Doté d'un charisme et d'une élocution redoutables, porté par des convictions inflexibles, saint Bernard de Clairvaux est l'une des principales figures du XIIe siècle chrétien. En s'appuyant sur l'ordre cistercien, il a contribué à hisser l'Église médiévale à son apogée.
L'enthousiasme entraînant de la jeunesse
Né au château de Fontaine, près de Dijon (Bourgogne), Bernard a une vingtaine d'années quand, au printemps 1112, il entre à l'abbaye voisine de Cîteaux, accompagné d'une trentaine de jeunes parents et amis. Robert de Molesme, qui a fondé l'abbaye en 1098, voulait restaurer la règle bénédictine dans toute sa rigueur. Bernard de Fontaine va combler ses voeux au-delà de toute espérance...
En juin 1115, l'abbé Étienne Harding, qui a succédé à Robert de Molesme, demande au jeune homme d'aller fonder avec ses compagnons un nouveau monastère.
La petite troupe jette son dévolu sur Clairvaux, un vallon boisé et humide à une quinzaine de kilomètres de Bar-sur-Aube, en Champagne. Ce sera l'une des « quatre filles » de Cîteaux, avec La Ferté-sur-Grosne, fondée deux ans plus tôt au sud de la Bourgogne, Pontigny, fondée l'année précédente, également en Bourgogne (Yonne), et Morimond, fondée la même année à l'Est de la Bourgogne (Haute-Marne).
Bernard va donner une impulsion décisive à son ordre monastique, jusque-là atone, de sorte que Clairvaux va très vite éclipser les autres abbayes et devenir la référence obligée des Cisterciens, aussi appelés Bernardins, en référence à l'impétueux abbé.
Il recentre la liturgie sur le dialogue avec Dieu, loin de toute pompe liturgique. En accord avec la sensibilité de son siècle, il développe la dévotion à la Vierge.
Plus que tout, il impose à Clairvaux et aux autres monastères cisterciens une stricte discipline, loin de tout faste. Par simplicité, les cisterciens s'habillent ainsi d'une robe de bure non teinte, ce qui leur vaut d'être appelés « moines blancs ».
Soucieux d'ascèse, Bernard s'érige en donneur de leçons et fustige les « moines noirs » du vieil ordre de Cluny, leur reprochant d'accorder trop d'importance à la décoration des églises et au faste des offices.
En foi de quoi les candidats affluent à la porte des monastères cisterciens. Les dons également. Très vite, l'ordre s'étend à toute la France du nord avant de déborder sur le reste de l'Europe catholique.
Soldat de Dieu
Doué d'une très forte personnalité, saint Bernard sort très vite de son abbaye pour participer aux grandes affaires de son siècle. Dès avril 1121, au concile de Soissons, il entre en conflit avec le théologien Abélard qu'il retrouvera vingt ans plus tard. Secrétaire du concile de Troyes, en 1128, il fonde l'ordre du Temple et en rédige les statuts.
Sa renommée monte en flèche suite à l'élection simultanée par le conclave de deux papes Innocent II et Anaclet II, le 14 février 1130. Anaclet II reçoit le soutien armé du roi de Sicile et son rival doit en conséquence se réfugier en France. C'est là qu'il rencontre Bernard, lequel prend son parti et, sans se lasser, plaide sa cause auprès du roi de France ainsi que des grands féodaux et des évêques du royaume. Le risque de schisme s'évanouit avec la mort d'Anaclet en 1138.
Le pape Innocent II remercie Bernard pour son intervention en accordant maints privilèges à l'ordre cistercien.
Très impliqué dans les querelles théologiques de son temps, Bernard de Clairvaux obtient au concile de Sens, en 1140, la condamnation pour hérésie du vieil Abélard, célèbre pour son idylle tragique avec sa jeune élève Héloïse et plus sérieusement coupable de trop lire Aristote et de penser que la raison peut conduire à la foi. Pour Bernard, au contraire, « le monde est un mystère dont Dieu seul possède la clé ». Par la même occasion, Bernard fait condamner Arnaud de Brescia, disciple italien d'Abélard, qui va se compromettre plus tard en assumant la direction d'une éphémère république romaine.
