La Hongrie (1526 - 1920)

L'impossible indépendance

Après la défaite de Mohács et le partage de son territoire entre Turcs et Habsbourg, il faudra quatre siècles à la Hongrie pour recouvrer sa souveraineté pleine et entière. Mais le prix de l’indépendance sera très lourd, amputant le pays des deux-tiers de sa superficie d’origine. Le traité de Trianon, le 4 juin 1920, laissera des plaies qui, aujourd’hui, ne sont pas cicatrisées.

Julien Colliat

Carte de la Hongrie de 1867 à nos jours.

L’âge d’or de la Transylvanie

Depuis la mort du roi Louis II de Hongrie à la bataille de Mohács, l’archiduc Ferdinand d'Autriche et le gouverneur de Transylvanie, Jean Zápolya, revendiquent tous deux le trône.

Atelier de Jan Cornelisz Vermeyen, Portrait de Ferdinand Ier, XVIe siècle, collection privée. Agrandissement : Jean Zápolya, gravure d'Erhard Schön, XVIe siècle.Les deux prétendants finissent par trouver un compromis à la paix de Nagyvarad, en 1538. Ferdinand continue de régner sur la Hongrie occidentale et sa capitale Presbourg (Bratislava) avec la mythique couronne de saint Étienne et le titre de roi de Hongrie, cependant que Jean conserve la Hongrie orientale (Transylvanie) avec promesse de la céder aux Habsbourg à sa mort.

Deux ans après la paix de Nagyvarad, Jean Zápolya meurt. Son fils, né seulement quinze jours plus tôt, est aussitôt proclamé roi de Hongrie par les partisans de Zápolya, en violation du pacte conclu avec les Habsbourg. Sa mère, Isabelle Jagellon, assure la régence et gouverne depuis la Transylvanie.

Au milieu du XVIe siècle, la Réforme luthérienne gagne la Hongrie et de nombreux aristocrates se convertissent. En Transylvanie, les protestants deviennent rapidement majoritaires, bien que divisés entre luthériens, calvinistes et unitariens. Le roi Jean II lui-même a adopté la foi réformée et signe en 1565 l’édit de tolérance de Torda, le premier décret de liberté religieuse en Europe.

Lucas Cranach le Jeune, Isabelle Jagellon, vers 1153, Cracovie, musée Czartoryski. Agrandissement : Albrecht Dürer, Portrait de l'empereur Maximilien Ier, 1519, Vienne, Kunsthistorisches Museum.Cinq ans plus tard, Jean II renonce par le traité de Spire à la couronne hongroise, laissant celle-ci à l’empereur Maximilien Ier. Il se voit reconnaître en échange le titre de « prince de Transylvanie ».

Aussi étonnant que cela puisse paraître, en raison de la politique antiprotestante menée par les Habsbourg, la principauté préfère la tutelle turque, avec l’obligation de payer un tribut à la Sublime Porte, plutôt que supporter les avanies des Habsbourg catholiques.

Jean II n’ayant pas d’enfant, c’est le candidat anti-Habsbourg Étienne Báthory qui est élu à sa mort prince de Transylvanie par la Diète. Loin de s’avouer vaincu, son concurrent se rebelle mais est battu à la bataille de Kereloszentpal en 1575. La même année, Báthory est élu roi de Pologne et confie la principauté à son frère Christophe. Six ans plus tard, son fils Sigismond hérite de la Transylvanie.

Karl Briullov, Siège de Pskov par le roi polonais Étienne Báthory, 1843. Agrandissement : Jan Matejko, Étienne Báthory à Pskov en 1579, palais royal de Varsovie.

Le règne de Sigismond sera marqué par la reprise des hostilités entre l’Autriche et l’empire ottoman. Durant cette « Longue Guerre », le prince va se révéler constamment indécis et instable en s’alliant alternativement aux deux camps et en abdiquant à plusieurs reprises. Finalement, il cède définitivement la Transylvanie à l’empereur Rodolphe II en 1601.

