Pirates et corsaires

Les précurseurs, de l’Antiquité au Moyen Âge (1/4)

L'Odyssée d'AstérixLa piraterie est née en même temps que la navigation et nous pouvons déjà affirmer avec certitude qu’elle fut pratiquée dès la plus haute Antiquité.

Il faut dire aussi que sa définition est assez large puisqu’il suffit d’un espace non sécurisé, par lequel transitent des richesses, sous les yeux d’acteurs disposant des moyens de s’en emparer, pour la voir apparaître. Ainsi les pirates agissent lorsque les circonstances s’y prêtent et s’effacent lorsqu’ils se heurtent à des forces de sécurité efficaces… pour réapparaître dès que le contexte s’y prête à nouveau.

Navire de commerce phénicien, sur un bas-relief du IIe siècle av. J.-C. retrouvé à Sidon. Musée National de Beyrouth.

Pirate, une profession parmi d’autres

Le mot « pirate » vient du latin pirata, emprunté au grec πειρατής (peiratês) dérivé du verbe πειράω (peiráō) signifiant « essayer », « tenter sa chance », dans le sens de « tenter la fortune sur mer ».

À l’origine, les sociétés antiques considéraient le pillage et le trafic des esclaves comme un acte tout à fait légitime, et massacrer ou asservir ses ennemis était simplement perçu comme une opération glorieuse et fructueuse. D’ailleurs, l’historien Thucydide nous fournit d’abondantes preuves que les Grecs se livraient à la piraterie aussi bien que les « barbares ».

Cette pratique n’était alors ni méprisable, ni criminelle, c’était une profession avouée, et des siècles s’écoulèrent avant qu’elle ne soit considérée comme immorale par les jurisconsultes. Ce moment charnière peut être situé lorsque Cicéron dans son De officiis, (« Traité des Devoirs ») définit le pirate comme l’« ennemi de tous » (communis hostis omnium). Dès lors l'obligation de tenir parole et d'honorer ses serments ne s'applique plus au cas où l'on aurait affaire à lui, car il ne mérite pas d’être considéré comme un ennemi légitime.

C’est donc dans le monde grec hellénistique et dans l’univers juridique de la Rome républicaine, que la piraterie fut définie par la saisie du bien d’autrui, sans droit, ni indemnisation, au terme d’une action violente. Plus tard au XVIIIe siècle, le Parlement anglais émit une série de dispositions pour supprimer la piraterie dans l’océan Indien et notamment avec le Navigation Act dans lequel apparut l’expression hostis humani generis : littéralement « ennemi du genre humain » pour qualifier le pirate qui se retrouva plus que jamais banni de la société et considéré comme le pire des criminels.

Comme nous le verrons plus loin, la piraterie prit des formes variées en fonction des époques et des espaces géographiques, néanmoins nous pouvons dès à présent différencier « pirates » et « corsaires ».

Le corsaire, (dérivé de l’espagnol corsear, qui vient lui-même du latin cursus : la course) est celui qui pratique la « guerre de course », c’est-à-dire qui reçoit de son souverain une lettre de marque, ou commission l’autorisant à « courir sus » les navires de commerce ennemis.

Le corsaire n’est donc pas un hors la loi contrairement au pirate, et grâce à cette lettre de marque, il échappe au sort promis à ce dernier dans le cas où il serait arrêté, c’est-à-dire la pendaison sans jugement. Enfin, le corsaire doit verser à l’État pour lequel il travaille, une partie de la valeur de ses prises estimée par un tribunal. Cette pratique apparut au Moyen Àge (XIIIe siècle) lors de conflits armés entre nations ou cités rivales.

Comme nous le verrons, la course pouvait devenir un véritable acte patriotique, et de nombreux corsaires entrèrent dans la marine royale à l’instar du célèbre Jean Bart (1650-1702) ou encore de René Duguay-Trouin (1673-1736) qui furent tous deux anoblis par Louis XIV ; d’autres comme Robert Surcouf (1773-1827), furent des capitaines marchands. Ainsi leur statut variait en fonction des aléas de la politique internationale : un corsaire pouvait redevenir simple pirate si un État n’avait plus besoin de ses services, et un pirate pouvait devenir corsaire lorsqu’une guerre internationale était à nouveau déclarée.

