Le 1er septembre 1715, à la mort de Louis XIV, après le règne le plus long de l'Histoire de France, voire du monde, la France est potentiellement riche et forte, mais épuisée par des guerres et des crises à répétition.
La couronne revient légitimement à l'arrière-petit-fils du Roi-Soleil, le duc d'Anjou (5 ans), qui prend le nom de Louis XV. Après la Régence de Philippe d'Orléans (1715-1723) débute le règne personnel du nouveau souverain. Il va durer un demi-siècle et la France va en sortir plus prospère, plus peuplée et plus étendue que jamais, agrandie de la Lorraine et de la Corse, n'était sa défaite dans la guerre de Sept Ans (1756-1763).
Néanmoins, la postérité n'en saura aucun gré à Louis XV dont l'impopularité sera allée croissant depuis sa maladie et son repentir de Metz (1744) qui lui avait valu le surnom de « Bien-Aimé ». Plus que ses frasques sexuelles, l'opinion publique lui reprochait le « renversement des alliances » en 1756, dans le désir de contenir la montée de la Prusse et de l'Angleterre en s'alliant à l'Autriche des Habsbourg. Elle lui reprochait aussi d'avoir voulu soumettre l'Église à l'impôt du « vingtième » et n'avoir pu empêcher la dissolution de la compagnie des jésuites, enfin d'avoir brisé les parlements, porte-parole des privilégiés hostiles à toute réforme de l'État.
Une enfance chahutée
L'enfant qui a succédé à Louis XIV est le deuxième fils du duc de Bourgogne et de Marie-Adélaïde de Savoie, morts l'un et l'autre peu après sa naissance. En 1712, l'enfant est frappé par une épidémie de variole, dite « petite vérole », tout comme son frère aîné, Louis, duc de Bretagne (cinq ans).
Les médecins font une saignée à celui-ci, qui en meurt. Ils s'apprêtent à faire la même chose à son frère mais sa gouvernante, Madame de Ventadour, s'y oppose avec vigueur et obtient de l'éloigner à Vincennes, loin des miasmes de la Cour. Grâce à quoi Louis XIV pourra transmettre sa couronne à son ultime descendant direct (et légitime) !
De santé fragile et de nature timide et solitaire, Louis XV grandit sous la sage et aimante protection de celle qu'il appelle « maman Ventadour », avant que son éducation soit prise en main par le duc de Villeroy puis le futur cardinal de Fleury.
La Régence ramène l'aristocratie au pouvoir
Le défunt roi avait rédigé en août 1714, soit un an avant sa mort, un testament par lequel il instituait un Conseil de régence présidé par le duc Philippe d'Orléans (41 ans), premier prince du sang. Mais comme il se méfiait de ce débauché qui avait des vues sur le trône, il avait aussi prévu de confier l'éducation du futur roi au duc du Maine, le fils qu'il avait eu de Mme de Montespan !
Cela dit, il ne se faisait guère d'illusion sur le sort qui serait fait à ses dernières volontés, celles de son père Louis XIII ayant été elles-mêmes ignorées par sa mère Anne d'Autriche...
De fait, dès le lendemain du décès de Louis XIV, Philippe d’Orléans fait casser le testament par le Parlement de Paris. Sage mesure mais en contrepartie de laquelle le duc a la maladresse de rendre aux parlementaires le droit de remontrance dont ils avaient été privés par Louis XIV et dont ils n'allaient pas tarder à abuser pour écorner le pouvoir royal jusqu'à la Révolution !
Sous la Régence, nom donné au gouvernement du duc d'Orléans (1715-1723), sous la minorité de Louis XV, les mœurs se dérident et la haute noblesse prend sa revanche. Elle remplace les bourgeois au gouvernement et impose que lui soient réservées les hautes charges de l’armée et de l’Église.
Pour restaurer les finances du royaume, le Régent fait appel à un banquier écossais quelque peu fantasque, John Law, qui émet à partir du 2 mai 1716 des billets acceptés par les caisses royales.
L’Espagne et la France entrent brièvement en guerre sous le prétexte d’un faux-attentat contre le Régent. En vérité, celui-ci en veut au roi d’Espagne, petit-fils de Louis XIV, de prétendre au trône en cas de mort prématurée du jeune roi Louis XV. Vaincu, Philippe V renonce définitivement à ses droits sur la succession de Louis XV.
