Depuis l’Antiquité, les plaines hongroises ont attiré les peuples des steppes asiatiques, des Huns aux Turcs en passant par les Avars, les Coumans et même les Mongols. Mais ce sont d’autres nomades, les Magyars, qui feront souche au cœur du Vieux Continent, à la frontière des mondes germanique, slave et latin, pour y fonder un royaume qui s’imposera en quelques siècles comme le plus important d’Europe centrale.
D’une superficie de 93 000 km2, la Hongrie est une vaste plaine, dont le point culminant n’excède pas 1000 mètres. Elle est délimitée à l’ouest par les Alpes, au sud par les Balkans et au nord et à l’est par les Carpates. Elle est traversée du nord au sud par le Danube et son affluent, la Tisza. Si le pays n’a aucun accès à la mer, il dispose du plus grand lac d’Europe centrale, le lac Balaton. Ce haut-lieu touristique, transformé en patinoire géante en hiver, est aussi appelé « mer hongroise ».
Avec 50% de terres arables (un des taux les plus importants au monde), la plaine hongroise offre un paysage typique : la puszta. Cette steppe sauvage semblable aux prairies d’Amérique du Nord est habitée par des éleveurs de bétail, les csikos, qui rappellent un peu les cowboys américains.
La Hongrie est peuplée d’un peu moins de 10 millions d’habitants. Le quart de la population est concentrée à Budapest et sa banlieue, faisant de la « perle du Danube » la première agglomération d’Europe centrale. Les autres villes principales (Debrecen, Szeged ou Miskolc) ne dépassent pas les 200 000 âmes.
Depuis 1920, près de 2 millions et demi de Hongrois vivent dans les pays limitrophes, sous le statut de minorité nationales. La moitié résident en Roumanie, dans la région de Transylvanie où un habitant sur cinq est hongrois. D’importantes communautés magyares subsistent également en Slovaquie et en Ukraine (160 000) ainsi qu’en Serbie où les Hongrois représentent 20% de la population de la Voïvodine.
La plus forte singularité de la Hongrie demeure sa langue qui n’est pas d’origine indo- européenne mais finno-ougrienne, comme le finnois et l’estonien.
Des Huns aux Magyars…
Au Ier siècle av. J.-C., le territoire de l’actuelle Hongrie est occupé par un peuple indo-européen, les Pannoniens, à propos duquel on ne sait presque rien jusqu’à la conquête romaine par Octave en -35.
Devenue une province de l’empire, la Pannonie est rapidement christianisée et s'honore d'un premier martyr en la personne d'Eusèbe, évêque de Cibalae (Vinkovci). Elle donne aussi naissance à un centurion romain du nom de Martin qui introduira le monachisme en Gaule au IVe siècle et deviendra le saint le plus populaire d'Occident.
Par sa situation géographique, la Pannonie prend une importance stratégique majeure pour la sécurité de Rome face à la pression grandissante des Germains et des peuples des steppes. Après s’être établi à la frontière de la province, les Huns d’Attila franchissent le Danube et se fixent quelques temps en Pannonie avant de partir à la conquête de la Gaule.
À la chute de l’Empire romain d’Occident, la Pannonie est successivement occupée par les Ostrogoths, les Gépides et les Lombards. Après le départ de ces derniers pour l’Italie, un nouveau peuple des steppes se fixe dans la région : les Avars. Ces nomades païens vont soumettre par la terreur les populations autochtones et mener pendant deux siècles des raids en Europe de l’Ouest.
À la fin du VIIIe siècle, les Carolingiens décident d’en finir une fois pour toutes avec les cavaliers avars, qui menacent la frontière de l’empire franc. Charlemagne et son fils Louis conduisent plusieurs expéditions qui entraînent la destruction du royaume avar et la quasi-extermination de ses habitants. Alors que Croates et Serbes investissent la région, de nouveaux cavaliers font soudainement irruption dans les plaines de Pannonie : les Magyars.
Originaires de l’Oural du sud, ce sont des tribus nomades et païennes, organisées en confédération et proches des peuples des steppes, qui ont migré au nord de la mer Noire et se sont intégrés au sein de l’empire khazar. Redoutables combattants, ils sont employés comme mercenaires par les Bulgares ou les Byzantins.
