Dans la plus grande partie du monde, les femmes sont sous-représentées dans les filières scientifiques et techniques. Typiquement, le métier d’ingénieur est plutôt exercé par des hommes alors que celui d’infirmier est largement féminisé.
On pourrait s’attendre à ce que dans les pays les plus avancés en matière d’égalité des sexes, notamment les pays scandinaves, les femmes et les hommes fassent des choix similaires. Il n’en est rien si l’on en croit des travaux récents. Les femmes de ces pays tendent à se détourner des filières scientifiques et techniques (hors sciences de la vie) et c’est au contraire dans les pays émergents que les femmes se tournent le plus volontiers vers ces filières !
Cette découverte soulève des questions passionnantes autant que polémiques sur les disparités professionnelles entre femmes et hommes : résultent-elles de la génétique et de la biologie ou sont-elles le produit de l’éducation et des stéréotypes ou préjugés de genres ?...
NB : ce texte d’André Larané est tiré d’une enquête du statisticien Cyrille Godonou qui recense de façon exhaustive les travaux relatifs au « paradoxe norvégien » ou « gender equality paradox ».
Le « paradoxe norvégien » : les femmes libres dédaignent les sciences dures
L’intérêt pour les orientations professionnelles sexuées vient du fait qu’on les juge pour partie à l’origine des écarts de rémunération entre femmes et hommes. Il est ainsi admis que les femmes seraient insidieusement orientées vers les métiers les moins rémunérateurs ou que les métiers en voie de féminisation comme celui d’enseignant tendraient à être de moins en moins bien rémunérés.
Le paradoxe des inégalités sexuées éclaire cette discussion d’un jour nouveau. Il vient du constat suivant lequel plus un pays promeut l’égalité des sexes (c’est le cas des pays scandinaves et tout particulièrement de la Norvège), plus les choix d’études et de carrière apparaissent genrés. En d’autres termes, plus il y a égalité d’opportunités, plus la répartition des emplois apparaît polarisée du point de vue des sexes.
Ce paradoxe (en anglais : « gender equality paradox ») est parfois aussi désigné comme étant le paradoxe de l’inégalité de genre, le paradoxe norvégien ou le paradoxe scandinave. Il a été mis en évidence en 2018 par les chercheurs Gijsbert Stoet et David Geary (source).
Ils ont mis en relation deux indicateurs relatifs à 67 pays :
- Le degré d’égalité entre femmes et hommes mesuré à partir d’un indicateur composite qui prend en compte l’espérance de vie, l’éducation, la participation au marché du travail, la représentation au Parlement, etc. : l’« Indice mondial de l'écart entre les genres » ou Global Gender Gap Index (GGGI). Cet indicateur qui place le Rwanda au niveau du Royaume-Uni et l’Afrique du sud au niveau de la Suisse reste très perfectible mais c’est le seul dont on dispose sur le sujet qui nous occupe.
- Les performances des garçons et des filles en sciences, maths et lecture (compréhension de l’écrit) d’après les données du Programme international pour le suivi des acquis des élèves (PISA, 2015).
Les deux chercheurs ont ainsi observé que les filles surpassent très largement les garçons en compréhension de l’écrit cependant que les garçons les surpassent en maths et en sciences dans quasiment tous les pays. Ces différences pourraient expliquer pourquoi les garçons sont plus susceptibles que les filles de choisir une carrière dans les filières STEM (acronyme anglais pour « sciences, technologies, ingénierie et mathématiques »).
La part relative de femmes parmi les étudiants en sciences (STEM) dépasserait les 35 % en Indonésie, en Turquie, aux Émirats arabes unis, en Tunisie, au Vietnam, en Albanie et même 40 % en Algérie. À l’inverse, elle serait inférieure à 30 % au Danemark et même à 25 % en Suède, en Finlande et en Norvège suivant des données de 2015.
Les chiffres de la Banque mondiale établis à partir d’une source UNESCO font apparaître des chiffres quelque peu différents de Stoet et Geary mais des tendances concordantes en 2019. La part de femmes au sein des diplômés en STEM s’élève ainsi à 58% en Algérie, 56% à Oman, la moitié en Syrie et à plus de 45% au Soudan et au Maroc. Elle est même de 61% en Birmanie et de 55% au Bénin. Mais, cette part n’est que de 29% en Norvège, 36% en Suède et 27% en Finlande. Elle est plus élevée en Arabie saoudite qu’en France ou en Allemagne !
Ce paradoxe des inégalités sexuées suggère que les étudiantes des sociétés patriarcales ou pauvres s’orientent vers les sciences dures en raison de contraintes matérielles qui les obligent à maximiser leur revenu et aussi en raison d’un statut mieux assuré qui leur garantit une relative liberté.
