Pie VII n’est connu que par quelques anecdotes et son portrait par David. Il n’empêche que ce pape réputé pour sa douceur a négocié le Concordat de 1801 avant de devenir l’un des principaux résistants à Napoléon Ier, au point de perdre la liberté et manquer perdre la vie. Une forte personnalité qui inaugure une nouvelle figure pontificale…
Un moine des Lumières
Le futur souverain pontife est né le 14 août 1742 à Cesena, en Romagne sous le nom de Barnaba Chiaramonti, dans une famille de petite noblesse. À 8 ans il perd son père, et est élevé par une mère très pieuse qui finira sa vie comme carmélite. Il prend l’habit de novice à 14 ans à l’abbaye bénédictine de Cesena, Santa-Maria del Monte, et choisit le nom de Gregorio par lequel il sera désormais désigné.
L’abbaye, qui fait partie de la Congrégation du Mont-Cassin, offre au nouveau moine l’opportunité de poursuivre sa formation dans les meilleures abbayes bénédictines. Il devient docteur en théologie à Padoue avant d’aller enseigner à Parme. Là, il a l’opportunité de rencontrer le philosophe Étienne de Condillac. Ouvert aux idées des Lumières (dico), il abonne la bibliothèque de son abbaye à l’Encyclopédie de Diderot. Enfin, le voilà à Rome.
Chiaramonti est ordonné prêtre en 1765 et, dix ans plus tard, le 15 février 1775, il a la satisfaction de voir le cardinal Giannangeli Braschi accéder au trône de Saint Pierre sous le nom de Pie VI. Sa famille et celle du nouveau pape sont voisines et s’apprécient, ce qui lui vaut d’obtenir à 42 ans le siège épiscopal d’Imola, près de Bologne, et d’être fait cardinal.
Quand, de l’autre côté des Alpes, monte l’agitation révolutionnaire, le pape Pie VI reste coi. Il tarde à réagir quand les députés français votent la Constitution civile du clergé et ne la condamne que le 23 juillet 1790, ce qui entraîne une scission au sein du clergé français. Le pape doit aussi renoncer au Comtat Venaissin et à Avignon.
Enfin, voilà qu’en 1796, les armées de la République française franchissent les Alpes sous la conduite du général Bonaparte. Imola est occupée par les troupes françaises. Soucieux de protéger ses fidèles, Chiaramonti reconnaît lors du sermon de la messe de Noël 1797 que la religion catholique ne s’oppose pas à la forme démocratique du gouvernement et termine par : « Soyez de bons chrétiens et vous serez d’excellents démocrates ». Cela lui vaut d’être dénoncé comme évêque jacobin au départ des Français.
En février 1798, prenant prétexte de la mort du général Duphot dans une manifestation, les troupes françaises entrent à Rome. Pie VI, qui a alors 80 ans, est aussitôt incarcéré puis traîné de ville en ville jusque dans la citadelle de Valence où il meurt d'épuisement le 29 août 1799. Entretemps, le général Berthier proclame le 15 mars 1798 une République romaine en lieu et place des États pontificaux.
Le conclave appelé à désigner le successeur du pape martyr se réunit à Venise le 30 novembre 1799, dans le monastère San Giorgio Maggiore, sous la protection autrichienne. Il voit s'affronter les cardinaux intransigeants sur les droits du Saint-Siège et de l'Église et ceux en quête d'accommodement avec les pouvoirs séculiers et notamment ouverts aux revendications autrichiennes sur les Trois Légations, de Bologne, Ferrare et Romagne, cédées à la France par le traité de Tolentino. Il faudra en conséquence pas moins de trois mois pour obtenir les deux tiers de voix nécessaires à la désignation du nouveau pape.
