« Ce n'est pas un hasard si le Songhaï, avec Tombouctou, sa principale ville, réalisa [...] à la veille de la Renaissance européenne, la civilisation africaine la plus riche, sinon la plus brillante, parce que la plus humaine » (Léopold Sédar Senghor).
Ce sont les vestiges de cette civilisation qui risquent de disparaître à jamais dans les bouleversements que vit le Mali depuis l’offensive de groupes islamistes alliés à des rebelles touareg, en avril 2012.
Pour ne pas en perdre la mémoire, partons à la découverte de ces monuments irremplaçables et de leur histoire.
Tombouctou, la «ville de la vieille femme»
Selon la tradition, Tombouctou tiendrait son nom du « puits de Bouctou », vieille femme targui installée au XIIe siècle dans la « bosse de chameau », boucle formée par le fleuve Niger. Idéalement située entre l'Afrique saharienne, arabo-berbère, et l'Afrique soudanaise, au point de rencontre entre les caravanes venues du nord et les flotilles venues du sud, la ville est fondée au XIIe siècle.
Elle se développe considérablement sous Kanga (ou Mansa) Moussa qui règne sur l'empire du Mali au XIVe siècle. Ce roi légendaire, qui tirait ses immenses revenus du commerce du sel et de l'or, est resté célèbre pour sa générosité lors de son pèlerinage à La Mecque en 1325 : il aurait tellement distribué de richesses sur son passage qu'il fit chuter le cours du métal précieux au Caire pour plusieurs années ! Très pieux, il est à l'origine de la construction de la plus grande mosquée de Tombouctou, celle de Djinguereber.
Après avoir été dominée par les Touaregs (XIVe siècle), la cité marchande se place sous la protection de l'empire songhaï et multiplie les échanges avec les grands centres commerciaux au point de regorger au XVe siècle d'articles de luxe venus de Venise ou d'Orient. Mais c'est surtout en profitant du développement qui a lieu au Soudan au XVe siècle, concomitant à notre « Renaissance », qu'elle devient « la Perle noire du désert ».
La richesse de la région a longtemps fasciné les Européens. Cette réputation a été nourrie par les récits de grands voyageurs, comme le Marocain Ibn Battûta (Ibn Battouta). Parti de Fès, capitale des sultans mérinides, pour une mission au « Pays des Noirs » (le Soudan), il séjourne à Sijilmâsa en 1351, ville-oasis en bordure du désert, lieu d'où partent et arrivent des caravanes de milliers de chameaux chargées d'or, de métaux, de sel, d'esclaves, etc. C'est la porte d'entrée du désert. En juin 1352, le voyageur atteint la capitale du Mali, dont la localisation fait encore débat. Il décrit ici la cour impériale :
« La salle (d'audiences) a trois fenêtres en bois recouvertes de plaques d'argent et, au-dessous, trois autres recouvertes de plaques d'or... Les écuyers arrivent avec des armes magnifiques : carquois d'or et d'argent, sabres ornés d'or ainsi que leur fourreau, lances d'or et d'argent, massues de cristal […]. Certains jours, le sultan tenait audience dans la cours du palais sous un arbre. Il était assis sur une estrade recouverte de tapis de soie, et surmontée d'une ombrelle de soie, couronnée d'un oiseau en or. Le sultan porte une coiffe en or. Il est vêtu d'une tunique de velours rouge confectionnée dans de précieux tissus venus d'Europe. Il est précédé de musiciens dont les guitares sont en or et en argent. Derrière lui, 300 esclaves soldats ». (Ibn Battuta,Voyages, 1352-1353).
Vers mars 1351, Ibn Battûta atteint Tombouctou. Il est le premier auteur arabe à évoquer cette localité dont il nous apprend qu'il s'agit d'un campement permanent créé par des nomades berbères de la tribu Massûfa mais dont le gouverneur est un noir mandingue qui représente l'empereur du Mali.
« Donne-moi la science fervente des grands docteurs de Tombouctou » (Léopold Sédar Senghor)
Kanga Moussa ne s'était pas contenté d'étaler sa richesse, lors de son pèlerinage : il profita de son voyage pour se constituer une véritable cour d'érudits qu'il installa à Tombouctou. Cette politique de mécénat fut poursuivie par ses successeurs jusqu'au XVe siècle qui constitue l'âge d'or de la vie intellectuelle dans la région : attirés par la politique de mécénat d'Askia Mohammed, les savants maures chassés d'Espagne tout comme les intellectuels marocains n'hésitent pas à venir s'installer dans la boucle du Niger tandis que les échanges se multiplient avec les grandes universités étrangères, comme Le Caire ou Damas.
