Du dernier rang

Les femmes et l'Église

En partant de la situation des femmes, au sein et hors de l’Église, l’historienne Lucetta Scaraffia trace les contours d’une crise sans précédent des relations entre les sexes.

Crise à laquelle l’Église pourrait apporter une réponse satisfaisante... à condition de puiser dans le message « féministe » du Christ et sa propre histoire. Une voie malheureusement inenvisageable tant les autorités de l’Église semblent emmurées dans des positions dogmatiques.

<em>Du dernier rang</em>

Lucetta Scaraffia s’appuie sur sa participation, en qualité « d’auditrice désignée » à la seconde session du synode sur la famille réalisé en 2015, pour développer son propos.

Elle y constate « l’ignorance désinvolte » des cardinaux, se posant en défenseurs d’une famille catholique définie comme « naturelle » et donc immuable. Une ignorance de l’histoire du christianisme qui « stupéfie » et « attriste » l’auteure.

Car cette prétendue famille « naturelle » est née durant le concile de Trente, au milieu du XVIe siècle, moment où les pères de l’Église définissent officiellement le mariage comme un sacrement.

Invention capitale, estime Lucetta Scaraffia, puisqu’elle « a permis l’épanouissement de la révolution industrielle, en assurant assistance aux personnes âgées et aux malades, en en supportant les privations pour faire étudier les enfants. » Pourquoi cet héritage reste-t-il sous le boisseau ? Tout simplement parce que « personne ne connaît plus l’histoire, considérée comme un fardeau mnémotechnique inutile. »

L’Église a aussi peur, en reconnaissant la famille comme produit historique, d’affaiblir sa « force normative et d’en faire l’objet de critiques et de propositions de changement. » Or, rétorque l’auteure, l’histoire pourrait être utile à l’Église pour mieux faire comprendre ses positions. Et c’est oublier que le christianisme se fonde sur la croyance en l’Incarnation, autrement dit, qu’il est pleinement enraciné dans l’histoire.

Un monde masculin replié sur lui-même

Cette attitude tient à un événement historique : la suppression, en 1873, des facultés de théologies dans les Universités d’État en Italie, ce qui ne fut pas le cas dans les pays de langue allemande ou anglaise.

Les intellectuels catholiques se sont repliés sur eux-mêmes, évitant toute confrontation avec le monde laïc, au point d’ignorer Claude Lévi-Strauss ou René Girard, et de créer une anthropologie qui s’occupe de la définition de l’être humain, sans aucun rapport donc avec l’anthropologie telle que la conçoit le monde laïc, qui étudie les différents modèles culturels humains !

Cet enfermement, couplé à une tendance permanente à éviter les analyses critiques au profit d’une « parole positive », ont contribué à ce que la question féminine ne soit jamais abordée…

Dans l’Église, les femmes sont reléguées à des rôles marginaux et ne sont jamais écoutées, exclusion qui va de pair avec la « continuelle exaltation du génie féminin » dont l’Église réussit très bien à se passer pour rester « enfermée dans un monde masculin replié sur lui-même ».

Et pourtant, l’histoire de l’Église ne manque pas de femmes de premier plan telles que Hildegarde de Bingen ou Catherine de Sienne qui prêchaient dans les cathédrales et étaient écoutées !

Et Lucetta Scaraffia de rappeler que le christianisme est la première religion à accorder la même valeur spirituelle aux femmes et aux hommes ainsi que les mêmes droits et devoirs dans le mariage, ce qui lui a valu d’attirer de nombreuses femmes aisées dès les premiers siècles.

Mais un renversement a eu lieu au début du XXe siècle, précisément lors de l’émancipation féminine dans les sociétés occidentales, mouvement que l’Église avait pourtant et paradoxalement favorisé en prônant l’égalité spirituelle des sexes !

Les femmes dans une impasse

Au fil de ses réflexions, Lucetta Scaraffia finit par analyser la condition actuelle des femmes. Elle constate d’emblée que l’Église se trompe : c’est l’émancipation des femmes et la révolution sexuelle qui ont porté le coup de grâce à la famille traditionnelle, et non l’individualisme, fût-il exacerbé.