Finalement, les premiers acceptent que les seconds choisissent un candidat dans leurs rangs. C’est ainsi que Chiaramonti est élu à l’unanimité le 14 mars 1800, avec le concours du secrétaire du conclave, un diacre romain, Ercole Consalvi, dont il fera un cardinal et son secrétaire d'État. Il prend le nom de Pie VII pour honorer son prédécesseur, le pape martyr, et signifier son intention de résister lui aussi aux révolutionnaires et libres-penseurs quels qu'ils soient.
Le 14 juin 1800, Bonaparte, devenu Premier Consul, vainc l’armée autrichienne à Marengo. Maître de l’Italie comme de la France, Il refonde deux Républiques dans le nord de la péninsule, mais abandonne l’idée d’une République romaine. Pour témoigner du changement de cap à venir, il fait célébrer un Te Deum dans la cathédrale de Milan le 18 juin et laisse Pie VII rentrer à Rome le 3 juillet 1800.
Bonaparte et Pie VII, deux forts tempéraments
Soucieux de restaurer la paix civile en France, le Premier Consul veut mettre un terme aux dissensions religieuses et dès le 25 juin, à Verceil (Piémont), il confie au cardinal Martiniana son désir de négocier avec le pape. Pie VII trouve là une occasion inespérée de se débarrasser du gallicanisme (dico) et de rétablir une Église de France « catholique romaine ».
S’ouvrent alors des négociations entre les diplomates : d’un côté Mgr Spina, archevêque de Corinthe, puis le cardinal Consalvi, de l'autre l’abbé Bernier, ancien chef vendéen rallié à Bonaparte. Le Saint-Siège accepte que la perte des biens nationaux soit compensée par « un traitement convenable » versé aux évêques et curés.
Pie VII demande à tous les évêques de démissionner, aussi bien les évêques « jureurs » (qui ont accepté la Constitution civile du clergé contre l’avis de Rome) que les évêques demeurés fidèles à Rome ! Ils seront remplacés par 60 nouveaux évêques choisi par le Premier Consul et auxquels le pape donnera l’investiture apostolique, fussent-ils d’anciens constitutionalistes.
Plus délicate est la question du statut du catholicisme. Rome veut une « religion d’État », ce que la République refuse. Le cardinal Consalvi, secrétaire d’État, accepte finalement qu’il soit défini comme « la religion de la grande majorité des Français […] et celle professée par les Consuls. » Mais l’ambiguïté subsiste concernant la liberté de culte et son encadrement par la police.
Le Concordat est enfin signé le 15 juillet 1801 et ratifié par Pie VII le 15 août. Mais les militaires, anticléricaux, voire athées, s’y montrent hostiles, de même que les membres du Sénat et du Corps législatif.
Bonaparte profite pour adjoindre au texte des « Articles organiques » sur une suggestion de son ministre des Affaires étrangères, Talleyrand, ancien évêque d'Autun. Rédigés par le ministre des Cultes Jean-Étienne Portalis, ces 77 articles débouchent sur une sévère limitation du pouvoir du Saint-Siège sur le clergé national.
Malgré cette entourloupe contre laquelle proteste en vain le pape, le texte, auquel est adjoint un règlement des Églises protestantes, est voté et promulgué par le Corps législatif le 18 germinal an X (8 avril 1802) sous le nom de Loi des Cultes.
Notre-Dame de Paris est rendue au culte catholique pour l’occasion, très précisément pour la fête de Pâques de 1804.
Pour le pape comme pour le Premier Consul, l’essentiel reste le rétablissement de la paix religieuse en France.
Deux ans plus tard, s’étant attribué le titre d’Empereur des Français sous le nom de Napoléon Ier, Bonaparte souhaite être couronné par le pape, non pas à Rome comme Charlemagne mais à Paris même ! Pie VII accède à sa demande malgré les critiques de la Curie - le gouvernement de l’Église - car il espère en profiter pour renégocier les « Articles organiques ».
