Petit État très pauvre au cœur du continent africain, la République centrafricaine - ou Centrafrique - est sorti de l'ombre en 1979 avec l'affaire des diamants de l'empereur Bokassa Ier.
Il est revenu à la Une de l'actualité en 2013 avec l'occupation de la capitale par les Tchadiens et les musulmans du Nord dans un nouvel épisode de la lutte multiséculaire entre les « Noirs » de la forêt et les « Blancs » du Sahel. Par un préjugé hérité de l'Histoire, les premiers voient dans les seconds et plus généralement dans tout musulman des trafiquants d'esclaves et des oppresseurs...
Entre savane et forêt
Quadrilatère un peu plus vaste que la France (620 000 km2), avec une population de seulement cinq millions d'habitants mais en croissance très rapide, le territoire est bordé au nord par le fleuve Chari, qui se jette dans le lac Tchad, et au sud par l'Oubangui, un affluent du Congo. C'est un pays de savane arborée, relativement fertile et bien arrosé, propice à la chasse, mais avec pour seules ressources exportables un peu de coton et quelques mauvais diamants d'origine alluvionnaire.
Les populations centrafricaines sont noires. Fuyant les trafiquants d'esclaves arabes, elles sont venues au XIXe siècle du Soudan voisin et se sont principalement implantées dans les forêts du sud. Elles ont été très massivement christianisées au XXe siècle, pendant la colonisation française.
Le pays compte toutefois un groupe musulman à la pointe nord du pays, à la frontière du Tchad et du Darfour (Soudan), autour de Birao. Il s'agit de pasteurs mbororo appartenant à l'ethnie Peul et venus au XXe siècle du Cameroun. Ils représentent moins de 5% de la population totale. Par ailleurs, des musulmans venus des pays voisins, Toubous ou « Arabes », se sont installés dans les villes de Centrafrique, occupant essentiellement des emplois dans le commerce. Ils représenteraient 5 à 10% de la population totale.
Une France lointaine
Les Européens ne pénètrent qu'à la fin du XIXe siècle dans cette région appelée Dar Kouti (« terre des esclaves ») par les trafiquants arabes.
À la fin du XIXe siècle, en 1889, une colonne française fonde un poste militaire sur la rive nord de l'Oubangui, sous le nom de Bangui. Cette initiative participe de la « course au drapeau » qui pousse les États européens à s'approprier les dernières terres sans maître de la planète.
Bien que largement inexplorée, la région est annexée officiellement cinq ans plus tard mais c'est seulement après le passage de la colonne Marchand, qui sera arrêtée par les Anglais à Fachoda en 1898, que la France se l'approprie véritablement.
Baptisée Oubangui-Chari en 1905, la colonie est intégrée en 1910 à l'Afrique Équatoriale Française (AEF). Sous-administrée et sous-peuplée, elle est pillée par des « sociétés concessionnaires » qui instaurent le travail forcé dans les plantations d'hévéas ou de coton. Au moins les habitants échappent-ils aux razzias des nomades du Sahel en quête d'esclaves...
Une indépendance chaotique
Le 13 août 1960, la colonie accède à l'indépendance, tout en restant étroitement liée à la France par des accords de coopération militaire, administrative et économique, comme la plupart des autres colonies françaises d'Afrique noire.
Le chef nationaliste Barthélemy Boganda ayant trouvé la mort dans un accident d'avion, c'est son neveu David Dacko qui devient le premier président de la République.
Mais il est renversé le 1er janvier 1966 par son cousin Jean-Bedel Bokassa (45 ans), un ancien capitaine de l'armée française qui s'est vu attribué à l'indépendance le grade de colonel.
Fantasque, le nouveau président en vient dix ans plus tard, le 4 décembre 1976, à s'octroyer le titre d'empereur. Il se fait couronner sous le nom de Bokassa 1er dans un faste kitsch inspiré de la geste napoléonienne, avec la complaisance des autorités françaises.
