Le 14 juin 1800 (25 Prairial An VIII), Napoléon Bonaparte bat les Autrichiens près du village de Marengo, dans le Piémont italien. Cette victoire de justesse sauve son régime, le Consulat, et éloigne la perspective d'une restauration de la monarchie.
La paix manquée
Devenu Premier Consul quelques mois auparavant, par le coup d'État de Brumaire, Bonaparte veut clore la Révolution. Il redresse la France à coup de réformes hardies et tente d'établir une paix durable avec le reste de l'Europe. Mais ses offres de paix échouent. Il doit reprendre les armes et combattre la deuxième coalition qui rassemble depuis deux ans déjà l'Angleterre et l'Autriche. La Russie s'en est retirée après sa défaite à Zurich face à Masséna le 26 septembre 1799.
Le voilà contraint de faire face à deux armées autrichiennes, l'une se déployant en Allemagne avec 100 000 hommes sous le commandement du général baron Pál Kray, l'autre en Italie, avec 120 000 hommes sous le commandement du général Michael von Melas. Le Premier Consul laisse à ses généraux le soin d'engager l'offensive. L'armée du Rhin, 100 000 hommes sous le commandement du général Jean-Victor Moreau, meilleur chef militaire en-dehors de Bonaparte, multiplie les succès mais sans remporter de victoire décisive. Elle piétine dans sa marche vers Vienne. Quant à l'armée d'Italie, sous le commandement de Masséna, elle se laisse assiéger dans Gênes.
Laissant planer des doutes sur son objectif (L'Italie ou l'Allemagne ?), Bonaparte lève alors dans l'improvisation une « Armée de réserve » : 40 000 hommes, 6 000 chevaux, 40 canons. Le Premier Consul n'étant pas supposé commander une armée, celle-ci est placée sous le commandement de son ministe de la Guerre, le fidèle Berthier. Murat commande la cavalerie et Marmont l'artillerie. Mais Bonaparte lui-même se joint lui-même à l'armée, espérant renouveler les exploits de sa première campagne d'Italie en 1797. À Paris, il confie les affaires courantes à Cambacérès et le ministère de la Guerre à Carnot.
Le 14 mai 1800, le Premier Consul franchit avec son armée le col du Grand Saint-Bernard (2469 mètres), en Suisse, dans des conditions qui frappent de stupeur les contemporains : il y a plusieurs mètres de neige au col, et l'équipement de la troupe est radicalement inadapté. Les hommes doivent se transformer en bêtes de somme pour transporter le matériel. Qui plus est, l'armée est arrêtée pendant deux semaines par la résistance de 400 soldats autrichiens, au fort de Bard, dans le val d'Aoste.
Audace autrichienne
Le Premier Consul entre sans coup férir à Milan, coupant les liaisons entre Vienne et l'armée autrichienne du feld-maréchal Michael von Melas, qui assiège Gênes. Mais c'est trop tard pour l'armée de Masséna. Celle-ci a capitulé le 5 juin après une résistance remarquable. Elle bénéficie des honneurs de la guerre et Melas, désormais libre de ses mouvements, remonte à la hâte vers le nord avec 40 000 hommes.
Lannes, envoyé en avant-garde, bouscule le corps d'armée du général Ott à Montebello, bien qu'en infériorité numérique (14 000 Français face à 16 000 Autrichiens). Ce succès lui vaudra plus tard, en 1806, le titre honorifique de duc de Montebello, une petite ville à 60 kilomètres au sud de Milan.
Bonaparte se convainc alors que les Autrichiens vont battre en retraite. Il ne sait pas que le vieux Melas (71 ans) a décidé de jouer le tout pour le tout et de faire front à l'armée de réserve, dont les effectifs sont inférieurs aux siens (30 000 Autrichiens face à 22 000 Français).
Les Autrichiens choisissent le lieu de la rencontre. Ce sera près de la forteresse d'Alexandrie, dans la plaine du Pô, à mi-distance de Turin et Milan, où leurs forces sont en nombre. La bataille décisive se produit à Marengo. Elle débute mal pour les Français. Néanmoins, ils arrivent à se retirer en bon ordre grâce à la couverture des 900 grenadiers de la Garde consulaire.
À une heure de l'après-midi, Melas, blessé et fatigué, quitte le champ de bataille pour Alexandrie en vue de rédiger un bulletin de victoire.
La chance change de camp
Pendant ce temps, Bonaparte, se reprochant d'avoir dispersé ses forces, envoie un messager à son ami Desaix dont l'armée patrouille à bonne distance de Marengo.
Se guidant au son du canon, le général Louis Desaix surgit avec ses deux divisions (6 000 hommes au total) au début de l'après-midi, tandis que les Autrichiens se préparent à poursuivre les Français.
Il bouscule les Autrichiens sur leur flanc mais lui-même périt d'une balle en plein coeur au cours de la mêlée. On ne reconnaîtra sa dépouille qu'après la bataille, à ses longs cheveux torsadés.