Après un voyage de vingt jours en novembre 1804, et un accueil très peu protocolaire à Fontainebleau. Sa rencontre avec le Premier Consul sera racontée plus tard par le poète Alfred de Vigny dans son recueil de nouvelles, Servitude et grandeurs militaires (1835)… sans garantie d’exactitude mais avec une belle emphase (« Commediante !... Tragediante ! »).
Là-dessus, le pape s’installe aux Tuileries pour se préparer à la cérémonie du sacre à Notre-Dame de Paris. Le sacre se veut grandiose mais marginalise le pape.
Si les symboles du pouvoir sont bénis, si Napoléon et Joséphine reçoivent bien l’onction des mains du pape, l’Empereur pose lui-même la couronne sur sa tête et couronne son épouse sous les yeux du Saint-Père, lequel s’enferme ensuite dans la sacristie pour ne pas assister à la prestation de serment de Napoléon, qui promet entre autres, d’appliquer le Concordat, y compris les 77 articles contestés par le Saint-Siège.
Le pape va après cela séjourner à Paris jusqu’au 5 avril 1805, et ne revenir à Rome que le 16 mai. Il profite de ce séjour pour prendre le pouls du pays et rencontrer des chrétiens ordinaires, dont beaucoup de femmes et d’enfants qui se pressent aux Tuileries ou sur son passage. Le pape visite aussi plusieurs institutions une douzaine de paroisses parisiennes ainsi que l’Institut des sourds-muets.
Un croquis pris sur le vif le montre « qui fait sa prière » à Saint-Étienne-du-Mont. Reproduit à grande échelle, il va donner du pape une image éloignée de la vision traditionnelle d’un prince de l’Église.
De la rupture au drame
De retour à Rome, le pape se voit critiqué par les membres de la Curie pour n’avoir obtenu aucune concession tant sur les 77 Articles que sur les revendications territoriales du Saint-Siège.
Les difficultés se multiplient après l’institution du Blocus continental le 21 novembre 1806. À Napoléon qui lui signifie : « Votre Sainteté est le souverain de Rome mais j’en suis l’Empereur », le pape répond que sa mission spirituelle lui interdit de prendre parti dans un conflit entre ses enfants. Pie VII est encouragé dans son intransigeance par le départ du modéré Consalvi et son remplacement au secrétariat d’État par le cardinal Bartolomeo Pacca. Qu’à cela ne tienne, l’empereur fait occuper les ports pontificaux.
Là-dessus, au sommet de sa puissance, Napoléon souhaite consolider son réseau d’alliances en Europe. Il veut pour cela marier son frère Jérôme à une princesse, Frédérique Catherine de Wurtemberg. L’ennui est que Jérôme est déjà marié à Elizabeth Patterson, fille d'un négociant de Baltimore rencontrée en 1803 lors d'une escale à New-York.
Conciliant sur les questions politiques mais intransigeant sur les principes religieux, Pie VII refuse d’annuler l’union. Napoléon, une nouvelle fois, se passe de son autorisation et fait célébrer le remariage de son frère en août 1807.
Enfin, le 21 janvier 1808, il ordonne au général Miollis d’occuper l’ensemble des États pontificaux. C’est chose faite le 2 février suivant. Mais la détermination de Pie VII ne fléchit pas.
Napoléon Ier prend le temps de s’occuper de l’Espagne, qui s’est soulevée, puis de l’Autriche, qui a repris la guerre. Il entre à Vienne et, le 16 mai 1809, par un décret impérial signé au palais de Schönbrunn, il annexe tout bonnement les États pontificaux à la France et la Ville éternelle devient le chef-lieu d’un nouveau département, le Tibre ! Le 10 juin 1809, le général Miollis fait hisser le drapeau tricolore sur le château Saint-Ange.
