Quel exploit ! Il a fallu à l'humanité près de 300 000 ans pour atteindre le million d'individus au Paléolithique supérieur. Et il lui a suffi de 35 000 ans supplémentaires pour frôler les dix milliards (10 000 fois plus) ! Dieu a des raisons d'être satisfait : l'Homme a accompli la mission fixée dans la Genèse, « Soyez féconds, multipliez, remplissez la terre, et l'assujettissez » !
Mais contrairement à l'injonction divine, ce n'est pas par un rebond de la fécondité que la population humaine s'est accrue car, depuis les temps bibliques, les femmes n'ont cessé de s'éloigner de la natalité naturelle (vingt maternité dans le cas d'une vie féconde complète). Notre accroissement en nombre est du à l'amélioration de nos conditions de vie qui a conduit à une très forte baisse de la mortalité et en particulier de la mortalité infantile (enfants de moins d'un an).
Reste à se demander s'il faut s'en réjouir. Nos conditions de vie actuelles, incontestablement plus agréables que celles de l'Aurignacien, le laissent penser. Mais l'on se dit aussi que l'heure de la pause est venue. Nous verrons dans un deuxième volet que celle-ci peut être aussi difficile à gérer que la croissance...
-35000 (Aurignacien et Paléolithique supérieur) -10000 -5000 ( agriculture) JC 500 1500 1800 1900 1950 2000 2100 | 1 million d'hommes 10 millions d'hommes 80 - 250 - 200 - 460 - 1000 - 1600 - 2500 - 6000 - 10000 - |
« Soyez féconds, multipliez, remplissez la terre, et l'assujettissez » (Genèse)
Notre espèce Homo Sapiens est apparue sur le continent africain il y a environ 300 000 ans, précédée par quelques cousins aujourd'hui disparus.
Il y a environ 70 000 ans, quelques dizaines d'individus ont franchi l'isthme de Suez et se sont mêlés à des cousins Néandertal établis au Moyen-Orient. De leur union sont issues les populations eurasiennes actuelles. Dans le même temps, d'autres Sapiens, entre le mont Cameroun et le Niger, ont engendré les populations noires de l'Afrique subsaharienne.
Ces différentes populations ont crû de façon très variable. Ainsi, les populations noires d'Afrique, dès lors qu'elles ont mis au point l'agriculture sur brûlis, ont bénéficié d'une croissance démographique régulière qui leur a permis de submerger les autres populations africaines de Sapiens restées au stade de chasseurs-cueilleurs. Cette croissance fut néanmoins très progressive puisqu'au début de notre ère, si l'on en croit le démographe Jean-Noël Biraben (INED), l'Afrique subsaharienne ne devait encore compter que douze millions d'êtres humains, soit le même nombre que la Gaule !
La Gaule, autrement dit la France actuelle, aurait accueilli depuis les débuts de l'humanité cinq milliards d'humains environ, du fait de sa situation et de son climat privilégiés. Cette estimation nous vient de l'historien Pierre Chaunu, qui a évalué par ailleurs à 80 milliards le nombre de visiteurs humains sur cette planète depuis les débuts de l'humanité.
L'hexagone détiendrait de la sorte un record mondial par la densité de ses tombes ! En 2100, deux millénaires plus tard, notons cependant qu'il aura vu sa population multipliée par environ 5 tandis que celle de l'Afrique noire aura été multipliée environ par 200 ainsi que le montre le tableau ci-après.
régions / datation en millions d'habitants | -400 | JC | 500 | 1000 | 1300 | 1400 | 1500 | 1700 | 1800 | 1900 | 1950 | 2000 | 2050 |
Asie (sans Russie) % du total mondial dont : Chine et Corée Japon Sud-Est asiatique Monde indien Moyen-Orient Occident % du total mondial dont : Europe yc Russie Amérique du nord Amérique latine Océanie Afrique % du total mondial dont : Afrique du nord Afrique noire | 94 61% 19 0,1 3 30 42 41 27% 32 1 7 1 17 11% 10 7 | 168 67% 70 0,3 5 46 47 56 22% 43 2 10 1 25 10% 13 12 | 120 57% 32 2 8 33 45 57 27% 41 2 13 1 32 15% 12 20 | 155 60% 56 7 19 40 33 62 24% 43 2 16 1 40 16% 10 30 | 240 56% 83 7 29 100 21 120 28% 86 3 29 2 69 16% 9 60 | 200 53% 70 8 29 74 19 106 28% 65 3 36 2 68 18% 8 60 | 243 53% 84 8 33 95 23 129 28% 84 3 39 3 86 19% 8 78 | 436 64% 150 28 53 175 30 140 20% 125 2 10 3 106 16% 9 97 | 646 67% 330 30 68 190 28 221 23% 195 5 19 2 101 10% 9 92 | 902 56% 415 44 115 290 38 593 37% 422 90 75 6 118 7% 23 95 | 1404 55% 590 82 165 493 51 803 31% 549 172 169 13 229 9% 49 180 | 3631 60% 1273 126 653 1320 259 1631 27% 782 307 512 30 800 13% 143 657 | 5324 54% 1475 97 839 2267 387 2008 20% 728 445 776 59 2473 25% 392 2081 |
Total mondial | 152 | 250 | 209 | 257 | 429 | 374 | 458 | 682 | 968 | 1613 | 2536 | 6062 | 9804 |
Les estimations ci-dessus sont empruntées à Jean-Noël Biraben (INED, Population & Sociétés, numéro 394, octobre 2003) sauf l'avant-dernière colonne, extraite d'Atlasocio.com, et la dernière, extraite de 2015 World Population Data. De l'avis même de l'auteur, il ne s'agit, pour les siècles passés, que d'hypothèses très approximatives et sujettes à débat. Par exemple, en ce qui concerne les Amériques en 1400, Pierre Chaunu table sur 75 à 80 millions d'habitants plutôt que 39. On peut retrouver une bonne synthèse de ces recherches dans La croissance de la population mondiale, passé, présent et avenir (Mohamed El Badry, INED, 1991).
