Comme des enfants jouant avec des cubes, les hommes, dès qu'ils en ont eu la possibilité, ont empilé les pierres pour s'élancer vers le ciel.
D'en bas, jetons un œil sur ces grandes réalisations architecturales qui se sont perdues dans les nuages en tentant d'attirer l'attention des dieux.
Un carré et des triangles
Nous sommes environ 2 700 ans avant J.-C. et Imhotep, le « Léonard de Vinci de l'Antiquité », n'est pas satisfait.
La dalle monumentale qui recouvre le tombeau du pharaon Djéser est moins élevée que les murailles de la ville voisine de Memphis. Inacceptable !
Il ordonne donc que quatre dalles similaires mais de taille décroissante soient empilées les unes sur les autres : la première pyramide vient de naître, à Saqqara.
Mais elle comporte encore des degrés qui rappellent les dalles d'origine, ou mastabas (en arabe « table »).
Après Imhotep, les architectes égyptiens vont abandonner la forme en degrés et lisser les parois des sépultures pharaoniques. Les voyageurs grecs qui les découvriront longtemps après les baptiseront « pyramides », sans doute par analogie avec leurs pâtisseries (en grec pyramis).
Considérées dès l'Antiquité comme une des merveilles du monde, les trois pyramides du plateau de Gizeh, dont la plus grande culmine à 146 mètres, sont longtemps restées mystérieuses : à quoi donc pouvaient-elles donc servir si ce n'est à conserver le grain ?
Cette croyance persista jusqu'au XVIe siècle lorsque des voyageurs occidentaux purent enfin pénétrer dans ces « montagnes construites sur des montagnes » (Philon de Byzance). On sait aujourd'hui qu'elles ont abrité les dépouilles des pharaons Khéops, Képhren et Mykérinos.
Au centimètre près
Merveilles de précision, les pyramides égyptiennes n'ont été édifiées que grâce à quelques outils rudimentaires. Pas de roue, encore moins de poulie pour transporter sur un sol instable puis assembler les 6 millions de tonnes de blocs qui recouvrent le tombeau de Khéops.
Inventeurs de la géométrie selon le voyageur grec Hérodote, les Égyptiens maîtrisaient parfaitement la mesure des surfaces et volumes. Mais comment passer de la théorie à la pratique ? Écartons l'hypothèse extraterrestre, avancée par certains excentriques, pour observer comment ils ont tiré parti de scies à lame de cuivre, leviers, cordes et divers outils en silex.
Extraits de carrières voisines ou convoyées sur le Nil, les blocs de calcaire, une fois taillés, étaient transportés sur des traîneaux en bois qui glissaient sur le sol mouillé, avant d'être tirées sur une rampe vers le sommet du monument.
Notons que les ouvriers à la manoeuvre n'étaient pas des esclaves ou des prisonniers de guerre mais des paysans libres qui se mettaient à la disposition du pharaon pendant les crues du Nil, quand il était devenu impossible de travailler dans les champs.
Vous n'êtes pas convaincu ? Les scientifiques non plus, et aujourd'hui encore on continue à s'interroger sur la façon dont les Égyptiens, certes nombreux mais dont les moyens n'avaient guère évolué depuis le Néolithique, sont parvenus à bâtir ces monuments titanesques. Rampe intérieure ou extérieure en zigzag, frontale ou hélicoïdale, systèmes d'élévation à base de contrepoids, et même utilisation d'un type de béton... Le débat reste ouvert !
Un signal lancé vers les étoiles
Symbole, par sa majesté, de l'autorité politique de son commanditaire, la pyramide concrétise surtout la volonté de se rapprocher du monde des dieux. Il s'agit de leur signaler notre humble présence !
Quand elle n'est pas un tombeau comme chez les Égyptiens, la pyramide peut devenir un sanctuaire, avec un autel au sommet et une table des sacrifices dont l'agréable fumet séduit les divinités.
