Mille millions de mille sabords ! Avouez-le : vous vous êtes empressé d'apprendre à lire pour enfin comprendre les jurons du capitaine Haddock ! Fidèle compagne de notre enfance, la bande dessinée a su elle aussi grandir et s'adapter, au point de jouir d'une popularité toujours grandissante.
Feuilletez avec nous l'histoire de ces planches pleines de bulles : vous allez découvrir comment quelques dessins sans prétention ont donné naissance à un nouvel art. Et nous invitons les plus férus de BD à parfaire leur érudition en devinant à quels célèbres albums font référence les intertitres qui parsèment l'article !
Des ancêtres à gogo
Pas la peine de se mettre en quête du premier auteur de bande dessinée, celui qui a eu l'idée de raconter une histoire par une succession de dessins : il est introuvable. Mais on peut avoir une pensée reconnaissante pour cet anonyme paléolithique qui, sur les parois de la grotte Chauvet (vers 30 000 av. J.-C.), est parvenu à créer le mouvement dans le Panneau des lions, comme pour nous relater une scène de chasse.
Certes, il est encore loin de Tintin mais ses descendants vont s'en rapprocher à grands pas, notamment les scribes égyptiens qui comprirent l'intérêt de représenter, sur un seul et même papyrus, les différentes étapes d'une même histoire. On peut ainsi suivre l'arrivée du mort dans l'autre monde avec l'accueil par Anubis, la pesée de l'âme, la présentation à Osiris... Il suffit d'observer la réapparition du personnage, de gauche à droite, déjà !
On peut d'ailleurs remarquer que nos artistes ont eu la bonne idée d'ajouter quelques commentaires sous forme de hiéroglyphes à leurs images, pour plus de clarté.
Ce n'est plus le cas sur la colonne Trajane (113 ap. J.-C.) qui adopte la forme d'un rouleau ou d'une bande s'enroulant autour du monument de pierre pour rendre compte, à travers plus de 150 scènes, des guerres victorieuses de l'empereur Trajan. L'ensemble apparaît un peu figé et les personnages manquent singulièrement de vie, ce que l'on ne peut reprocher à ceux qui ont fait la gloire de la célèbre tapisserie de Bayeux (XIe s.).
Waouh, ici, du mouvement, il y en a ! Sur 70 mètres, les scènes s'enchaînent pour nous faire revivre de façon parfois naïve mais toujours colorée l'épopée de Guillaume le Conquérant.
Pour les plus ignorants, quelques repères en latin résument l'essentiel de l'histoire puisque cette œuvre était avant tout destinée à l'édification des foules. En cela elle est à classer à côté de nombre de créations religieuses qui reprennent le principe de la narration par étapes dans les triptyques ou sur les murs des églises. De là à voir dans Fra Angelico ou Michel-Ange les précurseurs d'Hergé...
On a crayonné sur des feuilles !
Laissons Rome et les murs de la Chapelle Sixtine pour aller voir du côté de Mayence. C'est en effet grâce à l'imprimerie et à l'invention de la planche reproductible à grande échelle que la bande dessinée a vraiment pu voir le jour.
Dessinateurs et caricaturistes vont s'en donner à cœur joie et inonder les chaumières de représentations, parfois légendées. C'est un triomphe que vont ainsi connaître, dès la fin du XVIIIe siècle, les images d'Épinal grâce à leur naïveté, leur optimisme et leurs couleurs vives.
Mais c'est en Angleterre, sous l'influence de William Hogarth, père de la littérature d'estampes, que Thomas Rowlandson commence à croquer à partir de 1790 les aventures de John Bull, allégorie du Royaume-Uni qu'il fait parler en utilisant pour la première fois ce qui ressemble fort à des bulles.
Il ne reste plus au Suisse Rodolphe Töpffer qu’à associer des images pour élaborer de véritables histoires, et voici la date officielle de naissance de la bande dessinée : 1827. Tout cela parce que notre maître de pensionnat avait peur que ses élèves s'ennuient...