La piraterie dans les textes antiques

Les plus anciennes attaques pirates qui purent être identifiées remontent à cinq mille ans avant J.-C. dans l’océan Indien avec les premières navigations hindoues, chinoises et malaises, mais aussi dans le golfe Persique sur la route où transitaient les marchandises venues d’Inde en direction du Moyen-Orient via le détroit d’Ormuz.

Des inscriptions sur les monuments de Ninive, de Babylone et de l’Égypte nous parlent ainsi de la « côte des pirates » dans l’actuelle région des émirats, véritables repaires infestés de brigands qui perturbaient le commerce maritime.

Debout, un Ramsès III vengeur frappe des membres des Peuples de la mer faits prisonniers sur un relief du 12e siècle avant J.-C. à Medinet Habu, en Égypte.

Dans l’Égypte antique : les « Peuples de la mer »

De nombreux actes de pirateries furent recensés dans toute la Méditerranée orientale et tout d’abord dans l’Égypte antique.

Des textes royaux remontant au règne de Thoutmosis III (ca. 1479-1425 av. J.-C.) mais également des inscriptions datant des règnes de Mérenptah et de Ramsès III, (fin du XIIIe et début du XIIe siècle), nous disent explicitement que les Égyptiens de l'Antiquité qui vivaient dans la région du delta du Nil subirent à deux reprises des attaques provenant de populations « venues des îles qui sont au milieu de la mer ».

Il s’agirait en fait de différents groupes de populations dont les Louka (Lyciens ?) qui, un siècle plus tard, sous le règne d’Akhenaton (ca. 1350-1334 av. J.-C.), se livrèrent à des actes de piraterie le long des côtes égyptiennes et chypriotes. On a aussi pu identifier les Shardanes, les Shekeleshs et les Pelesets (Philistins ?), ces derniers étant plus connus puisqu’ils s’installèrent durablement au Proche-Orient et sont souvent évoqués dans la Bible, en tant qu’ennemis mortels des Israélites.

Au XIXe siècle, l’égyptologue français Gaston Maspero utilisa l’expression « peuples de la mer » pour désigner l’ensemble de ces populations qui, sans doute poussées par des aléas climatiques et historiques, se lancèrent sur la mer pour trouver ailleurs les ressources qui leur faisait défaut.

Les « peuples de la mer » jouèrent probablement un rôle dans la chute des royaumes qui dominaient le Moyen-Orient et l'Est méditerranéen - notamment ceux dominés par l’Empire hittite - à la fin de l'Âge du bronze récent. Mais l’analyse de ce phénomène historique reste difficile car les frontières entre activités de pirate, de commerçant et de mercenaire sont loin d’être bien définies pour décrire le comportement de ces peuples.

La piraterie dans la mythologie et chez les auteurs grecs

S’il est certain qu’il ne faut pas confondre Mythologie et Histoire, il n’est pas non plus sans intérêt d’évoquer certains récits qui bien souvent expriment les préoccupations et les modes de pensée de l’époque.

Représentation du mythe de Dionysos enlevé par les pirates tyrrhéniens.Concernant la mythologie grecque, comment ne pas citer la mésaventure que connut Dionysos (Bacchus chez les Romains), dieu de la vigne et du vin, mais aussi de la démesure et du théâtre, qui un jour fut capturé par des pirates tyrrhéniens (ou étrusques). Ces derniers ne se doutaient pas qu’ils s’attaquaient à un dieu. Dionysos, plein de rage, se métamorphosa en un lion rugissant et les poussa à se jeter à l’eau, de sorte qu’il put les transformer à leur tour en dauphins !

La piraterie tient également une place importante dans les textes des auteurs de la Grèce antique. Homère évoque le « pirate » dans l’Iliade et l’Odyssée, des textes qui remontent sans doute au VIIIe siècle av. J.-C., lorsque piraterie, commerce et navigation allaient encore ensemble.