Sans entretien, peu sensible aux intempéries comme aux tremblements de terre, elle offre de nombreux atouts comme en atteste sa présence dans différentes civilisations, notamment dans sa version tronquée en Amérique centrale et du sud.
Olmèques (tumulus de La Venta, VIIIe siècle av. J.-C.) puis Aztèques du Mexique (site de Teotihuacan, du Ie au VIIe siècle ap. J.-C.) ou encore Mayas (Temple des Inscriptions, Palenque, VIIe siècle ap. J.-C.) se lancent dans une course à la hauteur.
Cette stratégie était déjà à l'oeuvre deux millénaires plus tôt en Mésopotamie, avec l'érection des ziggourats (« montagnes célestes » en akkadien). Ces impressionnantes tours de briques à degrés ont inspiré le récit biblique de la tour de Babel.
Le texte hébreu raconte que quelques hommes audacieux auraient tenté de rejoindre le ciel, « se faire un nom » et acquérir de la sorte l'immortalité. Symbole de l'arrogance de l'humanité, l'aventure se termine en débandade cacophonique face à la colère de Dieu. Nous sommes prévenus : chercher à trop nous élever peut mener à la catastrophe...
Toute la terre avait une seule langue et les mêmes mots. Comme ils étaient partis de l'Orient, ils trouvèrent une plaine au pays de Schinear, et ils y habitèrent. Ils se dirent l'un à l'autre : « Allons ! Faisons des briques, et cuisons-les au feu ». Et la brique leur servit de pierre, et le bitume leur servit de ciment. Ils dirent encore : Allons ! Bâtissons-nous une ville et une tour dont le sommet touche au ciel, et faisons-nous un nom, afin que nous ne soyons pas dispersés sur la face de toute la terre. L'Éternel descendit pour voir la ville et la tour que bâtissaient les fils des hommes. Et l'Éternel dit : « Voici, ils forment un seul peuple et ont tous une même langue, et c'est là ce qu'ils ont entrepris ; maintenant rien ne les empêcherait de faire tout ce qu'ils auraient projeté. Allons ! Descendons, et là confondons leur langage, afin qu'ils n'entendent plus la langue, les uns des autres ». Et l'Éternel les dispersa loin de là sur la face de toute la terre ; et ils cessèrent de bâtir la ville. C'est pourquoi on l'appela du nom de Babel, car c'est là que l'Éternel confondit le langage de toute la terre, et c'est de là que l'Éternel les dispersa sur la face de toute la terre (La Bible, Genèse, 11).
Retour sur Terre
En attendant le perfectionnement des techniques, Grecs et Romains se montrent raisonnables dans la construction de leurs temples. Est-ce pour marquer une plus grande proximité avec leurs dieux ?
Après tout, ils ne sont pas censés avoir élu domicile dans les nuages, mais dans les temples eux-mêmes qui abritent leur statue !
Ce temple va prendre la forme des anciens palais des rois : la salle contenant le foyer devient sanctuaire, tandis qu'est conservée l'idée d'un portique protecteur, permettant de séparer profane et sacré.
Par la suite, les constructeurs vont profiter des progrès de l'architecture pour offrir davantage d'espace à leurs divinités en créant des coupoles de plus en plus imposantes, à l'image du Panthéon de Rome.
Dédicacé en 135 par l'empereur Hadrien, il devait accueillir « tous les dieux » (pántheion en grec) sous ses 40 mètres de hauteur.
Suite à la chute de Rome, le savoir-faire antique se transmet à Byzance. En inaugurant en 537 la basilique Sainte-Sophie, l'empereur Justinien pouvait à juste titre s'écrier, au pied des 55 mètres de haut de la coupole : « Salomon, je t'ai surpassé ! », en référence au roi hébreu qui avait érigé le Temple de Jérusalem.
Il faudra attendre près d'un millénaire avant que les coupoles de Sainte-Sophie n'inspirent tout à la fois les architectes italiens et les architectes ottomans dont l'illustre Sinan, contemporain de Soliman le Magnifique.