La Hongrie à l’heure turque

Dans le territoire hongrois intégré à l’empire ottoman, les nobles et le clergé sont chassés et les terres redistribués aux timariots, des cavaliers supplétifs de l’armée turque. Quant aux paysans hongrois restés sur place, ils vivent sous le statut de dhimmi et doivent s’acquitter d’une taxe spéciale pour pratiquer leur religion.
Martino Rota, Rodolphe II, vers 1560, Vienne, Kunsthistorisches Museum. Agrandissement : Joseph Heintz l'Ancien, Rodolphe II, 1594, Vienne, Kunsthistorisches Museum.Le paysage des campagnes est transformé : la culture de céréales laisse place à l’élevage extensif et la population rurale se regroupe dans les gros bourgs. La Hongrie aura cependant moins à souffrir de la colonisation ottomane que les pays balkaniques.
Par son éloignement géographique d’Istanbul, elle fera davantage figure de glacis que de colonie. Les Turcs resteront groupés dans les villes fortifiées et ne chercheront pas à convertir les Hongrois à l’islam, ce qui explique l’absence de minorités musulmanes dans le pays.
D’un siècle et demi de présence turque, ne subsistent dans le pays que trois minarets, le plus célèbre étant celui d’Eger, dernier vestige de la mosquée Kethüda.

Le minaret à Eger.

Insurrections anti-Habsbourg

À peine trois ans plus tard, la Transylvanie est le lieu d’une immense révolte anti-Habsbourg, animée par un noble protestant, Étienne Bocskai.

Étienne II Bocskai dessiné en 1729, d'après les aquarelles de 1692 d'un artiste de Graz, Académie Roumaine. Agrandissement : Couronne d'Étienne II Bocskai offerte par le sultan ottoman Ahmet Ier le 11 novembre 1605 conservée à Vienne dans le Trésor impérial d'Autriche.Celui-ci parvient à chasser du pays le gouverneur Giorgio Basta, auteur d’innombrables exactions contre les Hongrois. En remerciements, la Diète l’élit prince de Transylvanie. Quant au sultan, il lui offre en gage d’amitié une luxueuse couronne ornée de pierres précieuses.

La paix entre l’Autriche et l’empire ottoman est conclue en 1606 et met un terme à l’insurrection. Bocskai mourra peu après, vraisemblablement empoisonné. Il demeure aujourd’hui un véritable héros national en Hongrie.

C’est un de ses anciens conseillers, Gabriel Bethlen, qui gouverne la Transylvanie lorsqu’éclate la guerre de Trente Ans. Le prince soutient aussitôt les protestants de Bohème et déclenche une guerre de libération contre les Habsbourg. Les armées impériales étant aux prises avec les Tchèques (ainsi se dénomment les habitants de la Bohème), Bethlen parvient à conquérir la Hongrie royale où il garantit la liberté de culte.

Étienne II Bocskai combattant les mercenaires impériaux, Monument du millénaire à Budapest.

Le 20 août 1620, la Diète l’élit roi de Hongrie. Bethlen refuse néanmoins le trône, espérant une réconciliation avec Vienne.

Gábor Bethlen, roi hongrois élu Gábor I, XVIIe siècle. Agrandissement : Pierre Aubry, Georges II, XVIIe siècle, Budapest, musée national hongrois.Après leur victoire à la bataille de la Montagne Blanche, le 8 novembre 1620, les Habsbourg reprennent une partie de la Hongrie royale. De son côté, Bethlen épouse la fille de l’Électeur de Brandebourg et s'allie aux puissances protestantes. Le prince de Transylvanie jouit désormais d’un prestige international qui lui fait même miroiter le trône de Pologne. Il meurt avant d’y parvenir en 1629.

Son successeur, Georges Ier Rakóczi poursuit la guerre contre les Habsbourg en s’alliant avec la Suède et la France. Malgré plusieurs victoires transylvaines, les Ottomans le poussent à conclure la paix avec l’empereur, obtenant en retour la liberté de culte en Hongrie royale.

Jean III Kemény, prince de Transylvanie de 1661 à 1662, mort à Nagyszőlős. Agrandissement : Michel Apafi, vers 1670, Slovanie, musée régional Ptuj Ormož.Les ambitions de son fils et successeur, Georges II, vont précipiter la fin de l’Âge d’or de la Transylvanie. Après avoir installé en Moldavie et en Valachie des souverains à sa botte, Rakóczi ambitionne à son tour de se faire élire roi de Pologne. Pour ce faire, il engage la Transylvanie dans la première guerre du Nord aux côtés de la Suède et attaque la Pologne par le sud-est.

Ses initiatives ne sont pas au goût du sultan ottoman qui demeure officiellement son suzerain. En représailles, la Sublime Porte envahit la Transylvanie et met à sac sa capitale, Gyulafehervar. Des milliers de Transylvains sont tués ou réduits en esclavage.

