12 décembre 2018 : le musée national Picasso-Paris, installé dans l’Hôtel Salé, très bel hôtel du XVIIe siècle dans le Marais, présente jusqu’au 13 janvier 2019 l’exposition Chefs-d’œuvre ! Elle accueille des œuvres de Picasso dont certaines n’ont encore jamais été vues à Paris.
Á travers une quinzaine de salles organisées suivant une trame chronologique, l’exposition offre au grand public un regard d’ensemble sur l’œuvre de l'artiste, de ses jeunes années jusqu’à sa mort...
La notion de chef-d’œuvre
Au départ de l'exposition, il y a une œuvre d'Honoré de Balzac (1799 - 1850) : Le chef d’œuvre inconnu (1831), qui raconte la quête acharnée (et vaine) d’un peintre désireux de créer un chef-d’œuvre.

Un siècle plus tard, en 1927, Pablo Picasso illustre l’ouvrage de Balzac, se confrontant lui-même au désir de réaliser une œuvre sans pareille.
Picasso ne nous a pas laissé de témoignage à ce sujet mais, aux yeux de la commissaire de l’exposition Émilie Bouvard, il ne fait pas de doute qu’il avait en tête de produire de grandes œuvres : « On le voit aux nombreuses œuvres préparatoires qui précèdent ses œuvres monumentales, qui ne sont pas des croquis ou des dessins mais bien des œuvres ! »
Les Demoiselles d’Avignon (1907) par exemple, dont une copie tapissée est exposée à l'hôtel Salé, a nécessité quelques 700 dessins et peintures en amont.
Le peintre, qui n’avait plus de soucis d’argent dès l’âge de 30 ans, a pu conserver certaines œuvres auxquelles il attachait une valeur particulière, comme Femmes à leur toilette (1938) ou La Danse (1925).
« Il s’agissait souvent d’œuvres en rupture ou emblématiques de son processus de création », note Émilie Bouvard. D’un autre côté, « cette volonté de produire des chefs-d’œuvre est à relativiser lorsqu’il se met à travailler en série. » C’est le cas des Baigneuses (1937) réalisées dans sa ville natale de Malaga lors de l’été qui suivit Guernica.
Difficile de savoir si Picasso souffrait de la critique. « Il était ami avec des poètes mais aussi des critiques comme Guillaume Apollinaire (1880-1918) dont il était particulièrement proche, » note la commissaire. Il faut dire qu'il fut très tôt encensé par la critique.
Ce qui est sûr, c’est que l’artiste était abonné à la presse et se tenait informé de ce qui se disait sur son compte. « On sait qu’il pouvait être chatouilleux. Il a davantage été rejeté par les institutions, c’est cette reconnaissance officielle qui lui a surtout manqué, » note Émilie Bouvard. Pour ces raisons, il refusa la Légion d'Honneur en 1967.
Les grands thèmes
L'exposition aborde la notion de chef-d’œuvre à travers de grands thèmes comme les autoportraits ou les Arlequins.
Alors qu’il n’a que 16 ans, sa petite sœur Conchita, 4 ans, tombe gravement malade. Désemparé, Pablo Picasso se promet de ne plus toucher aux pinceaux si elle survit. Á la mort de l’enfant, non seulement il continuera de peindre, mais il se confrontera à un thème majeur de la peinture : la médecine.
À l'aube du XXe siècle, la science en pleine mutation est très à la mode en peinture. Le jeune Pablo, fort de son incroyable maîtrise technique, réalise alors un tableau grand format (voir ci-dessus). Loin d’être une simple épreuve technique, le peintre y ajoute une dimension biographique : l’austère médecin en premier plan est incarné par son père, lui-même professeur de peinture.
La vie quotidienne
S’il n’a pas peur de se mesurer à des thèmes prestigieux, Picasso s'inspire aussi très volontiers de la vie quotidienne.

La Chèvre (1950), sculpture présentée dans l’exposition Chefs-d’œuvre !, avec ses airs d’œuvre inachevée, contraste avec les tableaux de maître. Elle se révèle touchante, entre réalisme et formes cubiques. C’est Esméralda, la chèvre offerte par Jacqueline Roque, son épouse, qui a servi de modèle.
« Il y a trois thèmes majeurs dans l’œuvre de Picasso : les hommes, les natures mortes et, dans une moindre mesure, les animaux, énumère Émilie Bouvard. Picasso aimait représenter les animaux, à la fois comiques et mythologiques. Il les déforme, probablement dans un rapport ludique à l’art. »

Le maître crée aussi des animaux et des petits objets, dans les années 1930, à partir de matériaux insignifiants tels des bouts de fer, du bois flottants, des capsules ou encore des papiers froissés. Il met de côté la technique pour magnifier avec sensibilité ces petits riens.
La beauté quasi-éphémère de ces objets tient plus dans leur fragilité. Ils ont été immortalisés par le photographe hongrois, et ami de Picasso, Brassaï (1884-1989), enchanté par ces petits objets. Loin du tableau monumental, la notion de chef-d’œuvre est encore ici questionnée.
Le génie révolutionnaire
L'idée de déconstruction n’est pas nouvelle chez Picasso. « Enfant, je peignais comme Rubens, il m'a fallu toute une vie pour apprendre à dessiner comme un enfant », disait-il.
L’exposition aborde aussi le cubisme. Les amateurs de cette période de Picasso ne manqueront pas de s’émouvoir devant Les Demoiselles d’Avignon (1907), les Baigneuses (les trois oeuvres de la série sont rassemblées ici pour la première fois en France), Femmes à leur toilette, patchwork monumental de papiers bariolés, ou encore la Danse, réalisée alors qu’il rejoint le ballet russe de Monte-Carlo avec sa femme danseuse de ballet Olga Khokhlova en 1925.
Picasso ne se cantonna pas à la peinture. Artiste complet, il travailla différents mediums : sculpture, lithographie, collage, etc. avec le concours d'autres artistes. « Picasso était aussi un grand graveur », souligne la commissaire...
La fin de vie
Picasso, bien que révolutionnaire, s’inscrit dans la lignée des grands maîtres. Il était très admiratif de Rembrandt et tout au long de sa vie, particulièrement durant ses dernières années, lui rendit hommage en travaillant des autoportraits.
« Picasso adorait aussi Velasquez, mais celui-ci était un peintre de cour, ce qui n’est pas du tout son cas », ajoute Émilie Bouvard, avant de conclure : « Rembrandt comme Picasso ont été chacun à leur époque des artistes à la fois aimés et détestés ».
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