Les tribulations des femmes à travers l'Histoire

Moyen Âge : libres malgré tout

Qui l'eut cru ? La ruine de Rome au Ve siècle a entraîné en Occident une très brutale régression des conditions de vie. Mais elle a aussi ouvert la voie à l'émancipation des femmes.

Dans l'Antiquité, celles-ci avaient connu parfois une relative liberté - dans l'Ancien Empire égyptien comme en Crète ou en Étrurie - mais le plus souvent une triste sujétion, de l'Assyrie à la Grèce. Leur sort s'était adouci sous l'empire romain avec le droit de disposer de leurs biens à leur majorité et de choisir leur mari.

Après les temps barbares, à partir de l'An Mil, les femmes vont devenir dans la chrétienté occidentale quasiment les égales des hommes. Au moins en droit. C'est le début d'un lent mouvement qui n'a pas été sans graves reculs, à la Renaissance et au XIXe siècle.

Isabelle Grégor et André Larané

Mariage entre Yvon et Angletine, Aubert David, XVe siècle, BnF, Paris.

La courtoisie plutôt que le voile

Les relations entre hommes et femmes sont parmi les principaux marqueurs d'une civilisation car de ces relations dépendent la survie du groupe et la perpétuation de ses mœurs. Il importe que les femmes n'aient pas à souffrir de la violence masculine. À cet impératif, la plupart des civilisations, de l'Antiquité à nos jours, ont répondu d'un mot : protéger ! Il faut mettre les filles et les femmes à l'abri des prédateurs et des étrangers, veiller à ce qu'elles bénéficient d'un protecteur vigilant en la personne de leur père ou de leur époux. C'est ainsi que s'est mis en place un ensemble de codes et de lois tout entier orienté dans ce sens : le voile et l'enfermement (gynécée, harem) pour les femmes honorables, le mariage précoce et arrangé par les parents (il ne s'agit pas que la jeune fille tombe dans les rets d'un vil séducteur), la dot qui fait du mari le propriétaire de fait de la femme et son protecteur attitré, la répudiation qui sanctionne les fautives, etc.
Et puis, vers l'An Mil, au point de rencontre du monde méditerranéen et du monde germanique, plus libéral à l'égard de la gent féminine, une autre réponse est apparue à la difficile gestion des relations hommes-femmes : respecter ! Il faut apprendre aux hommes à respecter toutes les femmes de la création. Il faut sanctionner pénalement et surtout réprouver socialement les comportements violents. Il faut en même temps valoriser les attitudes de bienveillance par lesquelles la force brute de l’homme s'incline devant la relative fragilité féminine.
La chrétienté occidentale a alors ébauché tout un corpus de lois et de préceptes qui ont peu à peu imprégné les consciences. L'Église a imposé le mariage monogamique entre adultes consentants et interdit la répudiation et le divorce. L'aristocratie guerrière a contenu sa violence en cultivant l'amour courtois. Les chevaliers se sont fait gloire de rendre hommage à une femme, vierge ou mieux encore mariée. Ces bonnes manières se sont diffusées dans toute la société sous la forme de la galanterie. Les femmes ont pu de la sorte mener une vie sociale quasiment libre de toute contrainte et cultiver la séduction sans craindre l'agression ou le rejet.

Antiquité tardive (IIIe-Ve siècles) : filles d'Ève lubriques et tentatrices

Aux premiers siècles du christianisme, dans l'Antiquité tardive, les Pères de l'Église mirent en place un ensemble de préceptes qui allaient durablement imprégner les mentalités occidentales. Ils réservèrent aux hommes le sacerdoce, la prêtrise et le sacrement de l'Eucharistie. En premier lieu par référence au Christ et aux apôtres qui étaient des hommes, en second lieu, de façon plus inconsciente, pour se plier à la norme sociale. Parmi les autres héritages de cette époque, il y a l'indissolubilité du mariage, qui se déduit de l'Évangile : « Que l'homme ne sépare pas ce que Dieu a uni » (Matthieu V, 31-32 et XIX, 3-9...). C'est une condamnation radicale du divorce et de la répudiation. Il y a aussi la promotion du célibat ecclésiastique par un clergé très influencé par l'ascétisme stoïcien, une morale en vogue chez les derniers Romains, tel l'empereur Marc-Aurèle.

Péché originel, Queste del Saint Graal, Ahun, vers 1470, département des Manuscrits, BnF, Paris.Le célibat est très tôt pratiqué dans toute la chrétienté par les ermites et les moines. À l'imitation de saint Antoine, le « Père des moines d'Occident » (250-356), ces hommes pieux font vœu de donner leur vie à Dieu et de se consacrer à la prière et au recueillement.

En 303, le concile d'Elvire, près de Grenade, tente de convertir aussi le clergé séculier au célibat mais sans beaucoup de succès. Pendant le millénaire suivant, synodes et conciles n'auront de cesse de sévir contre le mariage des prêtres. Le célibat sacerdotal ne se généralisera que vers le XIIe siècle et, à la fin du Moyen Âge, il se trouvera encore une moitié de prêtres et de curés vivant en concubinage sans scandaliser grand-monde...

En attendant, on observe la formation d'un clergé régulier (moines) étranger à la sexualité et dont une bonne partie nourrit un ressentiment profond à l'égard des filles d'Ève, coupables comme leur lointaine aïeule de pousser leurs compagnons à la faute.

