L'Asie du Sud-Est est bordée par l'océan Indien et le golfe du Bengale à l'ouest, l'océan Pacifique et la mer de Chine à l'est, entre la Chine, l'Inde et l'Océanie. Ses péninsules et ses archipels, entre l'Équateur et le tropique du Cancer, ont en commun... la mousson et les épices, dont elles sont de loin le premier producteur mondial.
• De taille comparable à l'Europe, L'Asie du Sud-Est forme un ensemble d'environ 4 millions de km2 et 650 millions d'habitants (2023), divisé en plusieurs États souverains : la Birmanie ou Myanmar, la Thaïlande, la Malaisie, Singapour, le Laos, le Cambodge, le Vietnam, les Philippines, Brunéi, Timor-Est et l'Indonésie (à quoi nous avons ajouté Ceylan ou Sri Lanka).
• La comparaison avec l'Europe s'impose aussi concernant l'omniprésence de l'eau. La plupart des habitants vivent à proximité d'un grand fleuve ou du littoral océanique, d'où des échanges intenses, facteurs de commerce et de prospérité.
• Comme l'Europe aussi, l'Asie du Sud-Est est restée longtemps à l'écart des grandes civilisations antiques (Croissant fertile, mondes indien et chinois). Il s'en est suivi, selon l'anthropologue Emmanuel Todd (source), de faibles densités humaines et une agriculture extensive avec un modèle familial de type nucléaire (papa, maman et les enfants), un statut de la femme relativement élevé, une forte hexogamie, un rejet de l'esclavage et un pluralisme d'idées. Seul échappe à ce modèle le Tonkin (Nord-Vietnam), longtemps sous influence de la Chine confucéenne, avec riziculture intensive, fortes densités humaines et famille souche de type autoritaire et patriarcal...
Les indicateurs ci-après, publiés par le Population Reference Bureau (Washington, 2016), montrent des pays encore pauvres (à l'exception de la cité-État de Singapour) mais pleins de promesses. Les premières années du XXIe siècle témoignent d'une stabilisation politique de l'Asie du Sud-Est et d'un développement économique rapide, qui s'appuie sur une population jeune, laborieuse et bien éduquée.
| superficie (km2) | population (millions) | Espérance de vie (homme-femme) | Mortalité infantile (pour 1000) | Fécondité (enfants par femme) | PIB/habitant (dollars US) | |
| Singapour | 700 | 5,6 | 80-85 | 1,7 | 1,2 | 81240 |
| Malaisie | 330 000 | 30,8 | 72-77 | 6 | 2 | 26190 |
| Thaïlande | 513 000 | 65,3 | 72-79 | 10 | 1,6 | 15210 |
| Indonésie | 1 910 000 | 259,4 | 69-73 | 30 | 2,5 | 10685 |
| Philippines | 300 000 | 102,6 | 65-72 | 22 | 2,8 | 8900 |
| Vietnam | 331 000 | 92,7 | 71-76 | 15 | 2,1 | 5690 |
| Birmanie | 676 000 | 52,4 | 64-68 | 61 | 2,3 | - |
| France | 551 700 | 64,6 | 79-85 | 3,3 | 1,9 | 40 470 |
Au commencement...
La découverte en 1891 de l'homme de Java (homo erectus), vieux d'environ 900 000 ans, atteste du peuplement très ancien de la région.
Son Histoire proprement dite débute aux premiers siècles de notre ère avec la constitution de plusieurs « empires » indianisés dans la péninsule indochinoise : Champa, Tchen-La et Fou-Nan.
Le royaume de Champa, formé autour de Huê, dans le Vietnam actuel, est hindouisé aux alentours du IIIe siècle de notre ère.
Les royaumes de Tchen-La et Fou-Nan pratiquent également l'hindouisme. Celui de Tchen-La, peuplé de Khmers, prend forme dans le bassin du Mékong. Fou-Nan, plus éphémère (Ier-VIe siècle), se trouve à l'emplacement du Cambodge actuel, où il joue un rôle d'intermédiaire dans le commerce entre la Chine et l'Inde.
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Cette série de cartes montre le bref processus (à peine plus d'un millénaire) pendant lequel l'Asie du Sud-Est s'est successivement imprégnée des cultures et religions de ses grands voisins (hindouisme, islam, christianisme, culture chinoise etc).
Le commerce maritime est le trait d'union entre tous ces espaces de civilisation.
Magnificence des royaumes hindous (VIIe-XVe siècles)
Au VIIe siècle de notre ère se constitue le royaume de Srivijaya, autour de Palembang, au sud-est de Sumatra. Sa structure politique et sociale est profondément influencée par des idées et des croyances venues d'Inde, l'hindouisme et le bouddhisme.
