1973-2023 : vers un nouvel ordre mondial

Le défi lancé à l’Occident (1973-1994)

Le 24 février 2022, la Russie a envahi un État souverain, l’Ukraine, sans prendre la peine de lui poser un ultimatum et lui déclarer la guerre comme on le faisait encore en août 1914. Bénéficiant depuis près de huit décennies d’un confort sans pareil et d’une sécurité quasi-absolue, les démocraties occidentales ont été révulsées par ces violences commises à leurs portes. Elles y ont vu un coup de tonnerre dans un ciel (relativement) serein et une réminiscence de pratiques d’un autre âge.

Pour le reste du monde, soit plus des deux tiers de l’humanité, cette guerre locale n’apparaît pas plus scandaleuse qu’une autre. Elle s’inscrit dans un basculement historique qui a débuté en 1973, il y a un demi-siècle très précisément, avec la contestation de  l’hégémonie occidentale pour  la première fois depuis… quatre siècles ! Les États-Unis ont repris la main vingt ans plus tard mais l’enlisement de l’OTAN dans les plaines d’Ukraine est en passe de briser leur élan et inaugurer une nouvelle ère.

Le Moyen-Orient à la croisée des mondes

À Yalta, en Crimée, du 4 au 11 février 1945, Roosevelt, Churchill et Staline s’entendent pour en finir avec le nazisme.  Sur le chemin du retour, le président américain fait une escale à Suez et rencontre le roi d’Arabie Ibn Séoud pour préparer le monde d’après-guerre.

Le champion de la Liberté promet à l’autocrate un soutien militaire et diplomatique sans faille en échange de pétrole à bas coût et en quantité illimitée. Il en résultera la société de consommation et son clinquant avec, en corollaire, le réchauffement climatique et la promotion de l’islam le plus rigoriste qui soit !

De leur côté, les États ouest-européens se relèvent rapidement de la guerre et se libèrent avec plus ou moins de bonheur du fardeau colonial. Mais en 1948, la création par l’ONU de l’État d’Israël engendre un foyer de crispation entre Occident et Orient. Vingt-cinq ans plus tard, il débouche sur le terrorisme palestinien et la guerre du Kippour : en octobre 1973, l’armée égyptienne traverse le canal de Suez et pénètre dans le Sinaï cependant que son alliée syrienne se rue sur le plateau du Golan.

Dammam n° 7, le premier puits de pétrole exploité en Arabie saoudite, le 4 mars 1938. Agrandissement : la Une de Paris Match lors du premier choc pétrolier de 1973.Afin de soutenir cette offensive, l’Arabie séoudite et les autres pays arabes exportateurs de pétrole décrètent un embargo et augmentent de concert le prix du baril. Avec ce premier choc pétrolier, les Occidentaux se voient défiés pour la première fois depuis…  leur victoire sur la flotte turque à Lépante en 1571.

Durant les quatre siècles qui séparent ces deux événements, jamais en effet des États extra-européens n’avaient osé s’en prendre de leur propre chef aux Européens de l’Ouest !

Sur l'heure, personne n’entrevoit ce basculement géopolitique. Les États-Unis paraissent toujours aussi puissants malgré leur échec au Vietnam. D’ailleurs, la flambée du prix du baril de pétrole fait les affaires des compagnies américaines autant sinon plus que des pays exportateurs et au Chili, Washington ne se gêne pas pour faire tomber le gouvernement de Salvador Allende et installer un régime plus conforme à ses vœux...

L’année suivante, c’est un nouveau défi qui est lancé par la Turquie  à l’Occident ! L’affaire se passe à Chypre, une île moyen-orientale grande comme la Corse, à moins de cent kilomètres de la Syrie et de la Turquie. Mgr Makarios, président de la République chypriote, est renversé en juillet 1974 par les officiers grecs de sa Garde nationale qui proclament aussitôt le rattachement de l’île à la Grèce.

Les Turcs envahissent le nord de Chypre en 1974.Les Turcs, prétextant une menace pour les habitants turcophones, envahissent aussitôt le nord de l'île. Ils procèdent à l'expulsion de 250 000 Grecs vers le sud et proclament en 1975 la formation d’un État autonome dans leur zone d'occupation.

En dépit de cette violation brutale du droit international, les Turcs n’ont eu à subir aucune sanction de l’Occident. L’Union européenne a avalisé le fait accompli en accueillant en son sein la République de Chypre et l’OTAN s’accommode encore et toujours de compter parmi ses membres un État-voyou, la Turquie, en situation de guerre avec pratiquement tous ses voisins et occupant militairement le territoire d’un État membre de l’Union européenne !

C’est que la Turquie détient un atout maître : située à la charnière de l’Europe et du Moyen-Orient, elle a une frontière commune avec l’ex-URSS et tient les Détroits par lesquels doit transiter la flotte soviétique/russe de la mer Noire. Aussi Washington et l’OTAN sont-ils prêts à avaler toutes les couleuvres pour maintenir la Turquie dans leur camp. Depuis cinquante ans, les dirigeants turcs le savent et en jouent sans scrupule : traque des Kurdes en Irak et en Syrie, étranglement de l’Arménie avec le concours de l’Azerbaïdjan, incursion dans les eaux grecques, tentative d’appropriation de l’espace méditerranéen oriental.