Jésus et la femme adultère, XIème siècle, basilique San Angelo, Capoue, Italie.Mêmes les penseurs les plus réputés témoignent à l'égard des femmes de préjugés extrêmes. « Tu devrais toujours porter le deuil, être couverte de haillons et abîmée dans la pénitence, afin de racheter la faute d'avoir perdu le genre humain... Femme, tu es la porte du diable. C'est toi qui as touché à l'arbre de Satan et qui, la première, a violé la loi divine », écrit Tertullien au IIe siècle.

Saint Jérôme, au IVe siècle, recommande aux filles (comme aux garçons) de rester vierges tout en reconnaissant malgré tout la nécessité du mariage pour la perpétuation de l'espèce : « Ce n'est point rabaisser le mariage que de lui préférer la virginité... Personne ne compare un mal à un bien. Que les femmes mariées tiennent fierté de prendre rang derrière les vierges » (note).

Il est vraisemblable que les clercs et les moines de l'Antiquité tardive exagèrent leur misogynie et leur répulsion des femmes pour mieux justifier leur vœu de chasteté et surtout se prémunir eux-mêmes contres les tentations de la chair !

Cela dit, les lecteurs et auditeurs de l'Évangile voient bien l'attention que le Christ lui-même portait aux femmes de toutes conditions. Ces mêmes femmes ont été en première ligne dans la diffusion du christianisme.

Le martyrologe des saint(e)s recense d'ailleurs de nombreuses patriciennes romaines qui ont donné leurs biens et se sont vouées au Christ.

On connaît aussi le rôle de Monique, mère de saint Augustin, ou encore d'Hélène, mère de Constantin Ier, dans la conversion de leur fils...

La Tentation d'Ève, bas-relief attribué à Gislebertus, vers 1130, Cathédrale Saint-Lazare d'Autun, Saône-et-Loire.

Le sexe au Moyen Âge, des mots à la réalité

Dans le millénaire qui va mener de la haute Antiquité jusqu'à la fin du Moyen Âge (et au-delà), il va toujours se trouver des prédicateurs et des auteurs pour décrire l'engeance féminine comme un objet de dégoût. Ainsi Jacques de Vitry, un prédicateur célèbre du XIIIe siècle, présente la femme comme un être « lubrique, visqueu[x] comme une anguille qui file entre les doigts et s'échappe ».

Dans les faits, ces jérémiades se heurtent heureusement au principe de réalité. Interdits de mariage, les prêtres et les moines n'en prennent pas moins des libertés avec le devoir de chasteté sans que cela choque leurs contemporains. La fornication (rapports sexuels consentis, hors mariage) est un péché, pas un crime, tant pour les clercs que pour les laïcs ! On en rit plus qu'on ne la condamne.

Plus sérieusement, si l'Église condamne officiellement l'avortement, l'infanticide et aussi la masturbation en laquelle elle voit un gaspillage du liquide séminal, les curés qui ont connaissance de ces faits dans le secret du confessionnal font généralement preuve de mansuétude. Ils se gardent de les dénoncer et accordent l'absolution à leurs ouailles en contrepartie d'un acte de pénitence (prières ou jeûne).

Du haut Moyen Âge à l'An Mil (IVe - Xe siècles) : les femmes sur la voie de l'émancipation

Dès l'époque du roi Clovis et de son contemporain l'empereur byzantin Justinien, le Moyen Âge nous laisse le souvenir de grandes figures féminines issues du patriciat et de la noblesse. Elles jouent un rôle capital au gouvernement et au sein de l'Église, à l’image de Clotilde et Geneviève en Occident, de Théodora, épouse de Justinien, à Byzance. C'est une situation inédite, étrangère à la Grèce classique, comme on l'a vu, ou aux sociétés islamiques à venir.

La situation des femmes s'altère quelque peu sous les empereurs carolingiens (IXe-Xe siècles), dans une époque de transition où ne reste plus rien des acquis de Rome et où tout est à reconstruire.

À l'époque mérovingienne (IVe - VIIIe siècles), des femmes de pouvoir

Mobilier funéraire de la dame de Grez-Doiceau, nécropole mérovingienne du milieu du VIe siècle, DR.Aux VIe et VIIe siècles, les femmes de l'aristocratie mérovingienne ont un statut élevé. Elles héritent tout comme les hommes et sont généralement plus cultivées que leur mari, pour les besoins de l'éducation et du culte. Beaucoup usent de leur richesse pour fonder des églises et des monastères et c'est afin de combler leurs voeux que le pape Grégoire le Grand, peu suspect de misogynie, donne son aval à la fondation de monastères féminins.

À l'image de Clotilde ou Geneviève, ces femmes de l'aristocratie conseillent les souverains ou bien dirigent tout bonnement des royaumes à l'instar de Frédégonde et Brunehaut, dont la rivalité a été popularisée au XIXe siècle par l'historien Augustin Thierry dans ses Récits des temps mérovingiens (1840).

Clotilde fut donnée en mariage au roi des Francs par son père Gondebaud, roi des Burgondes et, fervente catholique, elle réussit à convertir son païen de mari, avec la complicité de l'évêque Remi et de son amie Geneviève. Cette dernière, issue de la haute noblesse gallo-romaine, s'était consacrée à Dieu tout en exerçant de hautes responsabilités à Paris. D'un caractère trempé, elle fit construire une église sur l'emplacement du tombeau de saint Denis, premier évêque de Paris qu'en ces temps anciens, on appelait encore Lutèce. Elle recevait les fidèles dans l'ermitage de la montagne qui porte aujourd'hui son nom, au cœur de l'actuel Quartier latin. C'est là qu'elle mourut en 502 et fut inhumée.