Dans plusieurs passages, on peut lire que les populations qui habitaient sur les côtes avaient l’habitude de demander ingénument aux voyageurs inconnus : « Étrangers, qui êtes-vous ? D’où venez-vous à travers les routes de la mer ? Voyagez-vous à des fins de commerce, ou errez-vous à l’aventure comme des pirates, risquant corps et âmes, porteurs de malheurs pour les autres peuples ? »

Dans cette question quasi-rituelle qui revient plusieurs fois dans l’œuvre d’Homère, notamment dans le Chant III consacré à Télémaque et dans le Chant IX où l’on voit Ulysse aux prises avec le Cyclope, on retrouve le mot « lèistères », nominatif pluriel désignant à proprement parler « des professionnels du butin », des personnes vouées au piratage en tant que récolte de butin (lèis - lèitidos).

C’est sans doute dans cette œuvre qu’apparaît pour la première fois le terme de « pirate », comme nous l’entendons aujourd’hui.

Mais laissons là les mythes et les récits, et concentrons-nous sur ce que nous disent les historiens de ce temps. Si on ouvre Hérodote, historien grec du Ve siècle av. J.-C., nous voyons que son premier livre commence par le récit d’enlèvements ainsi que d’exploits de piraterie commis contre des femmes par des Phéniciens. Et en effet on ne peut évoquer la piraterie dans l’Antiquité sans évoquer les Phéniciens, bien que très peu de sources provenant de Phénicie nous soient parvenues.

Ce sont les textes grecs qui nous en disent le plus, dans lesquels ils sont évoqués à titre de clichés, comme des marchands et des pirates, dans la droite ligne de la tradition homérique dans laquelle les Phéniciens sont des colporteurs malhonnêtes, n’hésitant pas à grossir leur cargaison de femmes et d’enfants enlevés pour être revendus.

À partir du IIe millénaire avant J.-C., les Phéniciens de Byblos, de Tyr et de Sidon (actuel Liban) devinrent les maîtres du trafic en Méditerranée. Ces navigateurs audacieux bénéficièrent des vastes forêts de cèdres pour construire de solides voiliers. Ils développèrent leurs réseaux commerciaux sur les rives de la Méditerranée et fondèrent des cités à Chypre, en Sicile, en Sardaigne, en Corse, sur la péninsule ibérique, en Grèce et en Afrique du Nord. Tout en commerçant normalement avec les ports égyptiens, ils furent aussi de redoutables pirates et pourvurent les grands marchés d’esclaves sur l’île de Délos en mer Égée, ou bien en Asie mineure (actuelle Turquie).

La piraterie grecque

Selon Montesquieu, « les premiers Grecs étaient tous pirates » (Esprit des Lois, XXI, 7) et effectivement, la situation physique de la Grèce se prête admirablement à la piraterie ; ses côtes et ses nombreuses îles cachaient mille embuscades et repaires de brigands des mers.

D’après Hérodote, le tyran de Samos Polycrate (né en 574 et mort en 522 av. J.-C.), représentait alors le prince-pirate par excellence. Il avait à sa disposition une flotte de corsaires qui lui permettait d’imposer un tribut aux cités de la côte ionienne en Asie mineure. Grâce à son armée, il pillait les îles de la mer Egée qui lui résistaient et réduisait notamment en esclavage les populations de Lesbos et de Milet.

À partir du VIe siècle av. J.-C., de grandes villes côtières telles que Corinthe, Égine ou Athènes affirmèrent leur vocation commerciale et voulurent s’armer contre les pirates qui menaçaient leurs intérêts. Dès lors, les cités grecques se créèrent de puissantes marines pour protéger leurs commerces mais ne se gênèrent pas non plus, quand l’occasion se présentait, pour pratiquer la piraterie. Le port du Pirée à Athènes était alors un marché d’esclaves renommé.

Ainsi l’empire de la mer dans l’Antiquité consistait, pour Athènes même, la ville civilisée par excellence, à exercer la piraterie et à faire des courses sans crainte de représailles.