Poussées démographiques
Dans les deux cents premiers millénaires de son existence, Homo Sapiens a connu une croissance très lente. Vivant principalement de la chasse, nos lointains aïeux devaient constamment suivre le gibier. Contraintes au nomadisme, les femmes ne pouvaient porter plus d'un nourrisson à la fois, aussi les naissances étaient-elles espacées d'au moins trois ans.
Il y a 35 000 ans seulement que l'humanité a franchi le cap du million d'individus vivants ! Les grandes glaciations ont alors favorisé l'expansion des hommes sur toutes les terres émergées en abaissant le niveau des mers et en reliant plus ou moins les terres entre elles.
Depuis lors, l'humanité a connu deux grandes poussées démographiques à la faveur de bouleversements socio-culturels qui, à chaque fois, ont permis de réduire la mortalité infantile plus vite que ne se réduisait la natalité :
Tout change avec la fin des grandes glaciations, il y a de cela moins de 10 000 ans. L'abondance de graines et de fruits permet aux hommes de stocker de la nourriture, de se sédentariser puis de développer l'agriculture au Moyen-Orient, en Chine, au Sahara et dans les Andes. Les femmes n'ont plus à se déplacer et peuvent plus vite sevrer leurs nourrissons avec des bouillies de céréales. Il s'ensuit des naissances tous les ans ou presque à un rythme seulement limité par la mortalité in utero et surtout la mortalité des mères en couches.
Nous pouvons situer la première poussée démographique au IVe millénaire avant notre ère, avec la naissance des premières cités-États en Mésopotamie. En à peine un millénaire, la population humaine décuple de 15 millions à 150 millions d'âmes ! Pareil rythme de croissance ne se retrouvera qu'à la fin du IIe millénaire de notre ère.
250 millions d'hommes vivent sur la Terre au temps du Christ, il y a 2 000 ans. Les deux grands empires de l'époque, Rome et la Chine, concentrent chacun environ 50 millions d'âmes (20% de la population mondiale). Cinq siècles plus tard, à la fin de l'Antiquité, la population mondiale décline aux environs de 200 millions d'hommes, sous l'effet de la dénatalité, des désordres et des invasions qui affectent principalement l'empire romain et le monde méditerranéen (invasions barbares, peste justinienne,...) mais aussi la Chine (invasions hunniques et rébellion d'An Lushan).
Au XIIIe siècle, l'Empire du Milieu subit un nouveau choc démographique avec l'invasion mongole. La chrétienté occidentale est affectée pour sa part par le retour de la peste et des guerres au XIVe siècle. En Afrique subsaharienne, les populations souffrent quant à elles durablement de l'intensification de la chasse aux esclaves et des traites atlantique et saharienne !
Ces secousses n'ont rien de comparable toutefois avec le « choc microbien » qui a affecté l'Amérique à l'arrivée des premiers Européens, ceux-ci ayant amené avec eux le virus de la variole. Les populations amérindiennes, qui n'étaient nullement immunisées contre celui-ci, ont vu leurs effectifs chuter des neuf dixièmes en deux générations !
En Chine et en Europe, la croissance a repris, plus ou moins régulière, avec en particulier un doublement de la population au XVIIIe siècle, en raison d'une élévation de la température et d'une amélioration des rendements agricoles. L'humanité a ainsi atteint un milliard d'individus au milieu du XIXe siècle.