BrunehautÀ l'opposé de ces saintes femmes, l'époque compte quelques figures shakespeariennes... Frédégonde était la maîtresse d'un petit-fils de Clovis, Chilpéric Ier, roi de Neustrie (Paris). Elle le convainquit de répudier sa femme mais Chilpéric se remaria avec une princesse wisigothe, Galswinthe. Frédégonde, délaissée, prit la mouche. Elle fit étrangler sa rivale et obligea enfin Chilpéric à l'épouser. La sœur cadette de la malheureuse Galswinthe décida de venger cette dernière. Dénommée Brunehaut, elle était l'épouse de Sigebert Ier, roi  d'Austrasie (Metz) et frère de Chilpéric ! Elle obligea son mari à demander réparation à Chilpéric pour le meurtre de Galswinthe. Mais la serial killer Frédégonde prit une nouvelle fois la mouche et fit assassiner l'insolent Sigebert. Elle fit aussi assassiner le nouveau mari de Brunehaut puis son propre mari Chilpéric avant de gouverner elle-même le royaume de Neustrie.

Son ennemie Brunehaut allait lui survivre avant d'être elle-même capturée par ses ennemis et traînée derrière un cheval jusqu'à ce que mort s'ensuive, en 613. Elle avait alors 80 ans...

Frédégonde comme Brunehaut sont représentatives du pouvoir que pouvaient exercer certaines femmes à l'époque mérovingienne. À l'autre extrémité du continent, gardons une pensée pour Théodora. Fille du montreur d'ours de l'hippodrome de Constantinople, elle a épousé l'héritier de l'empire et devint pour lui une conseillère de premier rang. Elle le dissuada en particulier de s'enfuir lors de la sédition Nika qui menaça d'emporter le trône en 532.

Quoi qu'il en soit, le vernis chrétien demeure fragile et les rois mérovingiens de la lignée de Clovis, comme Clotaire Ier, ne se privent pas d'épouser parfois plusieurs femmes à la fois !

Supplice de la reine Brunehaut, détail des Grandes Chroniques de France de Charles V, BnF, Paris.

Pippinides et Carolingiens (VIIIe – Xe siècles) : vers un mariage plus protecteur

Avec les Pippinides et Charlemagne, deux siècles plus tard, le Royaume des Francs connaît deux tournants décisifs : d'une part, il bascule du monde méditerranéen vers le monde rhénan, plus germanique (note) ; d'autre part, il noue une alliance étroite avec l'évêque de Rome (le pape), dont il va faire le chef tout-puissant de l'Église d'Occident.

Tête du gisant de Jeanne de Toulouse, 1285, Musée de Cluny, Paris.On peut y voir les raisons qui vont lentement conduire les femmes d'Occident à un statut plus libre que sous les autres cieux. En effet, les Germains qui ont envahi l'empire d'Occident avaient un respect marqué pour le mariage si l'on en croit Tacite. L'historien romain note à leur propos : « Quoi qu'il en soit, les mariages là-bas sont pris au sérieux. Aucun autre aspect des mœurs des Germains n'est plus digne d'éloges. Seuls quasiment parmi les Barbares, ils se contentent d'une seule épouse, sauf quelques-uns à peine qui, sans être débauchés, reçoivent en raison de leur haut rang, de très nombreuses propositions de mariage ».

Le droit coutumier germanique interdit les unions entre cousins jusqu'au douzième degré ! Les chefs germains eux-mêmes prennent soin de choisir leur épouse en-dehors de leur clan pour étendre leur réseau d'alliances. Chez les Francs, le wehrgeld ou « prix du sang », versé en réparation d'un crime, est le même pour un homme et une femme, ce qui témoigne d'une égalité de statut entre les sexes. Les femmes peuvent aussi conduire des hommes à la guerre comme l'atteste la découverte à Birka, dans le sud-est de la Suède, de la somptueuse tombe d'un chef de guerre dont l'analyse ADN a montré que c'était en fait une femme  (note). 

Tout cela n'a rien à voir avec la tradition méditerranéenne mise en lumière par l'anthropologue Germaine Tillion : mariage préférentiel entre cousins, polygamie et répudiation facile qui sera plus tard étendue à l'ensemble du monde arabo-islamique (note).

En bon héritier de la tradition germanique mais aussi en digne fils de l'Église, l'empereur Charlemagne interdit le remariage des divorcés en 789. En 796, il déclare devant les représentants du clergé que l'adultère ne saurait dissoudre les liens du mariage.

Au siècle suivant, les successeurs du grand empereur commencent à légiférer sur la consanguinité : les mariages sont interdits entre cousins jusqu'au quatrième ou septième degré.

Le retour du croisé : le comte Hugues de Vaudémont et son épouse Anne de Bourgogne, grès du XIIe siècle, Musée lorrain, Nancy.Bien que difficilement applicables, ces règles vont limiter les incestes dans les communautés isolées. Elles vont aussi offrir à la noblesse des prétextes pour demander l'annulation d'un mariage encombrant et à l'Église un motif de punir des souverains par trop indociles.

Le processus enclenché par les Carolingiens va mener par étapes successives au mariage monogame, exogame et indissoluble, caractéristique de l'Occident chrétien.