C’en est trop pour le Saint-Siège. Le cardinal Pacca convainc le pape de lancer le jour même une bulle d’excommunication contre « les usurpateurs, fauteurs, conseilleurs, adhérents, exécutants de cette violation sacrilège », mais sans mentionner nommément l’Empereur. Napoléon l’apprend dix jours plus tard. « Je reçois la nouvelle que le pape m’a excommunié. C’est un fou furieux qu’il faut enfermer, » écrit-il.
Croyant devancer ses désirs et craignant que les Romains ne se soulèvent, le général de gendarmerie Étienne Radet, chargé du maintien de l’ordre à Rome, prend les devants. Dans la nuit du 5 au 6 juillet 1809, il lance trois assauts simultanés sur le Quirinal, où réside le pape. Il entre lui-même dans la chambre du pape à 2 heures du matin, somme Pie VII d’abandonner ses États et sur son refus, l’arrête ainsi que le cardinal Pacca.
Le général fait conduire ses prisonniers à la Chartreuse de Florence, ancienne résidence surveillée de Pie VI, puis à Turin, mais comme il n’y a pas d’ordre impérial pour les accueillir, ils se retrouvent à Grenoble le 21 juillet 1809.
Le jour de l’arrestation du pape est aussi celui de la victoire de Wagram. Lorsqu’il apprend enfin cette arrestation dont il n’a jamais donné l’ordre formel, Napoléon écrit à son ministre de la Police Joseph Fouché : « Je suis fâché qu'on ait arrêté le pape, c'est une grande folie, il fallait arrêter le cardinal Pacca et laisser le pape tranquille à Rome ; mais enfin il n'y a point de remède, ce qui est fait est fait ». Il ordonne d’enfermer Pacca à la forteresse de Fenestrelle et d’installer le pape à Savone, sur le golfe de Gênes.
Le pape en captivité
Pie VII va rester prisonnier près de cinq ans. D’abord à Savone jusqu’en juin 1812. Là-dessus, nouveau départ pour Fontainebleau où il demeurera jusqu’en janvier 1814.
Ses conditions de vie matérielles demeurent toutefois confortables. À Savone, dans le palais de l’évêché, il est traité comme un prince et dispose d’une garde d’honneur. Il peut aussi célébrer la messe en public. Le préfet Chabrol de Volvic, qui a la responsabilité de le surveiller, se montre prévenant et courtois.
À mesure que se renforce sa domination sur l’Europe, l’Empereur ne met plus de limites à son hubris. Il décide rien moins que de transférer le Saint-Siège dans sa capitale ! Le 10 janvier 1810, son ministre des Cultes proclame que « le siège du gouvernement du Saint-Siège » est désormais fixé à Paris.
Les archives du Vatican sont aussitôt acheminées dans la capitale de l’empire, au siège de l’archevêché, derrière Notre-Dame de Paris, et celui-ci est en août 1810 reconnu officiellement comme le « palais du Pape à Paris ».
Ne se souciant pas de consulter le pape, Napoléon s’adresse à l’Officialité de l’archevêché de Paris, et obtient l’annulation de son mariage religieux avec Joséphine pour vice de forme. Mais le 2 avril 1810, quand le cardinal Fesch, oncle de l’empereur, célèbre le mariage de celui-ci avec Marie-Louise, il manque à la cérémonie treize cardinaux à l’appel. Napoléon est furieux contre eux car il craint qu'ils mettent plus tard en cause la régularité de son mariage et la légitimité de sa descendance. Il les envoie tous en résidence surveillée dans de petites villes de province en leur interdisant de porter la pourpre. Ce seront les « cardinaux noirs ».
À partir de là, à Savone, Pie VII n’est plus entouré que de prélats soumis à l’empereur. Il n’en garde pas moins le pouvoir d’investir – ou non - les évêques nommés par Napoléon. Il décide dès lors de suspendre les investitures à défaut de les refuser. Il s’ensuit que plusieurs dizaines de diocèses se verront bientôt dépourvus d’évêque !
