Institutions politiques

Le Parlement, bras armé de la souveraineté populaire

L'Ordre public, sculpture de James Pradier (1832, Palais Bourbon) La Liberté, sculpture de James Pradier (1832, Palais Bourbon)Ce n'est pas un hasard si, dans l’hémicycle du Palais Bourbon où siègent les députés, au coeur de Paris, deux statues, La Liberté et l’Ordre public, symbolisent respectivement depuis 1832 la résistance à la pression du pouvoir exécutif et l’opposition à l’insurrection populaire.

Bien que souvent décrié, le Parlement structure la vie politique française depuis plus de deux cents ans, en dépit d’une vie mouvementée au cours de laquelle il été pris en tenaille entre le pouvoir exécutif (Roi, Empereur ou président de la République) et le peuple qu’il représente...

Cette double emprise s’exerçait déjà en 1789 auprès de l’Assemblée nationale constituante qui dut trouver sa place entre le pouvoir du Roi et l’activisme des clubs et de la population parisienne, comme le rappelle Benjamin Morel (Le Parlement, temple de la République, Passés Composés, 2024)...

Jean-Pierre Bédéï

La France, entre la Liberté et l'Ordre public, appelant à elle les génies du Commerce, de l'Agriculture, de la Paix, de la Guerre et de l'Éloquence (Jean-Pierre Cortot, 1841, Haut-relief du Palais Bourbon, Paris).

Les députés s'imposent face à l'exécutif

Dès la Révolution émergent des questions qui jalonneront la vie du Parlement jusqu’à nos jours : la rétribution des députés, l’absentéisme, l’élaboration d’un règlement interne chargé d’organiser le fonctionnement de l’Assemblée. Surtout avec la prohibition du mandat impératif, « la théorie de la représentation sur laquelle vivrait tout le XIXe siècle et sur laquelle est fondée encore la légitimité parlementaire émergeait », selon Benjamin Morel.

La méfiance grandissante envers Louis XVI puis son arrestation conduisent l’Assemblée législative puis la Convention à s’arroger une « omnipotence parlementaire ». Mais celle-ci ne se traduit pas pour autant par une réelle efficacité. « L’installation de la Convention révéla un paradoxe : a priori omnipotente elle avait en réalité un pouvoir faible. À la tête d’une centralisation politique accomplie juridiquement, elle était incapable de s’imposer aux pouvoirs locaux et aux administrations », constate Benjamin Morel.

Sous la pression d’une Révolution qui s’emballe et du peuple, « peu à peu la Chambre concentra dans les mains de ses comités l’ensemble du pouvoir exécutif », souligne-t-il, au point que le « Parlement se dévora lui-même » par l’application de la Terreur.

À cette période d’hyperpuissance succède un « Parlement limité », du Directoire à Waterloo. Le nouveau régime instaure une division du pouvoir législatif afin d’éviter la concentration des pouvoirs dans les mains d’un seul organe. Ainsi naquirent le Conseil des Cinq-Cents qui proposait des lois, et le Conseil des Anciens constitué de membres plus âgés, d’au moins 40 ans, mariés ou veufs, qui votaient ou rejetaient les textes de l’autre Chambre.

L’esprit de ce bicamérisme, fondé sur la complémentarité entre l’inspiration, l’impulsion d’une part, et le recul et l’expérience d’autre part, subsiste de nos jours, puisque les sénateurs à la moyenne d’âge plus élevée que les députés estiment qu’ils font preuve de plus de tempérance que leurs collègues du Palais Bourbon.

Audience publique du Directoire, Alexis Chataignier (1772-1817), © Bibliothèque nationale de France Le Directoire tenait à préserver ses prérogatives, grâce à un pouvoir réglementaire renforcé qui lui accordait « un rôle crucial dans la conduite des affaires ». Les factions étaient prohibées, et les sièges étaient tirés au sort pour dissuader la formation de partis et de groupe. Ce qui n’empêcha pas l’existences de tendances politiques...

La période napoléonienne, marquée par un régime autoritaire s’appuyait sur trois Chambres aux pouvoirs dispersés : le Tribunat discutait les lois mais ne le votait pas, le Corps législatif votait les lois sans les discuter, le Sénat contrôlait la conformité des lois à la Constitution et sélectionnait les membres des autres assemblées…

Autant dire que cette architecture complexe à laquelle fut rajoutée le Conseil d’État chargé d’assister le Tribunat, privait le Parlement de toute initiative législative qui revenait au gouvernement, c’est-à-dire à Napoléon. Quant à sa composition, elle relevait plus de la désignation de notables que d’une véritable élection dont le peuple était tenu éloigné.