Toujours en 1975, les États-Unis connaissent l’humiliation d’une fuite précipitée de Saigon (Ho-Chi-Minh-Ville) qui met fin à leur intervention au Vietnam. Leur image commence à s’écorner dans le « tiers-monde » (ce que l’on appelle aujourd’hui « Sud global »).

Au Moyen-Orient, l’échec des leaders laïcs, tel l’Égyptien Nasser, ainsi que l’intervention des Soviétiques en Afghanistan ouvrent la voie aux prédicateurs islamistes. Ils laissent entrevoir une alternative à la modernité occidentale sous ses deux facettes, la démocratie libérale et le socialisme. C’est ainsi qu’en 1978 et 1979, l’Iran chiite et l’Arabie sunnite [AL1] basculent l’une et l’autre dans l’extrémisme religieux. À Pékin, pendant ce temps, sans que quiconque y prenne garde, Deng Xiaoping entreprend de liquider l’héritage calamiteux du président Mao.

Attaque de roquettes irakiennes sur Dezful, au sud-ouest de l'Iran, 19 décembre 1982, IRNA (Agence de presse de la République islamique).

Mais c’est encore au Moyen-Orient que se dessine le monde à venir.  En 1979, les États-Unis, mal remis de leur échec au Vietnam, connaissent une nouvelle humiliation avec la prise en otage de leur personnel d’ambassade à Téhéran par des étudiants iraniens. Aussi encouragent-ils l’année suivante l'Irak laïc de Saddam Hussein à attaquer l'Iran islamique de l'imam Khomeiny. Le dictateur irakien bénéficie aussi du soutien des Européens, des Soviétiques et bien sûr des autres pays arabes. L'Iran ne trouve pour seul allié que l'État d'Israël !

La guerre Irak-Iran durera huit ans et fera plusieurs centaines de milliers de morts. Comparable à la Première Guerre mondiale par sa violence et l’acharnement des belligérants, c’est aussi la première guerre d’agression délibérée depuis l’invasion de la Pologne par la Wehrmacht en 1939.

Saddam Hussein s’irrite en 1990 de ce que l'émir du Koweït refuse d'annuler une dette contractée par l'Irak pendant la guerre contre l'Iran ! Il convoque l'ambassadrice américaine à Bagdad et lui fait part de son intention d'envahir le Koweït. L'ambassadrice ne bronche pas. Dans le même temps, le Département d'État américain rappelle qu'aucun accord de défense ne lie les États-Unis au Koweït ! Le piège se referme.

Avions de l'US Air Force de la 4e escadre de chasse (F-16, F15) volant au-dessus de puits de pétrole koweïtiens en feu, incendiés par les forces irakiennes lors de leur retraite lors de l'opération Tempête du désert . Agrandissement : AMX-10 RC de la division Daguet durant l'opération Bouclier du désert le 6 août 1990.

L’invasion de l'émirat, le 2 août 1990, se déroule sans résistance notable si ce n'est l'incendie de quelques puits de pétrole. Mais le dictateur irakien est surpris par la violence des réactions internationales. Le Conseil de sécurité de l'ONU exige le retrait de ses troupes et ordonne le blocus économique et financier de l'Irak. À la tête de la coalition destinée à libérer le Koweït, les Américains vont saisir l’occasion pour installer une base en Arabie séoudite, au milieu des champs pétrolifères du Golfe Persique. Triomphant sans mal de l’armée irakienne, Washington se retient toutefois de renverser le dictateur. C’est afin d’étouffer lentement l’Irak, pendant la décennie qui va suivre, dans un embargo incluant même les livraisons de médicaments et de nourriture.

Dans les années 1990, sans rival depuis l’effondrement du communisme européen, les États-Unis apparaissent plus que jamais comme le « gendarme du monde ». Ils voient avec satisfaction les Européens renoncer aux lubies de la social-démocratie et se convertir à la mondialisation néolibérale. Le penseur Francis Fukuyama peut légitimement prédire le triomphe de la démocratie et la « fin de l’Histoire ». C’est oublier que celle-ci n’est pas écrite d’avance... [suite : Le sursaut américain (1995-2023)]


Épisode suivant Voir la suite
Batailles navales
Publié ou mis à jour le : 2023-09-13 13:28:31
Christian (14-09-2023 05:29:57)

L’enlisement de l’OTAN dans les plaines d’Ukraine ? C'est plutôt à l'enlisement des troupes russes qu'on assiste, sans parler du fait que Poutine, après s'être débarrassé de son ami Prigoj... Lire la suite

Respectez l'orthographe et la bienséance. Les commentaires sont affichés après validation mais n'engagent que leurs auteurs.

Actualités de l'Histoire
Revue de presse et anniversaires

Histoire & multimédia
vidéos, podcasts, animations

Galerie d'images
un régal pour les yeux

Rétrospectives
2005, 2008, 2011, 2015...

L'Antiquité classique
en 36 cartes animées

Frise des personnages
Une exclusivité Herodote.net