Né le 17 novembre 1945 à Méchéria, à l'extrême ouest du pays dans la wilaya de Naâma, Abdelmadjid Tebboune, élu le 12 décembre 2019 à 74 ans, est le premier président algérien à n'avoir exercé aucune responsabilité ni aucun engagement notable dans la lutte de libération nationale, contrairement à son père, Ahmed, nationaliste connu et proche de l'association des Oulémas, qui avait eu maille à partir avec les autorités coloniales.
Après des études secondaires brillantes, le jeune homme est diplômé de l'ENA algérienne en 1969, spécialité économie et finances, et entame une carrière dans la haute administration. Il est ainsi secrétaire général de plusieurs wilayas puis successivement wali (fonctionnaire) d’Adrar, Tiaret et Tizi-Ouzou. Sous les présidences de Bouteflika il est nommé ministre des Collectivités locales (2000-2001) puis ministre de l’Habitat et de l’Urbanisme (2001-2002), poste qu'il réoccupe en 2012/13 et dont il a plusieurs fois vanté le bilan. Il devient même Premier ministre pour un court mandat de deux mois et trois semaines du 25 mai au 15 août 2017 . S'étant engagé dans la lutte contre la corruption, il suscite la méfiance du clan présidentiel avant d'être démis de ses fonctions.
Son expérience, sa connaissance exceptionnelle du pays et son profil qui ne le rattache pas directement à un clan l’ont positionné comme un candidat consensuel après le mouvement du Hirak. Réputé homme de dialogue, il apparaît comme un dirigeant susceptible d'avoir la caution des principaux partenaires de l'Algérie. Peu charismatique et âgé, il ne suscite pas l'enthousiasme des foules mais son parcours rassure une partie de l'électorat lassée d'une situation bloquée par l'impossibilité du Hirak de s'incarner dans une personnalité de rassemblement. Il est adoubé par de hauts gradés comme par des cercles dirigeants ayant eu à pâtir de Bouteflika et des siens.
Suite à la démission du président Bouteflika, et après un intérim assuré par Abdelkader Bensalah, président du Conseil de la nation (équivalent du Sénat), d'avril à décembre 2019, Abdelmadjid Tebboune est élu avec 58,13 % des suffrages (et près de 60% d'abstentions) face à quatre autres candidats. L'Algérie retrouve alors le fonctionnement normal de ses institutions.
Après Les années Ben Bella (1962-1965), la Génération Boumédienne (1965-1978), La fin des chimères révolutionnaires (1978-1988), La tragédie nationale (1988-1998) et les années Bouteflika (1999-2019), voici le dernier volet de notre série sur l'Algérie moderne ; il est consacré à la présidence d'Abdelmadjid Tebboune (1999-...). L'auteur, Michel Pierre, historien spécialiste de l'Algérie, a publié en 2023 une remarquable Histoire de l'Algérie des origines à nos jours (Tallandier). Elle s’adresse aux Algériens comme aux Français qui ont un rapport charnel ou affectif avec ce pays proche par l’Histoire et la géographie.
Règlements de comptes
Une fois élu, Abdelmadjid Tebboune s'engage à reprendre de nombreux mots d'ordre du Hirak et à effacer l'influence du clan Bouteflika baptisé Al issaba, la « bande » aux contours mafieux et faite, selon ses détracteurs, d'oligarques et de hauts responsables totalement corrompus. Le nouveau président désigne comme Premier ministre Abdelaziz Djerad, un universitaire haut fonctionnaire qui va s’atteler à la préparation d’une réforme constitutionnelle et à l’organisation de nouvelles élections législatives fixées à juin 2021.
Tebboune prend aussi à ses côtés un nouveau chef d'état-major, le général major Saïd Chengrinha, 74 ans, commandant des forces terrestres. Officier de carrière formé à Moscou, il se veut homme de terrain et non de bureau. Ayant lutté avec les Égyptiens lors de la guerre des Six Jours de 1967 et de la guerre du Kippour de 1973 contre Israël, il a également été un combattant résolu face aux maquis islamiste.
À la tête de l'État se poursuit l'implacable volonté d'éradiquer la nomenklatura ayant accompagné et profité de l'ère Bouteflika. Partout, dans l'armée, la haute administration et les directions d'entreprises, se multiplient les mises à la retraite d'office ou les limogeages pour ceux jugés les moins corrompus et les arrestations suivies des premiers procès pour les plus gloutons ou les moins habiles. Sans oublier ceux qui parviennent à gagner l'étranger en espérant des jours meilleurs tel le général Ghali Belkecir, ancien commandant de la Gendarmerie nationale, qui sera condamné en septembre 2021 par contumace à vingt ans de prison ferme.