Pour la plus grande gloire du Grand Géomètre de l'Univers
L'aspiration au ciel revient avec l'islam. Les cinq appels quotidiens à la prière par le muezzin nécessitent très vite un point élevé aux abords des mosquées.
C'est ainsi que sont érigées des minarets (de l'arabe manara qui désigne à l'origine un phare).
En Mésopotamie, par exemple à Samarra, c'est le modèle de la ziggourat qui est repris !
Les plus beaux exemples de minarets nous sont toutefois offerts par le Maroc des Almohades, au XIIe siècle.
C'est la Koutoubia de Marrakech et sa soeur de Séville, la Giralda, aujourd'hui convertie en clocher.
L'attrait des hautes constructions a des prolongements à l'autre extrémité du monde, chez les bouddhistes d'Extrême-Orient.
Au début de notre ère, ils transforment les modestes stupas, stèles en l'honneur de Bouddha, en vertigineuses pagodes à étages.
Les hindous n'échappent pas à la « tentation de Babel » !
À partir du IXe siècle et pendant un demi-millénaire, leurs « montagnes-temples », très richement décorées, vont se déployer à Angkor, au Cambodge.
En ce début du Moyen Âge, l'Occident, quant à lui, construit peu et se contente de lieux de culte relativement modestes, notamment sous l'influence de l'architecture des envahisseurs normands.
Mais dès l'An Mil, les maîtres d'ouvrages, monastères à la campagne ou évêques dans les villes, se font plus ambitieux pour louer Dieu comme il le mérite, recevoir les croyants en nombre croissant et également affirmer leur prestige et leur autorité...
En Occident donc, on commence par multiplier les voûtes en berceau ; mais celles-ci, trop lourdes, doivent reposer sur des murs épais que l'on soulage par des contreforts.
Avec les premières croisées d'ogive, l'art roman fait un grand pas vers plus de légèreté et ouvre la voie au style gothique qui triomphe après le XIIe siècle. Il tire son origine d'une nouvelle vision de la foi qu'exprime l'abbé Suger, à Saint-Denis.
Il pense que l'église ne doit pas être un lieu dépouillé, dédié à la prière, mais le symbole de la magnificence de Dieu. « On ne doit pas recueillir le sang du Christ dans de la vaisselle ordinaire » ! Il faut de la hauteur, de la lumière, de la beauté ! Les regards, comme les âmes, doivent s'élever vers le ciel. Et pour joindre la théorie à la pratique, Suger s'emploie à remanier complètement sa vieille abbatiale carolingienne de Saint-Denis.
Toute autre construction prend alors un air archaïque et complètement démodé et les prélats français, après avoir participé à la consécration de « l'œuvre fameux [qui] resplendit de cette clarté nouvelle » (Suger, Geste de Louis VI), s'empressent à leur tour de rénover qui leur cathédrale, qui leur abbatiale. Une page se tourne.
Digne des Goths !
Désormais, les architectes médiévaux s'emploient à supprimer les murs pour faire triompher le vide. Pour donner aux fidèles, dans les églises, l'illusion de la transparence, ils augmentent la hauteur du vaisseau central et la surface vitrée à l'aide des croisées d'ogives.
Mais comment supporter l'ensemble du poids sans encombrer l'intérieur de lourdes et disgracieuses colonnades ? Rien de plus simple : le squelette du bâtiment, constitué d'arcs-boutants, est rejeté à l'extérieur pour créer une impression d'espace intérieur sans limite. Dès lors, c'est la surenchère ! Parties du nord de la France pour essaimer jusqu'en Angleterre et Espagne, ces cathédrales, toutes plus gigantesques les unes que les autres, vont changer l'apparence des villes.
