Fontevraud (ou Fontevrault selon l'ancienne graphie) est une splendide abbaye de style romano-poitevin. Elle a été fondée au XIIe siècle par un mystique breton aux mœurs sulfureuses, Robert d'Arbrissel. Elle s'étire au sud de la Loire, à une quinzaine de kilomètres à l'ouest de Saumur, et n'est séparée du fleuve que par le village de Montsoreau.
Cette cité monastique, qui avait la particularité d'abriter des couvents d'hommes et de femmes tous dirigés par une abbesse, s'est acquise une très grande prospérité grâce à Aliénor d'Aquitaine et aux Plantagenêt qui y sont inhumés. À son apogée, elle en vint à abriter trois cents moines et moniales. Mais elle manqua toutefois d'être détruite après la Révolution et fut transformée en prison. C'est aujourd'hui un centre culturel très actif...
L'abbaye de Fontevrault (ou Fontevraud) a été fondée à la Pâques 1101 par le fervent breton Robert d'Arbrissel. Celui-ci mourut le 25 février 1116 au prieuré d'Orsan, dans le Berry. Il a été inhumé le 7 mars suivant dans sa chère abbaye de Fontevraud.
Du fait de sa critique des abus du clergé et de ses pratiques ascétiques, comme de dormir nu au milieu de jeunes femmes pour mieux résister à la tentation (Gandhi agissait de façon semblable !), Robert d'Arbrissel n'eut pas la chance d'être canonisé à l'égal de la plupart des autres fondateurs d'ordres monastiques...
L'abbesse Jeanne-Baptiste de Bourbon, fille adultérine d'Henri IV, tenta pourtant de le disculper. En 1645, soit cinq siècles après sa mort, elle envoya deux de ses moines à l'abbaye de la Trinité avec mission de retrouver et détruire des lettres compromettantes qui évoquaient les pratiques curieuses du fondateur, mais ils échouèrent dans leur tentative...
Splendeur romane
L'église abbatiale est construite dans le style roman poitevin, avec des coupoles qui rappellent la cathédrale Saint-Front de Périgueux.
Ces coupoles, supportées par les piliers et non les murs, permettent de dégager sur les côtés de grandes ouvertures à travers lesquelles pénètre la lumière naturelle.
À côté de la grande salle commune se tiennent les cuisines (ci-contre). Il s'agit d'un curieux édifice octogonal hérissé de cheminées. À l'intérieur, chacun des huit alvéoles latéraux pouvait servir de foyer pour la cuisson des aliments.
Dans les conduits de cheminée, on mettait à fumer pendant plusieurs semaines les poissons de la Loire, qui faisaient l'ordinaire des repas, afin de bien les conserver. Cette organisation ingénieuse se retrouve dans les cuisines du palais de Cintra (Portugal) et du palais du Topkapi (Istamboul).
Le pouvoir aux femmes
La cité comprend une abbaye mère, le grand Moustier, dédié à la Vierge Marie, et trois prieurés : Saint-Jean-de-l’Habit, Sainte-Marie-Madeleine et Saint-Lazare. Au XIIIe siècle, elle compte au total jusqu'à une centaine d'hommes et près de 500 femmes.
L'ensemble a la particularité d'avoir toujours été commandé par une femme. Cette pratique inhabituelle est inspirée à Robert d'Arbrissel par les mots du Christ sur la Croix à l'adresse de sa mère et de Jean : « Mère, voilà ton fils, fils voici ta mère » (il serait anachronique d'y voir une forme de féminisme).
36 abbesses se succédèrent ainsi à la tête de Fontevrault jusqu'à ce que les moines et les moniales en soient chassés à la Révolution. La première d'entre elles fut une veuve énergique joliment dénommée Pétronille de Chemillé, qui bénéficia d'une importante donation de la duchesse Aliénor d'Aquitaine.
La deuxième, Mathilde d’Anjou, fille de Foulques V d’Anjou, roi de Jérusalem, aurait pu devenir reine d’Angleterre si son jeune époux, Guillaume-Adelin, fils d’Henri Ier, n’avait péri dans le naufrage de la Blanche-Nef. ?
Les abbesses qui lui succédèrent étaient également issues de la haute aristocratie ou même de lignées royales.
La règle de Fontevraud est révisée et fixée au XVIe siècle par l'abbesse Marie de Bretagne. La discipline est assurée par des « soeurs cherches » nommées pour un an, dont la mission consiste à repérer « les oisives, les babillettes et les dormantes » (autrement dit les moniales qui tirent au flanc et celles qui babillent ou dorment pendant les offices religieux). La viande est absente des repas mais pas le vin... À noter que les moniales ont droit à une ration double de celle des hommes.
La protection royale
De 1491 à 1670, cinq abbesses de la famille de Bourbon, dont Renée et Louise, tante et cousine de François Ier, s’attachent à redonner à l’ordre tout son prestige. Fontevraud qui jouit du titre d’« abbaye royale » dépend directement du Saint-Siège sur le plan spirituel et relève de la justice du roi de France pour les affaires temporelles. C’est alors l’une des plus puissantes abbayes de France.
