Le dictionnaire de l'Histoire

Cham, malédiction de Cham

Le racisme à l'égard des noirs s'est développé à l'orée du Moyen Âge dans le monde arabo-musulman puis aux Amériques à partir du XVIIe siècle quand il s'est agi de justifier la traite négrière et l'esclavage et s'opposer aux abolitionnistes. Il s'est fondé sur l'interprétation biaisée d'un texte biblique, la malédiction de Cham. 

La Genèse, premier livre de la Bible, rapporte que Noé s'étant énivré, son troisième fils Cham se serait moqué de lui ; Noé aurait alors maudit Canaan, le plus jeune fils de Cham, en le vouant à devenir l'esclave de ses frères : « Maudit soit Canaan, qu'il soit le dernier des serviteurs de ses frères ! ». Le texte poursuit en décrivant comment Noé a réparti les nations de la Terre entre ses trois fils Sem, Japhet et Cham. Il ne fait à ce stade aucune allusion à la couleur de peau des uns et des autres. D'ailleurs, faut-il le préciser ? la Bible se montre plutôt flatteuse pour les noirs, par exemple dans le Cantique des Cantiques.

Le préjugé de couleur attaché à la malédiction de Cham va naître tardivement de l'exégèse d'un Père de l'Église (dico), Origène (182-254), d'après Catherine Coquery-Vidrovitch (Le Livre noir du colonialisme, Robert Laffont, 2003). Origène postule la noirceur spirituelle de Cham et fait des Éthiopiens (« hommes au visage brûlé ») ses descendants.

Mais jusqu'aux environs de l'An Mil, le propos d'Origène ne suscite pas d'intérêt particulier. « Ce sont les musulmans qui, les premiers, s'en sont servis afin de légitimer l'esclavage des Noirs. Il suffisait pour cela d'indiquer qu'ils descendaient directement de Cham », note Olivier Grenouilleau (Traites négrières, Gallimard 2004). L'idée est formulée par l'érudit arabe Al-Tabari au Xe siècle. Il suggère que la malédiction biblique eut pour effet d'entraîner le noircissement des descendants de Cham et aussi de les condamner à l'esclavage. 

Ainsi se diffuse dans le monde islamique un mépris pour les personnes à peau noire, assimilées à des esclaves. Ce mépris transparaît tout au long des contes des Mille et et Une Nuits par exemple (IXe siècle).  On peut aussi lire sous la plume du grand historien arabe Ibn Khaldoun (1332-1406) : « Il est vrai que la plupart des nègres s'habituent facilement à la servitude ; mais cette disposition résulte, ainsi que nous l'avons dit ailleurs, d'une infériorité d'organisation qui les rapproche des animaux brutes. D'autres hommes ont pu consentir à entrer dans un état de servitude, mais cela a été avec l'espoir d'atteindre aux honneurs, aux richesses et à la puissance » (Les Prolégomènes, IV).

Deux siècles plus tard, le mythe de Cham va enfin traverser l'Atlantique ainsi que le précise Olivier Grenouilleau : « Ce furent aussi des créoles d'origine espagnole (Buenaventura de Salinas y Cordova et Leon Pinelo) qui, afin de légitimer la traite, cherchèrent au XVIIe siècle à se servir d'une vieille histoire, jusque-là assez peu utilisée dans le monde occidental, celle de la malédiction de Cham ».

C'est ainsi qu'un racontar né en terre musulmane a nourri, sept ou huit siècles plus tard, les préjugés racistes des planteurs américains, au Sud comme au Nord.

Voir : L'esclavage en terre d'islam

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