Tchad

Toubous du Nord contre noirs du Sud

Le drapeau du Tchad indépendant

Vaste territoire à cheval sur le Sahara, la savane sahélienne et la forêt, le Tchad a été colonisé par les Français en 1900. Il est devenu indépendant soixante ans plus tard, le 11 août 1960.

Avec 16 millions d'habitants (2021) sur 1,2 millions de km2 essentiellement désertiques, c'est aujourd'hui l'un des pays les plus pauvres du monde.

Il n'en joue pas moins un rôle majeur dans l'Afrique sahélienne, du fait qu'il est dirigé depuis 1979 par des chefs nomades à la trempe guerrière, de Goukouni Oueddei à Idriss Déby, qui ont soumis la majorité constituée de noirs sédentaires en bonne partie chrétiens.

La mort brutale d'Idriss Déby, le 20 avril 2021, dans un combat contre des rebelles de son camp, plonge le Tchad mais aussi les autres États sahéliens et l'opération Barkhane dans la plus grande incertitude.

Alban Dignat

Lac Tchad, arrivée du bac de Koussery à Fort-Lamy dans les années 1950 (DR)

Une situation stratégique

À la croisée des routes sahariennes, l'immense région située entre le massif du Tibesti, au nord, et le lac Tchad (1300 km2), au sud, a joué un rôle bien plus important que ne le laisse supposer l'État actuel du Tchad.

Rappelons en premier lieu que c'est aux abords du lac Tchad qu'ont été découverts en 2001 par le professeur Michel Brunet un crâne et des ossements qui pourraient appartenir au  plus vieil hominidé connu. Cet ancêtre vieux de sept millions d'années a été baptisé Toumaï. Beaucoup plus tard, entre 6000 et 3000 av. J.-C., la partie aujourd'hui désertique du Tchad a bénéficié d'un climat relativement humide, avec une couverture de lacs et de savanes bénéficiant à une population de pasteurs et de bergers. Il s'en est suivi des échanges entre l'Afrique méditerranéenne et l'Afrique centrale.

Il semble, selon John Iliffe (Les Africains, 1995) que des villes de torchis aient été fondées au premier millénaire de notre ère sur les rives des fleuves Logone et Chari. Ces fleuves se jettent dans le lac Tchad, lequel était à l'époque beaucoup plus étendu qu'aujourd'hui. Au nord du lac vit une population appelée Téda. Elle appartient au groupe linguistique Toubou qui peuple encore la moitié nord du Tchad et son domaine est connu sous le nom de Kanem. Les chroniques arabes ont laissé le nom de son premier souverain, Saéfé ou Séfou, vers l'an 800 de notre ère, à l'époque de Charlemagne. Au XIe siècle, le Kanem s'islamise à l'initiative de l'un de ses successeurs, Oumé, indique Maurice Delafosse (Les Noirs de l'Afrique, 1922). 

Au XIIIe siècle, le Kanem tombe sous la coupe d'une dynastie rivale dont on a retenu le nom du principal représentant, Dounama Dibalami. Ses souverains se signalent par différents pélerinages à La Mecque et étendent leur influence jusqu'au massif du Fezzan, au nord-ouest, et même jusqu'au Nil, à l'est. Ensuite, suite à des attaques venues de l'est, les souverains du Kanem passent sur le côté occidental du lac où ils fondent le royaume de Bornou, lequel va atteindre son apogée au XVIe siècle sous le règne d'Idriss et perdurer jusqu'au XIXe siècle. Le Kanem et le Bornou sont évoqués dans les récits de voyage d'Ibn-Battouta (XIVe siècle) et Léon l'Africain (XVIe siècle).

Une colonie délaissée

Au XIXe siècle, le Bornou est soumis par les Anglais et intégré au Nigeria cependant que le Kanem est conquis par les Français. Ceux-ci sont déjà présents dans le bassin du Niger où ils ont occupé Tombouctou en 1894, ainsi qu'au Gabon. Ils aspirent à compléter la conquête du Sahel pour effacer l'humiliation de Fachoda et prennent prétexte de ce que le Kanem est assailli par un trafiquant d'esclaves d'origine égyptienne, Rabah Zobeir, pour intervenir. 

Trois missions (Foureau-Lamy, Gentil et Voulet-Chanoine) doivent donc se rejoindre aux abords du lac Tchad, à Kousséri. Il s'agit de troupes de quelques milliers d'hommes, essentiellement des tirailleurs locaux et des porteurs indigènes, sous la conduite d'une poignée d'officiers français :
• La mission saharienne Foureau-Lamy, dirigée par le commandant François Lamy, assisté du géographe Fernand Foureau, part d’Alger.
• La mission d'Émile Gentil part du Gabon dont la capitale écononomique, Port-Gentil, porte aujourd'hui encore le nom. Elle remonte le Congo et son affluent, l’Oubangui, avant d'entrer sur le territoire de Rabah Zobeir.
• La mission Voulet-Chanoine, quant à elle, se met en branle en janvier 1899 à Saint-Louis, au Sénégal. Elle va se signaler par des exactions innommables qui vont conduire le gouvernement français à la combattre ; ses chefs ayant été éliminés, ils seront remplacés par leurs adjoints Joalland et Meynier.

François Lamy (7 février 1858, Mougins ; 22 avril 1900, Kousséri)Le 22 avril 1900, après quelques combats contre les armées de Rabah, les trois missions font leur jonction à Kousséri, près du lac Tchad, au coeur de l'Afrique. Elles écrasent la petite armée de Rabah. Ce dernier trouve la mort dans l'affrontement, de même que le commandant François Lamy. 

Le nom de ce dernier est donné à l'établissement fondé un mois plus tard par Émile Gentil au confluent du Logone et du Chari, Fort-Lamy.

