Mort le 1er septembre 1715, à près de 77 ans, Louis XIV a pour héritier légitime un enfant de cinq ans, son arrière-petit-fils le duc d'Anjou, qui devient roi sous le nom de Louis XV.
En attendant sa majorité, c'est au duc Philippe II d'Orléans (41 ans), neveu du Roi-Soleil, que va revenir la direction du gouvernement. Le Régent se révèle un esprit d’une rare intelligence, doué de tous les talents, y compris artistiques, soucieux de l’intérêt du royaume mais libertin dans tous les sens du terme et quelque peu velléitaire.
Comme toutes les périodes de transition, la Régence (1715-1723) se révèle instable et agitée. Les mœurs se dérident et la haute noblesse, longtemps bridée par Louis XIV, prend sa revanche. Elle remplace les bourgeois au gouvernement et impose que lui soient réservées les hautes charges de l’armée et de l’Église.
Le Régent doit faire face à de nombreux complots et aux prétentions du roi d'Espagne Philippe V, petit-fils de Louis XIV. Il doit aussi résorber la dette colossale laissée par le précédent souverain. Au final, malgré la mauvaise réputation qui lui colle encore à la peau, il va se tirer de façon honorable de toutes ces difficultés.
Rupture avec la monarchie absolue
En juillet 1714, quinze mois avant de mourir, le roi Louis XIV a pris la précaution de rédiger un testament par lequel il institue un Conseil de régence présidé par le duc d'Orléans, fils de son frère Philippe et premier prince du sang. Mais comme il se méfie de ce débauché qui a des vues sur le trône, il légitime aussi les deux bâtards qu'il a eus de Mme de Montespan, le duc du Maine et le comte de Toulouse. Il en fait des princes du sang, héritiers possibles du trône. Il confie enfin l'éducation du futur roi au duc du Maine, son fils préféré !
Il en est du testament de Louis XIV comme de celui de son père Louis XIII... Dès le lendemain de la mort du vieux roi et de l'avènement de son arrière-petit-fils Louis XV (5 ans), Philippe d'Orléans le fait casser par le Parlement de Paris et se fait reconnaître comme régent « pour exercer pleinement l'autorité royale ».
Sage mesure mais en contrepartie de laquelle le duc a la maladresse de rendre aux parlementaires le droit de remontrances dont ils avaient été privés par Louis XIV et dont ils n'allaient pas tarder à abuser.
Au gouvernement, Philippe d'Orléans s'appuie sur son ancien précepteur l'abbé Dubois qu'il fait entrer au Conseil d'État et dont il fait son ministre des Affaires étrangères puis son principal ministre (ou Premier ministre), tout en lui obtenant la barrette de cardinal.
En réaction contre l'absolutisme de Louis XIV, le Régent libère les jansénistes emprisonnés et exile leur ennemi de toujours, le confesseur jésuite du roi défunt, le père Michel Le Tellier. Tirant profit de la paix retrouvée, il licencie aussi 25 000 soldats. Il nomme chancelier le procureur général d'Aguesseau...
Il envisage aussi de remplacer chaque ministre par un conseil composé de grands seigneurs et de conseillers d'État. Cette formule empruntée à l'Espagne avait les faveurs de Fénelon et du duc de Saint-Simon, plus connu comme mémorialiste.
Il y eut donc sept conseils (Affaires étrangères, Guerre, Marine, Finances, Affaires ecclésiastiques, Intérieur, Commerce). L'objectif avoué de cette « Polysynodie », selon Saint-Simon lui-même, était d'écarter la bourgeoisie (la « roture ») du pouvoir et de rendre celui-ci à la noblesse : « Mon dessein était de commencer à mettre la noblesse dans le ministère, avec la dignité et l'autorité qui lui convenaient, aux dépens de la robe et de la plume, et de conduire sagement les choses, pour que peu à peu cette roture perdît toutes les administrations et que seigneurs et toute noblesse fussent peu à peu substitués à tous leurs emplois pour soumettre tout à la noblesse » !
Cette idée fumeuse se solde par des palabres sans fin et des retards dans les affaires de sorte qu'il faut y renoncer.
Le Régent, voyant son autorité menacée par l'obstruction des parlementaires aux réformes de Law comme par les conspirations de la haute noblesse et les palabres de la polysynodie, se décide à agir en deux temps.
Le 26 août 1718, il réunit inopinément aux Tuileries, à Paris, les 26 membres du Conseil de Régence pour un lit de justice extraordinaire.
Au nom du petit roi Louis XV, il fait part de sa volonté de briser l'opposition du Parlement, d'annuler ses arrêts financiers, de limiter son droit de remontrances et de le confiner à ses attributions judiciaires. Enfin, il enlève aux bâtards de Louis XIV, dont le duc du Maine, leur qualité princière et les ramène au rang de pairs du royaume. Chacun s'incline et les parlementaires eux-mêmes se résignent à leur perte de pouvoir.