Suite à la guerre du Péloponnèse (431-404 av. J.-C.), la puissance d’Athènes s’affaiblit et la piraterie explosa dans la Méditerranée. Des « États piratiques » firent trembler les cités les plus riches et organisées, et des forbans vinrent même piller le Pirée sans rencontrer de résistance. Ils évitaient tout de même les navires carthaginois qui étaient les seuls à pouvoir encore protéger les routes commerciales.

Finalement, à partir du IVe siècle av. J.-C., les cités grecques se résolurent à passer des accords de protection avec des confédérations de pirates, notamment avec la Ligue étolienne, mais aussi avec les Crétois, autres éminents spécialistes de ce genre d’activité.

L’Étolie était une région montagneuse de la Grèce centrale dont les populations étaient réputées très primitives mais les Etoliens se réveillèrent jusqu’à devenir une puissance politique de poids. En -370, ils créèrent la Ligue étolienne pour s'opposer à la Macédoine et à la Ligue achéenne, et pratiquèrent la piraterie à tel point qu’elle devint très vite une « industrie d’État » selon certains historiens.

Vers 260 av. J.-C., on vit diverses cités grecques conclure des accords d'asylie avec cette confédération pour échapper à la piraterie et pour protéger les transactions commerciales de leurs citoyens.

Quant aux Crétois, il semble qu’ils aient pratiqué la piraterie dès l’époque archaïque si l’on en croit l’épopée homérique. D’après l’historien grec Polybe : « Les Crétois eux, sur terre et sur mer, sont irrésistibles quand il s’agit d’embuscades, de brigandages, de vols de biens ennemis, d’attaques nocturnes et de tous ces petits coups de main isolés où s’exerce la ruse (…) ». En effet, au cours du IIIe et IIe siècle av. J.-C., les Crétois se sont alliés avec tous les autres pirates qui fréquentaient la mer intérieure. Un décret athénien datant de -217/-216 expose même une alliance avec les Étoliens qui pouvaient se servir de l’île de Crête comme dépôt de captifs.

Alexandre le Grand face aux pirates

Après sa victoire face au Perse Darius III en 333 av. J.-C. et la ruine de Tyr, la grande ville phénicienne, Alexandre le Grand voulut rétablir la sécurité sur la Méditerranée. Il chargea ses amiraux de nettoyer la mer et d’imposer sa domination dans les îles, puis créa la première véritable coalition internationale contre la piraterie, à laquelle ses alliés devaient contribuer.

Partout les pirates furent traqués, pris et envoyés au supplice. Un jour, le plus célèbre d’entre eux, nommé Diomedés (ou Dionides), fut capturé et amené devant Alexandre pour être condamné. D’après Cicéron (De Republica ; Livre III), « Alexandre demanda au pirate par quel attentat il osait infester la mer avec un misérable brigantin. Par le même droit, dit-il, qui vous fait ravager le monde ». Devant sa répartie, non seulement Alexandre le Grand grâcia le corsaire mais décida encore de faire sa fortune.

La piraterie à l’époque romaine

Rome s’imposa à son tour sur la Méditerranée par ses conquêtes et subit aussi la piraterie au point d’en être menacée.

Sous la République romaine

Au IIIe siècle av. J.-C., l’un des foyers les plus actifs de la piraterie était en Illyrie (actuelle Dalmatie), sur la côte parsemée d’îles de l’Adriatique. Les Romains se construisirent une flotte et déclarèrent la guerre au royaume d’Illyrie en 229 av. J.-C. suite à un incident diplomatique avec la reine Teuta. En effet, cette dernière abritait dans ses îles, les pirates qui pillaient les marchands romains. Les trières romaines coulèrent les bateaux de la reine des pirates et l’Illyrie devint une province romaine. Néanmoins, ces efforts n’empêcheront pas à la piraterie de perdurer dans les innombrables repaires de la côte dalmate.

Au moment des guerres puniques, Rome dut se créer une nouvelle flotte pour lutter contre Carthage. Cette ancienne colonie phénicienne était devenue la plus grande puissance maritime de la Méditerranée et pouvait assurer une certaine sécurité sur les routes commerciales. Par conséquent, sa destruction en 146 av. J.-C. permit à la piraterie de se développer en Méditerranée au point qu’elle finit par préoccuper le peuple romain plus vivement même que les guerres civiles et étrangères.