En 895, leur territoire tombe aux mains d’autres nomades, les Petchenègues. Les Magyars décident alors de migrer à l’ouest, vers le bassin des Carpates, tout juste vidé de ces anciens occupants avars. Sous la conduite d'un chef nommé Arpad, quelques dizaines de milliers de Magyars, s'installent dans les plaines de Pannonie.
Aux marges de l'Empire carolingien en décomposition, ils sont aussitôt employés comme troupes auxiliaires. Mercenaires du roi de Francie orientale, Arnulf, ils mettent en déroute en 899 l’armée du roi d'Italie Bérenger Ier sur les rives de la Brenta, près de Venise.
Après la mort d’Arnulf, les Magyars lancent des raids en Europe centrale. Leurs incursions les mènent aux portes de l’Empire franc ainsi qu’en Italie, où ils profitent des luttes fratricides entre seigneurs locaux. En 906, ils dévastent la Moravie et annexent la Slovaquie avant d’envahir la Bavière et infliger une cuisante défaite à l’armée franque à la bataille de Presbourg.
Parce qu’ils sont confondus avec un autre peuple nomade, les redoutables Onoghours, les Magyars sont appelés Hongrois (en latin Hungari) par les Occidentaux. Contrairement à une légende tenace, les exactions des Hongrois ne sont pas à l’origine du mot « ogre », lequel dérive du mot latin orcus.
À l’instar des Huns de l’Antiquité, les Hongrois monnaient leur neutralité et obtiennent des Francs le paiement d’un tribut annuel. Las de ce chantage, le roi Henri Ier l’Oiseleur refuse de continuer les frais. En réponse, les Hongrois envahissent la Francie orientale mais sont vaincus à la bataille de Riade en 933. Vingt ans plus tard, ils subissent une nouvelle défaite au champ de Lech ou Lechfeld, près d'Augsbourg, face à l’armée du futur empereur Othon Ier (ou Otton Ier).
Saint Étienne fonde le royaume de Hongrie
L’échec du Lechfeld décide un petit-fils d’Arpad, le prince Taksony, à mettre fin aux incursions en Occident. Celui-ci fixe définitivement son peuple en Pannonie et prend contact avec le pape qui envoie ses missionnaires.
Son successeur, Géza, accepte de se convertir au catholicisme… sans renoncer toutefois au paganisme. Mais il fait aussi baptiser son fils Vajk, qui prend le nom chrétien d’Étienne et est élevé dans la foi chrétienne.
Le 25 décembre de l’an 1000 (ou 1001), Étienne Ier est sacré roi de Hongrie par le pape Sylvestre II. Il prend pour épouse la fille du prince bavarois Henri le Querelleur, organise l'État et christianise le pays en réprimant durement les révoltes païennes. Un siècle à peine après son irruption dans la plaine du Danube, le peuple hongrois s'intègre à l'Europe et à la chrétienté.
Ce double diadème, dont la légende veut qu’il ait été offert par le pape Sylvestre II à Étienne Ier, en réalité de facture byzantine, est le symbole de la monarchie hongroise. Le roi n’est jugé légitime qu’après avoir été couronné de cette couronne et c’est elle, davantage que celui qui la porte, qui est considérée comme le véritable souverain. Tombée entre les mains de l’armée américaine en 1945, elle sera restituée par les États-Unis en 1978. La couronne est aujourd’hui exposée dans la salle centrale du Parlement hongrois et figure sur les armoiries du pays.
À la fin du XIe siècle, un autre souverain va marquer l’histoire du pays : Ladislas Ier. Véritable roi-chevalier, celui-ci modernise l’État et met en œuvre la réforme de l’Église promue par le pape Grégoire VII. Il deviendra le souverain le plus populaire de l’histoire du pays et sera, comme Étienne Ier, canonisé.
Sous le règne de Ladislas, le territoire hongrois s’accroît considérablement. Profitant d’une lutte de succession en Croatie, la Hongrie annexe la Slavonie et une partie de la côte dalmate, obtenant ainsi son premier accès à la mer. Coloman Ier achève la conquête du pays et conclut en 1102 avec la noblesse croate un traité unissant les deux royaumes. Pendant quatre siècles, les rois de Hongrie porteront également le titre de roi de Croatie.
Le territoire du royaume est divisé en comitats (d’une superficie équivalente à un demi-département français), chacun dirigé par un comte nommé par le roi. Cette subdivision administrative s’est maintenue jusqu’à aujourd’hui.