Les Turcs placent un de leur protégés sur le trône mais il est rapidement déposé par ses sujets. Un prince pro-Habsbourg lui succède qui est, lui, tué par les Ottomans en 1662 à la bataille Nagyszolos. Le sultan impose un nouveau prince, Michel Apafi, qui lui demeurera entièrement soumis durant tout son règne.

La Hongrie royale contre les Habsbourg

L’invasion de la Transylvanie place les Habsbourg sous la menace directe des Turcs, contraignant l’empereur Léopold Ier à entrer en guerre contre l’empire ottoman. Pour faire face aux troupes du sultan, l’empereur bénéficie d’un étonnant soutien : Louis XIV en personne, lequel lui envoie un important contingent.

Petar Zrinski, vers 1650, Budapest, musée national hongrois. Les Turcs envahissent la Hongrie royale et la Moravie mais sont arrêtés par les troupes franco-impériales le 1er août 1664, près du village de Saint-Gothard (Szentgotthárd), à l’actuelle frontière austro-hongroise.

Alors que l’armée ottomane est en décomposition, les Impériaux ne profitent pas de leur avantage et font l’économie d’une contre-offensive, préférant signer la fin de la guerre avec la sultan. Cette paix hâtive exacerbe une grande partie de la population de la Hongrie royale, une fois de plus ravagée par les opérations et privée de la possibilité de libérer ses terres historiques des Ottomans. Le mécontentement général trouve qui plus est un écho favorable au sein du contingent français.

Des magnats hongrois et croates, menés par Ferenc Wesselényi, Petar Zrinski et Fran Krsto Frankopan fomentent une conjuration contre l’empereur Léopold et sa politique absolutiste.

Exécution de Péter Zrinski, Ferenc Wesselényi et Fran Krsto Frankopan, 1671, Budapest, musée national hongrois.

Portraits d'Imre Thököly, XVIIe et XVIIIe siècle, Royaume-Uni, château du marquis de Bath à Longleat.Malgré l'appui financier de la France et la participation de la haute noblesse, les conspirateurs échouent dans leur tentative et sont victimes d’une répression impitoyable. En 1671, les chefs du complot sont décapités en place publique et les autonomies nationales abrogées. Vienne nomme un régent en Hongrie royale et les persécutions antiprotestantes s’accentuent.

La répression autrichienne pousse de nombreux Hongrois, parmi lesquels une part importante d’anciens soldats, à lancer des raids contre l'armée des Habsbourg stationnée en Hongrie, dans une sorte de guérilla avant l’heure. En 1678, Imre Thököly, fils d’un des anciens conjurés, prend la tête de l’insurrection et réussit à chasser les troupes impériales d’une partie du pays. Il est soutenu politiquement par Louis XIV ainsi que par le sultan qui lui accorde même le titre de « prince de Haute-Hongrie ».

Les bains turcs

La passion des Hongrois pour la balnéothérapie s’explique d’abord par la spécificité géothermique du pays qui abrite parmi les plus grandes réserves d’eaux thermales du monde. À commencer par Budapest où l’on recense pas moins de 123 sources thermales. Dès le Ier siècle de notre ère, les Romains édifient des thermes dans la ville qui est d’ailleurs nommée Aquincum, (en latin : « eaux abondantes »). Si les bains disparaissent en Europe à la Renaissance, la conquête ottomane leur donne un nouvel essor en Hongrie. Les sultans font construire de magnifiques bassins octogonaux recouverts de dômes percés d’oculi filtrant la lumière du soleil. Parmi les plus célèbres de ces bains orientaux citons celui de Kiraly, construit en 1570. Les bains turcs subsisteront après le départ des Ottomans et connaîtront même un nouvel engouement à la fin du XIXe siècle.

Les bains de Rudas et de Kiraly à Budapest conservent une coupole ottomane.

La fin de la présence turque

C’est en partie pour profiter de l’insurrection anti-Habsbourg en Hongrie que le sultan Mehmed IV entame un nouveau siège de Vienne en 1683. Celui-ci s’achève par la victoire des troupes impériales et polonaises sur la colline du Kahlenberg. Les insurgés hongrois qui combattaient jusque-là du côté ottoman en profitent pour changer de camp, laissant Thököly s’enfuir avec les Turcs.