Le 24 septembre 1718, enfin, d'un trait de plume, Philippe d'Orléans abolit la polysynodie, congédie les soixante-dix ministres et resssuscite les Secrétaires d'État. L'abbé de Saint-Pierre prend innocemment la défense du système. Il est pour cela chassé de l'Académie française !
L'autorité du Régent n'en est dès lors que plus affirmée. Mais il faut aussi qu'il rabatte le caquet des jansénistes, qui abusaient de leur liberté retrouvée. Pour cela, il impose en 1720 l'acceptation sans réserve de la bulle Unigenitus fulminée par le pape Clément XI le 9 septembre 1713. Cette bulle réclamée par le Roi-Soleil avait alors conduit à l'incarcération de deux mille jansénistes.
Pour restaurer les finances du royaume, le Régent fait appel à un banquier écossais quelque peu fantasque, John Law, qui émet à partir du 2 mai 1716 des billets acceptés par les caisses royales. Ce premier papier monnaie est gagé sur la mise en valeur de la Louisiane. C’est ainsi qu'est fondée en 1718 La Nouvelle-Orléans à l’embouchure du Mississippi, ainsi baptisée en l'honneur du Régent. Mais en 1720, on s'aperçoit que trop de billets ont été émis et le système Law s'effondre. Il aura néanmoins eu le mérite de relancer le commerce et redresser les finances publiques !
L'aube des Lumières
La Cour et les administrations quittent aussitôt Versailles et son étiquette trop pesante pour regagner Paris après 33 ans d’absence. Elles n’allaient y revenir qu’à la majorité du nouveau roi. Entretemps, le roi s’installe aux Tuileries et le Régent au Palais-Royal. La Cour se disperse dans les salons, contribuant à l’effervescence générale avec une liberté inédite. C’est l’esprit des Lumières (dico).
En 1721, Montesquieu publie ainsi les Lettres persanes, livre interdit par la censure mais qui connaît un grand succès : deux Persans de fantaisie, Usbek et Rica, y moquent les mœurs de la société parisienne. « La fureur de la plupart des Français, c’est d’avoir de l’esprit. Et la fureur de ceux qui veulent avoir de l’esprit, c’est de faire des livres » (Montesquieu, Lettres persanes, lettre LXIV, 1721).
Paris, deuxième ville d’Europe après Londres, connaît alors un regain de croissance et de prestige dans une intense effervescence culturelle qui touche tous les domaines, avec des noms comme Voltaire, Marivaux, Montesquieu, Watteau...
Le nom de Watteau est lié à Paris et à la Régence. Il est le peintre des comédiens italiens, des musiciens et des amours pastorales – en quelque sorte le double de Marivaux. Il accède à la célébrité en 1717, en entrant à l’Académie royale de peinture avec le Pèlerinage à l’île de Cythère. Notons aussi qu’à l’initiative du Régent, la Vénitienne Rosalba Carriera entre à l’Académie en 1720. Elle est hébergée dans l’hôtel du financier Pierre Crozat, surnommé « Le Pauvre » par opposition à son frère Antoine Crozat ! Ledit hôtel est aussi fréquenté par Watteau et le Régent qui y vient parfois écouter de la musique italienne.
Le royaume entre dans une période de paix qui contraste avec le demi-siècle passé. Il bénéfice d’une première expansion démographique en lien avec l’amélioration lente des conditions de vie dans les campagnes. Mais il doit faire face aussi à une dernière éruption de peste à Marseille en 1721.
Un bilan trouble et sous-évalué
À l'extérieur, le retour de la paix consécutif au traité d'Utrecht de 1713 est compromis par les visées de Philippe V d'Espagne. Celui-ci prétend en effet récupérer la Sardaigne, promise au duc de Savoie. Il caresse aussi l'espoir de monter sur le trône de France en cas de mort prématurée de Louis XV !
À La Haye, le 4 janvier 1717, Dubois négocie à titre préventif avec son homologue anglais James Stanhope une alliance entre la France, les Provinces-Unies et l'Angleterre. Cette Triple-Alliance est complétée le 2 août 1718, à Londres, par une Quadruple-Alliance avec le Habsbourg d'Autriche, titulaire du Saint Empire romain germanique.
La guerre contre l'Espagne éclate finalement sous le prétexte d’un faux-attentat contre le Régent mais elle est brève. Vaincu, Philippe V fait la paix à La Haye le 20 février 1720 et renonce définitivement à ses droits sur la succession de Louis XV. « Sire, Votre Majesté n'a plus de guerre à soutenir. La paix est faite avec l'Espagne », peut déclarer à Louis XV le Régent, heureux et ravi.