Solidement établi sur le détroit de Malacca, entre la péninsule malaise et les îles de la Sonde, le royaume devient une étape incontournable sur les routes commerciales qui relient l'Arabie, l'Inde et la Chine.
Aux alentours de l'An Mil, toutefois, il entre dans un lent déclin cependant que montent de grands royaumes hindous, à Java et sur le continent.
En 1292, l'un de ces princes hindous, soutenu par un corps expéditionnaire mongol envoyé par l'empereur Koubilaï Khan, fonde l'empire de Majahapit dans la partie orientale de Java.
Étendu à l'Indonésie actuelle et à la péninsule malaise, le Majahapit atteint son apogée au milieu du XIVe siècle cependant que disparaît le Srivijaya. L'un des derniers princes de ce royaume s'enfuit de Palembang et fonde sur la péninsule malaise une ville appelée à un grand essor, Malacca.
Au nord-est, dans le bassin du Mékong, un empire khmer s'est établi à la place du royaume indianisé du Fou-Nan. Il va prospérer entre le IXe et le XIVe siècle, autour de sa fameuse capitale, Angkor.
Des temples dont les bas-reliefs reproduisent des scènes du Mahabharata et du Ramayana, les deux grandes épopées fondatrices de la mythologie hindoue, y sont construits, ainsi que d'autres temples dédiés au bouddhisme. Les deux religions se côtoient en bonne intelligence.
L'empire khmer atteint son apogée sous Jayavarman VII, qui soumet le royaume rival du Champa. Mais après sa mort, il ne tarde pas à se désagréger, victime des révoltes de ses vassaux et des attaques de ses voisins... Il se voit même imposer un tribut par l'empereur sino-mongol Koubilaï Khan.
Le grand reflux des royaumes hindous (XVe-XVIe siècles)
À partir de 1238 s'épanouit dans la haute vallée du Mékong, au nord de la Thaïlande actuelle, le royaume thaï de Sukhothaï (« aube de la félicité »).
Vers 1350, il est relayé par un autre royaume thaï, dont la capitale est Ayuthaya, au nord de l'actuelle Bangkok.
Ayuthaya devient pour quatre siècles la capitale rayonnante du Siam. Sa religion officielle est le bouddhisme du Petit Véhicule, importé de Ceylan (sri Lanka). Ses rois progressent vers l'est, jusqu'à s'emparer provisoirement d'Angkor en 1431, obligeant les Khmers à transférer leur capitale à Phnom Penh, actuelle capitale du Cambodge.
Parallèlement, au nord de l'actuel Vietnam, les Viêts tonkinois parviennent à s'émanciper des Chinois à la fin du Xe siècle. Ils fondent un État indépendant tout en conservant cependant les traditions bouddhistes et confucéennes apportées par leurs encombrants voisins. Ils repoussent les attaques chinoises et mongoles au nord tout en commençant à empiéter sur le royaume de Champa, dans le delta du Mékong, au sud. Au XIVe siècle, il ne reste plus rien de ce royaume hindou écartelé entre les Khmers et les Viêts.
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Au début du deuxième millénaire se mettent en place dans la péninsule indochinoise les grands royaumes à l'origine des principaux États actuels : le Siam, le Vietnam, le Cambodge, héritier des Khmers...
L'archipel indonésien, quant à lui, se divise entre de nombreuses principautés musulmanes. Le royaume du Toungoo, à l'origine de la Birmanie, apparaît un peu plus tard, au XVIe siècle.
La « mondialisation » dans sa version islamique
Au XIIIe siècle, tandis que le monde arabo-persan pâtit des invasions turques et mongoles, le Sud-Est asiatique et le golfe du Bengale découvrent tout comme l'Occident chrétien les félicités du commerce et les promesses de la « mondialisation ».
De la péninsule arabe à la mer de Chine, tout au long des côtes de l'océan Indien, les boutres transportent les épices, pierres, tissus... convoités par les élites de tous pays. C'est ainsi que le nord de Sumatra s'initie aux préceptes de l'islam. Plus au nord, les Philippines elles-mêmes ressentent l'influence musulmane au XIVe siècle.
Mais d'ores et déjà, le monde change d'échelle. En 1405, l'empereur chinois place son amiral Zheng He à la tête d'une grande expédition maritime comme le monde n'en a encore jamais connue. Ses objectifs sont à la fois scientifiques, diplomatiques, commerciaux et militaires. Zheng He va effectuer plusieurs voyages jusqu'en Afrique.
Il fait escale notamment à Java pour débrouiller une guerre civile dans le Majapahit. À Malacca, il reçoit un serment d'allégeance du souverain à l'égard de l'empereur ming... Mais les successeurs de celui-ci ne vont pas poursuivre les expéditions, au demeurant très coûteuses. Des intrus venus d'on ne sait où vont relever le défi ; il s'agit des Portugais...