Strasbourg, Chartres ou encore Reims profitent en effet de la prospérité nouvelle des campagnes pour édifier ces monstres de pierre qui, de leur hauteur, semblent protéger tout le diocèse. Alliances de force et de légèreté, elles deviennent le symbole du savoir-faire humain qui soumet à sa volonté non seulement l'espace mais aussi la lumière en utilisant simplement la pierre, le plomb et le verre.
Elles séduisent avec leurs statues multicolores en façade et leurs chimères et autres stryges qui veillent sur leurs sommets. Triomphantes, elles dominent l'Europe de leur haute taille... jusqu'à l'excès.
« J'ai sur la tête un gouffre en hauteur... »
« … mais ce gouffre est si bien ordonné que l’illusion déplace harmonieusement la force quand les lumières bougent. [...] On sent que, là-haut, des oiseaux de feu, sur des rocs noirs, battent furieusement des ailes ; il y a lutte, et du conflit des forces naît la règle.
Je suis à l’intérieur d’une pyramide.
Dire qu’une petite flamme de cierge peut, en vacillant, faire palpiter le monstre, déplacer les architectures, en ce moment immobiles ! Une nuance de clarté et tout ceci va remuer. [...]
De ma fenêtre.
À regarder de nouveau la Cathédrale à travers ma fenêtre, je vois un rideau de pierre. Les sculptures sont les broderies du rideau. — Faust mériterait le privilège de vivre dans cette chambre, à cette fenêtre, à l’ombre, à la porte du chef-d’œuvre dont la splendeur exalte cette rue, cette ville, ce pays. […] Le matin révélateur — quand le monstre cessera de dormir — nous dira quels voiles, quels triples voiles nous cachaient le spectacle dont je pressens la splendeur. Pour le moment, je dois autant à mon imagination qu’à mes yeux. Je suis devant un masque impénétrable. La petite lumière qui se déplace, pas à pas, évoque l’idée d’un crime — une lanterne sourde accompagnerait ainsi les pas d’un criminel…
Le génie de l’homme triomphe dans la création des arcades. D’où lui viennent-elles ? De l’arc-en-ciel, peut-être ! » (Auguste Rodin, À Propos d'une cathédrale, 1914).
Plus dure sera la chute !
Construire en hauteur est une performance risquée... Laissons de côté la tour de Babel, victime de la colère divine, ou la « cathédrale martyre » de Reims qui ne reçut pas moins de 350 obus pendant la Première Guerre, pour nous intéresser à de simples questions de gravité.
Les constructeurs devaient être très fiers, en 1272 du côté de Beauvais, lorsqu'ils admiraient la voûte du choeur de la cathédrale qui s'élevait à plus de 48 mètres. Un record. Pas pour longtemps : en 1284, elle s'effondre ; puis en 1573, c'est la tour de 153 mètres qui rejoint le sol.
Les bâtisseurs avaient vu juste jusqu'ils déclaraient : « Nous construirons une flèche si haute, qu'une fois terminée, ceux qui la verront penseront que nous étions fous » ! Fous, en effet, ils l'avaient été pour dessiner des contreforts trop minces pour lutter contre les vents violents qui faisaient vibrer tout l'édifice.
Autres époques, autres causes mais conséquence similaire : en 1822, la foudre frappe la flèche de Notre-Dame de Rouen tandis qu'en 1989, à la surprise de tous, la Torre Civica de Pavie se transforme soudainement en un tas de gravats.
Est-ce le destin qui attend le campanile le plus célèbre au monde, celui de Pise ?
Son fameux penchant ayant commencé à apparaître quelques années après le début de sa construction, en 1173, les architectes ont tenté, mine de rien, de rétablir l'équilibre de l'ensemble en édifiant un dernier étage plus présentable. Peine perdue : édifiée sur une plaine alluviale, la tour aux pieds d'argile a continué sa progression vers le sol, avant d'être stabilisée dans les années 2000. Suspense...
« […] à cinq heures, au milieu d'une détonation épouvantable et d'une lueur extraordinaire, la foudre vint frapper la pointe de la pyramide, et, la circonscrivant en spirale avec son impétuosité ordinaire, parut s'abîmer dans la partie inférieure des colonnades.