Au XIIe siècle, la Hongrie, qui s’étend désormais jusqu’à la Bosnie, joue le rôle de charnière entre l’empire byzantin et le monde germanique. Le roi Béla III prend modèle sur les monarchies occidentales et jette les bases de la féodalité (dico). C’est sous son règne qu’est rédigé le codex Pray, le plus ancien texte intégralement en langue hongroise.
Son fils André II conduit la cinquième croisade qui se solde piteusement. Il fait venir en Hongrie des moines cisterciens qui diffusent la culture française. Des troubadours apparaissent même à la cour !
Devant faire face à une révolte des aristocrates, André signe en 1222 la Bulle d'or qui exempte les nobles d’impôt et limite leurs obligations envers le suzerain ; c’est en quelque sorte le pendant de la Grande Charte concédée à ses barons par le roi d’Angleterre Jean sans Terre sept ans plus tôt ! La noblesse obtient même le droit de prendre les armes contre le monarque en cas de violations de ses prérogatives.
L’invasion mongole de 1241
Alors que la Hongrie fait désormais figure de puissant et prospère royaume d’Europe centrale, la soudaine immixtion des Mongols en Europe manque de la faire disparaître complètement.
En 1241, les Mongols, qui viennent de conquérir la Russie, déferlent sur l’Europe centrale. En Hongrie, le roi Béla IV rassemble en hâte ses forces et se porte au-devant des Mongols. Le 11 avril 1241, la cavalerie mongole détruit l’armée magyare en un lieu appelé Mohi. Les soldats hongrois sont presque tous massacrés mais le roi parvient à prendre la fuite et se réfugie chez Frédéric II d'Autriche.
Les conquérants asiatiques ravagent le royaume avec un raffinement de cruauté. Incendies, viols et égorgements systématiques, pratique des « boucliers humains ». La Hongrie est dévastée et un quart de la population est tuée.
Pour des raisons restées obscures, les Mongols abandonnent la Hongrie l’année suivante et retournent vers l’Asie. Béla IV tente de reconstruire le pays et fait venir des colons allemands afin de repeupler le royaume. Pour faire face à de nouvelles invasions, il fait bâtir des forteresses et forme une cavalerie lourde. Il lance également la construction du château de Budavar, qui deviendra la résidence des rois de Hongrie.
Mais depuis l’invasion mongole, les Hongrois doivent aussi cohabiter avec les Coumans, un peuple cavalier chassé de son territoire sur les rives de la mer Noire. Ces guerriers païens reconnaissables à leur curieux casque à pointe occupent l'espace entre le Danube et le Tisza.
Le roi Étienne V épouse une princesse coumane mais ne parvient pas à intégrer les Coumans à son royaume. Son fils, Ladislas IV, dit le Couman, va précipiter la Hongrie dans le chaos. Voyant son pouvoir contesté par l’aristocratie, il s’allie aux cavaliers coumans et fait même appel aux Mongols. Les réformes militaires de Béla IV se révèlent payantes et les envahisseurs asiatiques sont facilement repoussés. L’assassinat de Ladislas IV par les Coumans plonge le royaume dans l’anarchie.
La monarchie hongroise étant élective, comme le sont encore beaucoup de monarchies européennes, les barons du royaume choisissent comme nouveau roi un cousin d’Étienne V : André III. Celui-ci ne règnera qu’onze ans et meurt sans héritier en 1301. Avec lui s’éteint la dynastie arpadienne au pouvoir depuis la fondation du pays.
Une dynastie angevine
Après une lutte de succession mettant notamment aux prises la Bohème et la Bavière, la diète des barons décide d’élire roi de Hongrie un prince angevin, Charles-Robert d'Anjou, petit-fils de Marie de Hongrie, sœur de Ladislas IV, et du roi de Naples Charles d’Anjou, frère de Saint Louis, roi de France. Couronné en 1308 sous le nom de Charles II, il est marié à la fille du roi de Pologne. Le nouveau souverain pacifie le pays et renforce le pouvoir central.
Sous la dynastie angevine, la Hongrie connaît un important développement des villes et du commerce ainsi que l’éclosion de la vie culturelle et scientifique, symbolisé par la fondation en 1367 de l’université de Pécs.