Soucieux enfin de consolider le régime et d'échapper à l'emprise des parlementaires et des bourgeois parisiens, le Régent décide de quitter les Tuileries où il s'était installé à la mort du Roi-Soleil. Il ramène la Cour à Versailles le 15 mai 1722 à la grande satisfaction du jeune roi qui savoure dans le palais vide les splendeurs héritées de son arrière-grand-père.
Le 25 octobre 1722, le roi est sacré à Reims selon la tradition dynastique. La Régence se clôt officiellement l'année suivante, à sa majorité (13 ans), le 15 février 1723. Mais Philippe d'Orléans reste à la manoeuvre avec son homme-lige, le cardinal Dubois, jusqu'à sa mort, le 2 décembre 1723.
Après quoi, le duc de Bourbon, Premier ministre, veut marier le roi au plus vite et si possible à une princesse pubère. Peu importe son rang ! C’est ainsi que Louis XV (15 ans) épouse Marie Leszczynska (22 ans), fille d’un roi détrôné de Pologne. L’union sera au demeurant heureuse, au moins pendant une dizaine d’années, et surtout féconde (dix enfants).
Pacifique cardinal
En 1726, Louis XV congédie le duc de Bourbon et annonce au Conseil qu'il gouvernera désormais seul, comme son aïeul ! Mais il prévient aussi que son précepteur, le sage cardinal André-Hercule de Fleury, assistera au Conseil.
À 73 ans, Fleury devient le plus vieux Premier ministre qu’ait eu la France, même s'il ne portera jamais officiellement aucun titre ministériel. Il restera à son poste jusqu’à sa mort, en 1743, à 90 ans !
Pacifique, il se contente en 1733 d’une modeste intervention dans la guerre de la Succession de Pologne en faveur du père de la reine. Celui-ci, battu, échange le royaume de Pologne contre le duché de Lorraine, lequel reviendra à la France à sa mort (1766).
En attendant, le duc Stanislas se consacre à l’embellissement de Lunéville et Nancy, ses villes de résidence.
Si pacifique qu’il soit, le cardinal de Fleury ne peut éviter la désastreuse guerre de la Succession d’Autriche, consécutive à la mort de Charles VI de Habsbourg et à l’accession au trône de sa fille Marie-Thérèse.
La guerre de la Succession d'Autriche (1740-1748)
La France noue une coalition contre l’Autriche le 28 mai 1741. La Prusse de Frédéric II s’y associe le temps d’annexer la Silésie.
Louis XV se rend en personne à la guerre comme autrefois Louis XIV mais il tombe malade à Metz en août 1744. Le peuple prie pour son rétablissement et lui donne le surnom de « Bien-Aimé ». Lui-même se soumet aux instances de son confesseur et renonce publiquement, dans une séance humiliante, à sa maîtresse Mme de Chateauroux. Mais sa popularité ne résistera pas à la fin de la guerre… et à sa nouvelle liaison adultérine, dès l'année suivante, avec Jeanne Poisson, future marquise de Pompadour.
Le 11 mai 1745, à Fontenoy, Maurice de Saxe bat les Anglo-Hollandais. Cette victoire mémorable (« Messieurs les Anglais, tirez les premiers » !) est gâchée par le traité de paix d’Aix-la-Chapelle, le 18 octobre 1748, à l’occasion duquel les plénipotentiaires français renoncent à annexer les Pays-Bas autrichiens, conquis de haute volée par le maréchal de Saxe.
« Sa Majesté très-chrétienne a le souci de faire la paix non en marchand mais en roi », disent-ils à leurs homologues ébahis. Le seul vainqueur est Frédéric II qui se voit confirmer l’annexion de la Silésie. D’où l’expression populaire : « travailler pour le roi de Prusse » ! Une accusation injuste car, déjà, le roi songe à un rapprochement avec les Habsbourg face à la puissance montante de l'Angleterre.
L’autorité monarchique n’est plus ce qu’elle était !... Louis XV, dès 1732, s'est désennuyé de son épouse Marie Leszczynska avec différentes dames de la cour, dont les quatre soeurs Mailly-Nesle. Après la mort du cardinal de Fleury, il dirige en personne son Conseil. Mais à la différence notable du Roi-Soleil, il souffre de l'étiquette et de la vie de cour. Il fait aménager à Versailles de petits appartements où il aime à se réfugier dans l'intimité de sa maîtresse et confidente, la marquise de Pompadour, qui occupe ses pensées de 1744 à sa mort, en 1764, à 42 ans.