Devenue centre international de la pensée, Tombouctou voit le nombre de ses écoles exploser, au point d'accueillir dans ses 180 établissements près de 20 000 étudiants pour 80 000 habitants.
L'enseignement, en arabe, porte en premier lieu sur les textes religieux mais aussi sur bien d'autres matières : linguistique, littérature, philosophie grecque, droit… La médecine est aussi à l'honneur, en particulier la chirurgie des yeux.
Dans ce haut lieu de la culture islamique, les manuscrits qui circulent se comptent alors en milliers.
Selon le voyageur Léon l'Africain (XVIe siècle), qui a révélé aux Européens l'existence de Tombouctou, on tirait même de la vente de ces ouvrages, mines de connaissances et chefs-d’œuvre de calligraphie, davantage d'argent que « de tout le reste des marchandises » !
Léon l'Africain est né dans une famille musulmane de Grenade (Andalousie) en 1488 sous le nom de Hassan al-Wazzan, peu avant la prise de cette ville par les Rois catholiques.
Réfugié au Maroc, il accompagne son oncle en mission diplomatique auprès du souverain du Songhai, l'askia Mohamed Touré, pour le compte du ro i du Maroc. Il est capturé en 1518 par des pirates siciliens au retour d'un pèlerinage à La Mecque. Ses ravisseurs l'offrent au pape Léon X, né Jean-Léon de Médicis. Celui-ci, appréciant son intelligence, l'adopte comme son fils et le fait baptiser sous son propre nom.
Désor mais connu sous le nom de Léon l'Africain, le jeune Andalou met sa science au service du pape. On lui doit la première description de l'Afrique... et la première évocation de Tombouctou, où il n'est pas sûr qu'il soit réellement allé ! Léon l'Africain évoque ses mosquées, où seraient conservés de précieux manuscrits arabes, et ses palais aux toits revêtus d'or. Il souligne que les chrétiens sont particulièrement malvenus dans la « cité interdite ».
Vers l'oubli
C'est du Maroc que viendra le signal de la décadence : le sultan Al Mansour, s’inquiétant des visées de Charles Quint et des Turcs d'Algérie sur son royaume, dirige ses regards vers le sud.
À la fin du XVIe siècle, après la bataille de Tondibi, Tombouctou est mise à sac par les mercenaires espagnols et ses savants sont déportés au Maroc. Parmi eux figure Ahmad Baba, un érudit local, né en 1556, qui finira sa vie en exil à Marrakech. La ville entre dans un long sommeil.
C'est donc dans une cité sans éclat qu'entre clandestinement en 1828 René Caillié, jeune explorateur autodidacte attiré par la réputation ancienne de la « ville aux 333 saints ». Déçu par ce « simple amas de maisons sordides bâties en terre », il fuit vite l'endroit.
Son retour triomphal en France ne doit pas faire oublier que c'est l'Anglais Gordon Laing qui fut le premier Européen à y pénétrer en 1826, peu de temps avant d'être assassiné.
Par la suite, Peuls, Bambaras, Touaregs et Toucouleurs se succèdent dans la ville jusqu'à l'arrivée des Français. Le futur maréchal Joseph Joffre s'empare de la ville le 12 février 1894. Après l'indépendance du pays en 1960, Tombouctou se tourne vers le tourisme qui devient sa première source de revenus jusqu'aux bouleversements de 2012.
« Revenu de mon enthousiasme, je trouvai que le spectacle que j'avais sous les yeux ne répondait pas à mon attente ; je m'étais fait de la grandeur et de la richesse de cette ville une toute autre idée : elle n'offre, au premier aspect, qu'un amas de maisons en terre, mal construites ; dans toutes les directions, on ne voit que des plaines immenses de sable mouvant, d'un blanc tirant sur le jaune, et de la plus grande aridité. [...]
La ville de Tombouctou peut avoir trois milles de tour ; elle forme une espèce de triangle ; les maisons sont grandes, peu élevées et n'ont qu'un rez-de-chaussée ; dans quelques-unes on a élevé un cabinet au-dessus de la porte d'entrée. Elles sont construites en briques de forme ronde, roulées dans les mains et séchées au soleil ; les murs ressemblent à la hauteur près à ceux de Djenné.