La purge avait commencé avant l'élection d'Abdelmadjid Tebboune, immédiatement après la démission de Bouteflika en avril 2019. Une première vague avait touché deux anciens premiers ministres, Ahmed Ouyahia et Abdel-Malik Sellal ainsi que SaId Bouteflika, frère de l'ancien président et surnommé le « vice-roi » mais aussi deux anciens responsables des services de renseignement. Les maîtres de grands conglomérats économiques ayant profité de l'ère Bouteflika sont également arrêtés tel le patron des patrons Ali Haddad, avant que n’arrive le tour des trois frères Kouninef, discrets possesseurs d'entreprises œuvrant dans la téléphonie mobile, le BTP, l'agroalimentaire, le secteur pétrolier…
En cette même année 2019, l'Association algérienne de lutte contre la corruption estime à plus de 50 milliards d'euros le total des montants détournés en Algérie en une quinzaine d'années. En des termes maintes fois prononcés, les poursuites sont relatives au blanchiment d'argent, octroi d'avantages, infraction à la règlementation de change, mouvement de capitaux illicites de et vers l'étranger, obtention d'indus avantages, abus de pouvoir, financement clandestin de partis politiques… La corruption est également mise en lumière lors du procès du député FLN Eddine Tliba en septembre 2020 qui révèle qu'à l'intérieur du parti, les postes de députés se monnayaient en espèces sonnantes et trébuchantes.
Cette première vague de poursuites et d'arrestations est suivie de bien d'autres. Au fil des mois, sont ainsi arrêtés plusieurs anciens ministres (Finances, Ressources en eau, Travaux publics, Télécommunications, Culture…). Des mandats d'arrêts internationaux sont lancés contre d'autres responsables en fuite à l'étranger suivis des premières sanctions. Ahmed Ouyahia sera ainsi condamné à 12 ans de prison ferme en novembre 2022 et Abdelemalek Sellal à 10 ans. Pour leur part, les frères Kouninef le seront à 16, 15 et 12 ans de prison en juin 2021.
Pour nombre d'Algériens qui avaient mis leurs espérances dans le Hirak, le grand lessivage s'apparente à des règlements de compte sur fonds de connivences plus ou moins trahies et de vengeances à assouvir. Ils observent la chute des puissants d'hier avec satisfaction mais sans illusion sur les réels changements menant vers une bonne gouvernance du pays.
Retour et recours aux urnes
À peine élu et alors que la mobilisation des militants du Hirak demeure forte, le président Tebboune est confronté à la pandémie de Covid-19 qui touche le pays à partir de février 2020 et provoque les premiers décès le mois suivant. Il s'ensuit l'interdiction de tout rassemblement y compris bien évidemment les manifestations d'ordre politique. La fermeture des mosquées et l'interdiction des prières publiques sont également décrétées. Le mouvement du Hirak qui avait commencé à régresser tout en demeurant vivace mais toujours sans débouché politique s'arrête par la force d'un interdit sanitaire.
Politiquement, le pouvoir propose un référendum concernant une révision de la Constitution et fixe symboliquement le scrutin au 1er novembre 2020, date anniversaire des débuts de la lutte de libération nationale en 1954. Parmi les changements proposés et afin de considérer le mouvement comme désormais sans objet, se trouve l'inscription du Hirak dans le nouveau préambule de la Constitution. Sont également prévus l'obligation de nommer Premier ministre un représentant de la force politique majoritaire au Parlement, la création d'une Autorité nationale indépendante des élections (ANIE) composée in-fine d'une vingtaine de membres désignés par le président de la République pour six ans, le droit de créer des associations par simple déclaration, etc. Un peu moins de 24 % du corps électoral se rend aux urnes et vote positivement à près de 67 %.
Le rebond de l'épidémie entraîne la fermeture des frontières et la suspension des liaisons nationales et internationales. Comme partout dans le monde, le pays se confine avant que ne commence une politique de vaccination à partir de janvier 2021 avec trois vaccins au choix : le russe Spoutnik V, le chinois Sinopharm et le suédo-britannique AstraZeneka. Au 31 décembre 2022 alors que l'épidémie régresse de manière significative, le pays annonce officiellement 6 881 décès, un chiffre manifestement sous-estimé.