D'abord, ceux mêmes qui remarquèrent la chute et la disparition du terrible météore ne conçurent aucun soupçon de danger ; mais vingt minutes s'étaient à peine écoulées qu'un homme entrant à grands pas dans la cathédrale, et s'approchant d'un des officiers subalternes de cette église, s'écria brusquement que le feu était dans le clocher.
Cette effrayante nouvelle n'était que trop fondée. Cependant elle causa d'autant moins d'émotion d'abord qu'un individu s'avisa de dire que la raison de celui qui l'apportait s'égarait fréquemment ; mais […] bientôt l'alarme devint générale. […]
Mais les progrès de l'embrasement, l'élévation immense du foyer, l'impossibilité d'y faire promptement et sûrement accéder des secours, la pyramide vomissant déjà de toutes parts de longs jets de flamme parmi des tourbillons de fumée que l'oxyde des plombs en fusion colorait d'un vert livide ; la mort elle-même enfin, planant au-dessus de l'édifice et de ses environs ; tout forçait les assistants à rester, malgré leur vive impatience, spectateurs oisifs de ce déplorable événement. […] Enfin, comme pour signaler la crise fatale, sept heures sonnent ! La flèche tout entière se renverse […] sur l'angle de la tour occidentale de la Calende, qui la rejette sur une maison voisine qu'elle perce de fond en comble avec un fracas épouvantable » (Eustache-Hyacinthe Langlois, Notice sur l'incendie de la cathédrale de Rouen, 1823).
De l'audace, toujours de l'audace
Pénétrés de culture gréco-romaine et byzantine, les Italiens de la Renaissance, dès le XVe siècle, s'appliquent à renouveler le genre architectural.
En 1436 l'architecte Filippo Brunelleschi, cet « homme envoyé par le Ciel » (Giorgio Vasari), parvient à couronner la cathédrale de Florence, le Duomo, d'une coupole de 45 mètres de diamètre.
Au siècle suivant, elle est défiée par celle de Saint-Pierre de Rome, réalisée en partie par Michel-Ange. Viendront ensuite Saint-Paul, à Londres, et bien plus tard encore, au XVIIIe siècle, Sainte-Geneviève, à Paris (aujourd'hui le Panthéon).
Soulignons-le : à cette date encore, si l'on met à part les donjons et tours à but défensif, aucune communauté humaine ne se soucie encore de construire en hauteur pour des motifs profanes.
Les palais eux-mêmes s'en tiennent à des dimensions raisonnables et, à Versailles, Louis XIV veille à ce que la chapelle surpasse en hauteur les toits de son palais. Même le Roi-Soleil n'a garde de défier Dieu !
Au XIXe siècle, il ne s'agit plus que de restaurer les édifices du culte qui ont souffert des Révolutions et terminer certains monuments comme la cathédrale de Cologne (1880) ou Notre-Dame de Paris qui retrouve sa flèche grâce à Viollet-le-Duc (1860).
Du siècle suivant on retiendra le gigantisme de la basilique Notre-Dame de la Paix (1989) en Côte d'Ivoire ou encore de la mosquée Hassan II à Casablanca, dont le minaret culmine à 200 mètres.
Plus près de nous, c'est à Barcelone que grandit tout doucement la cathédrale qui doit devenir la plus haute de la chrétienté : la Sagrada Familia, imaginée par Antonio Gaudì.
À son inauguration, en 2026, ses 18 tours inspirées par l'architecture de terre africaine seront regardées de haut par une tour-lanterne de près de 170 mètres !
Mais aujourd'hui, s'élever le plus possible dans le ciel est devenu moins un enjeu religieux qu'économique, politique et profane, si l'on en croit la compétition qui existe dans la construction des gratte-ciel.
Mais cela est une autre histoire !
