Esclavage et traite des êtres humains

L'esclavage en Afrique des origines au XXe siècle

L'Afrique noire ou subsaharienne a connu l'esclavage dès les temps anciens, comme toutes les autres régions du monde. Cet esclavage traditionnel a pris une dimension d'autant plus importante que l'Afrique noire a ignoré la propriété foncière jusqu'à l'ère contemporaine.

L'esclavage traditionnel

Dans l'Afrique ancienne, les hommes étant rares et la terre disponible en abondance, l'enrichissement et l'élévation sociale dépendaient de la possibilité de cultiver un maximum de surface. D'où l'intérêt pour les chefs de famille de disposer d'une main-d'oeuvre nombreuse. Plus un homme possédait d'esclaves et de femmes, plus il pouvait cultiver de terres et plus il était riche... et plus il était riche, plus il était en situation d'accroître son cheptel de femmes et d'esclaves.

Il s'ensuit que, bien avant l'irruption des trafiquants arabes, l'esclavage était déjà un élément structurel des sociétés africaines, du moins dans les régions de savanes et de pâturages situées au nord de l'Équateur, terres d'élection des premiers royaumes africains. « Pour autant que la notion de la propriété de la terre n'existait pas, les hommes et les femmes constituaient la seule source de richesse. Leur capture et leur commerce, par la guerre ou autrement, animaient les conflits entre les royaumes », rappelle l'historien Marc Ferro (note)...

Pour les raisons susdites, l'esclavage allait de pair avec la polygamie et le statut des femmes n'était guère différent de celui des esclaves. À leur entrée dans l'âge nubile, les adolescentes étaient vendues par leur propre père à leur futur maître et époux. Elles vouaient le restant de leur vie à rembourser celui-ci de son investissement par leur travail et leurs prestations sexuelles.

Il semble cependant que l'esclavage ainsi que la polygamie n'ont pas eu le temps de s'établir au sud de l'Équateur, où la colonisation par les populations noires bantouphones remonte seulement au Ier ou au IIe millénaire de notre ère.

Jacques Grasset de Saint-Sauveur, Négresse de Qualité de l'Isle St. Louis dans le Sénégal. Accompagnée de son Esclave, vers 1797.D'après les récits des premiers voyageurs occidentaux qui ont visité l'Afrique sahélienne, comme l'Écossais Mungo Park (1771-1805), on estime qu'un quart des hommes de ces régions avaient un statut d'esclave ou de travailleur forcé. C'étaient des prisonniers de guerre ou des prisonniers pour dettes, ou encore des descendants d'esclaves (« captifs de case »).

Leur sort n'avait toutefois rien de commun avec celui des esclaves noirs employés dans le monde musulman ou sur les plantations américaines. Les « captifs de case » étaient généralement intégrés au cercle familial et traités comme des domestiques ou des cousins. Ils pouvaient éventuellement servir comme guerriers. Les témoignages de voyageurs ne font pas état de sévices et de maltraitance particulière à leur égard et, au temps de la colonisation, beaucoup d'Européens, tels Faidherbe ou Gallieni, répugnèrent à détruire cette forme de servitude avec le système social qui la soutenait.

Ainsi que le note l'anthropologue Tidiane N'Diaye, ces formes d'esclavage ne débouchaient pas sur des déportations massives, meurtrières, mutilantes et traumatisantes. Elles étaient acceptées avec résignation par les populations et intégrées à leur mode d'existence (note). Mais elles les ont préparées à la traite orientale (arabo-musulmane) ou à la traite occidentale (européenne), avec l'exil forcé de quelques dizaines de millions d'hommes et de femmes vers le monde musulman ou le monde américain.

La traite arabe à l'origine de la malédiction africaine

Dès les premiers temps de l'islam, des caravaniers arabes puisèrent de nombreux esclaves au Soudan (d'après une expression arabe qui désigne le « pays des noirs ») en vue de les castrer et les revendre au Moyen-Orient ou en Afrique du Nord.

Marché d'esclaves en Afrique orientaleDes chefs noirs se mirent à leur service. Ils lancèrent des guerres contre leurs voisins et revendirent les prisonniers aux marchands musulmans. Il s'ensuivit un trafic de 5 000 à 10 000 esclaves par an en direction des pays musulmans.

En témoignage de ce trafic, le mot arabe abid qui désigne un serviteur ou un esclave, est devenu synonyme de noir et très tôt, des théologiens et penseurs arabo-musulmans entreprirent de justifier l'esclavage en ravalant les noirs d'Afrique à un statut d'inférieur.

Aux Temps modernes, des musulmans de confession chiite (dico) en provenance du golfe Persique s'établissent dans un archipel de l'Océan indien proche du littoral africain et dénommé Zanzibar (de Zenj et bahr, deux mots arabes qui signifient « littoral des noirs »).

En 1832, le sultan de Mascate-et-Oman établit sa capitale sur l'archipel et introduit la culture du clou de girofle. Cette culture nécessite nécessite l'importation de nombreux esclaves noirs arrachés au continent. Dans les plantations de girofliers, les conditions de travail sont épouvantables : « La mortalité était très élevée, ce qui signifie que 15 à 20% des esclaves de Zanzibar (soit entre 9 000 et 12 000 individus) devaient être remplacés chaque année », écrit Catherine Coquery-Vidrovitch (note).