Le président algérien a été lui-même sévèrement touché par le virus et hospitalisé fin octobre 2020 à l'hôpital militaire d'Aïn Naadja près d'Alger, avant d'être transféré en Allemagne et hospitalisé à Berlin. Il y fait plusieurs séjours totalisant trois mois entre octobre 2020 et février 2021. Cette longue absence d'un homme de 75 ans évoque pour les Algériens les ennuis de santé de son prédécesseur. Le président du parti d'opposition RCD s'interroge alors publiquement « Sommes-nous condamnés à n'être dirigés que par des grabataires ou des malades ? »
Considérant le mouvement du Hirak clos, les autorités n'hésitent pas, pendant toute cette période à recourir à la répression. En 2022, Amnesty International estime ainsi à près de 300 militants, manifestants ou sympathisants du mouvement placé en détention.
Moins d'un an après le référendum sur la Constitution se déroulent des élections législatives le 12 juin 2021. Boudées par environ 77% des électeurs inscrits consécutif à l'appel au boycott des partisans du Hirak, ce scrutin exprime la lassitude d'une grande partie de la population de revoir sur scène des partis décrédibilisée comme le FLN et son allié le RND (Rassemblement national démocratique, créé en 1997). D'autres partis historiques comme le FFS (Front des forces socialistes créé en 1963) et le RCD (Rassemblement pour la culture et la démocratie, créé en 1989) particulièrement implantés en Kabylie appellent au boycott. Il en résulte dans cette région, une participation électorale pratiquement nulle avec moins de 1% de votants.
D'autres formations, adeptes d'un islamisme politique, appellent aux urnes tels le MSP (Mouvement pour la société pour la paix, créé en 1990) et, issu d'une scission de ce dernier en 2013, le Mouvement El-Bina (MEB, « mouvement pour la construction ») ainsi que le Front El Moustakbal (« Front de l'Avenir » fondé en 2012 et plutôt proche de la présidence) présentent des candidats
Au soir du scrutin et pour la première fois depuis l'instauration du multipartisme, l'alliance FLN-RND est loin d'emporter la majorité absolue avec 98 sièges pour l'un (6,24 % des voix) et 58 pour l'autre (4,31 % des voix) soit 156 députés sur 407, alors que 84 candidats se présentant en candidats indépendants de tout parti sont élus. À la suite d'une coalition, le ministre des Finances du précédent gouvernement, Aïmene Benadderrahmane est nommé Premier ministre et forme un gouvernement plus technocratique que politique. Malgré tout, la plupart des ministres, nés dans les années 1950 et 1960, ayant déjà exercé des responsabilités dans les périodes précédentes, apparaissent peu représentatifs d'un peuple jeune qui espère du changement.
À l'occasion du scrutin, le président algérien accorde un entretien à l'hebdomadaire Le Point, il y réaffirme sa volonté de réformer l'État, de « reconstruire la République ». Il déclare aussi que le temps n'est plus au Hirak des origines « authentique et béni » qu'il considère comme hétéroclite et dépassé. Il souligne que l'armée est « légaliste » et « retirée de la politique ». Soucieux de bonnes relations avec le gouvernement français, il exprime son estime pour la président Emmanuel Macron qu'il considère comme « le plus éclairé » de tous les présidents français tout en attendant de la France « Une reconnaissance totale de tous les crimes » depuis les débuts de la colonisation jusqu'à la guerre de libération. Il en profite aussi pour dénoncer les lobbys français proches du Maroc et attachés au sabotage des liens avec l'Algérie.
Face à une population désabusée, le président et le gouvernement présentent en septembre 2021 un plan d'action où reviennent en boucle les termes de rénovation, renforcement, amélioration, valorisation, bonne gouvernance, gestion efficace, moralisation de la vie publique, lutte contre la corruption, modernisation, refonte, développement, relance économique, transition, sécurité, pouvoir d'achat … Rien n'est oublié dans un document de 92 pages qui aborde tous les domaines mais qui laisse penser à de nombreux algériens qu'il ne s'agit que de vœux pieux et d'incantations plus ou moins magiques.
Une ambition internationale
En son début de mandature et selon le vocabulaire idoine, Abdelmadjid Tebboune annonce une politique étrangère « dynamique et proactive » s'inscrivant dans le prolongement de la politique de « redressement national et d'édification d'une nouvelle République ». Il faut pour cela être vigilant car, selon lui, le pays demeure entouré d'ennemis réels ou potentiels.
Parmi ces derniers, bien évidemment le Maroc. Les Algériens ne peuvent admettre la volonté de Mohamed VI de normaliser fin 2020 ses relations avec Israël alors que, parallèlement, les États-Unis reconnaissent l'appartenance du Sahara occidental au Maroc. Une double décision qui provoque la colère des autorités algériennes encore accentuée quelques mois plus tard, à l'été 2021 par la révélation de l'usage du logiciel israélien Pegasus par les services secrets marocains afin d'espionner les communications téléphoniques de plus de six mille personnalités algériennes.