Avec l'amélioration de l'hygiène et la révolution industrielle qui a mis un terme aux disettes et aux famines, la croissance démographique s'est encore prolongée en Europe jusqu'au début du XXe siècle, avant que les ménages européens n'entreprennent de maîtriser leur fécondité. C'est ainsi que l'Europe et ses excroissances d'Amérique du nord et de l'hémisphère austral en sont venues à représenter en 1900 plus d'un humain sur trois ! Dans l'Asie profonde ainsi qu'en Afrique, la population a pendant ce temps plus ou moins stagné du fait des guerres (Taiping en Chine), des famines (Bengale) et des conquêtes coloniales (Afrique).
Cette deuxième poussée démographique a débuté vers 1930 dans ces pays pays dits « sous-développés », y compris l'Amérique latine, grâce aux progrès de la médecine préventive et aux campagnes de vaccinations qui ont fait très fortement chuter la mortalité infantile avant que les ménages ne songent à réajuster le nombre d'enfants à la baisse.
Cette croissance s'est poursuivie à un rythme accéléré jusqu'à la fin du XXe siècle (3 à 4% de croissance annuelle dans certains pays comme le Niger). Les pays occidentaux connaissaient de leur côté une nette reprise de leur fécondité, des années 1930 à 1974. De 2,5 milliards vers 1950, la population de la planète a ainsi atteint les 6 milliards vers 2000, un doublement en moins de deux générations. Du jamais vu dans l'Histoire humaine !
Contre toute attente, ce dynamisme démographique est allé de pair avec une amélioration générale des conditions de vie dans les pays occidentaux. Ce fut encore plus vrai dans les pays du tiers-monde, comme l'a montré Jean-Claude Chesnais. Dans un essai bien argumenté : La revanche du tiers-monde (Robert Laffont, 1987), l'historien démographe faisait ainsi litière des sombres prophéties du pasteur anglais Robert Malthus (1766-1834) et qualifiées pour cette raison de « malthusiennes ».
Mais cette deuxième poussée démographique est en voie d'achèvement dans le monde entier à l'exception notable de l'Afrique subsaharienne. Les pays développés d'Occident (monde européen) et d'Extrême-Orient (monde chinois) sont même entrés depuis la fin du XXe siècle dans une récession démographique comme le monde n'en a jamais connue en temps de paix.
En 2500 ans, ainsi que le montre le tableau ci-dessus, la population de la Terre a été multipliée par 40, de 150 millions d'être humains à plus de 6 milliards au début du XXIe siècle (sans doute plus de dix en 2100).
• La part de l'Asie est restée relativement stable au fil des siècles et des millénaires (environ 60% du total de l'humanité).
• L'Europe a connu un pic démographique exceptionnel à son apogée, vers 1900 : 25% de la population mondiale se concentrait sur son sol et à cette masse s'ajoutaient les émigrants du Nouveau Monde ! Mais depuis un siècle, le Vieux Continent connaît une régression brutale et n'abrite plus aujourd'hui qu'un homme sur dix au lieu d'un sur cinq ou six dans les siècles passés.
• Quant au Nouveau Monde, il mérite amplement son nom : la population des Amériques, de négligeable qu'elle était jusqu'au XVIIIe siècle, en est arrivée à représenter aujourd'hui plus d'un dixième de l'humanité.
• Après un déclin relatif au XIXe siècle, l'Afrique subsaharienne a non seulement retrouvé son niveau des siècles antérieurs (10 à 15% de la population mondiale) mais est en voie de très largement le dépasser. Sa croissance explosive depuis les années 1950 et dans le siècle en cours, sans précédent dans l'Histoire de l'humanité, laisse les démographes et les gouvernants sans voix.
Bibliographie
En matière de démographie, la France dispose de spécialistes de réputation mondiale qui se sont formés dans le sillage du regretté Alfred Sauvy.
Sur l'évolution du nombre des hommes, on peut consulter avec profit l'article de Jean-Noël Biraben, dans Population & Sociétés (Numéro 394, octobre 2003). Ce bulletin mensuel accessible aux non-spécialistes est édité par l'INED (Institut national d'études démographiques, Paris). Il adapte en français, tous les deux ans, le tableau récapitulatif de la population mondiale publié par la Division de la Population des Nations Unies. On peut aussi se référer à d'excellents livres de vulgarisation comme celui de Jacques Vallin : La population mondiale (La Découverte, 1986), d'autant plus intéressant qu'à trente ans d'intervalle, son auteur apparaît singulièrement perspicace.
Nous recommandons enfin le livre de référence de Gérard-François Dumont, qui établit « six lois démographiques », à la conjonction de l'Histoire et de l'anthropologie : Démographie politique (Ellipses, mars 2007). Le démographe anime par ailleurs la revue Population & Avenir (5 numéros par an), un outil d'une excellente tenue, propre à séduire les étudiants et les amateurs.
Enjeux de l'Histoire
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pmlg (13-07-2022 13:04:51)
" l'Homme a accompli la mission fixée dans la Genèse, « Soyez féconds, multipliez, remplissez la terre, et l'assujettissez » ! Seule une lecture brut de décoffrage de ce verset de la Genèse ne... Lire la suite