Sous le règne de Louis XIV, une abbesse ne fut autre que Marie-Madeleine-Gabrielle de Rochechouart de Mortemart, soeur de l'influente Madame de Montespan, maîtresse du Roi-Soleil, laquelle lui rendait de fréquentes visites.
Surnommée « la reine des abbesses » ou « la perle des abbesses » pour son érudition, elle traduit l’Iliade, le Banquet de Platon, correspond avec d’éminents théologiens, mais aussi avec les plus grands auteurs de son temps, comme Boileau, Madame de La Fayette et Racine dont elle fait jouer Esther à Fontevraud.
La qualité de ses discours de vêture, prononcés lors des cérémonies de prise d’habit des novices, sont renommés à l’égal des sermons des plus grands prédicateurs. Bossuet la tient en haute estime au point de lui demander les ordonnances qu’elle adressait à ses religieuses « pour y apprendre à gouverner les religieuses de son diocèse ». Son crédit auprès de Louis XIV lui permet de défendre au mieux les intérêts de son ordre.
Les filles de Louis XV
Le prestige de l’abbaye lui vaut d’accueillir quatre des plus jeunes filles de Louis XV à partir de 1738. La venue des petites princesses entraîne de grandes transformations des bâtiments afin d’accueillir les petites princesses et leur entourage.
« Mesdames Cadettes » (Victoire, Sophie, Thérèse-Félicité et Louise) ont entre cinq et deux ans à leur arrivée à Fontevraud. L’une d’entre elles, Thérèse-Félicité, y décède de la petite vérole en 1744 à l’âge de huit ans. Ses sœurs passent toute leur enfance à Fontevraud et y reçoivent une éducation variée, notamment dans le domaine musical.
La maison centrale de détention
Après la Révolution, de 1804 à 1963, l’abbaye de Fontevraud fut transformée en prison. Elle laisse le souvenir d'une très grande dureté. D'aucuns prétendent qu'elle aurait « hébergé » l'écrivain et truand Jean Genet mais il ne s'agit que d'une légende. Genet s’y rendit fréquemment mais seulement pour rendre visite à ses compagnons de galère.
La prison compta jusqu’à 2 800 prisonniers. Si au XIXe siècle hommes, femmes et enfants y étaient détenus, Fontevraud n’accueille ensuite plus que des hommes.
Les bâtiments sont considérablement transformés pour augmenter le nombre d’étages de dortoirs et d’ateliers. Même les coupoles de l’église abbatiale sont détruites pour accueillir des niveaux supplémentaires. Un mur d’enceinte et des galeries pénitentiaire sont construits afin de surveiller les détenus. De nombreux autres bâtiments sont édifiés pour accueillir les manufactures où travaillent les détenus (fabrication de meubles, de boutons,…)
La prise de conscience progressive du caractère patrimonial des lieux dans le courant du XIXe siècle entraîne les directeurs à tenter de restaurer les bâtiments. Joseph Christaud fait travailler des détenus compétents en maçonnerie et en sculpture à la remise en état du monument. Il fait ainsi restaurer la salle du chapitre et le cloître (où le monogramme JC à la clé de voûte ne renvoie pas à Jésus Christ mais aux initiales de Joseph Christaud !).
Proche de Viollet-le-Duc, l’architecte Lucien Magne, inspecteur général des monuments historiques, entreprend la restauration des cuisines romanes et de l’église abbatiale qui finit par retrouver ses coupoles en 1903. Il faut toutefois attendre encore soixante ans avant la fermeture de la maison centrale de détention et c’est seulement en 1985 que partent les derniers détenus.
Après la Révolution, de 1804 à 1963, Fontevrault sert de prison et laisse le souvenir d'une très grande dureté. D'aucuns prétendent qu'elle aurait « hébergé » l'écrivain et truand Jean Genet mais il ne s'agit que d'une légende.
Le roi d'Angleterre Henri II Plantagenêt, étant mort à Chinon pendant l'été 1189, a été inhumé dans l'urgence à Fontevrault (ancienne graphie), non loin de là, sur une décision de sa veuve Aliénor d'Aquitaine, qui a plus tard fini sa vie dans sa chère abbaye. C'est aussi à Fontevraud qu'Aliénor fit inhumer son fils le roi Richard Coeur de Lion, avant d'y reposer elle-même. C'est ainsi que les premiers Plantagenêt reposent dans la crypte de l'église abbatiale pour l'éternité et chacun peut admirer leurs gisants polychromes dans la nef.
Selon la tradition médiévale, ces gisants sont orientés les pieds vers Jérusalem. Ils représentent les défunts dans leur tenue de la cérémonie funéraire. Aliénor tient dans ses mains un livre ouvert pour rappeler qu'elle fut, sa vie durant, l'amie des poètes et des troubadours.
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Sourbier (01-03-2009 00:05:20)
Je suis étonné d'apprendre, avec cet article, le rôle des femmes dans les monastères masculins.
merci à hérodote