César, otage des pirates de Cilicie

De l’autre côté de la Méditerranée, sur la côte méridionale de l’Asie mineure, la Cilicie était devenue un véritable « État piratique », et les brigands des mers y détenaient de nombreux repaires. Depuis leurs montagnes, ils contrôlaient la mer jusqu’à Chypre et constituaient une menace sur la route des céréales entre l’Égypte et l’Italie. Ils devenaient si difficiles à capturer que les Romains n’eurent pas d’autres choix, pour un temps, que de les tolérer ; de sorte que, la République romaine ruinée pouvait leur acheter des esclaves bons marché indispensables à ses industries agricoles et minières.

Mais la tolérance de Rome prit fin en 75-74 av. J.-C. lorsqu'un groupe de pirates ciliciens enleva le jeune Jules César qui venait d’être proscrit de Rome pour avoir soutenu Marius dans sa lutte contre le dictateur Sylla. Beaucoup de familles étaient victime de ce fléau, et les plus grands citoyens tombaient honteusement entre les mains des pirates. L'historien Plutarque décrit la réaction blasée de César à sa captivité de 38 jours sur l'île de Farmakonisi : il participait à leurs jeux, leur lisait à haute voix ses discours et menaçait en riant de les tuer tous. « Les pirates en étaient ravis », écrit Plutarque, « et attribuaient l'audace de son discours à une certaine simplicité et à une joie enfantine. » De fait, les Ciliciens avaient sous-estimé leur captif.

La vengeance de Jules César fut terrible. Une fois la rançon payée, il fut conduit à Milet où il obtint cinq galères et cinq cents soldats. Il pourchassa et emprisonna ses ravisseurs puis récupéra sa rançon. Un peu plus tard, « il fit sortir les pirates de prison et les fit tous crucifier, comme il leur avait souvent dit qu'il le ferait quand il était sur l'île sur le ton de la plaisanterie. »

L’extraordinaire campagne de Pompée

En 67 av. J.-C., les Ciliciens, alliés au roi du Pont Mithridate VI (adversaire implacable des Romains) lancèrent un raid sur Ostie, la ville portuaire de Rome. Les pirates capturèrent même l’amiral de la flotte romaine ce qui persuada enfin le Sénat de prendre d’énergiques mesures pour rompre la coalition des brigands.

Denier à l'effigie de Pompée. Date  c. 49-48 av. J.-C.. Description avers  tête de Numa Pompilius à droite, ceinte d?un bandeau inscrit. Description revers  proue de galère à droite : Magnus ProconsulLe Sénat vota la loi Gabinia qui accorda à Cnaeus Pompée, le rival de César, un immense pouvoir pour organiser la répression. Pompée fit construire 300 navires légers dont il prit le commandement. Il appareilla avec 120 000 marins et soldats avec pour mission de nettoyer la Méditerranée.

En quarante jours les vingt escadres de l’armée navale détruisirent 120 repaires et 850 navires de pirates. Traqué, le roi Mithridate ne voulut pas tomber aux mains de ses ennemis et préféra ordonner à l’un de ses soldats de le tuer. La victoire de Pompée assura pour un moment la domination de Rome en Méditerranée.

La piraterie et les invasions barbares

Au début de notre ère, la quasi-totalité du littoral méditerranéen était sous le contrôle direct de Rome qui pouvait dès lors assurer la pax romana. Mais à partir du Ve siècle, la chute de l’empire romain marqua un renouveau des activités de piraterie dans la Méditerranée.

Profitant des troubles résultant de l’anarchie qui ébranlait alors la puissance romaine dans toute l’étendue de son empire, les pirates commirent de grands ravages et continuèrent leurs méfaits jusqu’à l’émergence des marines arabes et européennes au début de la période médiévale. Parmi ces pirates se trouvaient notamment les Vandales qui semèrent la terreur sur tous les rivages et pillèrent les navires de commerce avant de s'installer en Afrique du Nord où ils furent massacrés par les armées romaines d'Orient en 533-534.