Cette fois, les Habsbourg sont décidés à exploiter leur avantage. Bénéficiant de l’alliance des Polonais et du soutien financier du pape, les troupes impériales entament une contre-offensive destinée à libérer toute la Hongrie du joug ottoman. Buda est reprise en 1686 par l’armée de Charles de Lorraine. L’année suivante, à Mohács, les Turcs subissent un nouveau revers, là où un siècle et demi plus tôt s’était achevé l’indépendance du royaume de Hongrie.

Gyula Benczúr, L'armée impériale pénétrant dans Buda : Charles V de Lorraine (à cheval, à gauche) et Eugène de Savoie (à cheval, à droite) devant le corps du général ottoman Abdurrahman Abdi Pacha, 1896.

Après quelques années de pause, la guerre reprend en 1697. Le 11 septembre, à Zenta, les impériaux menés par le prince Eugène de Savoie infligent une lourde défaite aux Ottomans. Ceux-ci perdent près de 30 000 hommes et sont contraint d’abandonner le trésor royal et même le harem du sultan !

Prince Ferenc Rakóczi, Ádám Mányoki, 1712, Budapest, Galerie nationale hongroise.La guerre austro-turque prend fin avec la signature, le 26 janvier 1699, de la paix de Karlowitz. Les Turcs abandonnent définitivement la Hongrie, la Transylvanie et la majeure partie de la Slavonie et de la Croatie. Les Hongrois n’en retrouvent pas pour autant l’indépendance, la totalité de leur territoire étant désormais intégré aux domaines des Habsbourg.

En 1703, profitant de l’engagement des troupes autrichiennes dans la guerre de la Succession d'Espagne, Ferenc Rakóczi, beau-fils d’Imre Thököly, conduit un nouveau soulèvement anti-Habsbourg. Après avoir conquis l’est de la Hongrie, il est élu prince de Transylvanie puis proclamé régent de Hongrie. Rakóczi déclare les Habsbourg déchus de leurs droits sur le royaume et promeut l’émancipation des paysans. Il est finalement vaincu militairement et signe sa reddition en 1711.

La marche de Rakóczi, Simon Hollósy, 1899, Budapest, Galerie nationale hongroise.

La Hongrie dans l’empire d’Autriche

Il faut attendre trois décennies pour que la noblesse hongroise se rallie pleinement aux Habsbourg. L’artisane de cette réconciliation est Marie-Thérèse d’Autriche. Devenue en 1740 archiduchesse d’Autriche et « roi de Hongrie » (son titre officiel !), elle prononce le 11 septembre 1741 devant la Diète de Hongrie, à Presbourg, un discours enthousiaste qui lui assure aussitôt le soutien de la noblesse.

Comte Karoly Batthyany, vers 1772, Budapest, Galerie nationale hongroise.Durant son règne, Marie-Thérèse entretiendra un rapport privilégié avec ses sujets hongrois. Elle nomme par exemple le comte Karoly Batthyany précepteur du prince héritier, le futur Joseph II et confie sa garde personnelle à un corps d’élites de hussards hongrois, tradition qui sera conservée par les Habsbourg jusqu’en 1918.

Tandis que le royaume se reconstruit, les régiments hongrois se distinguent dans plusieurs conflits, notamment à la bataille de Kolin, lors de la Guerre de Sept Ans, où Frédéric II subit une défaite retentissante. Après la restitution du Banat de Temesvar, le territoire du royaume constitue plus de la moitié de l'empire des Habsbourg.

Bataille de Kolin, Karl von Blaas, vers 1865, Vienne, Kunsthistorisches Museum.

Joseph II poursuit la politique de sa mère. Mais il mène une politique centraliste et impose l’allemand comme langue officielle en lieu et place du latin, qui avait l’avantage de ne heurter aucune susceptibilité ; adepte de l’esprit des Lumières, il entreprend aussi de nombreuses réformes mais elles se heurtent au veto de la noblesse hongroise.

Ignac Martinovics, Zsigmond Pollák, 1881. Agrandissement : L'exécution de Martinovics et de ses camarades sur le Vérmező, 1795, Budapest, musée national hongrois.À la fin du XVIIIe siècle, les idées de la Révolution française trouvent un certain écho en Hongrie. Le philosophe et scientifique Ignac Martinovics, défenseur de la monarchie constitutionnelle, crée ainsi plusieurs sociétés secrètes inspirées des Jacobins français. Arrêté par les autorités, il sera jugé coupable de haute trahison et exécuté, avec ses principaux lieutenants en 1795.