Tss, tss ! Avec l'aide de messieurs Jabot, Vieux Bois et autre Cryptogramme, aucun risque ! Enfin publiées en album, leurs histoires séduisent les foules et attirent l'attention des plus grands, comme le médecin genevois Frédéric Soret qui voit dans ces aventures loufoques et rythmées un bon moyen de sortir de la déprime son célèbre patient, Johann Goethe. Et cela marche !
Gags visuels, dessins utilisés comme écriture avec un texte secondaire... Tous les ingrédients de notre BD sont là. Voum ! Les directeurs de journaux illustrés, notamment pour enfants, se jettent sur ce nouveau mode de communication et Gustave Doré, Benjamin Rabier et même Nadar rivalisent à coups de crayon dans L'Illustration, La Revue comique et Le Journal amusant.
Très vite, les lecteurs se demandent comment ils ont bien pu vivre jusqu'ici en ignorant tout du sapeur Camembert (Christophe, 1890), du canard Gédéon (Benjamin Rabier, 1923) et de la maladroite Bécassine (Émile Pinchon, 1905), l’une des premières à avoir droit à un décor réaliste.
Dans la famille des grands précurseurs, notons que Zig et Puce (Alain Saint-Ogan, 1925) ont ouvert la voie très lucrative des produits dérivés tandis que les affreux Pieds Nickelés (Louis Forton, 1908) sont désormais entourés de reproductions de bruits. Et paf ! Dans le pif de Croquignole !
Rodolphe Töpffer ne s'est pas contenté de s'amuser à griffonner les mésaventures de monsieur Jabot, il a aussi rédigé les premières analyses théoriques sur l'art qu'il venait d'inventer :
« Faire de la littérature en estampes, ce n'est pas se constituer l'ouvrier d'une donnée pour en tirer, et jusqu'à la lie souvent, tout ce qu'elle comporte. Ce n'est pas mettre au service d'une fantaisie uniquement grotesque un crayon naturellement bouffon. Ce n'est pas non plus mettre en scène un proverbe ou en représentation un calembour ; c'est inventer réellement un drame quelconque, dont les parties coordonnées à un dessein aboutissent à faire un tout ; c'est, bon ou mauvais, grave ou léger, fou ou sérieux, avoir fait un livre, et non pas seulement tracé un bon mot ou mis un refrain en couplets. […]
L'on peut écrire des histoires avec des chapitres, des lignes, des mots : c'est de la littérature proprement dite. L'on peut écrire des histoires avec des successions de scènes représentées graphiquement : c'est de la littérature en estampes. L'on peut aussi ne faire ni l'un ni l'autre, et c'est quelquefois le mieux. […] La littérature en estampes, dont la critique ne s'occupe pas et dont les doctes se doutent peu, est extrêmement agissante, à toutes les époques, et plus peut-être que l'autre car […] il y a bien plus de gens qui regardent que de gens qui lisent » (Rodolphe Töpffer, Essai de physiognomonie, 1845).
Les Tuniques Bleues passent à l'attaque
La France n'est pas le seul pays touché par la fièvre des cases dessinées. Toute l'Europe cède à l'appel des bulles et Italie (Corriere dei Piccoli), Espagne (Charlot) et même Finlande (Pekka puupaa) se lancent rapidement dans la production de fumetti, tebeos et sarjakuva.
Mais c'est de l'autre côté de l'Atlantique qu'une révolution est en train de naître sous la houlette des magnats de la presse, William Hearst et Joseph Pulitzer, qui entrent en compétition à la fin du XIXe siècle et se déchirent à coups de vignettes colorées dans leurs éditions du dimanche.
Hearst tire le premier avec The Yellow Kid, un « gamin jaune » créé par R. F. Outcault (1896), et poursuit sur sa lancée victorieuse en publiant les premiers comics supplements dédiés la bande dessinée.
Grrr… Pulitzer riposte en prenant à son adversaire Rudolph Dirks et ses Katzenjammer Kids (1897 - rebaptisés Pim Pam Poum en France) qui généralisent l'usage des phylactères ou bulles.