Dans ce climat délétère, les privilégiés, soutenus par les parlementaires, ont beau jeu de faire échouer en 1749 la courageuse réforme fiscale du « vingtième » qui prévoyait d’imposer tous les revenus. Cette tentative de réforme est l'oeuvre de Jean-Baptiste Machault d'Arnouville (1701-1794), un magistrat intègre entre tous, nommé en 1745 contrôleur général des Finances.
L'État s'étant lourdement endetté dans la guerre de la Succession d'Autriche, Machault décide donc de réformer l'impôt en abolissant le « dixième », qui souffre de trop nombreuses exemptions. Par les édits de Marly, enregistrés le 19 mai 1749, il le remplace par le « vingtième », moins lourd mais véritablement universel.
Mais malgré l'appui de la Pompadour et du chancelier Henri d'Aguesseau, il soulève contre lui le clergé qui fait valoir les immenses services rendus au pays (oeuvres sociales, éducation, état civil, etc.). Trop en avance sur son temps et trop rigide dans son approche, il doit en définitive renoncer à sa réforme. En 1754, il troque les Finances pour la Marine avant de devoir se retirer sur ses terres au grand regret du roi qui voyait en lui « un homme selon mon coeur ».
Contestation intellectuelle
L'échec du « vingtième » traduit la montée en puissance en ce milieu du siècle de l'opinion publique, laquelle exprime avant toute chose le point de vue des classes privilégiées, aristocratie, bourgeoisie d'affaires, magistrats, haut clergé. Ce sont ces classes qui, en bloquant toutes les réformes en se prévalant des meilleures intentions du monde, rendront inévitable en fin de compte la Révolution...
Dans les salons parisiens où l’on cultive l’art de la conversation, on murmure contre le pouvoir. Un auteur à succès, Voltaire, qui a vécu en Angleterre, exalte les vertus de la jeune démocratie anglaise dans ses Lettres anglaises (1734). De grands esprits remettent en cause l’absolutisme au nom de la raison. Le plus célèbre est Montesquieu, auteur de L'Esprit des Lois (1748).
Le 1er juillet 1751, Diderot et d’Alembert publient le premier tome de L’Encyclopédie avec la collaboration de tous les savants de leur temps et sous la protection de la marquise de Pompadour. Ils glissent dans ce gigantesque ouvrage des critiques virulentes contre l’Église, bouc émissaire de toutes les injustices.
Le 5 janvier 1757, le roi est blessé d'un coup de canif par un déséquilibré, Robert Damiens. Celui-ci est condamné à l'écartèlement, un supplice d'un autre âge qui scandalise l'opinion. Dix ans plus tard, un malheureux jeune homme, le chevalier de la Barre, est exécuté à Abbeville sous l'inculpation de blasphème, par suite d'une succession de malentendus entre magistrats. Entre temps, en 1762, l'exécution de Calas, un bourgeois protestant de Toulouse faussement accusé d’avoir tué son fils pour l’empêcher de se convertir, témoigne comme les faits précédents du malaise des institutions et de leur décalage avec l'esprit du temps.
Sous le règne de Louis XV, la France jouit d'une situation de premier plan. Elle est le pays le plus peuplé d'Europe avec 26 millions d'âmes à la fin du règne, soit cinq millions de plus qu'à son début. Elle en est aussi le plus prestigieux.
La langue et la culture de la Cour de Versailles rayonnent de Berlin, en Prusse, à Saint-Pétersbourg, en Russie. Les écrivains et les penseurs français brassent les idées et refont le monde. C'est le « Siècle des Lumières ». La France est aussi le pays le plus puissant d'Europe, voire du monde, malgré quelques déconvenues dans sa rivalité avec l'Angleterre. Elle possède une flotte remarquable, la Royale, et ses colonies sucrières comme Saint-Domingue rendent jaloux les Anglais.
« Renversement des alliances » et guerre de Sept Ans
Aux Indes, Dupleix, un gouverneur aux idées novatrices veut étendre l’influence de la France en s’alliant avec les princes locaux. Son ambition est incomprise de la Cour et il est destitué de sa charge.
Le 1er mai 1756, coup de tonnerre à Versailles. L'Autriche et la France enterrent une rivalité qui remontait à Charles Quint et François Ier. Les deux États signent un traité pour contrecarrer la montée en puissance de la Prusse et les visées de l'Angleterre.
