Président du Conseil du roi Louis-Philippe, Casimir Perier est l’un des fondateurs de la démocratie parlementaire en France, sans doute aussi l'un des meilleurs gouvernants de la Monarchie de Juillet malgré la brièveté de son ministère (1831-1832). Il représente aussi, avec François Guizot, la grande bourgeoisie conservatrice qui accède au pouvoir sous la Restauration, à la faveur du suffrage censitaire (dico).
Si sa mort prématurée lors de la pandémie du choléra qui frappa le pays en 1832 ajoute à sa légende, il n’a pas gardé dans l’histoire économique et politique du pays la place qu’il mérite.
Les descendants de Casimir Perier, selon une pratique courante dans la bourgeoisie du XIXe siècle, enrichirent leur patronyme en 1874 du prénom de leur illustre père, la famille s’appelant dès lors Casimir-Perier, de sorte que notre héros est trop souvent confondu avec son fils Auguste Casimir-Perier, un temps ministre de Thiers, ou avec son petit-fils Jean Casimir-Perier, jeune et éphémère président de la République qui démissionna de sa fonction en 1895.
Alain Michon, lui-même entrepreneur et financier, a été séduit par la personnalité atypique de Casimir Perier. Désireux de le sortir de l'oubli, il lui a consacré une biographie très documentée (Casimir Perier, avril 2022, 262 pages, 18,90 €).
Il met en avant la forte personnalité du ministre et la vigueur de ses engagements. Il montre aussi le contexte politique qui n'est pas sans rappeler le nôtre. D'un côté une extrême-gauche révolutionnaire et une classe ouvrière montante qui tente de se faire entendre, de l'autre des ultra-royalistes qui aspirent à un retour à l'Ancien Régime... Entre les deux, Casimir Perier réussit à garder l'équilibre en jouant la modération et l'apaisement.
Une famille bourgeoise... et patriote
Casimir Perier, le premier du nom, était issu d’une illustre famille du Dauphiné connue dans le négoce. Il était un des fils de Claude Perier dit « Perier Milord », opulent négociant de Grenoble dans les toiles peintes et l’impression textile.
Claude avait reçu le 21 juillet 1788 en son château de Vizille où il avait sa manufacture, les états généraux du Dauphiné qui précédèrent d’une année les états généraux de 1789 à Versailles. Cette belle opération permit à Claude Perier d’acquérir une réputation de civisme et de patriotisme et d’échapper, malgré sa grande fortune, aux dangers de l’époque.
Sous le Directoire, en 1795, Casimir Perier fait partie avec son frère Scipion des jeunes lions ambitieux dont parlent les écrivains romantiques. Ils accompagnent leur père à Paris, où Claude Perier est venu, comme d’autres acteurs de la bourgeoisie d’affaires, compléter la formation de ses fils et relancer sa fortune un moment malmenée par la Révolution.
Claude réussit avec sa banque privée de judicieux investissements, en particulier dans la Compagnie des mines d’Anzin, qui exploite le charbon dans le Nord, sur les bords de l'Escaut. Cette compagnie va devenir un actif important de la famille. Sous le Consulat, l'entrepreneur participe aussi à la création de la Banque de France en 1801 dont il rédige les statuts et en devient régent.
Un industriel heureux en affaires
Intelligent et dynamique, Casimir Perier est formé par le même précepteur grenoblois qu'Henri Beyle (Stendhal), lequel écrira plus tard à son propos : « Casimir Périer était peut-être alors le plus beau des jeunes gens de Paris : il était sombre, sauvage, ses beaux yeux montraient de la folie » (Vie de Henri Brulard). Le jeune homme poursuivit sa formation aux Oratoriens de Lyon. Plus fantasque que ses frères polytechniciens, il participe aux guerres d’Italie en 1799 et 1800 avec Napoléon Bonaparte. Jeune officier d’état-major à San Giulio, il y acquiert des réflexes qui lui serviront plus tard dans les affaires.
À la mort de son père, en 1801, il quitte l'armée et reprend les affaires familiales avec son frère Scipion. L'un et l'autre se succèderont aussi comme régents de la Banque de France.