Durant les huit années de la Régence, le royaume avait ainsi retrouvé la prospérité et la paix intérieure et extérieure. Mais la monarchie absolue instaurée par Louis XIV et ses grands ministres avait aussi connu de sévères secousses et Louis XV et Louis XVI n'allaient jamais renouer avec le prestige et l'autorité dont avait joui leur aïeul.
Pendant les trente dernières années du règne de Louis XIV, la cour de Versailles avait sombré dans la dévotion... et l'ennui. Les courtisans s'obligeaient à suivre l'exemple du roi et de Mme de Maintenon, en conformité avec l'aphorisme de La Bruyère : « Un dévot est celui qui, sous un roi athée, serait athée ». Sitôt que le roi fut mort, ils jettent le masque et prennent cette fois exemple sur le Régent.
Lui-même, après chaque journée de travail, a coutume de congédier ses valets et de faire fermer les portes du Palais-Royal. Il s'offre alors un « petit souper » avec ses amis de débauche, des courtisanes et des dames de la haute société, sa maîtresse en titre la comtesse de Parabère et même sa fille Élisabeth, dite Joufflotte, jamais la dernière en matière de dévergondage et licence. L'abbé Dubois est suspecté d'y avoir participé mais il n'y a de cela aucune preuve, selon l'historien Alexandre Dupilet. Ces joyeux compères se qualifient eux-mêmes de « roués » (tout juste bons pour le supplice de la roue), par opposition aux dévots.
Le duc de Saint-Simon, dans ses Mémoires, évoque les « petits soupers » du Régent, quoiqu’il n’y ait jamais participé : « On disait des ordures à gorge déployée, et des impiétés à qui mieux mieux, et quand on avait bien fait du bruit, et qu’on était bien ivre, on s’allait coucher, et on recommençait le lendemain » (Duc de Saint-Simon, Mémoires, année 1716).
Aristocrates et bourgeois se ruent pour leur part sur les bals et mascarades. Le premier ouvre à Paris le soir du 2 janvier 1716 et dure toute la nuit. Le Régent y assiste en personne et danse comme tout le monde, sans protocole ni excès de politesse.
Le cinéaste Bertrand Tavernier a montré la Régence et ses mœurs débridées dans un chef-d'œuvre cinématographique, Que la fête commence (1975)... tout en donnant du Régent (Philippe Noiret), de façon exagérée, l'image d'un démocrate républicain avant l'heure.
Retour à Versailles et fin de la Régence
Le 15 juin 1722, Louis XV décide de quitter les Tuileries. Il retourne à Versailles, dans le palais de son bisaëul ! Loin de Paris et de ses contrepouvoirs, il va retrouver la tentation de l'absolutisme... Le 25 octobre, le jeune roi est sacré à Reims et l’année suivante le 22 février 1723, un nouveau lit de justice officialise sa majorité. C’est la fin de la Régence.
Philippe d’Orléans garde néanmoins le pouvoir avec le cardinal Guillaume Dubois, qui a été récompensé en 1722 par la fonction de principal ministre, dont le dernier titulaire avait été Mazarin, mort en 1661. Mais celui-ci ne profite pas longtemps de son triomphe. Il meurt le 10 août 1723. Le Régent, comme Louis XIV après la mort de Mazarin, assume seul le gouvernement mais pour peu de temps.
Le soir du 2 décembre 1723, avant d'aller voir comme à son habitude le jeune roi Louis XV, il s'accorde du bon temps avec l'une de ses maîtresses, Mme de Phalaris. Voilà que soudain il s'effondre. Sa maîtresse appelle au secours mais personne ne vient, les domestiques ayant été renvoyés par souci de discrétion. Quand arrive son médecin Pierre Chirac, il est trop tard pour une saignée salvatrice ; le Régent est mort d'apoplexie (ancien nom de l'accident vasculaire cérébral, AVC).
Son rival et ennemi de toujours, le jeune duc de Bourbon, chef de la maison de Condé, devient Principal ministre. Pour éviter qu'un décès prématuré du roi ne fasse passer la couronne dans la famille honnie des Orléans, il décide de marier le roi au plus vite et si possible à une princesse pubère. Peu importe son rang ! C’est ainsi qu'il rompt les fiançailles du roi avec une infante espagnole. Louis XV (15 ans) épouse Marie Leszczynska (22 ans), fille d’un roi détrôné de Pologne. L’union sera au demeurant heureuse, au moins pendant une dizaine d’années, et surtout féconde (dix enfants).
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Yves Petit (17-12-2018 20:29:51)
Dommage que le successeur de Louis XIV, Louis XV, ait été si moche. Il a perdu le Canada aux mains des Anglais et toutes les possessions aux Indes. Il eut mieux fait de gouverner au lieu de batifole... Lire la suite