En attendant, les femmes d’influence se font beaucoup plus rares à l'époque carolingienne. Du VIIIe au X siècles, elles retournent au fourneau et il n'est plus question qu'elles touchent aux affaires publiques. Et d'ailleurs, comment le pourraient-elles ? Les règles de succession privilégient l'aîné des garçons, du moins dans l'aristocratie.

L'instruction connaît un sévère recul chez les laïcs - hommes et femmes -, au grand désespoir de l'empereur Charlemagne lui-même qui se désole de ne pas avoir appris à bien écrire ete fait en sorte que ses filles adorées reçoivent pour le moins une bonne éducation.

L'exemple fait des émules. Dhuoda, veuve d'un grand seigneur, nous reste connue par le beau manuel d'éducation chrétienne qu'elle rédige au début du IXe siècle à l'attention de son fils : « Je t'engage, ô mon fils Guillaume, à ne pas te laisser absorber par les préoccupations mondaines du siècle et à te procurer un grand nombre d'ouvrages où tu puisses apprendre à connaître Dieu bien mieux que je ne puis le faire moi-même dans ce manuel que je t'adresse ».

L'amour courtois, une nouvelle vision des relations sexuelles

Si la misogynie d'une partie des clercs et des élites nous laisse pantois, elle est contrebalancée assez tôt par des pensées plus amènes. Au VIe siècle, aux temps mérovingiens, le jeune poète Venance Fortunat rencontre à Poitiers la reine Radegonde. Pétri de respect et d'admiration, il lui adresse un hymne qui préfigure avec cinq siècles d'avance l'amour courtois et le culte marial (note) :
« Mère honorée, sœur douce
Que je révère d'un cœur pieux et fidèle,
D'une affection céleste, sans nulle touche corporelle,
Ce n'est pas la chair qui aime en moi,
Mais ce que souhaite l'esprit... »

Fortunat deviendra évêque de Poitiers et sera canonisé. Son approche idéalisée de la femme sera reprise par les poètes des cours aristocratiques et s'épanouira après l'An Mil dans le fin amor ou amour raffiné, que l'on appelle aujourd'hui amour courtois (ou amour de cour). Il s'illustre par exemple dans la Chanson de Roland, grand poème épique de cette époque.

Illustration du Codex Manesse, 1315, Bibliothèque de l'Université, Heidelberg,Les poètes ou troubadours chantent régulièrement l'amour impossible d'un chevalier pour une dame de plus haute noblesse que lui et souvent déjà mariée. On peut y voir une manière d'enseigner aux nobles la maîtrise de soi et la galanterie : une femme se conquiert par la séduction, pas par la violence !

L'un des plus célèbres troubadours est le duc d'Aquitaine Guillaume IX, grand-père de la célèbre Aliénor.

Cette dernière anime à Poitiers des cénacles poétiques où l'on débat par exemple du point de savoir si l'amour est encore possible dans le mariage ! Il ne s'agit pas de paroles en l'air. Les femmes de cette époque, toutes classes confondues, « jouissent d'une liberté de moeurs exceptionnelle, difficile à expliquer. Le XIIe siècle est avec le XIXe le champion de l'adultère ; l'Église est débordée » (note).

L'Amour charnel, Barthélémy l'Anglais, Le Livre des propriétés des choses, 1410, BnF, Paris.

Le « Beau Moyen Âge » (XIIe - XIIIe siècle) : libres, enfin, presque !

La généralisation du mariage germanique à l'époque carolingienne a permis de réhausser le statut de la femme. Au fil des siècles, le mariage monogame devient la norme.

En 1215, le IVe Concile du Latran range le mariage parmi les sacrements, ce qui donne aux femmes de nouveaux droits. Parmi les innovations majeures figure la publication des bans à l'occasion des mariages. Il n'est désormais plus possible de convoler dans la clandestinité. Cette mesure est destinée à lutter contre les unions consanguines, entre cousins et parents proches, que l'Église et le corps social tiennent en horreur, ces unions débouchant sur une dégénérescence génétique et, dans le meilleur des cas, sur un repli communautaire.

Par ailleurs, les évêques conciliaires accomplissent un acte révolutionnaire en n'autorisant que les mariages pour lesquels les deux conjoints, l'homme et la femme, auront publiquement exprimé leur consentement. Ainsi, pour la première fois dans l'Histoire de l'humanité, la société accorde aux femmes le droit de disposer d'elles-mêmes. Les femmes ne sont plus des mineures, comme sous l'Antiquité, ou des marchandises que le père cède contre une dot, ainsi qu'il en va encore dans maintes sociétés. Sans équivalent dans le reste du monde, ces dispositions mettent les filles à l'abri d'un mariage forcé et les femmes d'une répudiation qui les laisserait sans ressources.

Ces nouvelles règles rapprochent le statut des femmes de celui des hommes même si elles ne sont pas toujours respectées. Beaucoup de filles de l'aristocratie, de la bourgeoisie et même de la paysannerie ont pu être mariées sans qu'on leur demande leur avis et il faudra encore du temps avant qu'elles puissent pleinement choisir et accepter leur conjoint, mais l'élan est donné.

