Qui l'eut cru ? La ruine de Rome au Ve siècle a entraîné en Occident une très brutale régression des conditions de vie. Mais elle a aussi ouvert la voie à l'émancipation des femmes.
Dans l'Antiquité, celles-ci avaient connu parfois une relative liberté - dans l'Ancien Empire égyptien comme en Crète ou en Étrurie - mais le plus souvent une triste sujétion, de l'Assyrie à la Grèce. Leur sort s'était adouci sous la férule de Rome avec le droit de disposer de leurs biens à leur majorité et de choisir leur mari.
Après les temps barbares, à partir de l'An Mil, les femmes vont devenir dans la chrétienté occidentale quasiment les égales des hommes. Au moins en droit. C'est le début d'un lent mouvement qui n'a pas été sans graves reculs, à la Renaissance et au XIXe siècle...
Filles d'Ève, lubriques et tentatrices
Aux premiers siècles du christianisme, dans l'Antiquité tardive, les Pères de l'Église mettent en place un ensemble de préceptes qui vont durablement imprégner les mentalités occidentales. Ils réservent aux hommes le sacerdoce, la prêtrise et le sacrement de l'Eucharistie. En premier lieu par référence au Christ et aux apôtres qui étaient des hommes, en second lieu pour se plier à la norme sociale.
Parmi les autres héritages de cette époque, il y a l'indissolubilité du mariage, qui se déduit de l'Évangile : « Que l'homme ne sépare pas ce que Dieu a uni » (Matthieu V, 31-32 et XIX, 3-9...). C'est une condamnation radicale du divorce et de la répudiation. Il y a aussi la promotion du célibat ecclésiastique par un clergé très influencé par l'ascétisme stoïcien. Il s'ensuit la formation d'un clergé étranger à la sexualité et dont une bonne partie nourrit un ressentiment profond à l'égard des filles d'Ève, coupables comme elle de pousser leurs compagnons à la faute.
Préceptes chrétiens et inspiration germanique
Au VIe siècle comme aux premiers temps du christianisme, les femmes du patriciat et de la noblesse jouent un rôle capital au sein de l'Église. À l'image de Clotilde ou d'Ethelburge de Northumbrie, les princesses germaniques contribuent à la conversion de leur royal mari. D'autres, comme sainte Geneviève, multiplient les fondations d'églises et de monastères. Le pape Grégoire le Grand, peu suspect de misogynie, donne son aval à la fondation de monastères féminins.
Avec Charlemagne, deux siècles plus tard, le Royaume des Francs connaît deux tournants décisifs : il bascule du monde méditerranéen vers le monde rhénan, plus germanique (note) ; il noue une alliance étroite avec l'évêque de Rome (le pape), dont il va faire le chef tout-puissant de l'Église d'Occident.
On peut y voir les raisons qui vont conduire les femmes d'Occident à un statut plus libre que sous les autres cieux. En effet, les Germains qui ont envahi l'empire d'Occident avaient un respect marqué pour le mariage si l'on en croit Tacite.
Le droit coutumier germanique interdit les unions entre cousins jusqu'au douzième degré et chez les Francs, le wehrgeld ou « prix du sang », versé en réparation d'un crime, est le même pour un homme et une femme, ce qui témoigne d'une égalité de statut entre les sexes (note). Tout cela n'a rien à voir avec la tradition méditerranéenne : mariage préférentiel entre cousins, polygamie et répudiation facile (note).
En bon héritier de la tradition germanique mais aussi en digne fils de l'Église, Charlemagne interdit le remariage des divorcés en 789. En 796, il déclare devant les représentants du clergé que l'adultère ne saurait dissoudre les liens du mariage.
Au siècle suivant, ses successeurs commencent à légiférer sur la consanguinité : les mariages sont interdits entre cousins jusqu'au quatrième ou septième degré.
Le processus enclenché par les Carolingiens va mener par étapes successives au mariage monogame, exogame et indissoluble, caractéristique de l'Occident chrétien.