Casimir réunit les actifs familiaux dans une banque privée, Perier Frères. Elle va traverser sans encombre les périodes économiques troublées de la fin de l’Empire et de la Restauration. Par une gestion efficace, les deux frères font progresser les Mines d’Anzin. Bientôt renforcé par les Forges et Ateliers de Chaillot, experts en pompes et en machine à vapeur, le groupe devient sous la Restauration, le premier fournisseur de charbon du pays.
Casimir Perier réalise aussi des investissements immobiliers à Paris, dans le quartier Saint Honoré où il possède un vaste hôtel particulier. L’ouest parisien se transformant, il investit aussi à Neuilly dans la plaine des Sablons, et à Passy dans le « petit parc » de la Muette, future rue de la Faisanderie.
Grâce à son instinct, ses affaires se développent et un biographe écrit : « Tout était de son ressort, il faisait tout, embrassait tout, armement maritime, banque, spéculation sur les créances publiques et particulières ; manufacture, fonderie de métaux, raffinerie de sucre, fabrique de savon, mouture, le tout sur une très grande échelle ».
Pour tout arranger, Casimir Perier épouse en 1805 une riche héritière, Pauline Loyer, personne effacée avec qui il aura deux enfants, Auguste et Paul. Ses deux fils auront un avenir plutôt opulent mais ne brilleront guère en politique. Rémusat juge que l’entente entre les époux fut de courte durée, car Casimir aimait Pauline « avec un peu trop de respect pour lui garder la stricte fidélité que l’insignifiance de Madame Perier aurait rendue difficile… ». Façon délicate de rappeler que Casimir Perier, en bourgeois représentatif de son temps, confina son épouse dans son rôle de mère et de faire-valoir. D’ailleurs Pauline passait beaucoup de temps aux eaux de Plombières dans les Vosges, où elle s’efforçait de soigner son « spleen ».
Grâce à la dot de son épouse, Casimir Perier put racheter les parts de son frère dans le groupe familial. Il se rendit aussi propriétaire de plusieurs châteaux, dont celui de Pont-le-Roi dans l’Aube, devenue Pont-sur-Seine. Il avait appartenu à Laetizia Bonaparte, mère de Napoléon. Il l'acquit presque en ruines en 1822 et y fit faire d’importants travaux qui seront poursuivis par son fils Auguste.
Le virus de la politique
La carrière politique de Casimir Perier commence en 1817. C’est à l’occasion de l’emprunt négocié par la France pour se libérer de l’indemnité de guerre et de l’occupation du territoire imposées à notre pays par le Traité de Vienne qu'il va entrer en scène.
Négocié sur les places étrangères par Corvetto, ministre des Finances de Louis XVIII, et par l’habile affairiste Ouvrard, cet emprunt est conclu à des conditions très onéreuses avec des banques anglaises et hollandaise. Casimir proteste contre ce projet d’emprunt à l’étranger dans des brochures qui connaissent un franc succès. Il reçoit les éloges de beaucoup, en particulier de Mme de Staël, pour ses courageuses prises de position.
Aux élections de septembre 1817, Casimir Perier se fait élire député de la Seine. On est encore dans un système électoral censitaire, avec un nombre d'électeurs très réduit (200 000 environ pour tout le pays). Aussi n'a-t-il pas trop de mal, au vu de sa fortune, à obtenir les suffrages du commerce parisien. Il sera ensuite régulièrement réélu à Paris puis dans l’Aube, jusqu’à sa mort en 1832.
D’emblée, le nouveau député montre un caractère fort et se fait redouter par son art oratoire. Devenu chef des Libéraux, il intervient régulièrement sur les finances et les budgets, sa spécialité. Le plus souvent il fait mouche, mettant les rieurs de son côté.
Des joutes parlementaires épiques et souvent violentes l’opposent à Villèle, chef de gouvernement sous le règne de Charles X. Il le juge trop conservateur, ce qui n'est pas peu dire. C’est ainsi qu’il proteste contre l’indemnisation des émigrés dans l’affaire dite du « milliard des émigrés » : le vote en 1825 d'une enveloppe de 630 millions de francs-or sous la forme de rentes à 3% par an destinée à indemniser les nobles victimes de la Révolution.
Après la mort de son ami le général Foy avec qui il partagea de nombreuses luttes libérales au Parlement, Casimir s’assagit en 1828 et 1829. Quittant sa position d’opposant systématique, il compose avec le ministère Martignac et commence à se voir en chef de gouvernement. À cette fin, il expose ses vues dans un Mémoire au Roi.