Toutefois, au Moyen Âge - comme d'ailleurs aux autres époques -, le mariage n'est pas, loin s'en faut, le destin obligé des femmes. À la fin du XIIIe siècle, on compte une légère majorité de femmes mariées dans les campagnes et un gros tiers dans les villes. Les autres vivent dans le célibat ou le veuvage, seules ou en communauté, au couvent ou dans des béguinages (rien à voir avec les sociétés islamiques ou africaines qui, encore aujourd'hui, ignorent pratiquement le célibat). Le harcèlement sexuel est le quotidien de beaucoup de ces femmes et il va souvent jusqu'à des rapports non consentis. Ceux-ci sont rarement qualifiés de viols, la loi et l'opinion publique estimant qu'une femme, face à un homme isolé, est en capacité de se défendre ! C'est un aspect de la violence endémique propre à l'époque et qui affecte les hommes comme les femmes. Elle est très bien représentée dans le roman de Ken Follett : Les Piliers de la terre (1992), qui raconte la vie d'une communauté anglaise au XIIe siècle.

Dans les campagnes, les femmes seules et en particulier les jeunes veuves encourent le risque d'être poursuivies et violées par les jeunes hommes du village, manière de leur faire comprendre l'intérêt du mariage (note). Mais n'en rajoutons pas avec le « droit de cuissage », selon lequel un seigneur aurait eu le droit de déflorer les épouses de leurs serfs : il s'agit d'une légende inventée au XVIIIe siècle...

Christine de Pisan instruit son fils Jean de Castel, vers 1413, Maître de la Cité des dames, British Library, Londres.  L'Église médiévale, assidue à limiter la brutalité des guerriers, a aussi à cœur de freiner la brutalité des hommes et plus spécialement des maris. C'est ainsi qu'elle réglemente à tour de bras les pratiques sexuelles et condamne tout ce qui pourrait ressembler à un viol conjugal. Un mouvement est en marche dont on peut lire les progrès dans les conseils qu'adresse à son fils l'écrivaine Christine de Pisan au début du XVe siècle :
« Ne sois déceveur de femmes
Honore-les, ne les diffame.
Contente-toi d'en aimer une
Et ne prends querelle à aucune »
.

Héloïse, une femme amoureuse

Abélard ne devait être que le professeur de la belle Héloïse, jeune fille exceptionnellement cultivée. En 1117, il devint son amant puis le père de son enfant, avant de l'épouser. Fulbert, l'oncle d'Héloïse, ne le lui pardonna pas et ordonna que des hommes de main aillent « amput[er] les parties du corps avec lesquelles [Abélard] avait commis le délit dont ils se plaignaient ». Cette tragédie bien réelle, dont témoignent les échanges épistolaires entre les deux amants, illustre la liberté de moeurs et la curiosité intellectuelle caractéristiques du XIIe siècle.

Dans la lettre ci-après, Héloïse exprime tout son amour pour celui dont elle a été séparée et se souvient avec émotion de leurs jouissances partagées :
« À son seigneur, ou plutôt son père; à son époux, ou plutôt son frère ; sa servante, ou plutôt sa fille ; son épouse, ou plutôt sa sœur, à Abélard.
Tu sais, mon bien aimé, et tous le savent, combien j'ai perdu en toi ; tu sais dans quelles terribles circonstances l'indignité d'une trahison publique m'arracha au siècle en même temps que toi ; et je souffre incomparablement plus de la manière dont je t'ai perdu que de ta perte même. Plus grand est l'objet de la douleur, plus grands doivent être les remèdes de la consolation. Toi seul, et non un autre, toi seul, qui seul es la cause de ma douleur, m'apporteras la grâce de la consolation. Toi seul, qui m’as contristée, pourras me rendre la joie, ou du moins soulager ma peine. Toi seul me le dois, car aveuglément j'ai accompli toutes tes volontés, au point que j'eus, ne pouvant me décider à t'opposer la moindre résistance, le courage de me perdre moi même, sur ton ordre. Bien plus, mon amour, par un effet incroyable, s'est tourné en tel délire qu'il s'enleva, sans espoir de le recouvrer jamais, à lui même l’unique objet de son désir, le jour où pour t'obéir je pris l'habit et acceptai de changer de cœur. Je te prouvai ainsi que tu règnes en seul maître sur mon âme comme sur mon corps. Dieu le sait, jamais je n'ai cherché en toi que toi même. C'est toi seul que je désirais, non ce qui t'appartenait ou ce que tu représentes. Je n'attendais ni mariage, ni avantages matériels, ne songeais ni à mon plaisir ni à mes volontés, mais je n'ai cherché, tu le sais bien, qu'à satisfaire les tiennes. Le nom d'épouse paraît plus sacré et plus fort ; pourtant celui d'amie m'a toujours été plus doux. J'aurais aimé, permets-moi de le dire, celui de concubine et de fille de joie, tant il me semblait qu'en m'humiliant davantage j’augmentais mes titres à ta reconnaissance et nuisais moins à la gloire de ton génie. […]
Au nom de Dieu même à qui tu t'es consacré, je te conjure de me rendre ta présence, dans la mesure où cela t'est possible, en m'envoyant quelques mots de consolation. Fais-le du moins pour que, nantie de ce réconfort, je puisse vaquer avec plus de zèle au service divin ! Quand jadis tu m'appelais à des plaisirs temporels, tu m’accablais de lettres, tes chansons mettaient sans cesse sur toutes les lèvres le nom d’Héloïse. Les places publiques, les demeures privées, en retentissaient. Ne serait il pas plus juste de m'exciter aujourd'hui à l'amour de Dieu, que de l’avoir fait jadis à l'amour du plaisir ? Considère, je t'en supplie, la dette que tu as envers moi ; prête l'oreille à ma demande.
Je termine d'un mot cette longue lettre : adieu, mon unique »
(Héloïse, Lettre II, 1132)

Héloïse et Abélard dans Le Roman de la Rose, Guillaume de Lorris et Jean de Meung, XIIIe siècle, BnF, Paris.