Très vite, Zanzibar devient aussi un important marché d'exportation d'esclaves à destination du Golfe. Les comptes précis tenus par l'administration du sultan ont permis d'évaluer à plus de 700 000 le nombre d'esclaves qui ont transité par l'île entre 1830 et 1872. Aujourd'hui encore, en ce début du XXIe siècle, les habitants noirs de Zanzibar conservent un statut de quasi-esclave.

Esclaves en Afrique orientale à la fin du XIXe siècle

La traite atlantique et ses incidences démographiques

La traite atlantique pratiquée par les Europées de la fin du XVIe siècle au début du XIXe siècle a peu à voir avec la précédente.

Jusqu'au XIXe siècle, pratiquement aucun Européen n'a jamais pénétré à l'intérieur du continent africain en raison des risques de fièvres et d'agressions. Aussi les capitaines de navires qui désiraient commercer avec les Africains devaient-ils attendre sur le littoral, dans des fortins de fortune, que ceux-ci veuillent bien leur proposer des marchandises. Les Africains offraient un peu d'or, de l'ivoire et surtout des esclaves, le plus souvent des captifs de case qui étaient nés dans la servitude et donc relativement dociles. En échange, ils attendaient des Européens des armes à feu, des bijoux et différents produits manufacturés. Ainsi la traite atlantique n'a-t-elle été rendue possible que grâce à la présence de trafiquants parmi les Africains eux-mêmes.

Elle culmina au XVIIIe siècle avec le développement des plantations de sucre, ainsi que de café, de tabac et de coton. Le pic du trafic est atteint en 1770 avec, cette année-là, environ 80 000 Africains transportés aux Amériques.  

Depuis le début de ce siècle-ci, les chercheurs anglo-saxons multiplent les études visant à évaluer le déficit démographique de l'Afrique subsaharienne consécutif à la traite atlantique. C'est ainsi qu'ils additionnent les effectifs embarqués à destination des Amériques aux victimes qui ont pu périr dans les guerres livrées par les traficants africains. Sur la base de cette hypothèse, ils estiment à plusieurs dizaines de millions les humains dont l'Afrique aurait été ainsi privée du XVe au XIXe siècles et y voient une cause majeure de son retard démographique et matériel sur l'Occident. Faute de sources documentées, ces estimations restent toutefois très discutables. Elles sont surtout en contradiction avec des données bien réelles...

À l'aube des Temps modernes, l'Afrique subsaharienne (20 millions de km2) était encore très peu peuplée avec environ 60 millions d'habitants (3 habitants/km2, soit vingt fois moins qu'en Europe). Cette population était clairsemée et se déplaçait peu du fait des obstacles naturels et de l'absence de monture (cheval). Dans ces conditions, on ne peut concevoir de grandes battues destinées à capturer des esclaves. Les captures ne pouvaient résulter que de coups de main très locaux par quelques chefs de bande.

Au demeurant, avec une espérance de vie moyenne d'à peu près 40 ans, on peut estimer dans l'Afrique ancienne le nombre de naissances annuelles autour d'un million et demi. Au plus fort de la traite, en 1770, le prélèvement de quatre-vingt mille âmes ne représentait guère que 5% de ce total... Rien à voir avec les drames récurrents qui frappaient l'Europe occidentale aux mêmes époques. Sur ces terres déjà densément peuplées, les guerres comme la guerre de Trente Ans ou la Fronde, ou encore les épidémies comme la peste ou la variole pouvaient emporter en quelques années le quart de la population.

Si la traite a pu porter préjudice au développement de l'Afrique, ce préjudice est sans commune mesure avec les préjudices dont l'Europe moderne a pâti du fait même d'une économie plus avancée et d'un peuplement beaucoup plus dense. 

Flagellation - ou chicotte - d'un travailleur forcé (Congo belge, début du XXe siècle)

De l'esclavage au travail forcé

Les colonisateurs européens ont mis fin à ces pratiques au début du XXe siècle, mais ils ont eux-mêmes introduit en Afrique le travail forcé, croyant de cette façon développer le continent. Dans l'État indépendant du Congo, en fait propriété personnelle du roi des Belges Léopold II, il a donné lieu à d'épouvantables abus à la fin du XIXe siècle, en raison de l'âpreté des colons spécialisés dans le commerce du caoutchouc et de l'ivoire.

Dans les colonies françaises, y compris dans les actuels départements et territoires d'outre-mer, le travail forcé n'a été aboli que le 11 avril 1946, à l'initiative du député Félix Houphouët-Boigny, plus tard président de la Côte-d'Ivoire.

L'Afrique indépendante a partout interdit l'esclavage mais celui-ci demeure présent sous diverses formes et tend à se renouveler sous l'effet des crises, des guerres et des inégalités croissantes. Des adolescentes continuent d'être vendues par leur géniteur soit à de vieux polygames (parfois installés en Europe), soit à des employeurs, et il arrive que des garçonnets le soient aussi, en vue du travail agricole ou domestique. 

Le souvenir de la traite musulmane demeure très vif au sud du Sahara où les noirs de la forêt, chrétiens ou animistes, gardent un vif ressentiment à l'encontre des nomades « blancs » de la savane. Ce ressentiment se traduit par des conflits sans fin à la lisière des deux régions, de la Mauritanie au Soudan en passant par le Mali, le Nigeria, la Centrafrique... 

Alban Dignat
Publié ou mis à jour le : 2024-09-13 19:17:54

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