La piraterie au Moyen Âge

Les Vikings (VIIIe siècle – XIe siècle)

Les raids vikings font partie des actes de piraterie qui ont le plus frappé les imaginaires collectifs des hommes du temps comme de nos contemporains.

Mais les Vikings, comme la plupart des autres peuples qui ont pratiqué la piraterie, furent avant tout des commerçants remarquablement équipés pour cette activité, que la conjoncture a amené à se transformer en pillard ou en guerrier, là où c’était possible, lorsque c’était praticable.

En réalité seuls les chefs vikings les plus riches et les plus prestigieux pouvaient se permettre de financer des expéditions, de recruter un équipage ou même de construire des bateaux.

Attaque viking, peinture de 1100 provenant de l'abbaye Saint-Aubin.

Que ce soit en tant que pirates, explorateurs, guerriers, marchands ou constructeurs de navires chevronnés, les Vikings avaient toujours comme principale motivation l’acquisition des richesses. En effet, le Viking était quelqu’un d’appliqué à afla sér fjár (« acquérir des richesses ») que ce soit sous formes de pillage, de tribut ou bien de commerce alimenté par le butin et les esclaves razziés.

Leurs premiers assauts sur les rivages de la mer du Nord au VIIIe siècle coïncident en fait avec une ouverture du monde scandinave dont les sociétés connaissent à cette époque de profondes transformations. Les premiers raids attestés en Occident touchèrent les îles Britanniques, en Angleterre (Portland, 787/789 ; Lindisfarne, 793), en Écosse et en Irlande, puis bientôt le royaume franc.

Ces assauts furent d’abord menés par quelques navires qui s’attaquaient à des objectifs côtiers, monastères ou lieux d’échanges, le temps d’une expédition de pillage. Puis les attaques prirent de l’ampleur à partir des années 830 lorsque les vikings n’hésitèrent plus à remonter les fleuves et à hiverner sur place comme ils le firent en Irlande, peut-être à Noirmoutier (843), puis en Angleterre (Thanet, 850) et dans la vallée de la Seine (851). Leurs raids atteignirent même la péninsule ibérique, la Camargue et l’Italie (859-860).

Les Danois sur le point d'envahir l'Angleterre. Illustration d'Alexis Master, in Abbon de Fleury, Passio Sancti Edmundi, Regis Orientalium Anglorum et Martyris, vers 1130.Au milieu du IXe siècle, les Vikings commencèrent à s’installer durablement dans les archipels écossais et en Irlande (royaume de Dublin). À partir de 865, l’Angleterre subit les assauts de « la grande armée danoise » qui provoqua la disparition de trois royaumes anglo-saxons, (comme nous le verrons plus loin, l’occupation viking sema de vigoureux germes de piraterie sur les côtes anglaises).

Enfin, des raids très importants sur le royaume des Francs surtout en 880-892 aboutirent à la mise en place de fondations politiques durables comme la Normandie, par le traité de Saint-Clair-sur-Epte en 911. Il ne faut pas non plus oublier les raids des Varègues (vikings suédois) à l’est de l’Europe qui fondèrent et gouvernèrent l’État médiéval de Novgorod, à l’origine de la Russie moderne, et touchèrent Constantinople en 860.

À chaque fois, la mobilité et la surprise jouaient en faveur des assaillants ; les Vikings étaient bien renseignés sur les occasions qui se présentaient à eux et savaient utiliser la frayeur qu’ils inspiraient pour démoraliser leurs adversaires. Les eaux scandinaves ne furent d’ailleurs pas épargnées par ces actes de piraterie ; assurer la sécurité maritime devint l’un des défis à relever pour les rois des royaumes naissants de la Scandinavie.

De son côté, en 800, Charlemagne fit une grande tournée sur les côtes septentrionales du monde franc et ordonna la construction d’une flotte contre les pirates qu’il inspecta en 811 à Gand et à Boulogne. Les rois francs firent construire par la suite des ponts fortifiés (Pîtres, dans la vallée de la Seine, ou encore les Ponts-de-Cé près d’Angers), destinés à entraver la progression des flottes vikings sur les grands fleuves, tandis que les principaux monastères recevaient des fortifications.

