Le sens du mot race a beaucoup évolué au fil des siècles. Avant la Révolution française, le mot désignait très vaguement un groupe humain, une lignée, un clan ou une famille.
• Dans le monde hispanique, le 12 octobre, jour anniversaire de l'arrivée de Christophe Colomb en Amérique, est désigné sous le nom de Día de la Raza (en français « Jour de la race »), le mot raza se rapportant ici à la communauté nationale hispanique, sans distinction de couleur de peau.
• Dans Le Cid (Corneille, 1637), don Diègue, soucieux de l'honneur familial, lance au comte qui lui a donné un soufflet :
Achève, et prends ma vie après un tel affront,
Le premier dont ma race ait vu rougir le front.
Glissons sur les dérapages de certains « philosophes » des Lumières. Les prémices du racisme apparaissent avec le naturaliste Georges Cuvier (1769-1832). En 1817, il dissèque la « Vénus hottentote », une jeune Aborigène africaine échouée et morte à Paris. Il tire argument de ses observations pour établir une hiérarchisation des races humaines, en rupture avec l’universalisme catholique. Il peut pour cela être considéré comme le fondateur du « racisme scientifique » (à ce propos, méfions-nous chaque fois qu’une discipline est qualifiée de « scientifique » par ses fidèles ; cela sous-entend l'intention de ceux-ci de la soustraire au doute, qui est depuis Descartes le fondement de la recherche).
En 1833, l'historien Augustin Thierry (1795-1856) publie son grand oeuvre : Récits des temps mérovingiens dans lequel il oppose les « races conquérantes » (en l'occurrence les Francs ou Germains) aux « races conquises » (les Gallo-Romains). Ce faisant, il reprend une antienne des écrivains de la Révolution qui voyaient dans la noblesse les descendants des Francs et dans le tiers état les descendants des Gallo-Romains. Ces considérations relèvent de la discussion de bon aloi, sans rien de malveillant. D'ailleurs, Jules Michelet rebondira sur les travaux de son confrère pour exalter l'heureuse fusion des deux « races » au sein de la Nation française.
Le véritable basculement survient au milieu du XIXe siècle. À la suite des premiers travaux d'anthropologie, le mot race ne va bientôt plus désigner que les différents groupes humains caractérisés par la couleur de leur épiderme.
Portées par la foi dans le progrès et les sciences et de plus en plus éloignées de l'universalisme chrétien, les élites européennes vont alors se convaincre que ces différences physiques sont aussi associées à des différences intellectuelles et mentales.
• Les uns, comme le républicain Jules Ferry, y voient une obligation pour les « races supérieures » de civiliser les « races inférieures », avec la conviction de pouvoir de la sorte hisser les secondes au niveau des premières et gommer tout ce qui les sépare.
• Les autres, en vertu d'une nouvelle idéologie prétendument scientifique, le darwinisme social, tiennent ces différences pour irrépressibles et en viennent à développer des thèses outrageusement racistes, jusqu'à déboucher sur des idéologies criminelles comme le nazisme.
Entre les deux guerres mondiales, le concept de race n'est toujours employé que dans les cercles politiques. Il est absent de l'enseignement universitaire. Mais le mot racisme émerge dans les années 30 pour désigner ce qui vient d'Allemagne, aussi bien le racisme à l'égard des non-Blancs que le racisme à l'égard des Juifs (antisémitisme).
On peut dès ce moment lui appliquer la définition sobre et précise qu'en donne l'Académie française :
RACISME n. m. xxe siècle. Dérivé de race. Ensemble de doctrines selon lesquelles les variétés de l'espèce humaine appelées races, principalement distinguées les unes des autres par leur apparence physique, seraient dotées de facultés intellectuelles et morales inégales, directement liées à leur patrimoine génétique. Par ext. Préjugé hostile, méprisant à l'égard des personnes appartenant à d'autres races, à d'autres ethnies.
Les différents visages du racisme
La distinction entre racisme et antisémitisme n'a formellement pas de sens. Dans les deux cas, on retire la qualité d’humains à certaines populations du seul fait de leur couleur (phénotype) ou de leur religion. C'est l'idée que développe le philosophe Alberto Memmi dans son essai sur Le racisme (1982).
La distinction persiste néanmoins dans les milieux antiracistes eux-mêmes, ainsi que le montre l’intitulé de la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (Licra, 1979). Elle induit l’idée que l’on ne hait pas pour les mêmes raisons les Juifs et d’autres populations.
C’était de fait le cas chez les nazis qui éprouvaient de la crainte à l’égard des juifs, considérés comme un groupe solidaire, visant à la domination mondiale par le biais de la finance et de la culture ; rien de tel avec les autres populations telles que les asociaux, les slaves ou les tziganes, que les nazis jugeaient inférieures aux Aryens et se contentaient de mépriser.