Les Anjou ramènent d’Italie une monnaie, le florin (forint) d’or, qui devient l’une des plus réputées d’Occident. Le royaume bénéficie en outre d’importants gisements de cuivre et d’argent qui lui procurent de précieuses ressources. De nombreuses églises gothiques sont construites, à commencer par la cathédrale Saint-Martin de Bratislava. Les voyageurs sont frappés par la prospérité du royaume qui compte déjà près de quatre millions d’habitants.
Parallèlement, se cristallise le système féodal des grandes propriétés foncières aux mains des « magnats », une poignée de nobles germanophiles, cumulant d’immenses domaines et en bute constante contre le pouvoir royal, qui va déterminer la vie de la Hongrie jusqu’à la fin du XIXe siècle.
C’est aussi une période d’expansion territoriale. En conflit avec Venise, les rois angevins vont étendre le royaume dans les Balkans, jusqu’à la mer Adriatique. En 1345, ils arrachent la Moldavie à la Horde d’Or, lointaine héritière de Gengis Khan.
En 1370, suite au décès de son oncle, Casimir III, le roi de Hongrie Louis Ier est élu roi de Pologne. Il portera les deux titres jusqu’à sa mort en 1382. Le défunt n’ayant pas d’héritier mâle, la Diète porte sur le trône de Hongrie sa fille aînée Marie, laissant à la cadette, Hedwige, le trône de Pologne.
La croix dite « de Lorraine » est devenue en 1940 l’emblème de la France Libre du général de Gaulle, à l’initiative du vice-amiral Émile Muselier, Lorrain par son père !
Bien avant cela, au Moyen Âge, cette croix à deux traverses, appelée croix archiépiscopale en héraldique, a connu une grande fortune en Europe centrale. Dès le XIIe siècle, elle figure sur les armoiries et les monnaies hongroises. C’est la « croix de Hongrie ». Au siècle suivant, l’emblème entre dans la maison d’Anjou-Sicile à la suite du mariage de Charles II de Naples et Marie de Hongrie. Au XIVe siècle, Louis Ier d'Anjou, fils du roi de France Jean le Bon et prétendant malheureux aux trônes de Naples et de Hongrie, fait broder le symbole sur sa bannière, lequel prend le nom de « croix d’Anjou ».
Il deviendra enfin l’emblème de la Lorraine lorsque le « bon roi René », petit-fils de Louis Ier, règnera sur le duché de Lorraine à partir de 1431. Après la rétrocession de la Lorraine par René Ier à son petit-fils René II en 1477, la croix d'Anjou ne sera plus appelée que « croix de Lorraine ». Aujourd'hui, cette croix figure toujours sur les armes de Hongrie ainsi que sur le drapeau slovaque.
La Hongrie, sentinelle de l’Europe
Après avoir fait éliminer le roi de Naples Charles III, qui revendiquait sa couronne, Marie épouse un cousin de son père, Sigismond de Luxembourg. Les deux époux sont associés au trône et installent pour la première fois le siège de la monarchie à Buda, une colline dominant le Danube (la ville deviendra Budapest en se réunissant à Pest, son vis-à-vis sur la rive gauche du fleuve).
À la mort de Marie, le 17 mai 1395, Sigismond règne seul. Inquiet de la progression des Turcs dans les Balkans et de leur victoire sur les Serbes à Kossovo Polié, il obtient l’organisation d’une croisade, avec la bénédiction du pape et la participation de contingents venus de toute la chrétienté. Mais la mésentente entre Hongrois et Français se solde le 25 septembre 1396 par la défaite de Nicopolis.
Après cet échec, les puissances occidentales se garderont d’intervenir contre les Turcs dans les Balkans, laissant la Hongrie faire face seule aux envahisseurs.
En 1411, Sigismond est élu à la tête du Saint Empire romain germanique (dico). Il se remarie avec Barbe de Cilley qui gouverne le royaume durant ses absences. Sous son règne, la Hongrie perd la Dalmatie au profit de Venise, les barons hongrois se soulèvent et le pays est gagné par la révolte des hussites.
Sigismond n’a pas d’héritier masculin et à sa mort en 1437, c’est son gendre, le duc Albert d’Autriche qui revendique la couronne de saint Étienne pour les Habsbourg. Élu par la Diète hongroise, il décède moins de deux ans plus tard, au moment où le royaume est menacé par l’avancée turque. Son successeur est son fils posthume, Ladislas V, qui naît l’année suivante !