Pour financer la guerre contre la France révolutionnaire, Vienne lève de lourds impôts en Hongrie. Le royaume subit en outre une inflation galopante qui mine son économie. Pourtant la noblesse hongroise refusera la proposition de Napoléon de détacher le royaume de l’Autriche, craignant d’abord pour ses privilèges.

L’ère des réformes

En 1825, la Diète hongroise est convoquée par le chancelier autrichien Metternich après treize année d’interruption. Des débats à l’assemblée émerge un aristocrate de 34 ans, Istvan Széchenyi.

István Széchenyi aux Portes de Fer (gorge du Danube), József Schoefft, 1836.Ce voyageur ayant parcouru une bonne partie de l’Europe préconise une profonde modernisation économique et scientifiques de la Hongrie, sur le modèle anglais. Széchenyi finance la création de l'Académie hongroise des Sciences et introduit l’élevage des vers à soie pour industrialiser le pays.

En une dizaine d’années, plusieurs grands travaux sont réalisés comme l'aménagement de la rivière Tisza et des gorges du Danube ou l’ouverture du Théâtre national. La plus spectaculaire de ces réalisation sera la construction du célèbre Pont aux chaînes, reliant les villes de Buda et de Pest en enjambant le Danube sur presque 400 mètres. Un véritable exploit technique pour l’époque.

Pose de la première pierre, Miklós Barabás, 1864, Budapest, musée national hongrois. Cérémonie qui marqua le début de la construction du Pont aux Chaînes. Agrandissement : Vue actuelle du Lánchíd (Pont aux chaînes) la nuit.

Face à la noblesse conservatrice qui domine l’assemblée, de nouvelles figures politiques apparaissent tel Lajos Kossuth qui s’impose comme chef de l'opposition libérale-radicale. Cet orateur charismatique, sorte de Clemenceau magyar, plaide pour une Hongrie indépendante et centralisée, sur le modèle jacobin français. Accusé d’incitation à la sédition, il est emprisonné plusieurs années avant de créer Pesti Hirlap, le journal de l'opposition.

À partir des années 1840, la contestation politique prend un tournant de plus en plus nationaliste. Le nouveau chef de l’opposition libérale, Lajos Batthyány, dénonce l'ingérence de Vienne dans les affaires intérieures et dans la politique étrangère. En 1844, le hongrois est adopté comme langue officielle, à la place du latin.

Cérémonie d'ouverture du premier parlement, fondé sur la représentation populaire, 5 juillet 1848, József Borsos et August von Pettenkofen. Batthyány, Kossuth et d'autres membres du premier gouvernement responsable sont sur le balcon.

La révolution hongroise

Le 14 mars 1848, dix jours après que soient parvenues à Buda les nouvelles de la révolution parisienne, une délégation de parlementaires hongrois se rend à Vienne pour transmettre à l’empereur ses revendications nationales.

Miklós Barabás, Comte Lajos Batthyány, 1840, Budapest, musée national hongrois. Agrandissement : Lajos Kossuth, lithographie Johann Rauh, 1848.Ferdinand Ier cède et charge Lajos Batthyány de former un gouvernement. Le premier Premier ministre de l’histoire du pays nomme Kossuth aux finances et rédige un programme impératif qui comprend notamment le contrôle par la Hongrie de son budget et de sa politique étrangère ainsi que la suppression du servage (enfin !). Le programme est rapidement adopté par la Diète hongroise et signé par l’empereur.

Jacobins et centralisateurs, les révolutionnaires hongrois souhaitent unifier le pays, au détriment des peuples minoritaires, en premier lieu des Croates, toujours unis à la couronne de Hongrie.

Du coup, demeuré loyaliste à l’égard de l’Autriche, le ban de Croatie Josip Jelacic envahit la Hongrie durant l’été pour mater la révolution. Le 29 septembre, une armée hongroise constituée à la hâte écrase les loyalistes croates à la bataille de Pakozd. Cette défaite impériale précipite l’insurrection d’octobre à Vienne et l’abdication de Ferdinand Ier.

Bataille de Pákozd, Johann Rauh, Providence, États-Unis, Brown University Library.

Tout juste âgé de 18 ans, son neveu, François-Joseph, lui succède sur le trône. Refusant d’accorder toute autonomie aux minorités de l’Empire, il promulgue le 4 mars 1849 une nouvelle constitution conservatrice et centralisatrice. À Buda, cette décision met le feu aux poudres et le 14 avril, la Diète hongroise proclame la déchéance de la maison Habsbourg-Lorraine et l’indépendance de la République. Lajos Kossuth est nommé président-gouverneur et investi des pleins pouvoirs.