Les rues de Tombouctou sont propres et assez larges pour y passer trois cavaliers de front ; en dedans et en dehors, on voit beaucoup de cases en paille, de forme presque ronde, comme celles des Foulahs pasteurs ; elles servent de logement aux pauvres et aux esclaves qui vendent des marchandises pour le compte de leurs maîtres.
Tombouctou renferme sept mosquées, dont deux grandes, qui sont surmontées chacune d'une tour en brique, dans laquelle on monte par un escalier intérieur.
Cette ville mystérieuse qui, depuis des siècles, occupait les savants, et sur la population de laquelle on se formait des idées si exagérées, comme sur sa civilisation et son commerce avec tout l'intérieur du Soudan, est située dans une immense plaine de sable blanc et mouvant, sur lequel il ne croît que de frêles arbrisseaux rabougris » (Journal d'un voyage à Tomboctou et à Jenné, dans l'Afrique centrale, 1830).
Une ville au patrimoine exceptionnel
Comme sa cousine malienne Djenné, l'ancienne capitale est célèbre pour ses monuments à l'architecture originale. Essentiellement des mosquées et des mausolées qui entretiennent le souvenir d’hommes pieux et valent à la ville son surnom de « ville aux 333 saints ».
Pas de marbre ou de pierre dans les rues. Tombouctou est une cité de terre crue. Elle est bâtie selon la technique de l'adobe (ou banco), qui emploie des briques de terre moulée et séchée disposées autour de poutres en palmier constituant l'ossature.
Très fragiles, ces monuments sont, chaque année, à une date précise, consolidés par les habitants sous la direction de l'imam. On peut voir sur les parois des mosquées les bouts de bois permettant d'accéder aux parois lors de ces journées au rôle à la fois religieux, patrimonial et social.
En 1988, la ville a été classée sur la liste du patrimoine mondial de l'UNESCO. La décision, prise le 28 juin dernier, de la faire passer sur la liste du « patrimoine mondial en péril » a provoqué la colère des envahisseurs islamistes qui ont entrepris de détruire ses monuments et manuscrits en prétextant de leur caractère idolâtrique ou polythéiste.
Les principaux monuments de Tombouctou
Voulue par l'empereur Kanga Moussa, de retour de pèlerinage à la Mecque, elle fut construite en 1325 par Abu Ishaq es-Sahéli, architecte originaire de Grenade qui aurait reçu 200 kg d'or pour ce travail ! Elle comporte 25 lignes de piliers et peut accueillir 10 000 fidèles.
Construite selon la volonté d'une femme au XVe siècle, elle fut un important centre universitaire (madrasah).
Édifiée dans l'attente d'un saint en 1400 qui se présenta finalement 40 ans après sous les traits de Sidi Yaya, elle comportait une porte sacrée qui ne devait être ouverte qu'à la fin des temps, sous peine de malheur. Elle a été brisée le 2 juillet dernier.
Les plus célèbres, ceux de Sidi Yaya et Sidi Mahmoud, auraient été détruits en juin 2012. 16 de ces mausolées ont été inscrits sur la liste du patrimoine mondial de l'UNESCO.
On estime à près de 100 000 le nombre de manuscrits conservés à Tombouctou. Quelques-uns datent du XIIe siècle. Mais la plupart, victimes des mites, de l'humidité, des incendies et des vols, n'ont dû leur survie qu'au travail inlassable des copistes, lequel s'est prolongé jusqu'au XXe siècle. Ils sont conservés à Tombouctou, dans le Centre de documentation et de recherche Ahmed-Baba, fondé en 1970, et surtout au sein même des familles.
Sources
Tombouctou, préface de Léopold Sédar Senghor, Comité de Jumelage Saintes-Tombouctou, 1986.
L'Histoire n°367, septembre 2011 : « Les siècles d'or de l'Afrique ».
Pierre Boilley, Jean-Pierre Chrétien, Histoire de l'Afrique ancienne. VIIIe-XVIe siècle, Documentation photographique n°8075, mai-juin 2010.
Anne Hugon, Vers Tombouctou. L'Afrique des explorateurs, tome II, Gallimard Découvertes, 1984.
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Jane (06-04-2013 20:59:36)
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