Le 24 août, le ministre algérien des Affaires étrangères Ramtane Lamamra annonce la rupture des relations diplomatiques avec Rabat puis le 22 septembre l'interdiction de l'espace aérien algérien aux avions marocains ainsi que le 31 octobre, la fermeture des vannes du gazoduc Maghreb-Europe alimentant, depuis 1966, l'Espagne et le Portugal via le Maroc.
Certes moins tendues, les relations avec la France demeurent peu sereines bien qu’Emmanuel Macron, élu le 7 mai 2017, soit le premier président de la Ve République à n’avoir aucun lien mémoriel ou charnel avec l'Algérie. Né en 1977, quinze ans après l'indépendance de l'Algérie, il pense pouvoir tisser un renouveau des liens entre les deux pays sans bien mesurer ce qu'ils ont de complexes et de totalement spécifiques. Il multiplie les initiatives et demande un rapport à l'historien Benjamin Stora en juillet 2020 sur « les questions mémorielles portant sur la colonisation et la guerre d'Algérie ».
De manière quelque peu contradictoire, en octobre de l'année suivante, devant un parterre de jeunes historiquement liés à l'Algérie par leurs ascendants, le président français décrit le régime algérien comme un « système politico-militaire qui s'est construit sur une rente mémorielle », dénonce un discours algérien « qui repose sur une haine de la France ». Tout aussi gravement pour les susceptibilités algériennes, il s'interroge : « Est-ce qu'il y avait une nation algérienne avant la colonisation française ? »
En réaction et en réponse, le président Tebboune mentionne les 132 ans d'occupation durant lesquels « la France a commis des crimes à l’encontre du peuple algérien que les paroles ne sauraient occulter » et précise bien que cette occupation « a coûté à la France soixante-dix ans de guerre, de résistance et de révoltes dans toutes les régions du pays, car nous étions une nation ». Il considère que les propos en question « portent une atteinte intolérable à la mémoire des 5 630 000 valeureux martyrs qui ont sacrifié leur vie dans leur résistance héroïque à l’invasion coloniale française ainsi que dans la Glorieuse Révolution de libération nationale ».
Ce chiffre imputé à la puissance coloniale est censé prendre en compte les morts de la guerre de libération nationale stricto sensu (avec toujours le chiffre canonique d'un million et demi de martyrs selon le vocabulaire en usage) s'ajoutant à ceux de la conquête et de la répression des révoltes au XIXe siècle ainsi que les victimes des épidémies de 1867/68 attribuées au colonisateur.
Comme il faut bien que le système pendulaire fonctionne et qu'il ne faut jamais aller trop loin dans les hostilités, tout semble rentrer dans l'ordre lors de la visite d'État du président Macron à Alger du 25 au 27 août 1922. Elle se conclut par la signature d'une déclaration commune, chef d'œuvre de langue de bois : « La France et l’Algérie décident d’inaugurer une nouvelle ère de leurs relations d’ensemble en jetant les bases d’un partenariat renouvelé, qui se décline à travers une approche concrète et constructive, tournée vers des projets d’avenir et la jeunesse, à même de libérer le potentiel de leur coopération et conforme aux aspirations de leurs peuples ».
Une économie dépendante
À simplement observer les chiffres au début des années 2020, l'Algérie apparaît en position flatteuse avec une forte croissance du PIB de plus de 4 % entre 2021 et 2023. L'invasion de l'Ukraine, le 24 février 2022, en coupant l'approvisionnement du gaz russe vers l'Europe a provoqué un triplement de la valeur des exportations du GNL et du pétrole algérien. De quoi doper la balance commerciale algérienne, engranger des réserves, diminuer la dette publique et investir dans le pays. Pour autant, la production des hydrocarbures stagne par manque d'investissements et les compagnies étrangères sont parfois lasses d'une bureaucratie excessive, de contrôles et contestations récurrentes.
Avec 170 millions de tonnes d'équivalent pétrole, la production demeure stable depuis une vingtaine d'années. Or, la partie de cette production consommée dans le pays ne cesse d'augmenter du fait des besoins de la population. D'un tiers en 2010, elle représente près de 45% en 2024, ce qui réduit d'autant les revenus des exportations. De plus, les prix du pétrole et du gaz sont subventionnés pour la consommation intérieure et n'engendre pas de revenus pour l'État.
La consommation intérieure en croissance continuelle réduit ainsi les potentiels revenus issus des exportations d'hydrocarbures qui représentent toujours selon les fluctuations des cours, entre 35 et un peu plus de 40 % des recettes budgétaires de l'État. Le pays est donc confronté à l'absolu nécessité d'augmenter sa production.