Femmes de foi, femmes de pouvoir

Au XIIe siècle, dès après l'An Mil, la papauté en plein renouveau fait alliance avec les femmes. Dans la querelle qui oppose le titulaire du Saint Empire et le pape Grégoire VII, celui-ci reçoit l'appui décisif de la comtesse Mathilde de Toscane, jeune héritière de la plus riche partie de l'Italie, entre Rome et le Pô. 

Bien que peu connue aujourd'hui, la comtesse Mathilde est l'une des femmes les plus remarquables du Moyen Âge, par son énergie et son indépendance d'esprit.

C'est devenue une femme cultivée, qui parle français, allemand et latin. Elle n’hésite pas aussi à chevaucher à la tête de ses vassaux, avec une armure reconnaissable à ses éperons d'or. Pieuse et même mystique, elle est séduite par le moine Hildebrand et choisit de l'assister dans son entreprise de réforme. En 1077, elle effectue même une donation au Saint-Siège de ses immenses biens, à savoir la Toscane et une partie de la Lombardie (Modène, Reggio, Mantoue, Ferrare et Crémone). À la disparition de Grégoire VII, après une phase d'abattement, elle va prendre les choses en main et assister les successeurs du pape dans leur combat contre l'empereur.

Elle accueille le pape en détresse dans sa forteresse de Canossa, obligeant l'empereur Henri IV à solliciter son pardon. On peut voir en elle la première femme politique de l'Occident médiéval (et de l'Occident tout court).

Une autre Mathilde, à la même époque, tient un rôle plus effacé mais important auprès de son époux, le rude Guillaume le Conquérant. Elle a attaché son nom à la tapisserie de Bayeux. Au siècle suivant, c'est Aliénor d'Aquitaine qui retient notre attention... En ce XIIe siècle qui voit à la fois l'émergence de l'art gothique et de la pensée scolastique, demandons-nous aussi :
« Où est la très savante Héloïse
Pour qui fut émasculé puis se fit moine
Pierre Abélard à Saint-Denis ?
C'est pour son amour qu'il souffrit cette mutilation »
 (François Villon).

Contemporaine d'Abélard et de saint Bernard, Hildegarde de Bingen rivalise avec eux par sa science et sa piété. Mais la « Sybille du Rhin » a dû patienter huit siècles avant d'être proclamée Docteur de l'Église, à l'initiative de son compatriote le pape Benoît XVI.

Blanche de Castille, arrière-petite-fille d'Aliénor, ravit tous les adeptes du « roman national ». Mère attentionnée de saint Louis, elle est aussi la première régente ou « baillistre » du royaume de France, qu'elle va gouverner avec énergie pendant la minorité de son fils puis pendant son séjour en Terre Sainte. À défaut de prendre les armes contre les barons insurgés, elle les ramènera à la raison par son charme, à commencer par le comte Thibaud IV de Champagne, poète à ses heures perdues.

Sainte Claire and Sainte Elisabeth de Hongrie, Simone Martini, 1317, fresque, chapelle Saint Martin, église Saint François, Assise, Italie.En ce XIIIe siècle chrétien, soulignons l'implication des femmes dans le retour à l'Évangile prôné par saint François.

Il y a sainte Claire, disciple et âme-sœur du saint d'Assise. Mais aussi sainte Élisabeth de Hongrie, qui rejoint après son veuvage le tiers ordre franciscain et meurt à 24 ans.

Beaucoup d'autres femmes, moins connues, rejoignent les béguinages. Ce sont des institutions pieuses plus ouvertes que les monastères où elles peuvent vivre, prier et travailler en communauté, en gardant la liberté de sortir et de se marier.

La première règle des béguinages, au XIIe siècle, est due à un chanoine de Liège, Lambert le Bègue (ou Begh). Les béguinages vont se multiplier surtout en Belgique et en Rhénanie et il s'en créera aussi pour les hommes. Au XIVe siècle, on comptera jusqu'à 200 000 béguines et bégards.

La Vierge, perfection féminine

Portrait d'une jeune fille, Petrus Christus, vers 1450, National Gallery of Art, Washington.Dans les milieux populaires, au XIIe siècle, on a vu émerger un culte de la femme. Pas n'importe laquelle. Il s'agit de la Vierge, la mère du Christ, Notre-Dame, à laquelle sont consacrées de nombreuses églises et cathédrales et que l'on invoque à tout propos.

Ce culte marial va être magnifié au XIIe siècle à l'initiative de saint Bernard de Clairvaux et conduire les sculpteurs et les peintres à exalter la beauté du corps féminin, sous l'apparence de la vierge Marie ou d'Eve, la première femme.

Il va s'atténuer au XVe siècle et renaître à la fin du XIXe avec le dogme de l'Immaculée Conception et le pèlerinage de Lourdes.

Les fidèles font-ils le rapprochement entre la Vierge et les femmes de leur entourage ? Portent-ils le même respect à celles-ci ?
On peut en douter tant sont nombreuses les références à des femmes battues.