François-Joseph obtient l’aide du tsar Nicolas Ier dont la détermination à écraser partout les soulèvement révolutionnaires vaut le surnom de « gendarme de l’Europe ». Abandonnée par les autres États européens, la jeune république hongroise subit durant l’été une offensive austro-russe qui finit par écraser la rébellion.

János Thorma, Budapest, Exécution des martyrs d'Arad, entre 1893 et 1896, musée national hongrois.

Tandis que Kossuth se réfugie en Angleterre, une terrible répression s’abat sur le pays, orchestrée par le général Haynau. Le 13 octobre 1849, l’ancien Premier ministre Lajos Batthyány est condamné à mort et exécuté. Le même jour, 13 généraux hongrois qui avaient participé à la révolution sont fusillés ou pendus à Arad, en Transylvanie. Ils seront célébrés plus tard comme « les treize martyrs d'Arad ».

Après l’échec de la révolution, la Hongrie disparaît en tant qu’entité et est absorbée dans l’empire autrichien. Dépossédée de la Transylvanie, elle est divisée en cinq provinces, gouvernées depuis Vienne. L’allemand est imposé comme seule langue officielle. Les rancœurs des nationalistes hongrois sont telles qu’en 1853, un partisan de Kossuth tente d’assassiner François-Joseph.

Erdélyi Mór, En attendant l'arrivée du cercueil de Kossuth au terminal ferroviaire occidental de Budapest. Agrandissement : György Klösz, le cortège funèbre de Kossuth à Budapest, 1er avril 1894.

Naissance de l’empire austro-hongrois

En 1865, Ferenc Deak, un parlementaire libéral modéré, reprend le dialogue avec Vienne pour la restitution des libertés constitutionnelles. Il propose un compromis à François-Joseph consistant en la transformation de l’empire en une double monarchie qui garantirait l’autonomie de la Hongrie.

L’année suivante, la défaite autrichienne face à la Prusse à Sadowa précipite les événements. Affaibli politiquement, l’empereur est acculé à des concessions.

Le Compromis austro-hongrois est signé le 18 février 1867. Il divise l’empire en deux entités, chacune gouvernée par des Parlements et des Premiers ministres différents : la Transleithanie comprenant la Hongrie mais aussi la Croatie-Slavonie et la Cisleithanie avec les territoires autrichiens, bohèmes, moraves, galiciens et dalmates.

Si la politique étrangère, l’armée et les finances sont la chasse gardée de l’empereur, la politique intérieure relève entièrement du parlement hongrois. Celui-ci comprend une chambre haute, sous le contrôle des magnats, et une chambre basse élue au suffrage censitaire, où prédomine la petite noblesse. Quant au premier ministre, il est nommé par l’empereur.

La famille royale de Hongrie devant le château de Gödöllő, Vincenz Katzler, gravure de 1869. Agrandissement : Château de Gödöllő vu depuis le jardin inférieur, Sándor Brodszkys, 1869.

Le 8 juin 1867, François-Joseph et son épouse, Élisabeth, sont couronnés roi et reine de Hongrie. L’impératrice, passionnée par la culture hongroise, magyarise son prénom en Erzsébet et s'entoure uniquement de dames de compagnie hongroises. Sa popularité permet de resserrer les liens entre les Hongrois et les Habsbourg. En remerciement, le Parlement lui offre le château de Godollo, situé à une trentaine de kilomètres de Budapest. Cette demeure devient rapidement le havre de paix de Sissi, loin de l’austérité de la cour de Vienne.

Les premiers tramways du boulevard devant la gare de Budapest, XIXe siècle. Agrandissement : Vue actuelle de la gare de Budapest.Sous la Double-Monarchie, la Hongrie entre dans l’une des périodes les plus fastes de son histoire. Le pays rayonne sur le plan culturel et se modernise à grande vitesse, grâce à d’importants investissements étrangers, notamment français. En 1873, la fusion des villes de Buda, Pest et Obuda donne naissance à l’actuelle Budapest. Celle-ci se dote d’une nouvelle gare, Budapest-Nyugati, construite par l’entreprise de Gustave Eiffel.

De nombreux Hongrois, en particulier ceux des campagnes, sont malgré tout exclus du développement économique. En quelques décennies près d’un million et demi d’entre eux, poussés par la misère, choisiront l’émigration aux États-Unis, comme le célèbre Joseph Pulitzer.