Par ailleurs, et malgré incitations et investissements, la faible industrialisation du pays perdure et l'Algérie doit toujours importer une moyenne de 25 milliards de dollars par an de produits manufacturés, ce qui profite à la Chine par ailleurs très présente dans le BTP et la construction d'infrastructures. Demeure aussi la nécessité d'importer massivement des produits alimentaires ainsi que des céréales comme le blé dur même si le gouvernement algérien déclare envisager à court ou moyen terme une future autosuffisance afin de combler les 8 millions de tonnes de céréales à importer annuellement.
L'inflation demeure élevée et s'établit à plus de 9% en 2023 alors que le chômage, et tout particulièrement celui des jeunes demeure conséquent à près de 30%. Les salariés du public et du privé ont des revenus faibles avec un salaire national minimum garanti (SNMG) à 20 000 dinars (autour de 150 euros) et un salaire moyen de 42 800 dinars (environ 300 euros).
L'agriculture longtemps sinistrée connaît des jours meilleurs mais demeure lié à une pluviométrie aléatoire. De vastes régions du sud algérien ont été ainsi emblavées en céréales avec utilisation des nappes phréatiques. Par ailleurs, la culture sous serre s'est beaucoup développée, particulièrement à proximité des zones urbaines. Une politique qui n'est pas sans conséquence sur les ressources en eau du pays.
Reste un domaine souvent évoqué dans les discours officiels, celui du développement du tourisme dans un pays superbe qui ne cesse de se heurter aux réalités d'un sous-équipement hôtelier, d'une dégradation de l'état des plages et des côtes, d'une insuffisante de la protection du patrimoine tant historique que naturel, de la délivrance compliquée des visas et d'infrastructures médiocres. Ces difficultés n'empêchent pas le ministre algérien de revendiquer 1,6 millions de touristes en 2023 et d'en espérer 3 millions.
Des chiffres fantaisistes qui prennent en compte essentiellement la venue des immigrés installés essentiellement en France et se rendant au bled pour les vacances ou autres circonstances. Les véritables touristes au sens classique du terme ne dépassent pas 4 000 personnes par an, essentiellement vers le Sahara algérien, le plus souvent en voyage organisé. Chiffre moléculaire comparé aux 14 millions de touristes s'étant rendu au Maroc en 2023 dont 400 000 français.
Vivre au quotidien
Il y a des progrès incontestables. L'espérance de vie en Algérie est passée d'un peu plus de 40 ans au début des années soixante à plus de 77 ans aujourd'hui. L'analphabétisme est en régression mais touche encore une peu plus de 7 % de la population. Le taux de scolarisation des enfants de 6 à 16 ans est donné par le ministère algérien de l'Éducation Nationale à 95 %.
En 1962, l’Algérie avait douze millions d'habitants et un indicateur conjoncturel de fécondité de presque huit enfants par femme. De quoi générer d’immenses difficultés de tout ordre que la chute très rapide de la natalité a permis d’atténuer. Aujourd’hui, le pays compte 47 millions d’habitants et l'indicateur de fécondité n’est plus que de trois enfants par femme (après être tombé à 2,4 au début des années 2000).
Il y a cependant la réalité du quotidien. Nombre d'Algériens déplorent l'état du système éducatif avec des enseignants prolétarisés, des réformes sans visée globale, un envahissement du religieux, le « parcœurisme » comme système pédagogique, un nombre considérable d'élèves en échec scolaire et une faible préparation aux études universitaires. L’enseignement supérieur, fort de 115 universités, peine à ouvrir sur le monde du travail et ne parvient pas à accéder aux classements internationaux.
Beaucoup de résidences universitaires et bibliothèques sont dans un état déplorable avec un fonctionnement peu ouvert sur le monde selon l'aveu même des autorités algériennes. C'est tout un système, de l'élémentaire au supérieur, qui est contourné par des groupes sociaux favorisés qui privilégient un enseignement privé toléré, mettent leurs enfants dans des institutions dépendantes de pays étrangers (tel le lycée international Alexandre Dumas à Alger sous tutelle du ministère français de l'Europe et des Affaires étrangères) ou les scolarisent en Europe ou aux USA.
Le constat est également sévère pour le système de santé. Un bilan officiel a énuméré le manque de personnel, une politique salariale erratique, une organisation désuète, des pénuries récurrentes de médicaments, une prise en charge des patients laissant à désirer. Ceux qui le peuvent se font soigner dans des cliniques privées ou à l'étranger. Sont également dénoncés la désorganisation, les passe-droits, les vols, la corruption en lien avec des autorisations d'importation d'équipements et de médicaments. Sans oublier la déperdition de compétences et la fuite des cerveaux illustrées par le départ de médecins vers l'étranger et particulièrement vers la France.