Les Narentins en mer Adriatique (IXe au XIe siècle)

Le doge Pierre Urseolo II et son fils Otton Urseolo (Domenico Tintoretto, 1570's, collection du Palais des Doges)Les Narentins étaient une tribu slave méridionale basée au sud de la Dalmatie autour de la rivière Neretva (Narenta ou Pagania) et qu’on retrouve sous le nom de « Paganoi » dans les sources grecques. En effet les Narentins étaient encore païens quand les peuples alentours étaient déjà christianisés.

Ils furent les ennemis les plus constants de la « Sérénissime » République de Venise dont ils attaquaient les navires marchands et les membres du clergé qui passaient sur la mer Adriatique. En 928, les musulmans de Sicile recrutèrent ces pirates pour piller la Calabre, la Sardaigne et la Corse. Ils s’étaient rendus si redoutables que Venise s’était engagée à leur payer un tribut annuel.

Le 9 mai de l’an 1000, le doge Pierre Urseolo II décida de mettre un terme à cet état de chose et construisit une puissante flotte dotée d’un armement considérable. Il prit d’abord possession de plusieurs villes qui sollicitèrent la faveur d’être adoptées par la République, et dont il reçut le serment. Puis il alla assiéger Lesina, place forte dont les Narentins avaient fait leur repaire. La victoire d’Urseolo mit fin à la lutte qui durait depuis plus de 150 ans entre les pirates et Venise, et procura à la république deux belles provinces : l’Istrie et la Dalmatie. Les Narentins disparaissent des sources au XIe siècle.

La fin d'Eustache le moine à la bataille de Sandwich en 1217.

Eustache le moine (1170-1217)

Au début du XIIIe siècle, un pirate originaire de Boulogne-sur-Mer, surnommé Eustache le moine ou Le Moine Noir (1170-1217), se trouva mêlé au conflit qui opposa le roi de France Philippe Auguste à l’Angleterre des Plantagenêts.

Eustache le Moine était un personnage hors du commun et devint même après sa mort, un héros de la littérature médiévale puisqu’un trouvère anonyme rédigea un Roman d’Eustache le moine, une œuvre qui participa beaucoup à construire sa légende.

Né dans une famille noble du comté de Boulogne, Eustache se fit moine bénédictin mais se défroqua vers 1190 pour venger son père qui venait d’être assassiné. Selon le Roman, il serait parti en Espagne encore en partie musulmane, pour y apprendre la magie, ce qui participa beaucoup à la terreur qu’il inspira par la suite. À son retour en 1203, il réclama justice pour son père auprès du comte de Boulogne Renaud de Dammartin mais perdit son procès et décida de rompre avec ce dernier pour s’adonner au brigandage et à la piraterie.

Ses titres et ses terres ayant été confisqués, il alla se réfugier avec plusieurs compagnons qui lui étaient dévoués dans quelques îles de la Manche, en particulier sur l’île de Sercq. De 1205 à 1212, Eustache offrit ses services au roi d’Angleterre Jean sans Terre et devint amiral. Dès lors, il sema la terreur jusqu’en mer du Nord et envoya au fond un grand nombre de navires français jusqu’au jour où son ennemi le comte de Boulogne prêta hommage au roi anglais. Alors, sans scrupule, il passa au service de la France. On le vit en 1215, tentant de prendre Douvres à l’aide d’un château fort flottant hérissé de trébuchets et autres engins de guerre, qu’il avait fait construire et qui impressionna beaucoup le camp ennemi.

En 1217, lorsque le fils de Philippe Auguste tenta d’envahir l’Angleterre, c’est Eustache encore qui mena les opérations. Mais le 24 août, avec dix nefs de guerre sous ses ordres, il rencontra la flotte plus nombreuse du tout jeune roi Henri III, et fut défait au large de Sandwich, à la bataille de South Foreland. Vaincu et capturé, Eustache le moine fut décapité par les Anglais qui le connaissaient bien et sa tête fut longtemps exposée sur la place principale de Cantorbéry.