Le culte marial et l'amour courtois
Si la misogynie d'une partie des clercs et des élites nous laisse pantois, elle est contrebalancée assez tôt par des pensées plus amènes.
Les poètes ou troubadours chantent régulièrement l'amour impossible d'un chevalier pour une dame de plus haute noblesse que lui et souvent déjà mariée. On peut y voir une manière d'enseigner aux nobles la maîtrise de soi et la galanterie : une femme se conquiert par la séduction, pas par la violence.
Le Moyen Âge nous laisse le souvenir de grandes figures féminines qui témoignent de la façon dont le sexe faible a pu se faire une place au côté des hommes et parfois au-dessus. Sous les Carolingiens, Dhuoda, veuve de Bernard de Septimanie, nous reste connue par le beau manuel d'éducation chrétienne qu'elle rédige à l'attention de son fils.
Au XIe siècle, dans la querelle entre l'empereur et le pape, Grégoire VII reçoit l'appui décisif de la comtesse Mathilde de Toscane. On peut voir en elle la première femme politique de l'Occident médiéval (et de l'Occident tout court).
Contemporaine d'Abélard et de saint Bernard, Hildegarde de Bingen rivalise avec eux par sa science et sa piété. Mais la « Sybille du Rhin » a dû patienter huit siècles avant d'être proclamée Docteur de l'Église, à l'initiative de son compatriote le pape Benoît XVI.
Femmes au travail
Nécessité faisant loi, le « beau Moyen Âge » se montre ouvert à l'activité des femmes.
Il va sans dire que les femmes participent comme partout aux travaux de la ferme et des champs. Mais ce qui est moins évident est leur « part décisive au développement des villes médiévales » (note). Dans les commerces et les ateliers, elles travaillent en général avec leur époux et souvent leurs enfants. Elles peuvent aussi travailler en indépendante ou dans le cadre d'une corporation.
Les corporations d'artisans se montrent ouvertes aux femmes. Les statuts de la corporation des fourreurs de Bâle, rédigés en 1226, leur accordent les mêmes droits qu'aux hommes (note).
Les femmes sont aussi présentes dans les soins de santé (sage-femmes mais aussi médecins ou « miresses ») et dans l'éducation. À la fin du XIIIe siècle, Paris compte 21 maîtresses d'école placées à la tête d'écoles élémentaires de jeunes filles.
Changement d'époque
Affaire de circonstances et de moeurs : si la société féodale reconnaissait assez facilement les droits des épouses, des veuves et des héritières, si l'Église faisait une place aux femmes par nécessité ou par intérêt, les Universités et le monde intellectuel des villes se montrent beaucoup plus fermés.
Apparues à la fin du XIIe siècle, les Universités de Bologne, Paris ou encore Oxford se sont émancipées peu à peu de la tutelle de l'Église sous la pression des clercs séculiers qui enseignent en chaire. Elles deviennent des citadelles masculines, aucune femme n'étant habilitée à étudier, encore moins à enseigner, mais n'en restent pas là.
À Paris, centre universitaire le plus éminent d'Europe, la faculté de médecine essaie dès le XIVe siècle d'interdire l'exercice de la médecine à toutes les femmes. C'est le début d'un mouvement souterrain qui va complètement évincer les femmes des fonctions publiques au XVIe siècle et tenter de les renvoyer à leur vocation de potiche.
Le vote des femmes
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Voir les 6 commentaires sur cet article
Marthe.velghe-38596 (09-03-2018 10:33:48)
Il faut également citer Georges Duby et ses ouvrages .
HORATIO (01-12-2017 13:08:34)
À Pierre Brivot, Votre "encensement" de la "civilisation française" est tout-à-fait mal venu. En effet, chez les vikings sur leurs terres en Scandinavie, au VIIe - XIe siècles, la femme était pr... Lire la suite
kourdane (08-03-2017 17:20:16)
qu'est ce que la civilisation française ? de -600 à -52 av JC la Gaule était habitée par des tribus gauloises diverses, ensuite ce fut une époque gallo romaine jusqu'au 5 ème siècle pour dévou... Lire la suite