Le choc des mondialisations (XVIe-XVIIIe siècles)
Déjà le monde est en train de changer comme jamais. Les modestes naves des Portugais n'ont rien à voir avec les colossales jonques de la « flotte des Trésors » de Zheng He. Mais ces diables de marins vont réussir à contourner l'Afrique en 1488 et atteindre les Indes en 1498.
Tout va dès lors aller très vite. Excités et rendus fous par les fabuleux profits générés par le commerce des épices, qui s'achètent pour moins que rien dans les Moluques et se revendent plus cher que l'or en Europe, les Portugais vont mettre toute leur énergie à s'approprier ce négoce.
En 1511, Albuquerque parvient à s'emparer de Malacca. Les Portugais fondent ensuite des comptoirs sur l'île d'Amboine (Moluques), en 1521, à Tumasik, près de l'actuelle Singapour, en 1526, etc.
Mais dès la fin du XVIe siècle, les Portugais sont supplantés par les Hollandais. Ils regroupent en 1602 leurs compagnies de commerce au sein d'une même entité, la VOC ou Compagnie des Indes Orientales.
Sans autre objectif que le commerce et le profit, ils fondent Batavia, à l'est de Java, à l'emplacement de Djakarta et en font le centre de leur domination sur les Indes orientales (Indonésie et péninsule malaise).
En moins de temps qu'il n'en faut pour le dire, la VOC va imposer des contrats léonins aux sultans locaux, avec des « livraisons forcées » à bas prix qui auront vite fait de les ruiner et de plonger leurs sujets dans la misère.
Les sultanats javanais de Mataram et Bantam font allégeance à la VOC et la compagnie administre de façon directe les Moluques, les Célèbes, l'ouest du Timor (les Portugais conservent l'est de l'île), les côtes de la presqu'île de Malacca, les rivages de Bornéo et de Sumatra.
Uniquement soucieux de profits, les Hollandais ont toutefois le bon goût de laisser les indigènes pratiquer leur religion.
Rien de tel avec les Espagnols, qui ont atteint en 1565 le nord de l'Insulinde. Baptisé Philippines en l'honneur du roi Philippe II, l'archipel est administré par... le vice-roi espagnol de Nouvelle-Espagne (Mexique) !
Les Espagnols ne se soucient guère de l'exploiter. Ils se contentent de faire commerce de ses richesses contre l'argent d'Amérique. Mais ils s'appliquent à le christianiser...
Dans cette christianisation menée avec passion par les jésuites, les Espagnols doivent faire face à la concurrence des commerçants musulmans arrivés au même moment qu'eux sur la grande île méridionale de Mindano. C'est ainsi qu'après avoir chassé les musulmans de la péninsule ibérique, ils les retrouvent à l'autre extrémité de l'Eurasie !
Aujourd'hui, quoi qu'il en soit, les Philippines sont le principal pays catholique et chrétien d'Asie avec 115 millions d'habitants (2023) dont 5% de musulmans et plus de 90% de catholiques.
Toute-puissante Europe (XIXe siècle)
La Compagnie hollandaise des Indes orientales, réduite à la faillite par la corruption de ses agents, disparaît en 1789. Profitant du chaos occasionné en Europe par la Révolution française, les Anglais s'emparent en 1795 de Malacca.
À la pointe de la Malaisie, sur le détroit de Malacca, le Britannique sir Thomas Stamford Raffles fonde en 1819 le port de Singapour. Avec une main-d'oeuvre importée de Chine, il va devenir le verrou de l'Asie, par où passent toutes les liaisons entre Europe et Extrême-Orient.
Après la chute de Napoléon, à l'exception de la péninsule malaise, devenue britannique, le royaume des Pays-Bas récupère les Indes orientales. En 1830, il reprend les pratiques brutales de la VOC et astreint les indigènes à deux mois de corvées par an sur les plantations (café, canne à sucre, indigo, thé, tabac, coton, poivre). Il s'ensuit des famines et l'opinion publique, en métropole, en vient à dénoncer ce « système de culture » inique. Il est aboli en 1877 et le gouvernement hollandais tentent dès lors de se racheter par une « politique morale » qui vise à élever le bien-être de la population...
Dans la péninsule indochinoise, les Viêts continuent à progresser vers le sud et atteignent le delta du Mékong. Toute la Cochinchine passe sous leur domination. En 1802, le Vietnam, du Tonkin à la Cochinchine, est unifié pour la première fois. Mais à la même époque, la présence de missionnaires français et l'évangélisation se renforcent dans la péninsule indochinoise. Au milieu du XIXe siècle, soucieux de prendre sa part dans le partage de la région, l'empereur Napoléon III vient au secours du roi du Cambodge, menacé par le Vietnam et le Siam. Après un protectorat sur le Cambodge et le Laos voisin, la France colonise le Vietnam lui-même.