Faute de pouvoir faire plier le pape, Napoléon décide de convoquer un concile. Le 17 juin 1811, 95 évêques, archevêques et cardinaux se réunissent à Notre-Dame de Paris, sous la présidence du cardinal Fesch. Mais c’est pour réaffirmer leur obéissance au Souverain Pontife. Après plusieurs semaines de discussions, une délégation s’en va à Savone demander au pape de faire quelques concessions. Celui-ci va dès lors délivrer des investitures au compte-goutte. Cela ne suffit pas à Napoléon qui est pressé et finit par se fâcher.
Suite à la fuite d’une lettre papale, la surveillance du pape à Savone est renforcée par la nomination du capitaine de gendarmerie Antoine Lagorsse qui restera le seul geôlier jusqu’à la fin, directement sous les ordres du ministre de la Police Savary. Les visites sont filtrées, les courriers ouverts à l’arrivée et interdits à la sortie, les chambres fouillées.
En juin 1812 enfin est décidé le transfert du pape de Savone à Fontainebleau. Le voyage s’avère très pénible. Pie VII est habillé en simple prêtre. Enfermé dans sa voiture, il voyage quasiment nuit et jour. Il souffre qui plus est d’une infection urinaire douloureuse.
À l’étape du Mont-Cenis, dans les Alpes, Dom Gabet, abbé de l’hospice, a la surprise de voir arriver le pape le soir du 9 juin, quasi-mourant dans une voiture rideaux baissés, entouré d’un escadron de gendarmes.
Le pape, alors âgé de 70 ans, reçoit les derniers sacrements et n’est sauvé que par Lagorsse qui, contrevenant aux ordres, fait venir un chirurgien et diffère le départ de deux jours.
Le pape mettra des mois à s’en remettre de l’épreuve. À Fontainebleau, il retrouve le somptueux appartement meublé pour lui lors du voyage de 1804 mais refuse de se rendre à la chapelle en guise de protestation.
De retour de Russie, affaibli mais pas vaincu, Napoléon choisit de se raccommoder avec Pie VII. Le 19 janvier 1813, à Fontainebleau, il va jusqu’à l’embrasser. S’ensuit un échange d’amabilités. Le dialogue est rétabli.
Le pape se laisse séduire et, le 25 janvier 1813, signe le « Concordat de Fontainebleau ». L’article 4 précise que « les six mois expirés sans que le Pape ait accordé l’institution, le métropolitain [archevêque] (…) procédera à l’institution de l’évêque nommé ». La querelle des investitures paraît se clore au bénéfice de l’empereur et, en retour, par l’article 10, celui-ci amnistie les « cardinaux noirs » et libère le cardinal Pacca.
Mais ce dernier se ressaisit. Dans le plus grand secret, il convainc Pie VII d’écrire une lettre de rétractation et la fait porter à l’empereur le 24 mars 1813. Napoléon est furieux mais ne peut plus guère sévir. Depuis la retraite de Russie, ses priorités sont sur le champ de bataille. Il fait promulguer dès le 29 mars le Concordat revisité de Fontainebleau et fait mine d’ignorer la rétractation du pape.
Le pape triomphe et pardonne
En octobre 1813, battu à Leipzig, Napoléon replie ses armées sur la France. Le pape devenant encombrant, il décide de le renvoyer à Savone.
Le voyage débute le 23 janvier 1814 sous la responsabilité de Lagorsse. Il est prévu de passer par Orléans, Brive et Toulouse, pour éviter la vallée du Rhône, trop papiste, mais dès Orléans, le pape est reconnu et fêté. On essaie de contourner les villes, de limiter les manifestations du clergé, d’interdire celles des municipalités mais ces efforts demeurent vains. Les foules se pressent sur le passage du convoi et les préfets se rendent au-devant du pape… Il est vrai que le vent a tourné.