Ainsi peut-on distinguer :
• Un racisme du ressentiment, celui que manifestent certains Allemands après la Grande Guerre à l'égard des Juifs, réputés responsables de la défaite de leur pays, ou encore aujourd'hui, certains intellectuels noirs à l'égard des Européens (« Blancs »), jugés responsables de leur propre incapacité à développer leur patrie et embrasser la modernité occidentale. Ce racisme-là peut déboucher sur la haine et l'horreur absolue ainsi que l'ont montré les nazis.
• Un racisme du mépris, celui des planteurs américains ou des musulmans à l'égard des noirs d'Afrique. Ce racisme se retrouve dans à peu près toutes les sociétés humaines, y compris les groupes de chasseurs-cueilleurs qui se réservent souvent l'appellation d'« humains » et excluent les autres Sapiens de cette catégorie. Plus près de nous, on retrouve ce racisme chez les Japonais dans leur attitude à l'égard des Aïnous, voire des Chinois ; chez les habitants de l'Assam (Inde) à l'égard de leurs minorités mongoloïdes ; chez les Bantous à l'égard des Pygmées, etc.
• Mais aussi un racisme condescendant, celui de Jules Ferry et de ses contemporains à l'égard des populations colonisées.
• Ajoutons aujourd'hui un racisme compassionnel. C'est celui des Occidentaux libéraux à l'égard des musulmans et surtout des Africains, considérés comme des victimes par essence, quoi qu'ils fassent et quoiqu'ils pensent. Ce racisme-là débouche sur une infériorisation systémique des populations concernées, jusqu'à les convaincre de leur statut de victime et les dissuader de faire effort pour s'en sortir, tant sur le sol africain que dans les diasporas du monde occidental. Ce racisme-là est sans doute le plus difficile à combattre car il est fondé sur les meilleures intentions du monde.
Ce racisme compassionnel est porté par une classe intellectuelle « de gauche » mue par les meilleures intentions du monde, tout comme la colonisation de l'Afrique, à la fin du XIXe siècle (« civiliser les races inférieures »). On peut en voir les prémices dans... le dessin animé Pocahontas (Disney, 1995). Ce film raconte de façon romancée l'histoire d'amour entre un colon anglais et une Indienne au début du XVIIe siècle en Virginie. Et loin de la réalité, la fin prétendûment morale qu'il propose aux jeunes spectateurs est la séparation volontaire des deux amants, l'un et l'autre jugeant que l'amour interracial entre un « dominant » et une « dominée » est décidément une mauvaise chose !
Le racisme à l'égard des noirs originaires d'Afrique est omniprésent dans les débats contemporains. Ses racines sont anciennes. Elles remontent aux premiers contacts entre l'Afrique subsaharienne et l'Eurasie. Dès le début de l'islam, en 652, vingt ans après la mort de Mahomet, une convention (bakht) entre l'émir Abdallah ben Sayd et le roi chrétien de Nubie Khalidurat a imposé à celui-ci la livraison de 360 esclaves par an. Très vite, des savants et écrivains arabo-musulmans ont justifié l'asservissement des noirs par une référence oiseuse à l'Ancien Testament et à la malédiction de Cham.
La chrétienté médiévale, quant à elle, est restée étrangère à ces préjugés et s'est même plue à associer un Africain aux rois mages de la crèche ! La situation évolue aux Temps modernes quand les Européens du Nouveau Monde recourent à la traite négrière et au système des grandes plantations, sur le modèle arabo-musulman.
Dans les colonies françaises des Antilles, le critère de couleur de peau émerge tardivement. Selon l'observation de l'historien Frédéric Régent, le terme « blanc » apparaît quatre fois seulement dans le recensement de 1664 alors que les îles comptent trois mille individus d'origine européenne. Trente ans plus tard, en 1694, ce terme apparaît dans le Dictionnaire pour désigner un individu à peau claire. Il est associé enfin à une « race » dans le Dictionnaire de 1835.
Les Anglo-Saxons nord-américains, effrayés par la crainte d'une submersion démographique, ont quant à eux développé dès le XVIIe siècle un racisme anti-noir fondé sur la couleur de peau, à l'imitation des Arabes, en réactivant le mythe de la malédiction de Cham. Paradoxalement, leur racisme va s'exacerber après l'abolition de l'esclavage par Lincoln et déboucher sur les lois « Jim Crow » dont l'écho douloureux se fait encore sentir aux États-Unis et en vient à polluer en ce XXIe siècle les milieux intellectuels européens.
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