Pour ce qui est de la vie quotidienne en milieu urbain, ce qui est aujourd'hui le cas de 75% des Algériens, les défis demeurent considérables. Alger est devenue une ville tentaculaire passée d'environ 500 000 habitants à l'indépendance à près de 3 millions aujourd'hui, Oran de 400 000 à 1 500 000, Constantine de 300 000 habitants à plus de 700 000. Les villes du Sahara elles-mêmes atteignent des chiffres difficilement imaginables en 1962 : Tamanrasset et Adrar dépasse aujourd'hui 100 000 habitants et Djanet en compte près de 30 000.
Partout se retrouvent les mêmes problèmes de logement, de transports, de réseaux et d'équipements avec le lot commun d'embouteillages monstrueux, de coupures d'eau, d'équipements collectifs dégradés ou inexistants. Tout un ensemble de contraintes et de mauvaises conditions de vie auquel échappe bien évidemment les privilégiés du régime dans des quartiers spécifiques et protégés.
Bigoterie islamique
Après l'épreuve de la décennie noire, les massacres et les tueries portés par une minorité rêvant de faire de l'Algérie un État islamique, le pays semble revenir à une existence moins conflictuelle. Pourtant, sortir de la tragédie n'a pas signifié une moindre prégnance de la religion sur la vie quotidienne. Certes, la Constitution garantit la liberté de culte, de conscience et d'opinion mais l'islam demeure religion d'État et l'Algérie, dans le préambule de cette Constitution, est affirmée « Terre d'Islam ».
De plus (article 11), les institutions s'interdisent « les pratiques contraires à la morale islamique » et, pour être éligible à la Présidence de la République, il faut être de confession musulmane (Titre III, Art.87). En cas d'élection, le chef d’État doit prêter serment en jurant, entre autres engagements, « Par Dieu tout puissant de respecter et de glorifier la religion islamique ». Tout discours présidentiel d'importance commence rituellement par la phrase : « Au nom d'Allah, Clément et Miséricordieux, Prières et Paix sur le Sceau des prophètes ».
Quant au code pénal, il sanctionne toute attaque contre l'islam (article 144 bis 2 issu d'une loi de juin 2001) : « Est puni d’un emprisonnement de trois (3) ans à cinq (5) ans et d’une amende de 50.000 DA à 100.000 DA, ou de l’une de ces deux peines seulement, quiconque offense le prophète (paix et salut soient sur lui) et les envoyés de Dieu ou dénigre le dogme ou les préceptes de l’Iislam, que ce soit par voie d’écrit, de dessin, de déclaration ou tout autre moyen. » Un article pouvant aussi s'appliquer à des personnes ne respectant pas ostensiblement le jeûne du ramadan.
Cet encadrement religieux inclut aussi l'école avec l’« éducation islamique » comme matière scolaire obligatoire dans l'enseignement primaire (une heure et demie par semaine) et moyen (une heure) et les « sciences islamiques » au niveau secondaire (entre une et deux heures). Cet enseignement peut s'avérer contradictoire entre la demande de faire preuve d'ouverture d'esprit à l'égard des autres religions et cultures et la nécessité d'approfondir l'identité nationale et religieuse dans une logique de vénération et de sacralisation de l'islam.
La grande mosquée d'Alger voulue par le président Bouteflika et inaugurée par son successeur fin février 2024 fut construite dans cette optique d’ouverture : prôner un islam pacifique et modéré, combattre l'intégrisme et promouvoir la recherche de prestige et d'exaltation islamo-nationaliste. Avec son minaret haut de 267 mètres, sa salle de prières pouvant accueillir 120 000 fidèles, elle est la plus grande mosquée d'Afrique et le troisième plus grand lieu de culte musulman du monde après les mosquées de La Mecque et de Médine. En rivalité permanente avec le Maroc, elle a également été conçue pour dépasser en tout point la mosquée Hassan II de Casablanca inaugurée en 1993.
Ainsi se conforte en Algérie un imaginaire islamo-conservateur arabophone fondé sur des valeurs patriarcales fortes. L'influence de l'islam sature l'espace public, s'impose dans des habitudes vestimentaires, organise la vie quotidienne en une infinité de comportements normés entre le « Haram » (l'interdit) et le « Halal » (le permis). C'est ainsi que s'est développé le port du voile strict ou intégral dans les villes algériennes relevant davantage d’un contrôle social, familial et patriarcal fort que des convictions spirituelles. Pour autant, surtout dans les villes, la tendance normative du port du hidjab s'accompagne d'éléments de séduction par l'usage de teintes claires, d'un maquillage soigné, du port de tuniques colorées et de jeans ajustés.