C’est avec l’avènement du ministère Polignac, ultra-royaliste et formellement incompétent, que Casimir Perier reparaît sur le devant de la scène. Le 16 mars 1830, 221 députés de la Chambre, dont Casimir Perier, votent une motion de défiance hostile au gouvernement. Charles X réagit avec une grande maladresse. Il décide de dissoudre la Chambre et de légiférer désormais par ordonnances, sans en passer par les députés.
Les ordonnances suspendent la liberté de la presse et modifient la loi électorale, ce qui met le feu aux poudres. La réaction de l’opinion, poussée par les journalistes, ne se fait pas attendre. Les libéraux et les républicains descendent dans la rue… Ce sont « les Trois glorieuses » de juillet 1830.
Pendant ces journées, l’attitude de Casimir Perier a d’abord été prudente puis réaliste et pragmatique. Il se rallie enfin au duc d’Orléans, cousin du roi déchu, dans l'espoir d’établir un vrai gouvernement parlementaire et de restaurer enfin l'ordre. Membre de la commission municipale composée de quelques élus qui prennent les mesures d’urgence lors des journées révolutionnaires, il va jouer un rôle central auprès de ses pairs lors de l’appel au « Lieutenant général du Royaume » (le duc d'Orléans).
Après la scène de l’Hôtel de Ville qui voit Louis-Philippe et La Fayette se donner l’accolade dans les plis du drapeau tricolore, c’est devant Casimir Perier, élu le 6 août 1830 à la présidence de la Chambre des députés, que Louis-Philippe lit la Proclamation établissant son règne, lequel sera appelé « Monarchie de Juillet » en référence aux conditions de son avènement.
Désigné « roi des Français » (et non plus roi de France), Louis-Philippe fait appel, pour former son premier gouvernement, au banquier Jacques Laffitte qui l'a aidé à accéder au trône. Laffitte appartient avec Odilon Barrot et Adolphe Thiers à un courant politique de centre gauche dit le « Parti du Mouvement » qui aspire à une véritable monarchie constitutionnelle à l'anglaise. L'expérience est de courte durée.
Sur la recommandation de son ministre de l'Intérieur François Guizot, qui a toute sa confiance, le roi se tourne vers Casimir Perier. Guizot anime le courant de centre droit dit le « Parti de la Résistance », qui tient avant tout au maintien de l'ordre et de la paix. C'est à ce courant qu'appartient aussi Perier, lequel se veut l’homme du « juste milieu ». Le 13 mars 1831, le roi l'appelle donc à la présidence du Conseil (l'équivalent de Premier ministre).
Casimir Perier va mettre en place un vrai gouvernement parlementaire, marqué par la solidarité ministérielle et le travail de cabinet. Il instaure en particulier de nouvelles pratiques avec déclaration de politique générale devant la Chambre et recours systémique au vote de confiance des députés. Ces pratiques, réunies sous l'expression « Système du 13 mars », vont perdurer jusqu'à nos jours.
La profession de foi du président du Conseil, selon ses mots, c'est « la paix avec la dignité de la France au dehors, la liberté, l’ordre et la prospérité au-dedans ». Tout un programme auquel ne manque que l'allégeance au roi ! Casimir Perier, en effet, gouvernera sans jamais daigner prendre l'avis de Louis-Philippe. « Sous Perier, nous ne parlions pas du roi, nous n'y pensions pas », dira le député Charles de Rémusat, l'un de ses proches... Le roi, en retour, ne pleurera pas outre-mesure sa mort prématurée.
La mise à l'épreuve vient très vite avec la première révolte des canuts, à Lyon, le 22 novembre 1831. Les insurgés prennent pour emblème le drapeau noir et la devise : « Vivre en travaillant ou mourir en combattant ». Le gouvernement envoie 20 000 soldats sous les ordres du maréchal Soult aux portes de Lyon. Ils attendent patiemment que les insurgés se lassent. Enfin, le 5 décembre 1831, les troupes peuvent entrer dans la ville sans effusion de sang. La garde nationale est désarmée et dissoute, le tarif minimum abrogé et le préfet, jugé trop conciliant, révoqué. Onze canuts sont traduits en justice, condamnés... et acquittés l'année suivante.