La région du Tchad passe dès lors sous souveraineté française. En 1910, elle devient une colonie (dico) constitutive de l'Afrique Équatoriale Française (AEF), avec Fort-Lamy pour capitale  (aujourd'hui N'Djamena). 

Cette colonisation va protéger les populations sédentaires et noires de la forêt des razzias lancés par les nomades toubous du nord. 

L'administration coloniale tente de désenclaver la région en développant des cultures d'exportation comme le coton et l'arachide. Libérées de l'oppression des nomades musulmans du Nord, une partie des populations sédentaires du Sud adoptent par ailleurs le christianisme.

En 1935, le président du Conseil Pierre Laval signe avec l'Italien Benito Mussolini un accord qui prévoit la cession de la bande d’Aozou à l’Italie, alors présente en Libye. Cet accord ne sera finalement pas ratifié du fait de l'alliance de Mussolini avec Hitler mais le dictateur libyen Mouammar Kadhafi en tirera plus tard prétexte pour revendiquer le nord du Tchad et intervenir dans ce pays.

En 1938, le gouvernement du Tchad est confié à un Français de Guyane, Félix Éboué. Deux ans plus tard, suite à l'occupation de la France par la Wehrmacht, il sera le premier gouverneur français à se rallier au général de Gaulle et c'est du Tchad que partira la colonne Leclerc, pour une remontée triomphale jusqu'à Paris et Strasbourg. 

Toubous du Nord contre noirs du Sud

En 1946, un instituteur, François Tombalbaye, fonde le Parti progressiste tchadien, section locale du Rassemblement démocratique africain (RDA), fondé la même année à Bamako par Félix Houphouët-Boigny, député à l'Assemblée constituante française. 

Tombalbaye devient donc assez naturellement le premier président du Tchad indépendant en 1960. Issu des populations du sud, animistes ou chrétiennes,  il doit faire face à une rébellion des Toubou musulmans de la frange sahélienne, minoritaires et écartés du pouvoir par l'ancien colonisateur. Ces guerriers nomades à la peau relativement claire, aussi appelés Goranes ou Zaghawas, méprisent les « noirs » de la forêt, les Sara, qu'ils avaient coutume de razzier et réduire en esclavage avant la colonisation.

En août 1968, la France engage ses propres troupes dans la lutte contre la rébellion. Pour tenter de restaurer son prestige, le chef de l'État inaugure aussi en 1973 la « tchaditude » et rebaptise la capitale Fort-Lamy du nom de N'Djamena. En vain.

Le 21 avril 1974, l'ethnologue Françoise Claustre est enlevée par les chefs toubous Goukouni Oueddei (30 ans) et Hissène Habré (32 ans). Ce dernier a étudié les sciences politiques à Paris et beaucoup fréquenté les milieux gauchistes avant de devenir sous-préfet dans son pays.

L'exécutif français, sous l'intérim d'Alain Poher, tarde à réagir à l'enlèvement de Françoise Claustre. Le nouveau président français Valéry Giscard d'Estaing envoie finalement le commandant Pierre Xavier Galopin en mission de bons offices mais ce dernier est séquestré et exécuté de façon sauvage le 4 avril 1975 par les hommes d'Hissène Habré. L'ethnologue est quant à elle libérée.

Paysage du Tchad, au nord d'Abéché. Agrandissement : Délégation tchadienne.

Triomphe nordiste

Le 13 avril 1975 est renversé et tué François Tombalbaye. C'est le début d'un long cauchemar dont le pays et ses populations tardent à sortir. Le général Félix Malloum succède à François Tombalbaye. Mais il est renversé à son tour par Goukouni Oueddei le 23 mars 1979. Les Toubous musulmans s'adjugent dès lors tous les pouvoirs au détriment des populations noires du Sud.

La France s'en accommode mais, quand Goukouni Oueddei projette une fusion du Tchad avec la Libye du colonel Kadhafi, elle apporte son soutien au coup d'État de son Premier ministre Hissène Habré, le 7 juin 1982. 

Brutal et sanguinaire, le nouveau président mène une guerre impitoyable contre son rival réfugié dans le Nord. On attribue à l'ancien étudiant parisien devenu chef de guerre et dictateur plusieurs milliers d'exécutions sommaires et de tortures.

Goukouni Oueddei peut compter sur l'aide de Mouammar Kadhafi et Hissène Habré sur celle de François Mitterrand et de l'armée française, dans le cadre de l'opération Manta.

Hissène Habré est à son tour renversé par son acolyte Idriss Déby le 1er décembre 1990 avec l'appui de l'armée française.

Idriss Déby va stabiliser le pays en forgeant une armée dévouée et redoutable, composée de guerriers sahéliens autrement plus combatifs que leurs « compatriotes » du Sud. Il va libérer le Tchad de l'emprise libyenne et récupérer la bande d'Aozou. Un quart de siècle plus tard, toujours sous sa poigne, cette armée va faire ses preuves en Centrafrique comme au Nigéria, face à la secte Boko Haram.

C'est donc naturellement au dictateur tchadien et à ses guerriers Toubou que va recourir la France pour l'épauler dans sa guerre contre le djihadisme et l'irrédentisme touareg au Mali, en 2013, les armées conventionnelles des autres États de la région, constituées de sédentaires, étant quant à elles totalement inaptes au combat. Et c'est d'ailleurs à N'Djamena que va se fixer l'état-major de l'opération Barkhane


Publié ou mis à jour le : 2022-02-15 17:08:18
Liger (26-04-2021 16:02:04)

J'ai apprécié cet article bien documenté mais je me permets de formuler une observation - qui s'applique à tout texte relatif aux questions (géo)politiques en Afrique. Voici : 1 - Sauf exce... Lire la suite

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