Discrédité par ses turpitudes réelles et supposées (on l'accuse - à tort - d'anthropophagie), Bokassa est déposé le 21 septembre 1979 et David Dacko (49 ans) est réinstallé au pouvoir au grand soulagement de la France. Mais il est démis une nouvelle fois, deux ans plus tard, par son chef d'état-major, le général André Kolingba.
Grand amateur de chasse à l'éléphant, le président français Valéry Giscard d'Estaing appréciait les séjours en Centrafrique et son « ami » Bokassa Ier l'en remercia avec quelques menus cadeaux dont une poignée de diamants, ce que Le Canard Enchaîné ne manqua pas de révéler à ses lecteurs.
Au lieu de reconnaître les faits et de les ramener à leur juste mesure (les diamants en question n'avaient guère de valeur), le président s'enfonça dans la dénégation, ce qui lui valut l'opprobre de l'opinion et pèsa lourd dans son échec aux présidentielles de 1981 face à François Mitterrand.
L'effondrement de l'État
Après l'éviction de David Dacko, de coup d'État en coup d'État, la Centrafrique retombe dans le chaos politique... Or, tandis que disparaît l'administration laissée par la puissance coloniale, nul ne prend la mesure du changement géopolitique en cours dans la région.
Au Tchad voisin, les nomades musulmans du Nord, généralement appelés Toubous, ont enlevé le pouvoir à la majorité noire, chrétienne ou animiste, du Sud. Au Soudan, la guerre redouble de violence entre les Blancs musulmans du Nord et les Noirs chrétiens du Sud.
La Centrafrique, État noir et chrétien de l'aire équatoriale, fait dès lors figure de poste avancé face aux « Blancs » musulmans de la bande sahélienne qui ont repris leur progression multiséculaire vers le Sud, un temps arrêtée par la colonisation européenne.
En 2006, le pays est une première fois victime de l'intrusion de nomades en provenance du Soudan et du Tchad. C'est le contrecoup de la guerre génocidaire livrée par le gouvernement du Soudan aux populations musulmanes mais noires du Darfour limitrophe. Pour conjurer le début de guerre civile, le gouvernement centrafricain appelle à l'aide l'armée française.
La paix revient, plus précaire que jamais. Mais comment la Centrafrique pourrait-elle longtemps échapper au désordre ambiant, entre une « région des Grands Lacs » qui se remet mal du génocide rwandais et une zone sahélienne affectée par la montée de l'islamisme et des revendications communautaires (Touaregs du Mali et du Niger, Toubous du Tchad...) ?
Elle est une nouvelle fois assaillie avec une ampleur sans commune mesure en 2012, quand des bandes armées tchadiennes et soudanaises, auxquelles se rallient des musulmans du nord, se rassemblent sous l'appellation de Séléka et marchent sur la capitale.
La Séléka entre à Bangui le 23 mars 2013 et chasse le président en place. Son chef, un musulman du nord, « Michel » Am-Nondokro Djotodia, s'autoproclame président. Massacres, viols et pillages obligent la France à intervenir à l'automne...
Dans ces conditions, quoiqu'il en coûte de l'admettre, le « nettoyage ethnique », autrement dit l'expulsion de tout ou partie des musulmans venus du nord et récemment installés dans le pays pourrait apparaître comme un moindre mal en vue du rétablissement de la paix civile.
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Voir les 10 commentaires sur cet article
ja (07-01-2014 12:05:26)
bon article, qui remet l'actualité dans son contexte; une réserve pour la fin: ce sont des suppositions qui n'ont pas leur place dans un article factuel. On aurait aussi apprécié une mention expli... Lire la suite
Pierre (07-01-2014 09:36:57)
Vous écrivez: "Cette initiative participe de la «course au drapeau» qui pousse les États européens à s'approprier les dernières terres sans maître de la planète." Vous avez oublié... Lire la suite
jeanpierre14 (07-01-2014 09:22:03)
Quant à la situation actuelle, elle est inextricable.Nous n'entendons pas la diaspora et pourtant, la communauté installée en France est importante et comprend une grande partie de l'élite. Que fa... Lire la suite