Désemparés par la perspective d’une longue régence, une partie des barons entend faire de Ladislas III Jagellon, l'influent roi de Pologne et descendant du roi Béla IV, le souverain de Hongrie. Le pape lui accorde également son soutien en échange de la promesse de mener une croisade contre les Turcs.
Ladislas (16 ans) s’y engage et est sacré roi en 1440 sous le nom de Vladislas Ier. Fidèle à son engagement, il se lance dans la croisade quatre ans plus tard. C’est pour y trouver la mort lors de la bataille de Varna contre les Turcs, le 10 novembre 1444.
Ladislas V étant encore mineur, c’est le voïvode (gouverneur militaire) de Transylvanie, Janos Hunyadi (Jean Huniade en français), qui est élu régent du royaume. D’origine coumane, Hunyadi est un homme à poigne, compagnon de route de l’empereur Sigismond et s’est distingué dans la lutte contre les Ottomans.
Depuis que les troupes de Mehmet II ont pris Constantinople en 1453, le péril turc est plus que jamais menaçant pour la Hongrie. Mais fort heureusement, en 1456, Hunyadi inflige une défaite importante aux Ottomans lors de leur siège de Belgrade, marquant un coup d’arrêt à l’avancée turque en Europe.
Cela lui vaut de recevoir les félicitations du pape mais aussi d’attraper la peste ! Il meurt quelques semaines après le siège, le 11 août 1456.
Mathias Corvin et l’apogée hongroise
Le roi Ladislas V s’éteint à son tour un an plus tard, à seulement 17 ans, sans héritier. La Diète lui trouve un successeur en la personne du fils de Janos Hunyadi : Mathias. Les magnats sont persuadés que ce jeune homme de seulement 15 ans, et dont le frère aîné a été exécuté un an plus tôt durant la lutte de succession, sera leur marionnette.
Devenu roi en 1458, Mathias, qu’on surnomme Corvin en référence à son emblème, le corbeau, va pourtant se révéler comme le plus grand chef de guerre de l’Histoire hongroise.
Sa priorité est de poursuivre l’œuvre de son père en refoulant les Ottomans le plus loin possible. Il obtient un premier succès contre les Turcs en 1463, qui lui permet de reconquérir la Bosnie.
Pour faire face aux redoutables cavaliers ottomans, Corvin créé un corps de cavalerie légère, chargé de la reconnaissance et du harcèlement de l’ennemi : les huszár. Combinant la tradition médiévale magyare et les tactiques de guérilla balkaniques, le modèle sera peu à peu repris dans toute l’Europe, donnant naissance aux célèbres hussards.
Corvin a aussi l’idée de doter la Hongrie d’une armée permanente de mercenaires, qui comptera jusqu’à 30 000 hommes, issus de toute l’Europe centrale. À la tête de cette Armée noire (allusion au corbeau), Mathias envahit la Bohème où il se fait élire roi et obtient en échange de la couronne la Moravie, la Silésie et la Lusace.
En guerre avec l’empereur Frédéric III, Corvin entre triomphalement à Vienne le 1er juillet 1485 et fait de la ville sa capitale. Il conquiert ensuite la Styrie et la Carinthie, réduisant le domaine des Habsbourg à la portion congrue.
S’étendant de l’Allemagne aux Carpates, la Hongrie atteint son apogée territoriale avec des frontières similaires à celles de l’Autriche-Hongrie du XIXe siècle. Elle est désormais le royaume le plus puissant d’Europe centrale.
Parallèlement à ses succès militaires, Mathias créé un État fort, moderne et centralisé, audétriment des magnats. Il s’avère aussi un grand mécène, parlant plusieurs langues. Fasciné par la Renaissance italienne, il fait appel à Verrocchio, maître de Léonard de Vinci ainsi qu’àde nombreux artistes italiens. Corvin fonde une université à Bratislava et sa bibliothèque, riche de 5000 œuvres, est la deuxième d’Europe après celle du Vatican.
