qui s'est étendu sur treize siècles et cinq continents » et que « les traites négrières ne sont pas des génocides » car « la traite n'avait pas pour but d'exterminer un peuple ».

Trois associations dont un Collectif des fils et filles d'Africains déportés ont porté plainte contre l'universitaire pour « apologie de crime contre l'humanité » et « diffamation publique raciale ». La loi Taubira autorise en effet les associations qui « défendent la mémoire des esclaves et l'honneur de leurs descendants » à déclencher l'action publique. Une autre association, le Collectif des Antillais, Guyanais et Réunionais, a entamé une procédure civile et réclamé à l'historien des dommages et intérêts (avant d'y renoncer).

Publié ou mis à jour le : 2020-06-18 23:40:11
Nicolas Gouyé (29-07-2007 22:27:38)

Félicitations M. Larané pour cet article lucide et courageux. Il est réconfortant de constater que des professionnels refusent de penser "au pas".

H. RICHARD (24-10-2006 11:27:22)

Quand un gouvernement écrit l'histoire avec des lois, on ne peut plus parler de démocratie. Car, quand la liberté de pensée n'existe plus, il n'y a plus de dialogue possible, on est en pleine dict... Lire la suite

Jean-Claude Hubi (11-06-2006 20:42:35)

Enfin les esprits encore libres sortent de l'ombre ! Après quelques années de silence gêné, l'autorité des "politiquement corrects", qui rétablit sous des prétentions démocratiques ce qu'il y ... Lire la suite

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