Les grenadiers autrichiens s'apprêtent à reprendre l'offensive... Le général François-Étienne Kellermann (25 ans), fils du héros de Valmy, progresse non loin de là à la tête de 400 cuirassiers. Il voit le danger et, sans attendre les ordres, se lance à l'attaque avec ses cavaliers, une, deux, trois fois. C'est la panique dans les rangs autrichiens.
Les Français restent maîtres du champ de bataille avec un total de 6000 pertes humaines contre 9500 dans le camp autrichien.
Une chronique très certainement inventée raconte que, pour combler l'appétit du Premier Consul à l'issue de la bataille de Marengo, le cuisinier Dunand fit rassembler les maigres provisions collectées dans les villages voisins : poulet, oeufs, tomates, écrevisses, pain rassis, huile d'olive... Il fit rissoler le poulet dans l'huile puis le recouvrit de tomates et de vin blanc et laissa réduire la sauce. Pendant ce temps, il fit frire successivement dans la même poêle le pain, les oeufs et les écrevisses. Il servit les morceaux de poulet sur un lit de sauce, entourés du pain surmonté des oeufs et des écrevisses.
Le Premier Consul, qui avait l'habitude de manger vite et sans plaisir, prit cette fois son temps et ne cacha pas sa satisfaction. Il somma le cuisinier de renouveler sa recette, connue depuis lors sous le nom de « poulet Marengo ».
Dans les faits, c'est après coup que Dunand conçut sa fameuse recette (sans écrevisses). Le « veau Marengo » n'a pas plus à voir avec la bataille. Il a été inventé a posteriori par un cuisinier de la rue Montorgueil, à Paris, désireux de se faire une publicité à bon compte.
Un empire à la clé
Le lendemain soir, Berthier signe avec Melas la convention d'Alexandrie par laquelle l'Autrichien abandonne aux Français le Piémont, la Lombardie et la Ligurie.
Voilà donc une fin heureuse à une équipée peu glorieuse.
Bénéficiant malgré lui de la mort de son ami Desaix, tenant en lisière le malheureux Kellermann dont l'esprit d'initiative avait sauvé la journée, et dissimulant ses propres erreurs, Bonaparte va aussitôt arranger l'histoire à son avantage, en laissant croire qu'il a tout organisé, y compris sa propre retraite.
Son Bulletin de l'Armée de réserve du 26 Prairial (15 juin), qui préfigure les futurs Bulletins de la Grande Armée, flatte les soldats mais ne les trompe pas (« Menteur comme un Bulletin » ont-ils coutume de dire, selon Jean Tulard) :
« Quatre fois, pendant la bataille, nous avons été en retraite, et quatre fois nous avons été en avant. (...). Les grenadiers de la garde furent placés comme une redoute de granit au milieu de cette immense plaine ; rien ne put l’entamer. Cavalerie, infanterie, artillerie, tout fut dirigé contre ce bataillon ; mais en vain ; ce fut alors que vraiment l’on vit ce que peut une poignée de gens de coeur (...). On laissa avancer l’ennemi jusqu’à une portée de fusil du village de San-Giuliano, où était en bataille la division Desaix, avec huit pièces d’artillerie légère en avant (100) et deux bataillons en potence, en colonne serrée, sur les ailes. Tous les fuyards se ralliaient derrière. Déjà l’ennemi faisait des fautes qui présageaient sa catastrophe. Il étendait trop ses ailes.
La présence du Premier Consul ranimait le moral des troupes. « Enfants, leur disait-il, souvenez-vous que mon habitude est de coucher sur le champ de bataille. »
Aux cris de : « Vive la République ! Vive le Premier Consul ! », Desaix aborda au pas de charge et par le centre. Dans un instant, l’ennemi est culbuté. »
Avec Marengo disparaît la menace d'une nouvelle invasion de la France par le sud, mais la victoire française est insuffisante pour contraindre les Autrichiens à la paix. Les pourparlers s'éternisent à Lunéville, en Lorraine pendant l'automne. C'est seulement le succès inattendu du général Moreau à Hohenlinden, en Bavière, sur la route de Vienne, qui va contraindre l'archiduc François II à la paix.
La paix sera signée à Lunéville avec l'Autriche avant de l'être avec la Russie et l'Angleterre. Elle durera juste assez pour permettre à Bonaparte de devenir... Napoléon Ier, empereur des Français.
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pyrrhogaster (14-06-2020 18:12:02)
N'y a t il pas eu à Marengo un échange de propos que l'histoire a enregistrés ? Napoléon aurait dit (à peu près) "vous arrivez bien tard et la bataille est perdue"; Desaix répondant : "il est... Lire la suite
wanner (14-06-2013 20:31:01)
pouriez-vous nous donner l'histoire et la recette du veau ou dub poulet marengo?svp