Dans une lettre déchirante au pape Innocent II, Bernard de Clairvaux dénonce en termes fleuris la menace que font peser sur la chrétienté Abélard et son complice : « Le nouveau Goliath, tel qu'un géant terrible, s'avance armé de toutes pièces et précédé de son écuyer, Arnaud de Brescia. Ils sont l'un et l'autre comme l'écaille qui recouvre l'écaille et ne permet point à l'air de pénétrer par les jointures; l'abeille de France a appelé comme d'un coup de sifflet celle d'Italie a, et elles se sont réunies contré le Seigneur et son Christ. Tous deux ont bandé leur arc, ont garni leur carquois de flèches et se sont placés en embuscade pour tirer sur les coeurs simples. Tout dans leur extérieur et dans leur manière de vivre respire la piété, mais leurs coeurs en ignorent les véritables sentiments; et ces anges de Satan, transformés de la sorte en anges de lumière, séduisent un grand nombre de personnes ».
En 1145, l'abbé de Clairvaux a la satisfaction de voir l'un de ses anciens moines ceindre la tiare pontificale sous le nom d'Eugène III. Mais le nouveau pape doit faire face à Rome à la révolte des partisans d'Arnaud de Brescia, qui ont le front de contester le pouvoir temporel des papes et proclament la république.
Une nouvelle fois, Bernard va mettre son talent politique au service du souverain pontife et lui sauver la mise. Soucieux de pauvreté évangélique, l'abbé de Clairvaux s'oppose aussi à l'abbé de Cluny Pierre le Vénérable tout comme à l'abbé de Saint-Denis Suger, promoteur de l'art dit gothique.
Sollicité par le roi de France Louis VII le Jeune, il le convainc de lever une armée pour secourir les Francs de Terre Sainte. Lui-même prêche la croisade sur la colline de Vézelay le 31 mars 1146. Il tente aussi de lutter contre l'hérésie cathare naissante dans le Midi toulousain... Il n'empêche que la deuxième croisade et son combat contre l'hérésie cathare déboucheront sur des échecs cinglants.
Le fondateur de l'ordre des Templiers justifie la guerre contre les infidèles mais dénonce en contrepartie les guerres féodales : « Que cesse cette vieille habitude que je n'appelle pas service des armes, mais service de parfaite méchanceté, par laquelle vous avez coutume de combattre entre vous et de vous détruire les uns les autres jusqu'à une entière extermination ».
Il s'oppose aussi avec vigueur à ceux qui violentent les juifs sous prétexte de leur faire payer les frais de la croisade : « Les Juifs ne doivent point être persécutés, ni mis à mort, ni même bannis (...). Ils sont pour nous des traits vivants qui nous représentent la passion du Seigneur ».
Mort d'épuisement le 20 août 1153, saint Bernard de Clairvaux est canonisé sans difficulté en 1174 et proclamé Docteur de l'Église en 1830.
Histoires de saints
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Voir les 5 commentaires sur cet article
Patatino (15-09-2016 19:07:28)
Pour l'anecdote : Glenn Cooper, l'archéologue et romancier américain, met en scène Abelard et Bernard de Clairvaux dans un thriller fort bien enlevé : Le Testament des Templiers - La Dixième cham... Lire la suite
papinot (28-09-2015 17:12:26)
Si nous approuvons les croisades, nous sommes obligés d'admettre une certaine légitimité aux horreurs commises par les musulmans à l'heure actuelle ! grave dilemme..auquel je ne puis adhérer. Her... Lire la suite
Rene Nicolas (27-09-2015 10:00:16)
Le fondateur des Templiers n'etait-il pas Hugues de Payns en 1118-19?.Herodote.net répond :
Certes mais c'est à saint Bernard qu'est revenu le soin de rédiger les statuts de son ordre.