En 1904, Winsor Mc Cay commence à faire parler de lui et de son univers si riche en détails et en imagination que son Little Nemo est considéré comme le premier chef-d’œuvre du genre. On n'est plus là pour seulement s'amuser mais aussi admirer et rêver !
Mais gardons les pieds sur terre : c'est aussi à cette époque que le nouvel art devient une industrie à part entière qui cherche à séduire le plus large public pour rentabiliser les journaux. On y diffuse donc à qui mieux mieux des family strips mettant en scène les chamailleries conjugales de la classe moyenne.
Pour relever le niveau, Hearst fait appel en 1910 à une chatte zozoteuse, Krazy Kat (George Herriman, 1910) qui deviendra Félix le Chat sur les écrans, tandis qu'apparaît une petite souris adepte des shorts rouges (Mickey, d'après le dessin animé de Walt Disney, 1928), appelée à une grande destinée !
Les 7 vies des super-héros
Tout cela est bien mignon, mais le goût de l'aventure commence à prendre le pas sur la pratique des zygomatiques. Boum, crac, bang ! On veut du suspense, du danger, et pourquoi pas de la violence !
Le marin borgne élevé aux épinards (Popeye d'E. C. Segar, 1919) est certes costaud mais il ne permet pas aux lecteurs de s'identifier et de se rêver en héros. Place à l'homme-singe courageux (Tarzan, mis en dessin par Harold Foster à partir de 1929), à l'apprenti cow-boy (Broncho Bill de Harry O'Neill, 1928), au détective privé bagarreur (Dick Tracy de Chester Gould, 1931) et même au magicien hypnotiseur (Mandrake de Phil Davis, 1934)...
En 1929, le voyageur interstellaire Buck Rogers de Dick Calkins entraîne à sa suite Flash Gordon (Alex Raymond, 1934) avant que tous deux soient écartés par un personnage venu tout droit de la planète Krypton, Superman. Il faut dire qu'il a tout pour séduire : une double identité, des super pouvoirs, un costume seyant et la mission de sauver le monde entier à lui seul.
Sorti tout habillé en 1934 de l'imagination de Jerry Siegel, il se fait vite une place de roi dans le nouveau format utilisé pour diffuser de la bande dessinée, et uniquement de la bande dessinée : le comic book. Mais la vie n'est pas facile pour Superman qui doit vite se battre contre la concurrence d'une chauve-souris nommée Batman (Bob Kane, 1939). Arg !
Avec le début de la Seconde Guerre mondiale en Europe, les héros commencent à proliférer pour mieux appeler au patriotisme et à la victoire du bien contre le mal : Captain America (Jack Kirby, 1940) et Wonder Woman (William Moulton, 1941) portent ainsi fièrement les couleurs de leur pays.
Pour ces outils de propagande, la victoire est synonyme de relégation au placard jusqu'à ce que les années 60 et sa guerre froide ne leur permettent de revenir en force. Grâce à l'éditeur Marvel et au scénariste Stan « the Man » Lee, Spider-man, Hulk, Iron Man et la joyeuse bande des X-Men déferlent dans les chambres des adolescents.
Mais sous leur masque ou leurs cicatrices se cachent des visages plus humains et nos héros doivent désormais se battre également contre leur entourage et eux-mêmes.
Ce sont donc des êtres particulièrement tourmentés que propose, dans les années 80, le dessinateur Frank Miller qui renouvelle, dans des albums à la tonalité très sombre, l'art du cadrage, influencé par le cinéma. Son Batman : Dark Knight (1986) contribua d'ailleurs à remettre à la mode, sur grand écran, l'immense famille des super-héros qui continuent toujours de coloniser nos salles obscures.
La littérature jeunesse
Vos réactions à cet article
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burrhus (02-10-2017 14:46:50)
"Attouf "au lieu de "Sattouf "!!!! Fatigue en fin d'article ?
Sinon, bravo pour ce tour d'horizon dans le temps et l'espace.
Vimines (01-10-2017 14:19:27)
Vous avez oublié Rahan !