Coupole et tour, les alliées du ciel
La coupole des monuments religieux permet à la fois de protéger le fidèle et de l'inciter à lever les yeux vers l'infini. C'est le ciel à portée d'échafaudage. Qu'elle soit simple dans l'art roman, côtelée en terre d'Islam ou à bulbe dans le monde scandinave, la forme est présente dans le monde entier.
Elle semble même ne plus servir de toit lorsque les artistes, avec la technique du trompe-l'oeil, parviennent à donner l'illusion que le bâtiment gagne en hauteur, voire qu'il touche carrément le ciel.
Fine et élancée, la tour est l'autre architecture qui s'approche des dieux. Les pagodes qui accueillent les fidèles mais aussi les clochers et minarets qui les appellent à la prière ont aussi pour rôle d'attirer le regard et de servir de point de repère.
Selon la tradition, c'est Paulinus, évêque de Campanie, qui initia au Ve siècle l'utilisation des cloches, tandis que ce sont les tours d'angle de l'église Saint-Jean-Baptiste de Damas, devenue la mosquée des Omeyyades (715 ap. J.-C.), qui servirent de modèles aux premiers minarets.
Mais était-il toujours besoin de ces hautes tours, souvent très travaillées ? Ne les a-t-on pas aussi construites pour montrer sa puissance ? C'est aussi le but inavoué de ces interminables flèches dont de nombreuses églises s'enorgueillissent.
Totalement inutiles du point de vue architectural ou liturgique, ces pointes semblent accrocher le monument aux nuages. Que serait l'abbaye du Mont-Saint-Michel sans sa flèche, pourtant seulement ajoutée en 1899 ?
« En voyant monter vers le ciel ce fourmillement monumental et dentelé de personnages de grandeur humaine dans leur stature de pierre tenant à la main leur croix, leur phylactère ou leur sceptre, ce monde de saints, ces générations de prophètes, cette suite d'apôtres, ce peuple de rois, ce défilé de pécheurs, cette assemblée de juges, cette envolée d'anges, les uns à côté des autres, les uns au-dessus des autres, debout près de la porte, regardant la ville du haut des niches ou au bord des galeries, plus haut encore, ne recevant plus que vagues et éblouis les regards des hommes au pied des tours et dans l'effluve des cloches, sans doute à la chaleur de votre émotion vous sentez que c'est une grande chose que cette ascension géante, immobile et passionnée. Mais une cathédrale n'est pas seulement une beauté à sentir. Si même ce n'est plus pour vous un enseignement à suivre, c'est du moins encore un livre à comprendre » (Marcel Proust, Journées de pèlerinage dans Pastiches et mélanges, 1919).
Soucieux de se rapprocher des dieux, les hommes ont eu aussi la tentation de leur ressembler et n'ont pas manqué, dès les temps les plus reculés, de bâtir des monuments à leur propre gloire !
Bibliographie
« L'Invention des pyramides », Cahiers de Science et vie n°106, août 2008.
20 siècles en cathédrales, Centre des Monuments nationaux/Monum, 2001.
Miles Lewis, L'Architecture. Élément par élément, éd. Citadelles Mazenod, 2008.
Architecture médiévale
Vos réactions à cet article
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Jean LOIGNON (09-11-2015 22:55:46)
La construction contemporaine des gratte-ciel est-elle bien "une autre histoire" ? Ou bien un culte architectural aux dieux séculiers de la richesse économique. Pour parodier le récit de Genèse, D... Lire la suite
André (08-11-2015 09:47:21)
"Mais comment supporter l'ensemble du poids sans ajouter de lourds et disgracieux arcs-boutants ? Rien de plus simple : le squelette du bâtiment est rejeté à l'extérieur" Voici une explication h... Lire la suite
Lili Papé (08-11-2015 09:37:35)
QUE DES MERVEILLES ! Merci pour tous ces rappels. "Les sages vont chercher de la lumière, et les fous leur en donnent"... seulement pour conduire les hommes à plus d'humilité ! Et ce n'est pas l... Lire la suite