Elle en vient ensuite au désarroi dans lequel vivent les femmes. Car les utopies qui ont débouché sur la pilule contraceptive puis la « révolution sexuelle » ont échoué. D’un côté, les enfants « désirés » n’ont pas fait émerger une humanité meilleure ; de l’autre, la sexualité libre n’a pas débouché sur la félicité tant promise.

Pour autant, le bilan n’est pas totalement négatif. Le sexe et la sexualité ne sont plus des sujets tabous et le « manteau de moralisme » qui faisait dépendre la moralité d’une femme de son comportement sexuel ont disparu. De même, la stigmatisation des filles-mères et des homosexuels n’est plus de mise et les violences faites aux femmes sont désormais condamnées.

Reste que les femmes se trouvent dans une impasse. Elles sont en effet « souvent amenées » à vivre une sexualité modelée sur celle des hommes, ont du mal à devenir mères et voient leur santé altérer par un traitement hormonal permanent. Sur la question de l’avortement, Lucetta Scaraffia ne condamne pas sa dépénalisation mais conteste sa transformation en « bannière de la liberté ».

Elle regrette aussi, à l’instar du sociologue Luc Boltanski, que sa légalisation ait réintroduit une différence entre les « êtres humains non-acceptés » et les « êtres humains acceptés », donnant à la femme une « souveraineté sur la création de nouveaux êtres humains ».

Très opportunément, l’auteure rappelle aussi que Paul VI est devenu le « pape de la pilule » alors qu’il prônait des méthodes naturelles pour réguler les naissances, les seules à même « de ne pas séparer la sexualité de la procréation et donc de ne pas troubler l’équilibre hormonal naturel de la femme. »

De nombreux jeunes ont entendu ce message et choisissent ces méthodes « pour ne pas se gaver d’hormones », qu’ils considèrent comme un danger pour eux-mêmes mais aussi l’environnement. Que fait l’Église ? Rien, hormis « réitérer des interdictions ».

L’ « inéluctable redéfinition des rôles »

Lucetta Scaraffia déplore les attitudes « abstraites » des deux parties en présence au synode, les « progressistes » jugeant inadmissible l’ingérence de l’Église et la hiérarchie ecclésiastique se réfugiant dans de « grands systèmes conceptuels » tout en restant sourde aux problèmes concrets des femmes.

Elle constate surtout que « la culture catholique (…) n’a pas encore été capable d’élaborer sa propre interprétation critique – mais équilibrée – de la grande transformation à laquelle on a assisté, sans refuser l’exigence que celle-ci exprime, à savoir de faire grandir la sphère de la liberté de l’être humain (…) qui doit être canalisé dans un sens positif et pas seulement repoussée comme un danger insensé. »

Un seul document, Mulieris dignitatem, aborde la question des femmes sous la forme d’une « (…) ode au génie féminin centré sur la maternité (…). » Cette « image idéalisée et romantique, incontestablement flatteuse » n’a cependant été suivie d’aucune « avancée concrète favorisant une présence moins sacrifiée des femmes dans la vie de l’Église », ni de la « moindre ébauche d’analyse sur ce que serait la différence masculine et en quoi elle consiste. »

Si les transformations en cours, qui prônent un effacement et une négation de la différence sexuelle, sont clairement condamnables, elles ne donnent lieu au sein de l’Église à aucun travail de réflexion « sur les transformations indispensables que la construction sociale des rôles sexuels doit aborder. »

Or c’est pourtant une opportunité unique. En effet, l’Église « peut beaucoup contribuer » à cette « inéluctable redéfinition des rôles en repensant la théorie de la complémentarité entre les sexes ».

Avec une grande lassitude, Lucetta Scaraffia regrette que l’Église n’ait « aucun rapport vivant avec son histoire » et continue d’avancer « sans confrontation avec le monde extérieur ». Et évidemment sans les femmes, « montrant ainsi qu’elle n’a aucune intention de réfléchir avec elles à l’image de Dieu ».

Que faire ? Lucetta Scaraffia appelle l’Église à reprendre contact avec ses origines féministes et à « comprendre que l’ouverture aux femmes n’est que l’accomplissement de l’ancien message évangélique ». Sera-t-elle entendue ? Son propre diagnostic sur l’Église indique clairement que non.

Vanessa Moley
Publié ou mis à jour le : 2019-04-30 15:45:51
Quid (10-03-2018 20:44:58)

Quid de la vie sexuelle du Christ lui-même?

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