Leopold Horovitz, le Premier ministre Kalman Tisza, 1894, musée national hongrois.En 1875, le libéral Kalman Tisza est nommé Premier ministre. Il gouvernera le royaume durant quinze ans et inaugure la politique de magyarisation, visant à assimiler les minorités (principalement Slovaques, Croates, Serbes et Roumains) représentant près de la moitié de la population du pays. Mais les méthodes autoritaires entreprises vont se révéler contre-productives, dressant ces populations contre la monarchie.

En 1896, pour commémorer le millénaire de l’arrivée des Magyars, d’immenses festivités sont organisées dans la capitale hongroise. Le royaume est fier d’inaugurer le métro de Budapest, le deuxième du monde après celui de Londres.

De nombreux monuments sont construits pour l’occasion comme le Pont de la Liberté, le Musée des beaux-arts ou le Musée hongrois des arts décoratifs. On inaugure également le nouveau Parlement, copie de Westminster aux dimensions monumentales (18 000 m2 !), œuvre de l’architecte Imre Steindl.

Vues actuelles du musée hongrois des Arts décoratifs et du Parlement.

En seulement trois décennies d’existence, la double monarchie ne parvient cependant pas à réduire les disparités économiques et sociales entre ses deux composantes, à l’instar de l’Italie où l’unification a aggravé la fracture entre le nord et le sud.

Dirigée par une bourgeoisie entrepreneuriale, la partie autrichienne s’industrialise et se développe plus rapidement, bénéficiant d’un taux de croissance égal à celui de l’Allemagne. La Hongrie reste quant à elle foncièrement agricole, avec des inégalités sociales plus marquées, sous la coupe d’une aristocratie de grands propriétaires jalouse de ses privilèges. Même contraste en termes de démocratisation : en Autriche, le suffrage universel direct est adopté et les minorités nationales sont proportionnellement représentées au Parlement alors qu’elles sont largement exclues de la vie politique en Hongrie.

Comte István TiszaIstvan Tisza, Premier ministre, Gyula Benczúr, début XXe siècle.À partir de 1905 et la défaite des libéraux aux élections, des gouvernements de coalition rassemblant nationalistes et conservateurs se succèdent, freinant le rythme des réformes. De plus, les tensions s’accentuent avec les minorités non-hongroises, largement exclus de la vie politique. D’autant qu’en 1908, l’annexion de la Bosnie-Herzégovine et ses deux millions d’habitants, renforçant encore plus le poids des Slaves au sein de la Double-Monarchie.

Outre la question des minorités, le gouvernement hongrois entre en conflit avec le mouvement syndical. D’importants troubles sociaux éclatent à Budapest à la veille de la Première Guerre mondiale et le pays est paralysé en 1912 par une grève générale.

À Sarajevo, le 28 juin 1914, l’assassinat de l’archiduc François-Ferdinand, héritier du trône de la double monarchie, place les élites hongroises dans une position fragile. Craignant pour la stabilité du royaume, elles sont opposées à la guerre contre la Serbie, l’annexion de cette dernière ne faisant que d’accroître encore le nombre de Slaves à l’intérieur de l’empire, au détriment des Hongrois. D’abord partisan de la prudence, le Premier ministre de Hongrie, Istvan Tisza, se résout finalement à l’entrée en guerre de l’empire, sous la pression autrichienne.

Bataille de Vittorio Veneto : le 14e régiment de cavalerie Cavalleggeri di Alessandria a atteint Trente (novembre 1918). Agrandissement : Gyula Benczúr, Portrait de l'homme politique conservateur hongrois et premier ministre Sandor Wekerle, 1911.Arrive la tragédie. Durant quatre ans, les troupes austro-hongroises sont déployées sur plusieurs fronts, devant faire face à la fois à la Serbie, la Russie, la Roumanie et l’Italie. Allié à l’Allemagne de Guillaume II, l’empire austro-hongrois va très vite se trouver sous la tutelle du Reich, se voyant privé de toute possibilité de négocier seul une sortie du conflit.

Sur le front, les troupes hongroises se battent avec courage et loyauté mais à partir de 1918, les mutineries se multiplient, tandis que les prisonniers de guerre rapatriés de Russie répandent la propagande bolchévique.

