Napoléon III et Alexandre II

Une alliance contrariée

Piotr Tcherkassov (Editions Michel de Maule,  2021)

Napoléon III et Alexandre II

Les relations entre la France et la Russie au milieu du XIXème siècle - à une époque où l’Histoire se faisait encore en Europe - constituent un sujet d’étude qui éclaire non seulement le destin des deux pays, voire d’un continent, mais aussi celui des deux empereurs, Napoléon III et Alexandre II.

C’est cette double facette de la géopolitique européenne que dépeint l’historien russe Piotr Tcherkassov, dans un ouvrage Napoléon III et Alexandre II, une alliance contrariée (Editions Michel de Maule, 305 p, 20 £), préfacé par Hélène Carrère d’Encausse, secrétaire perpétuel de l’Académie française et grande connaisseuse de la Russie.

Ce livre passionnera tous les férus de diplomatie car il est puisé à des sources inédites aussi bien aux archives de Moscou qu’à celles du ministère des Affaires étrangères français, soit deux cents volumes épluchés contenant des messages officiels mais aussi confidentiels. Autant dire qu’il s’appuie sur une documentation, riche, précise, qui nous dévoile l’envers du décor d’une période riche en secousses en Europe.

Il débute lors du traité de Paris en 1856 qui met fin à la guerre de Crimée, perdue par les Russes face à une coalition formée de l’empire ottoman, de la France, du Royaume-Uni et du royaume de Sardaigne. 

À partir de là, s’enclenche un dialogue inattendu entre le vainqueur Napoléon III et le vaincu Alexandre II, à la recherche d’une improbable alliance. Ce sont toutes les phases de cette tentative de rapprochement pendant près de vingt ans que nous narre l’auteur (« le temps de l’espoir », « le temps des épreuves », « le temps des doutes », « le temps des désillusions ») jusqu’à la guerre franco-prussienne de 1870 qui verra la Russie jouer la carte de la neutralité, favorisant la Prusse.

Durant toutes ces années, cette quête d’un axe Paris-Saint-Pétersbourg a achoppé sur deux écueils essentiels. Les deux pays ont été corsetés par leurs alliances traditionnelles, la France avec l’Angleterre, la Russie avec la Prusse. Ils ont été aussi confrontés à la question de l’unité italienne, et ont dû gérer la situation de la Pologne qui bénéficiait de la compassion de l’opinion française alors qu’elle se trouvait sous tutelle russe.

Ce livre, servi par une traduction très fluide et agréable à lire, montre également que la diplomatie n’est pas seulement une affaire de froids équilibres territoriaux, mais qu’elle s’incarne aussi en des hommes. Dans ce domaine, la galerie de portraits brossés par Piotr Tcherkassov se montre très instructive. À commencer par Napoléon III et Alexandre II, « l’empereur social » et « l’autocrate libéral » tous deux animés par l’esprit de réforme, l’un guidé par certains idéaux de la Révolution et le souci de la prospérité économique, l’autre par la volonté de faire entrer son immense pays dans la modernité avec l’abolition du servage.

Autre point commun entre les deux empereurs, une gouvernance autoritaire, ne serait-ce que pour faire face au terrorisme auquel ils sont confrontés. Et puis tous deux connaissent une fin tragique, Napoléon III humilié à Sedan et contraint de quitter le pouvoir, Alexandre II assassiné en 1881 à Saint-Pétersbourg. « Le face-à-face des deux empereurs, comme le bilan parallèle de leur règne qu’établit l’auteur, est à lui seul une prodigieuse leçon sur l’art de gouverner », écrit Hélène Carrère d’Encausse.

Tcherkassov détaille aussi avec finesse les traits et les comportements des ministres, ambassadeurs, conseillers des deux souverains, qui ont œuvré plus ou moins dans l’ombre pour favoriser ou freiner le rapprochement entre les deux pays. On retiendra notamment le travail du duc de Morny, demi-frère de Napoléon III, ambassadeur en Russie en 1856 et 1857 qui n’a pas ménagé sa peine pour faciliter une entente entre Paris et Saint-Pétersbourg.  Déjà, avant la guerre de Crimée il était considéré comme « russophile par anglophobie ». « Craignant un renforcement de l’Angleterre, Morny voit dans la Russie un véritable contrepoids à l’influence britannique dangereuse pour les intérêts de la France », explique l’auteur. Il sera animé du même esprit lorsqu’il sera en poste en Russie, contribuant à une sorte de « détente » entre les deux pays. Même si le mot n’était pas encore à la mode…

Jean-Pierre Bédéï

Publié ou mis à jour le : 03/12/2021 18:01:20

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