Barthélémy de Chasseneux, Mercatoria dans Catalogue des gloires du monde, 1529, Figeac, Musée Champollion des écritures du monde.
Peu de disparités dans le travail

Le « beau Moyen Âge », qui voit renaître le commerce, l'industrie et les villes, se montre ouvert à l'activité des femmes ainsi que le montrent les romans gothiques de Ken Follett Les Piliers de la terre (1989) et Un monde sans fin (2007).

Il va sans dire que les femmes participent comme partout aux travaux de la ferme et des champs. Mais ce qui est moins évident est leur « part décisive au développement des villes médiévales » (note). Dans les commerces et les ateliers, elles travaillent en général avec leur époux et souvent leurs enfants. Elles peuvent aussi travailler en indépendante ou dans le cadre d'une corporation.

La plupart des corporations de métiers se montrent ouvertes aux femmes, en particulier dans le textile. Les veuves ou filles de maîtres artisans peuvent ainsi accéder à la maîtrise à l'issue de l'apprentissage de rigueur. Les statuts de la corporation des fourreurs de Bâle, rédigés en 1226, leur accordent les mêmes droits qu'aux hommes (note).

Février, illustration du Livre d'heures de Charles d'Angoulême, 1466, BnF, Paris.

Marcia sculptant son propre portrait dans Des Clercs et nobles femmes, Boccace, 1402, BnF, Paris.Les femmes sont également présentes dans le commerce de proximité, où elles peuvent acquérir des revenus conséquents, ainsi que dans les soins de santé (sage-femmes mais aussi médecins ou « miresses ») et dans l'éducation. À la fin du XIIIe siècle, Paris compte 21 maîtresses d'école placées à la tête d'écoles élémentaires de jeunes filles (note).

Dans les arts, certaines ont su imposer leur talent, que ce soit comme « enlumineresses » ou « paintresses ».

Idem dans les travaux d'écriture : « Au Moyen-Âge, les couvents favorisent la lecture, voire l'écriture des femmes, au point que, à la fin du XIIIe siècle, les femmes de la noblesse paraissent culturellement supérieures aux hommes qui guerroient aux croisades ou ailleurs » (note).

Femme tailleur coupant un patron, Giovanni Boccaccio, De Claris mulieribus, traduit en français Livre des femmes nobles et renommées, 1403, BnF, Paris.

Marie-Madeleines repenties : les bonnes âmes au secours des prostituées

La prostitution nourrit au Moyen Âge un trafic très important, alimenté par la misère et la violence que subissent en particulier les femmes seules. Elle se pratique dans les bordels et dans les bains publics, avant que ceux-ci ne disparaissent à l'arrivée de la syphilis, cadeau empoisonné du Nouveau Monde à l'ancien. Les autorités et les bonnes âmes tentent de remédier au fléau par la répression et la compassion. Dès 1198, le pape Innocent III a déclaré oeuvre méritoire le fait de se marier avec une prostituée pour l’aider à sortir de sa vie de péché ! Dans la foulée est apparu l’Ordre de Marie-Madeleine destiné à aider les prostituées repenties. Un effort toujours recommencé.

Scène d'étuve, illustration de Valère Maxime, Faits et dits mémorables, 1480, Paris, BnF.

Fin du Moyen Âge (XIVe - XVe siècles) : des femmes pour sortir des crises

Dès la fin du XIIIe siècle, peut-être en raison d'un début de surpopulation et d'une concurrence accrue, des règlements urbains cherchent à exclure les femmes du travail. À Nuremberg, par exemple, une ordonnance de 1300 spécifie qu'une femme ne peut tenir un étal de poissonnier que pour suppléer à l'absence de son mari. Le même discrédit s'observe dans les strates supérieures de la société : après Blanche de Castille, morte en 1252, il s'écoulera plusieurs siècles avant qu'émergent à nouveau en Occident (et ailleurs) des femmes politiques de premier plan ! Il n'empêche que c'est à des femmes que les sociétés occidentales vont devoir le remède à leurs crises...  

Au XIVe siècle, le climat s'assombrit dans tous les sens du terme : températures plus froides, guerre de Cent Ans, grande Peste, révoltes sociales et, en prime, un Grand Schisme au sein de la papauté.

Sainte Catherine de Sienne recevant les stigmates du Crucifix (Matteo di Giovanni di Bartolo, vers 1430 - 1495),  Musée du Petit Palais d'Avignon )C'est alors qu'une femme d'exception va secouer l'Église, analphabète mais douée d'une foi et d'une force intérieure qui déplace les montagnes.

Née en 1347, Catherine de Sienne ne savait ni lire ni écrire. Elle n’en a pas moins dicté, pendant sa courte existence (elle est morte à l’âge de 33 ans), une œuvre monumentale qui lui a valu d’être proclamée docteur de l’Église par Paul VI en 1970. Dès sept ans, elle s’est engagée en secret à consacrer sa vie au Seigneur Jésus-Christ et fait vœu de virginité. Deux grands projets lui tiennent à cœur : la croisade pour reconquérir Jérusalem et la réforme de l’Église. Le retour du pape d’Avignon à Rome est un préalable à la réalisation de ces objectifs.

C'est ainsi qu'elle part avec sa Brigade de disciples pour Avignon afin de convaincre le pape de regagner la Ville éternelle. Elle négocie en même temps par lettres le ralliement des Florentins à cette initiative. Grégoire XI se laisse convaincre et le 17 janvier 1377, le peuple de Rome fait à son évêque, précédé par Catherine de Sienne, un accueil triomphal.