Le plus souvent, et sans différenciation de genre, la pratique ostentatoire de la religion et la fréquentation assidue des mosquées est surtout signe d'un conformisme social, d'un conservatisme religieux, d'une bigoterie islamique toujours en tension avec les notions de mixité ou de vision des corps. Il est ainsi devenu impossible pour une femme, en dehors de certaines plages privées, de se baigner en maillot une ou deux pièces. Même le port du burkini fait polémique car il laisse voir le corps moulé dans un tissu mouillé.
La force d'un environnement ultra-conservateur entraîne souvent une forme de claustration des femmes uniquement réduites à l'espace domestique. Les autorités algériennes doivent donc gérer des contradictions. Tout à la fois maintenir le Code de la famille voté en 1984 avec ses mesures attentatoires à l'égalité homme-femme afin de ne pas heurter les pans le plus conservateurs de la société mais aussi maintenir la mixité dans les classes et élargir les perspectives professionnelles aux femmes.
Elles représentent aujourd'hui une part majoritaire du corps enseignant, 48 % des magistrats et d'importants pourcentages des professions de santé. L'armée s'est même ouverte à un recrutement féminin et une première promotion d'élèves officiers femmes est sortie de l'Académie militaire de Cherchell en 2024. Par contre, la parité dans le domaine politique est loin d'être acquise puisqu'il n'y a que 32 femmes députées à l'Assemblée populaire nationale contre 375 hommes suite à l'élection de juin 2021 soit 7,9 % du total.
L'ennemi nécessaire
Si le Maroc demeure l'adversaire traditionnel, la France garde un statut particulier. Elle est un partenaire indispensable, ne serait-ce que par l'importance de la diaspora algérienne qui y réside ou y a fait souche depuis plusieurs générations. Symbole de ces liens, il existe ainsi entre la France et l'Algérie 180 vols hebdomadaires à partir de onze aéroports français et autant du coté algérien. La France demeure un partenaire économique important (deuxième fournisseur et troisiéme client de l'Algérie) même si de nombreux pays (Chine, Turquie, Italie) s'y sont solidement implantés.
Malgré ces liens et le désir d'une grande partie des Algériens d'en finir avec les discours convenus inlassablement répétés, les autorités algériennes tiennent à une France indéfiniment comptable de son passé colonial et toujours soupçonnée de menées hostiles. Elles rappellent donc régulièrement la lutte acharnée pour la libération et ses victimes, le colonialisme destructeur et génocidaire, le nécessaire pardon à exiger et les divers objets symboliques à restituer sans oublier le passif des essais nucléaires dans le Sahara. En dépit des efforts réalisés en ce sens par les gouvernements français depuis des décennies, rien ne semble jamais suffisant et le rocher de Sisyphe retombe de manière implacable.
L'une des preuves les plus récentes des plaies toujours ravivées ont été les roses jetées dans la Seine par la délégation algérienne lors de la cérémonie d'ouverture des Jeux Olympiques de Paris, le 26 juillet 2024, en mémoire de la répression contre des manifestations du FLN à Paris en octobre 1961. Alors que la charte olympique peut s'avérer très stricte sur l'interdiction du moindre signe politique lors des jeux, il n'y eut aucune réaction officielle du CIO.
Cet « hommage poignant » a pu laisser entendre au pays hôte que tous ses efforts s'avèrent illusoires : déclarations diverses, restitution des crânes de combattants algériens du milieu du XIXe siècle jusqu'alors au musée de l'Homme à Paris, création de la commission Stora, visite d'État du président Macron... Il est intervenu peu après qu'après que le président français se rapprochait du Maroc après avoir tenté l'impossible équilibre entre Alger et Rabat.
Le 30 juillet 2024, le président français félicitait en effet le roi Mohammed VI pour ses 25 ans de règne et, dans sa lettre, il révisait la position de Paris au sujet du Sahara occidental en considérant que « le présent et l'avenir du Sahara occidental s'inscrivent dans le cadre de la souveraineté marocaine ». Une manière d’acter l’impossibilité de parvenir à entretenir des relations sereines avec l'Algérie et de revenir vers une « amitié séculaire » et un « partenariat d'exception » avec le Maroc comme précisés dans la lettre. Comme de juste et en réponse, Alger a décidé le retrait de son ambassadeur à Paris le 30 juillet et dénoncé de la part de la France, « une caution franche et catégorique donnée au fait colonial imposé au Sahara occidental ».