À l’inverse, dans les sociétés égalitaires et riches, dotées d’un État-providence, elles sont plus libres d’opter pour les métiers correspondant à leurs aspirations. C’est ainsi que les étudiantes scandinaves et plus généralement occidentales vont privilégier les métiers traditionnellement associés au langage et à la féminité (les métiers de soin, de communication, d’éducation) au risque de renforcer les stéréotypes de genre.
Stéréotypes de genre et choix d’opportunité
Notons que la spécialisation sexuée est à l’œuvre même quand les filles ont au lycée de meilleurs résultats en science que les garçons, comme c’est le cas en Finlande. En France, certains travaux montrent aussi que les diplômées des grandes écoles scientifiques (normaliennes, polytechniciennes) font le choix délibéré de poursuivre dans la voie qui les intéresse plutôt que dans une voie réputée plus prestigieuse (source).
On peut voir dans ce phénomène une préférence innée des femmes pour des métiers aussi peu que possible techniques et matheux. On peut aussi y voir un calcul d’opportunité : nombre de lycéennes très performantes dans les matières scientifiques peuvent se détourner des STEM car elles ont dans les matières non scientifiques (compréhension de l’écrit, expression orale, maniement des idées) un avantage plus grand encore sur les garçons. Elles subodorent qu’elles auront donc plus de facilité à s’affirmer dans les filières non scientifiques et plus spécialement non techniques.
On peut ainsi comprendre qu’il y ait en France en 2021 seulement 24 % de femmes chez les ingénieurs en activité et 28 % dans les dernières promotions selon l’enquête nationale d’IESF (Ingénieurs et Scientifiques de France) publiée en juin 2021.
À côté de cela, on compte désormais une majorité de femmes dans le corps médical. 71% des juges français sont aussi des femmes (il n’y en avait aucune avant 1946 sans que cela scandalise quiconque !). Mais comme beaucoup de femmes, les magistrates peinent à accéder aux échelons supérieurs. On en compte seulement quinze parmi les 37 premiers présidents de cour d’appel. C’est que ces postes requièrent une grande mobilité et les femmes, bien plus que les hommes, rechignent à déménager et laisser les enfants à leur conjoint.
S’il est un secteur dominé par les femmes, c’est l’enseignement. Le premier degré (écoles primaires) compte 84% de femmes et le second degré 58%. Mais la proportion de femmes décroît à mesure que l’on monte dans la hiérarchie. Elles sont 53% chez les agrégés et 38% chez les professeurs de chaire supérieure. Notons dans l’enseignement lui-même une forte différentiation selon les disciplines : on compte 68% de femmes en biologie, 60% en chimie mais seulement 32% en mathématiques, 23% dans les filières technologiques ou encore 19% dans l’informatique.
Paradoxe dans le paradoxe : concluons avec l’OCDE (À la loupe, février 2019#93) que « pour garantir une meilleure représentation des femmes dans les carrières scientifiques, il peut s’avérer tout aussi important de lutter contre la sous-performance des garçons en compréhension de l’écrit que de soutenir la performance des filles dans les matières en rapport avec les STEM et leurs attitudes à leur égard ! »
En marge du paradoxe norvégien qui se rapporte aux débouchés de l'enseignement supérieur, le salaire des femmes fait l'objet de débats récurrents. Une étude de l'INSEE (5 mars 2024) indique qu'en France, en 2022, le revenu salarial moyen des femmes était inférieur de 23,5 % à celui des hommes dans le secteur privé, cet écart s’expliquant en partie par le temps partiel. À temps de travail identique, l'écart se réduit à 14,9 %, en diminution de dix points depuis 1995. Cet écart s'expliquant surtout par la répartition sexuée des professions : les femmes n’occupent pas le même type d’emploi et ne travaillent pas dans les mêmes secteurs que les hommes et accèdent moins aux postes les plus rémunérateurs.
À poste comparable, c’est-à-dire à même profession exercée pour le même employeur, l’écart de salaire en équivalent temps plein se réduit à 4%.
Notons aussi, pour être juste, que certaines disparités professionnelles ne soulèvent aucune contestation...
Elles se rapportent aux métiers les plus dangereux, lesquels sont masculins à une écrasante majorité ainsi qu'en témoignent les chiffres ci-contre qui viennent du Bureau américain des statistiques du travail et présentent le taux de masculinité des vingt métiers les plus dangereux d'après le nombre d'accidents mortels pour cent mille travailleurs.
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Voir les 4 commentaires sur cet article
sivispace (10-04-2024 18:03:20)
Comme le dit Francis : "la nature reprend ses droits". Si vous osez dire publiquement que les hommes et les femmes sont différents, vous mettez votre santé en danger ! La mode de pensée actuelle ... Lire la suite
Francis (11-03-2024 07:30:56)
Que de triturations mentales inutiles, études et contre études .... Les conclusions de ces soi-disant études sont toujours orientées suivant l'opinion de l'auteur, autrement dit, on peut conclure... Lire la suite
Yuki (10-03-2024 13:02:05)
Merci pour ce compte-rendu très éclairant.