Signalons aussi Brigitte de Suède. Veuve avec huit enfants, morte en 1373 à 70 ans, elle a également oeuvré auprès du pape d'Avignon pour l'unité de l'Église.

Plus près de nous, voici encore une jeune fille illettrée mais inspirée : Jeanne d'Arc. Son aventure exceptionnelle, qui mêle foi religieuse, mysticisme et patriotisme, ne peut se comprendre que dans cette période où la foi et le surnaturel apparaissent dans l'ordre des choses.

À la mort de Charles VI le Fou, en 1422, la France est une mosaïque de territoires. Les uns sont soumis aux Anglais, les autres à leurs alliés Bourguignons, les derniers au Dauphin, futur Charles VII, héritier légitime du royaume, en passe de perdre son trône. C'est alors que sort de l'anonymat une jeune fille qui se dit destinée à chasser les Anglais de France.

Quand Jeanne Darc se présente à Chinon devant le dauphin Charles, personne ne semble prêt à parier sur cette paysanne, née dix sept ans plus tôt à Domrémy, sur les bords de la Meuse (dans le département actuel des Vosges), dans le ménage d'un laboureur aisé. Dans un premier temps, Jeanne rend confiance au dauphin et le convainc de la laisser rejoindre l'armée qui s'apprête à délivrer Orléans, assiégé par les Anglais. Là-dessus, avec un rare sens politique, Jeanne s'oppose aux conseillers de Charles qui voudraient poursuivre leur avantage et convainc le souverain de se faire sacrer sans attendre à Reims pour consolider sa légitimité. Mission accomplie : le « petit roi de Bourges » devient par la vertu de l'huile sainte Charles VII, héritier légitime de la dynastie capétienne. En témoignage de reconnaissance, il l'anoblit ainsi que sa famille le 24 décembre 1429 (son nom, Darc, devient dès lors d'Arc). Mais, capturée le 23 mai 1430 par les Bourguignons, elle finit brûlée vive par les Anglais le 30 mai 1431 à Rouen, sans que cela n'arrête la marche victorieuse de Charles VII ni n'altère sa popularité auprès du peuple. Elle éblouit même la docte Christine de Pisan, recluse dans une abbaye :
« Moi, Christine, qui ait pleuré
Onze ans en abbaye close (...)
Ore à prime me prends à rire... »
.

Catherine, Brigitte, Jeanne et quelques autres moins connues témoignent d'un temps où une jeune femme analphabète pouvait devenir la confidente des papes et des rois, où le surnaturel apparaissait dans l'ordre des choses, où une foi intense impressionnait davantage que le niveau d’instruction... Il s'écoulera près de six siècles avant que l'on revoie une adolescente anonyme capable d'interpeller les grands de ce monde et de mobiliser les foules. Nous voulons bien sûr parler de la jeune Suédoise Greta Thunberg !

Jeanne d'Arc à cheval, miniature issue de La vie des femmes célèbres, d'Antoine Dufour, environ 1505, musée Dobrée, Nantes.

Changement d'époque

L'égalité de statut entre les hommes et les femmes, qui semblait à peu près admise au XIIIe siècle, n'apparaît plus aussi évidente au XIVe siècle, à la fin du Moyen Âge.

Le Décameron de Boccace, après 1410, Bibliothèque de l'Arsenal, Paris.Affaire de circonstances et de moeurs : si la société féodale reconnaît assez facilement les droits des épouses, des veuves et des héritières, si l'Église fait une place aux femmes par nécessité ou par intérêt, les clercs séculiers et le monde intellectuel des villes se montrent par contre beaucoup plus fermés.

Apparues à la fin du XIIe siècle, les Universités de Bologne, Paris ou encore Oxford s'émancipent peu à peu de la tutelle de l'Église sous la pression des clercs séculiers qui enseignent en chaire.

Elles deviennent des citadelles masculines, aucune femme n'étant habilitée à étudier, encore moins à enseigner, mais n'en restent pas là.

À Paris, centre universitaire le plus éminent d'Europe, la faculté de médecine essaie dès le XIVe siècle d'interdire l'exercice de la médecine à toutes les femmes. C'est le début d'un mouvement souterrain qui va complètement évincer les femmes des fonctions publiques au XVIe siècle et tenter de les renvoyer à leur vocation de potiche.

Publié ou mis à jour le : 2022-08-10 09:06:36
Marthe.velghe-38596 (09-03-2018 10:33:48)

Il faut également citer Georges Duby et ses ouvrages .

HORATIO (01-12-2017 13:08:34)

À Pierre Brivot, Votre "encensement" de la "civilisation française" est tout-à-fait mal venu. En effet, chez les vikings sur leurs terres en Scandinavie, au VIIe - XIe siècles, la femme était pr... Lire la suite

kourdane (08-03-2017 17:20:16)

qu'est ce que la civilisation française ? de -600 à -52 av JC la Gaule était habitée par des tribus gauloises diverses, ensuite ce fut une époque gallo romaine jusqu'au 5 ème siècle pour dévou... Lire la suite

aldo (06-03-2017 19:09:00)

magnifique article à lire et à relire,merci

Pierre Brivot (06-03-2017 14:15:37)

Article fouillé, vraiment intéressant, on pourra cependant reprocher certaines injustices. Une référence, qu’on eût eu plaisir à retrouver reste en la matière Régine Pernoud : presque tous... Lire la suite

niki (06-03-2017 10:04:15)

article fort intéressant - merci beaucoup

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