Miniature du XIVe siècle représentant Philippe Auguste attendant sa flotte. Extrait des Chroniques de France ou de St Denis.

Les Frères des victuailles ou Vitaliens (fin XIVe – début XVe)

À la fin du XIVe siècle, le duc de Mecklembourg et Marguerite Ire de Danemark se disputaient le trône de Suède. Or, le Danemark allié à la Hanse avait infligé plusieurs échecs aux prétentions du duc sur les États scandinaves. Celui-ci, pour se venger fit appel à un groupe de corsaires : les Vitaliens (Vitalienbrüder en allemand) ou Frères des victuailles. Ces marins indépendants eurent pour principale mission d’alimenter la ville de Stockholm assiégée par la reine (1389-1392). Ils formèrent une sorte de fraternité ou guilde qui bénéficiait de lettres de marque de la part du duc de Mecklembourg.

À partir de 1392, les Vitaliens avaient déjà attirés des hommes de toute l’Europe et étaient devenus une forte puissance. Ils avaient des ports sûrs dans les villes de Rostock, Ribnitz, Wismar et Stralsund et s’adonnèrent de plus en plus à des activités de pillage et de piraterie le long des côtes.

En 1395, lorsque la paix fut signée entre le Danemark et le Mecklembourg, le groupe de corsaires fut démobilisé et devint une véritable confrérie de pirates. Dès lors, les Frères des victuailles se mirent à piller les navires de la Hanse et devinrent nuisibles à l’ensemble du commerce de la mer Baltique et de la mer du Nord.

Depuis 1394, ils occupaient l’île de Götland dont ils avaient fait leur base opérationnelle, et s'y étaient établis en tant que flibustiers sous la devise « Amis de Dieu, ennemis du monde entier ». Cependant, ils en furent chassés en 1398 par l’Ordre Teutonique et durent s’installer en mer du Nord où dès lors ils devinrent un fléau pour l’Angleterre. 

Un des nombreux capitaines de cette confrérie de pirates entra dans la légende et devint un symbole de résistance, de hardiesse, de détermination et d’aventures. Il s’agit du capitaine Klaus Störtebeker, dont le nom viendrait de l'expression « Stürz den Becher » (« déverse le gobelet »), le capitaine étant capable de boire un gobelet géant (4 litres) rempli de bière (ou de vin), en une seule gorgée. Il combattit aux côtés du roi de Suède contre le Danemark et son principal fait d’arme serait d’avoir réussi à rompre le blocus de Stockholm. Mais une fois de plus il est difficile de faire la part entre la légende et l’histoire.

Exécution publique de Frères de victuailles à Hambourg. Tract de 1701, lors du 300e anniversaire de l'exécution de Störtebekers.

Les successeurs des Frères des victuailles s’étaient donné le nom de Likedeelers c’est-à-dire « participants égaux », car ils partageaient le butin de leurs rapines avec la population pauvre du littoral. En 1401, la Ville libre de Hambourg, avec l’aide de marins anglais, se chargea de les capturer. Après une bataille de trois jours, le capitaine Störtebeker et son équipage furent défaits et le chef pirate décapité.

Mais ce ne fut pas la fin pour les Likedeelers car en 1429, quelque vingt-huit ans après l'exécution de Störtebeker, d'autres membres des Frères des victuailles attaquèrent et pillèrent la ville de Bergen en Norvège. Il faudra attendre jusqu’aux années 1440 pour que le commerce dans la mer du Nord et la mer Baltique ne soit plus menacé par les attaques de la confrérie.

Avec le contournement de l’Afrique par les marins portugais et surtout la conquête de l’Amérique par les Espagnols, les grands courants commerciaux allaient bientôt se déplacer vers l’océan Indien et surtout l’océan Atlantique. Ils allaient susciter un renouveau de la piraterie et lui donner une dimension quasi-épique.

Matthias Mauvais

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Publié ou mis à jour le : 2023-03-27 15:58:34

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