Le voyage se termine en apothéose à Savone le 16 février. Le geôlier reconnaît dans son dernier rapport que « si le pape eût voulu se débarrasser de moi avec ou sans violence et donner à sa route la direction qui lui eût convenue, nulle force, nulle puissance ne l’eût empêché. »
Napoléon ayant perdu l’Italie, rend sa liberté au pape, en le remettant aux autorités autrichiennes occupantes, le 25 mars 1814 près de Parme. Douze jours après, Napoléon fait ses adieux à Fontainebleau, tandis que Pie VII traverse tranquillement ses États et arrive à Rome le 24 mai 1814.
Durant le bref épisode des Cent-Jours, le roi de Naples Murat menaçant de reprendre la ville, le pape prendra la fuite une dernière fois avant un retour définitif le 10 mai 1815.
Pour Pie VII, les aléas de l’Histoire et donc sa libération relèvent de la Providence divine. Aussi, pour témoigner de sa reconnaissance, institue-t-il la fête de Notre-Dame-Auxiliatrice en la plaçant le 24 mai, date de son premier retour.
Compatissant, il fait preuve d’une grande générosité vis-à-vis de la famille Bonaparte. En 1814 se retrouvent à Rome Madame Mère et son demi-frère le cardinal Joseph Fesch, mais aussi Lucien, Joseph et Pauline Bonaparte. Dès le « Retour de l’Aigle », tous repartent à Paris puis tous reviennent après Waterloo ! Sans rancune, le pape les accueille à nouveau. Il va même jusqu’à demander au cardinal Consalvi d’intervenir auprès des Anglais en faveur de Napoléon, pour « adoucir les souffrances d’un pareil exil. »
Le premier pape moderne
Libre, Pie VII va encore régner à Rome de 1814 à 1823, avec le concours du cardinal secrétaire d’État Ercole Consalvi. Celui-ci est un « politicano », un conservateur néanmoins ouvert aux temps nouveaux. Il obtient au Congrès de Vienne que les États pontificaux soient reconstitués dans leur intégralité.
De son côté, Pie VII, à Rome, doit donner des gages à une opinion publique soutenue par les cardinaux « zelanti », dont Pacca, qui veut effacer tout ce qui reste de l’occupation française. La Compagnie de Jésus est restaurée dès le 7 août 1814. Les couvents sont réouverts mais aussi le ghetto juif. L’artiste vénitien Antonio Canova négocie de son côté avec Dominique Vivant-Denon la restitution des œuvres d’art volées par les armées françaises.
Pie VII fut le premier pape véritablement populaire de l’Histoire. En rupture avec les siècles précédents, sa popularité a pris un caractère quasi-sacré, beaucoup de fidèles voyant dans le pape martyr « une relique vivante ». Ce sentiment s'est perpétué dans une bonne mesure jusqu'à nos jours.
On a pu le qualifier aussi de premier pape moderne. Moderne, il l’a été par son intransigeance et son souci de préserver l’autorité politique et spirituelle du Saint-Siège. Ses successeurs sont demeurés fidèles à cette ligne de conduite.
Bibliographie
Sur le pape Pie VII, on peut se reporter bien sûr à la biographie de l'auteur : Le pape prisonnier de l'empereur, Pie VII et ses geôliers (Salvator, novembre 2022, 236 pages, 23 euros).
Signalons aussi l'ouvrage de Jean-Marc Ticchi : Pie VII, Le pape vainqueur de Napoléon ? (Perrin, avril 2022, 382 pages, 23 euros).
La papauté moderne entre tradition et ouverture
Vos réactions à cet article
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Christian (15-04-2023 09:19:52)
Excellent article. C'est aussi l'occasion de nous rappeler le triste sort du pape Pie VI, octogénaire et très malade, qui avait demandé au général français venu l'arrêter la grâce de mourir à... Lire la suite
Vintotal (12-04-2023 15:05:48)
Cet article narratif est l'un des plus passionnants que j'ai eu la chance de lire sur ce site!