Casimir Perier, en bon conservateur louis-philippard, déclare à la Chambre des députés : « Il faut que les ouvriers sachent qu'il n'y a de remède pour eux que la patience et la résignation »... Son successeur Adolphe Thiers ne fera pas montre de la même modération lorsque les canuts se révolteront à nouveau en 1834 : il les soumettra au prix de 600 morts, en prélude aux massacres de la Commune !
En matière de politique extérieure, la France se révèle incapable d'aider les Polonais lorsque ceux-ci se soulèvent en novembre 1830 contre leur tuteur russe. « Il s’agit de paix ou de guerre, mais qui veut la guerre ? » demande Casimir Perier à ses détracteurs. À la Chambre, les députés conspuent bruyamment le ministre de la Guerre Bastien Sébastiani pour ses mots malvenus : « l’ordre règne à Varsovie ». Casimir Perier, brocardé par la presse, soutient son maladroit ministre tout en accueillant les exilés polonais.
Le gouvernement Perier a toutefois plus de chance avec la Belgique lorsque celle-ci devient devient indépendante. Il gère avec doigté la désignation de son premier souverain, Léopold de Saxe-Cobourg, lequel est l'oncle de la reine Victoria et aura le bon goût d'épouser une fille de Louis-Philippe, de quoi préparer l'« Entente cordiale » entre Paris et Londres (l'expression est de François Guizot) ! Le gouvernement participe aussi au protocole de Londres sur la neutralité du nouvel État, le 20 janvier 1831. Il bénéficie dans cette négociation du savoir-faire de Talleyrand (77 ans), devenu ambassadeur extraordinaire à Londres.
Face au Portugal qui a refusé de reconnaître le nouveau roi des Français, le président du Conseil réagit avec une singulière vigueur qui va flatter l'amour-propre national. Prenant prétexte de l'incarcération injuste à Lisbonne de deux ressortissants français, il envoie en juillet 1831 une escadre dans le Tage, sous le commandement du contre-amiral Albin Roussin. Elle n'a pas de mal à obtenir réparation du souverain portugais don Miguel.
Bientôt épuisé, Casimir Perier songe à se retirer. C’est alors que survient en France en février 1832 la pandémie de choléra qui, venant d’Asie, touche l’Europe. Le pays s’inquiète, il se calfeutre et se confine tandis que les médecins présentent des explications contradictoires sur une maladie encore mal connue. À Paris, c’est dans les quartiers populaires et insalubres que le choléra fait le plus de ravages. Tandis que les bourgeois aisés se retirent dans leur campagne, des citoyens révoltés accusent le pouvoir d’avoir fait empoisonner les fontaines, et les fausses nouvelles se répandent. À l’Hôtel-Dieu, où officie le docteur Récamier, sont rassemblés beaucoup de malades.
Selon l’antique tradition du Prince visitant les malades, pour -sait-on jamais-, les soulager et les guérir, Louis-Philippe demande à son fils le duc d’Orléans de se présenter à l’Hôtel-Dieu accompagné du président du Conseil. La visite dure plusieurs heures et l’on assiste à plusieurs décès. Ce qui devait arriver arriva. Le prince encore jeune est épargné par la maladie tandis que Casimir Perier, épuisé, rentre en son Hôtel de la Présidence du Conseil, rue de Grenelle. Trois jours après la visite, il est en proie à une fièvre violente.
Des sommités médicales sont appelées à son chevet, dont l'illustre François Broussais. Le malade s’affaiblit et décède le 16 mai 1832.
Les obsèques au Père Lachaise sont grandioses. Le député Pierre-Paul Royer-Collard évoque la « disparition de la plus vaste intelligence du siècle », Le Moniteur souligne : « La vie de Casimir Perier fut celle d’un véritable homme d’État, l’essor de l’activité nationale, la paix revenue, tels étaient les résultats du système du 13 mars si fortement dirigé par M. Perier ».
Un imposant monument sera élevé au Père Lachaise sur souscription nationale et sert aujourd’hui de repère aux tourterelles, un vestibule d’honneur de l’Assemblée Nationale porte son nom, tandis qu’à Paris, dans le faubourg Saint-Germain est tracée la tranquille rue Casimir-Perier.
Financier habile, entrepreneur efficace et moderne, homme d’État attaché à la paix, Casimir Perier aura, malgré la brièveté de son ministère, stabilisé la « Monarchie de Juillet » et engagé la France dans la voie de la démocratie parlementaire.
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