Ce « renversement des alliances », orchestré par la Pompadour et son protégé Choiseul, va déboucher sur une nouvelle guerre, dite guerre de Sept Ans (1756-1763). Se déroulant en Europe mais aussi en Amérique, aux Indes et sur les mers, en impliquant toutes les grandes puissances européennes, elle sera a posteriori considérée par les historiens comme la première guerre mondiale !
La guerre commence très mal pour les Français. Soubise est défait par Frédéric II à Rossbach malgré l’écrasante supériorité numérique de son armée. Le marquis de Montcalm meurt en tentant d’empêcher les Anglais de prendre Québec. Lally-Tollendal capitule à Pondichéry, aux Indes…
Par le traité de Paris du 10 février 1763, la France cède à l’Angleterre la plus grande partie de son empire colonial, en particulier Québec et la Nouvelle-France ainsi que les Indes. Mais elle conserve Saint-Domingue (aujourd’hui Haïti). C'est la seule colonie à laquelle tiennent les bourgeois de l'époque, y compris les « philosophes », en raison des riches plantations de sucre où travaillent les esclaves, le sucre jouant alors le rôle actuel du pétrole dans nos économies.
Le duc de Choiseul, secrétaire d’État aux Affaires étrangères, prépare la revanche en reconstituant la flotte et l’armée. Pour se concilier les parlementaires et les « philosophes », il expulse les Jésuites en 1764. Il achète aussi la Corse à la République de Gênes, en 1768. Pour couronner le tout, Marie-Antoinette, fille de l'impératrice Marie-Thérèse, épouse Louis, petit-fils et héritier de Louis XV, futur Louis XVI.
En décembre 1770, Choiseul est renvoyé à l'instigation de la nouvelle favorite royale, la comtesse du Barry, et remplacé par le duc d'Aiguillon qui, avec le chancelier Maupeou et l'abbé Joseph Marie Terray au contrôle général des Finances, va tenter des réformes audacieuses. En 1771, dans un ultime sursaut d’autorité, Louis XV fait arrêter et exiler les magistrats du Parlement de Paris.
Quelques semaines après, le roi réforme le système judiciaire en abolissant la vénalité des charges. Ces dernières réformes de Louis XV auraient pu redonner de l’air à la monarchie. Elles n'auront hélas pas de suite.
Lorsque meurt le vieux roi, dans l’opprobre générale, le 10 mai 1774, son successeur Louis XVI n'aura d'autre hâte que de rappeler les parlementaires. C'est la première d'une longue série d'erreurs qui mèneront Louis XVI à la guillotine et feront perdre à la France son premier rang parmi les grandes puissances du monde. «On peut sans exagération dire que la Révolution date de 1774», écrit l'historien Jean Tulard.
Vos réactions à cet article
Recommander cet article
Liger (21-12-2022 18:02:12)
1) Peut-être avec Jean II, Louis XV fut le pire de nos rois. Doté d'incontestables qualités, ayant la chance de régner sur le pays le plus puissant d'Europe, du moins sur terre, Il gâcha c... Lire la suite
Louis 73 (16-12-2022 09:51:14)
Tout à fait d'accord avec Y.Petit! On peut reprocher au règne de Louis XV : a guerre de 7 ans, et la Pompadour qui, gagnée aux "Lumières" a influencé le Roi de manière néfaste pour les intérÃ... Lire la suite
Yves Petit (18-10-2022 00:34:12)
Si Louis XV s'était plus occupé de la France et de son empire et moins de ses maitresses, le monde parlerait français aujourd'hui et non anglais. Malheureusement, il manquait à ce roi les capacitÃ... Lire la suite
bolzano (30-06-2018 20:55:41)
Je croyais que le parlement était un pas vers la démocratie. Alors pourquoi était-ce une erreur de la part de Louis XVI de rappeler les parlementaires?
bolzano (30-06-2018 20:55:04)
Je croyais que le parlement était un pas vers la démocratie. Alors pourquoi était-ce une erreur de la part de Louis XVI de rappeler les parlementaires? Herodote.net répond : Le "Parlement" don... Lire la suite
CORNIBERT (15-02-2010 17:26:16)
Inévitablement, maintenant comme par le passé, nos Princes commettent erreurs sur erreurs et continuent, ignorant les leçons de l'histoire, à détruire les fondements de la France. Le Parlement d... Lire la suite