Mais Mathias meurt sans héritier en 1490 et la nouvelle guerre de succession pour le trône profite à l’empereur Maximilien Ier de Habsbourg qui reprend Vienne et une partie de l’Autriche. C’est finalement le roi de Bohème, Vladislas Jagellon, réputé peu encombrant, qui obtient les faveurs de la Diète hongroise. La paix est rapidement signée avec l’empereur à Presbourg (actuelle Bratislava).
Vladislas ne réside pas en Hongrie et laisse se réinstaller l’anarchie féodale. En 1514, le pays est en proie à une immense jacquerie paysanne dont la répression fera plus de 50 000 victimes. Quant au meneur, un certain György Dózsa, il sera mis à mort avec une rare cruauté. Ses bourreaux l’assoient sur un trône en fer chauffé à blanc, le coiffent d’une couronne de fer et l’obligent à maintenir un sceptre, chauffés aussi à blanc…
L’échec de la révolte signe la victoire des magnats qui en profitent pour revivifier le servage (dico), lequel a depuis plusieurs siècles déjà disparu d’Occident. Il ne disparaîtra de Hongrie qu’au XIXe siècle.
La tragédie de Mohács
Vladislas meurt en 1516. Son fils Louis lui succède au trône. Âgé de 10 ans, le roi est entièrement sous la coupe des magnats corrompus.
Tandis que le pouvoir royal s’affaiblit, la guerre avec les Ottomans reprend en 1520. Devenu sultan la même année, Soliman le Magnifique vise non seulement la conquête de la Hongrie mais lorgne aussi sur la capitale des Habsbourg, Vienne. En 1521, Belgrade, clé de la plaine pannonienne, tombe aux mains des Turcs.
Faute de finance, Louis II ne peut contenir la progression des Ottomans. Le choc entre les deux armées a lieu le 29 août 1526 dans la plaine de Mohács, à l’extrême sud de la Hongrie actuelle, sur la rive ouest du Danube.
Les Turcs sont deux fois plus nombreux que leurs adversaires et le sultan a l'astuce de dégarnir son centre et d'en ouvrir les rangs pour y attirer la puissante cavalerie hongroise. Les chevaliers se lancent avec fougue dans le piège, dans le fol espoir de s'emparer du sultan lui-même. Mais les rangs ottomans se referment sur eux et l'artillerie vient les décimer. Certains, tentent de s'échapper par les marais où ils périssent noyés. Quant à Louis, il meurt écrasé par son cheval en tentant de fuir. Sa veuve, Marie de Habsbourg, emporte la couronne de saint Étienne à Presbourg.
Fort de cette victoire inattendue qui l'amène aux portes de l'Occident, le sultan peut dès lors s'emparer de Buda. Dans un premier temps, il s'abstient d'annexer le pays et n'en a d'ailleurs pas les moyens. Il se contente de soutenir Jean Zápolya, voïvode de Transylvanie, candidat à la succession de Louis II sur le trône de Hongrie, contre l'archiduc d'Autriche Ferdinand, frère de Marie de Habsbourg et de l'empereur Charles Quint.
Zápolya réunit la plus grande partie de la noblesse hongroise sous forme de Diète et se fait proclamer roi de Hongrie sous le nom de Jean Ier mais Ferdinand fait de même à Presbourg.
L’ancien royaume de Hongrie est désormais divisé en trois entités. Le centre du pays est annexé par la Sublime Porte. L’ouest, aussi appelée Hongrie royale, reconnaît les Habsbourg comme souverains. À l’est, la Transylvanie, qui bénéficie depuis le XIIe siècle d’une large autonomie, rejette l’autorité des Habsbourg et s’érige en principauté indépendante.
• 23 octobre 1956 : insurrection de Budapest
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Liger (19-02-2023 13:07:53)
Croix d'Anjou, croix de Lorraine " Dans la Chapelle de la Girouardière [à Beaugé, situé à une trentaine de km au nord de Saumur] est conservé un fragment de la « Vraie Croix du Christ », ra... Lire la suite
Liger (19-02-2023 12:36:08)
Merci de ce très bon article, magnifiquement illustré, comme toujours. Vous écrivez " Pour des raisons restées obscures, les Mongols abandonnent la Hongrie l’année suivante [1242] et reto... Lire la suite
Jean MUNIER (19-02-2023 09:57:24)
ne pas oublier Charles V duc de Lorraine "in partibus" , un stratège qui a pris la forteresse de Bude en 1683.
Il contribue aussi au "succès" de la croix de Lorraine