Toujours les mêmes défis
La réélection en septembre 2024 du président Tebboune laisse à beaucoup d'Algériens l'impression d'un régime politique difficilement réformable en profondeur. La libération de la parole qui avait marqué le Hirak en 2019 se heurte désormais à une coercition pouvant s'appuyer sur des délits punissables pour « incitation à un attroupement non armé », « atteinte à l'unité nationale », « atteinte au moral de l'armée », « outrage à corps constitué durant l'exercice de ses fonction », « offense à l'islam ». Des charges qui peuvent aussi concerner des adeptes des réseaux sociaux.
La politique de contrainte se retrouve aussi dans la limitation du droit de grève. Une loi du 7 mars 2023 assortit ce dernier à la condition de « ne pas porter atteinte aux principes de continuité du service public, de protection de la population et de sécurité des biens ». En avril de cette même année, une loi sur l'information laisse aussi planer des menaces en instaurant la disposition extrêmement floue du respect de « la souveraineté et de l'unité nationale ».
Les enjeux structurels auxquels le pays est confronté demeurent les mêmes : diversification économique afin d'atténuer la dépendance à la rente pétrolière, aux importations, la nécessité du renouveau des infrastructures (ainsi les 80 barrages du pays ne fonctionnent qu'au tiers de leur capacité), chômage des jeunes, persistance de tensions régionales (ainsi en Kabylie), crise du logement, nécessaires réformes dans les domaines de la santé et de l'éducation…
La question que se posent de nombreux Algériens tient à la capacité du personnel politique à affronter ces défis. On s'interroge sur les gérontes d'un régime où le népotisme, la courtisanerie et la corruption sont loin d'avoir disparu. Les questions ne manquent pas non plus sur les effets à moyen ou long terme d'un islamo-conservatisme peu favorable à la création culturelle, à la liberté de penser, à la critique rationnelle, aux droits des femmes.
Une situation où la vie quotidienne des jeunes hommes se limite au stade et à la mosquée devient le symbole d'une asthénie culturelle marquée par la disparition des librairies et des salles de cinéma, l'inexistence de galeries d'art, le mauvais état des lieux du patrimoine ou de médiation. La captation des richesses et du pouvoir par une oligarchie disparate demeure. Le clanisme et le jeu des différentes appartenances régionales et familiales restent peu favorables à l'émergence d'une démocratie citoyenne. Un nationalisme épidermique et ostentatoire souvent réduit aux résultats sportifs n'est pas d'une grande efficacité face aux réalités quotidiennes.
Pour autant, l'Algérie a su affronter des crises d'une intensité rare et le développement du pays demeure réel même au prix d'incontestables gabegies et de prédations défiant l'entendement. Elle a surmonté la « décennie noire » nommée « tragédie nationale » mais au prix d'une amnésie imposée laissant de terribles cicatrices mal refermées. Le niveau de vie s'est amélioré mais l'écart est énorme entre une classe de profiteurs récents ou d'héritiers de long lignage et un peuple en proie au « dégoutage ». Ce substantif créé par le génie populaire algérien évoque tout à la fois des ressentiments passagers mais aussi un malaise plus profond face au mépris et à l'impunité des puissants (la hogra), à la bureaucratie, à la corruption, à l'hypocrisie et au chaos du quotidien. Et le désenchantement après l'espérance du Hirak.
Le défi demeure si colossal qu'il ne pourrait être relevé que par des réformes et des visions politiques qu’un grand nombre d'Algériens estiment inconcevables aujourd'hui. Il faudrait, selon eux, reprendre les fondations de l'État, abandonner le conservatisme des attitudes et des mœurs, séculariser les pouvoirs, éviter les comportements paranoïaques, redonner vie et dynamisme à toutes les créations culturelles, repenser l'école et affronter les rapaces et les tartuffes. Autant de réformes structurelles pour conquérir une véritable indépendance.
Vos réactions à cet article
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Gramoune (10-09-2024 16:19:29)
Laissons ce genre d'articles aux journalistes - Hérodote qui parle d'histoire - n'a rien à y faire.. Malheureusement, c'est de plus en plus le cas, voire à vous dégoûter de l'histoire. C'est pe... Lire la suite
JM KAËS (30-08-2024 19:40:36)
Bravo et merci pour cet article qui reflète la réalité vécue par le peuple algérien aujourd’hui. L’Algérie, malgré toutes les aides dont ont bénéficié essentiellement des personnes parti... Lire la suite