À l'automne 1918, alors que la contestation intérieure atteint son maximum dans l’Empire, l’armée austro-hongroise subit une lourde défaite en Italie, à la bataille de Vittorio Veneto. Cette défaite scelle la désintégration de l’empire. L’union des deux monarchies est dissoute et le Premier ministre hongrois, Sandor Wekerle, proclame l’indépendance du royaume le 20 octobre 1918.

Villa Giusti en 1967 (photo : Paolo Monti). Agrandissement : la salle de l'armistice.

L’indépendance de la Hongrie

L’armistice entre la Hongrie et les Alliés est signé le 3 novembre 1918 à la Villa Giusti, près de Padoue. Entre-temps Wekerle a démissionné et des insurgés ont pris d'assaut plusieurs bâtiments publics à Budapest et assassiné l'ancien premier ministre, Istvan Tisza, jugé responsable de la défaite.

Le chef du parti indépendantiste, Mihaly Károlyi, est logiquement nommé à la tête du gouvernement par Charles Ier, empereur d’Autriche et toujours roi de Hongrie. Après l’abdication de l’empereur, il proclame la république le 16 novembre et en devient le président. Károlyi ne restera que trois mois au pouvoir et démissionne le 20 mars 1919, refusant comme l’exigent les Alliés, d’évacuer les troupes hongroises de Transylvanie.

Le lendemain de la démission de Károlyi, les communistes s’emparent du pouvoir et proclament la République des conseils de Hongrie. Ils ont à leur tête Béla Kun, un Hongrois qui vient de passer plusieurs années en Russie et qui a été choisi par Lénine et Trotski pour imposer un régime bolchévique dans son pays.

Kun tente de reprendre par les armes les territoires hongrois où les minorités non magyares ont fait sécession mais s’aliène rapidement une partie de la population par sa politique de collectivisation forcée et la répression féroce des opposants.

Une coalition anticommuniste soutenue par les Alliés se constitue et forme depuis Szeged un contre-gouvernement dirigé par le comte Gyula Károlyi mais dont l’homme fort est le ministre de la Guerre, l’amiral Miklós Horthy, ancien commandant en chef de la marine impériale.

Appuyée par les forces conservatrices hongroises, l’armée roumaine intervient finalement en Hongrie pour chasser les communistes du pouvoir. Elle est assistée par les troupes françaises d’Henri Berthelot et de Louis Franchet d'Espèrey ainsi que des troupes tchécoslovaques et serbes.

Après cent jours de terreur rouge, le régime de Béla Kun s'effondre en août 1919 et l’armée roumaine occupe Budapest, évènement vécu comme un traumatisme pour les Hongrois. Après le retrait roumain en novembre, l’amiral Horthy fait son entrée dans la capitale. Une répression sanglante est menée par les troupes contre-révolutionnaires, visant notamment les juifs, assimilés aux communistes.

Le 4 juin 1920, quelques minutes après la signature du traité de paix de Trianon, le chef de délégation Ágost Benárd (avec le chapeau haut de forme à la main) et l'envoyé extraordinaire et secrétaire d'État Alfréd Drasche-Lázár (à droite) quittent le Grand Château de Trianon à Versailles, Agence Meurisse, Paris, BnF, Gallica.

Le traité de Trianon et le démembrement de la Hongrie

En mars 1920, l'Assemblée nationale de Hongrie confirme le rétablissement de la monarchie mais s’oppose à laisser la couronne à l’ancien empereur Charles Ier. Le trône hongrois est donc vacant et sous la pression de l’armée, Horthy est élu régent pour une période indéfinie.

Le 4 juin 1920, dans le parc du château de Versailles, est signé le traité de Trianon qui officialise la dislocation de l’empire austro-hongrois. La Hongrie en ressort comme le grand perdant, payant plus chèrement que les autres pays vaincus. Le royaume se voit ainsi amputé des deux tiers de son territoire au profit de tous ses voisins. Elle perd également son accès à la mer, ainsi que toutes ses mines d’or et d’argent.

Pire encore, en violation du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, plus de trois millions de Hongrois vivent désormais à l’extérieur des frontières du pays, principalement en Transylvanie roumaine et en Voïvodine yougoslave.

Dès sa promulgation, le traité de Trianon est jugé inacceptable pour l’ensemble du peuple hongrois, et sa révision va déterminer la politique étrangère du royaume jusqu’à la Seconde Guerre mondiale.


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• 23 octobre 1956 : insurrection de Budapest
Publié ou mis à jour le : 2023-02-21 20:36:48

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