Il faut attendre la Restauration pour que s’ouvre une longue séquence d’un siècle, jusqu’à 1918, qui consacre le « sacre du Parlement ». « Le XIXe siècle va voir s’imposer le fait parlementaire », écrit Benjamin Morel, bien que cette période soit traversée par de nombreux régimes : Restauration, IIe République qui supprime le bicamérisme au profit d’une Assemblée nationale unique de 900 membres, Second Empire qui considérait les Chambres comme des soutiens du pouvoir, puis IIIe République qui instaura un régime vraiment parlementaire.

« Pourtant cette période fut fondatrice. Loin de la créativité institutionnelle de la Révolution et de l’Empire, les régimes politiques qui se succédèrent adoptèrent des formes similaires quant à l’organisation de leurs Chambres, à de rares exceptions près », souligne l’auteur.

Ainsi se dessina peu à peu une culture parlementaire encore présente de nos jours : navette des textes entre les Chambres, droit d’amendement, responsabilité pénale des ministres, obligation de faire voter le budget, apparition progressive de la notion moderne de groupes politiques, compatibilité entre les fonctions de ministre et de parlementaire, principe en vigueur jusqu’en…1958, mais qui trouva son prolongement inattendu avec le long épisode du gouvernement démissionnaire Attal.

Jean Jaurés à la tribune du palais Bourbon, Maurice Rogerol, (1873-1946), mairie d'Aniche (Hauts-de-France).À partir de 1870, les débats parlementaires prennent de l’ampleur grâce à des orateurs comme Ferry, Jaurès, Clemenceau. « Le gouvernement se présentait devant le Parlement, qui représentait le peuple, et se devait de le convaincre », constate Benjamin Morel. Mais à la fin du XIXe siècle, le Parlement est fragilisé par des affaires de corruption ; celles des décorations, du scandale de Panama. L’antiparlementarisme que cultive l’extrême-droite, se fonde aussi sur la stagnation des débats et des réformes à la Chambre des députés qui donne alors l’image d’une inefficacité de la classe politique.

Le Parlement résiste à ces coups de boutoir, et aux évolutions et aléas de la vie politique. « Le parlementarisme du XIXe siècle avait consacré le culte de la parole et du débat devant permettre d’éclairer en raison la voie vers l’intérêt général. Le XXe siècle couronna le culte des idéologies (…) Pour les faire triompher, il convenait de s’en remettre à un programme et à une discipline de parti. Le Parlement n’était alors qu’un organe politique dont il convenait de s’emparer pour imposer ses idées », analyse l’auteur. C’est toute l’histoire de la crise du parlementarisme jusqu’en 1940.

Au lendemain de la Seconde guerre mondiale, il tente de se refonder sur des coalitions de partis qui mèneront à l’instabilité ministérielle. Benjamin Morel développe une thèse originale à ce sujet : « Contrairement à une idée reçue, la IVe République ne fut pas un régime des partis. C’est leur faiblesse qui fit problème plus que leur force excessive. Sans partis capables d’influencer les groupes parlementaires, il ne pouvait y avoir de majorité structurée. »

Dans le permanent rapport de force entre le Parlement et le pouvoir exécutif, ce dernier prend un avantage décisif sous la Ve République, notamment à partir de 1962 lorsque Charles de Gaulle décide que l’élection du président de la République se fera au suffrage universel. Toute la vie politique va s’ordonner autour de ce scrutin. 

« Alors que les alliances et coalitions se construisaient naguère au sein de la Chambre, elles se bâtiraient à présent hors d’elle, entre les partis, en amont de l’élection. Ainsi s’instaura sur le long terme un fait majoritaire au bénéfice de l’exécutif », observe l’auteur.

Et ce, jusqu’à ce que les élections législatives de 2024 redessinent un paysage politique des plus fragmenté à l’Assemblée nationale et une majorité relative très éloignée d’une quelconque majorité absolue, au point d’affaiblir considérablement le pouvoir exécutif. Ainsi, paradoxalement, le Parlement retrouve un rôle central au moment où il entre dans une période d’instabilité inédite sous la Ve République.

Jean-Pierre Bédéï
Publié ou mis à jour le : 2024-10-17 10:42:29
mcae.fr (14-10-2024 08:52:38)

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GEORGES (13-10-2024 18:20:25)

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