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L'irruption des navigateurs et des marchands européens va bouleverser les fragiles équilibres régionaux. Exclusivement soucieux de tirer profit des épices, les Hollandais mettent en coupe réglée les petits sultanats de l'Insulinde. Les Anglais, Français et Espagnols s'approprient les restes, beaucoup moins avantageux. Le Siam (Thaïlande) conserve vaille que vaille son indépendance.
Douloureuse renaissance
À la veille de la Première Guerre mondiale, l'Asie du Sud-Est est presque toute entière sous tutelle européenne. Seul le Siam, État tampon entre le Raj britannique à l'ouest et l'Indochine française à l'est, échappe à la colonisation (c'est aujourd'hui la Thaïlande).
Les Britanniques sont présents en Malaisie, en Birmanie, aux Indes et à Hong-Kong, les Hollandais en Indonésie, les Portugais au Timor oriental et à Macao, les Français en Indochine. L'Indochine française, terme utilisé à partir de 1888, inclut la Cochinchine, l'Annam, le Tonkin, le Cambodge et le Laos, régions colonisées de 1862 à 1893.
Les Philippines se trouvent sous domination américaine. Le XIXe siècle y a été marqué par des nombreuses révoltes des Philippins contre la fiscalité imposée par les Espagnole et la toute-puissance de l'Eglise. La guerre hispano-américaine de 1898 aboutit à une défaite de l'Espagne, qui doit céder les Philippines aux États-Unis.
Tous ces États accèdent à l'indépendance après la Seconde Guerre mondiale.
D'abord les Philippines le 4 juillet 1946, une fois libérées de l'occupation japonaise. Ensuite l'Indonésie : également occupée par le Japon, celle-ci a proclamé une indépendance unilatérale le 17 août 1945 mais n'obtiendra sa reconnaissance par les Pays-Bas et le reste du monde qu'en décembre 1949, au terme d'une épreuve de force.
La Birmanie, anciennement rattachée aux Indes britanniques, devient indépendante quelques mois après celles-ci, le 4 janvier 1948.
La France met fin à son protectorat sur le Cambodge le 9 novembre 1953. Le royaume du Laos s'est vu concéder un embryon d'indépendance dans le cadre de l'Union française mais devra attendre les accords de Genève du 21 juillet 1954 pour obtenir une indépendance pleine et entière. Quant au Vietnam, il proclame son indépendance unilatérale par la voix d'un inconnu, le communiste Hô Chi Minh, le 2 septembre 1945.
En définitive, les accords de Genève entérineront l'indépendance de deux pays, le Nord-Vietnam communiste et le Sud-Vietnam pro-occidental.
Les deux États ne seront réunis qu'après la chute de Saigon, le 30 avril 1975, au terme de trois décennies de guerre.
Sans heurts, le 31 mai 1957, la Malaisie britannique forme une fédération indépendante. Le 16 septembre 1963, elle forme une Fédération de Grande Malaisie en incluant aussi le port britannique de Singapour ainsi que les colonies de Sarawak et Sabah, sur la partie occidentale de l'île de Bornéo.
Également sous protectorat britannique, le sultanat de Brunéi, riche de son pétrole, préfère devenir indépendant le 1er janvier 1984.
La partie orientale de Bornéo, Kalimantan, demeure indonésienne.
Mais deux ans plus tard, le 2 août 1965, Singapour fait sécession.
Ses 1,7 millions d'habitants, à 80% d'origine chinoise, ne supportent pas la prédominance politique de la majorité malaise et musulmane de la Fédération. Le gouvernement de Kuala-Lumpur ne fait pas obstacle à la sécession car elle réduit très sensiblement la part des Chinois dans la Fédération (40% des onze millions d'habitants).
Le Premier ministre de la cité-État, Lee Kuan Yew, va faire de celle-ci l'un des États les plus prospères de la planète.
Dernier avatar de la colonisation, le Timor oriental, colonie portugaise occupée par l'Indonésie en 1976, accède à l'indépendance en 2002 après une brève guerre d'indépendance.
Aujourd'hui, tous ces États (à l'exception de Timor-Est) sont réunis au sein d'une communauté économique régionale fondée en 1967 à l'époque de la guerre froide : l'Association des nations de l'Asie du Sud-Est (ASEAN selon l'acronyme anglais)... Voilà encore un parallèle avec l'Europe !











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