Institutions politiques

Les députés, porte-parole du peuple

L’assemblée législative caractérise toute démocratie qui se respecte. Elle en est l’organe essentiel. Sous différents noms selon les pays et les époques, elle réunit des personnes élues par les citoyens avec mission de rédiger et voter les lois.

Cette fonction découle de la séparation des pouvoirs, un principe exposé en 1748 par le philosophe Montesquieu dans L’Esprit des Lois. Il consiste à confier à des organes indépendants et bien séparés les trois pouvoirs par lesquels se définit l’État : pouvoir législatif (la rédaction et le vote des lois), pouvoir exécutif (l'exécution des lois) et pouvoir judiciaire.

En matière d’assemblée législative, la référence est la Chambre des Communes anglaise, l’une des deux composantes du Parlement de Westminster avec la Chambre des Lords. Cette institution puise ses racines dans le Moyen Âge et c’est très progressivement qu’elle s’est imposée comme contre-pouvoir face au souverain.

Signature de la Constitution des États-Unis avec George Washington, Alexander Hamilton et Benjamin Franklin, par Howard Chandler Christy, 1940, Capitole. Ce tableau représente les 33 délégués qui signèrent la Constitution. Agrandissement : Serment du Jeu de paume, le 20 juin 1789, Jaques-Louis David, Paris, musée Carnavalet.

Une assemblée très changeante

Les deux premières assemblées législatives modernes sont nées à peu près en même temps :
• À Philadelphie (Pennsylvanie), le 17 septembre 1787, la Constitution des États-Unis institue une Chambre des représentants.
• À Versailles, le 17 juin 1789, les états généraux (dico) se transforment en  « Assemblée nationale constituante ».

Bonaparte au Conseil des Cinq-Cents le 10 novembre 1799, François Bouchot, Château de Versailles.C’est six semaines après la réunion des états généraux que les députés du tiers état, estimant qu'ils représentaient « les quatre-vingt-seize centièmes au moins de la nation » (hors noblesse et clergé) décidèrent que désormais, ils pourraient seuls consentir l’impôt. Ils s’engagèrent par la même occasion à élaborer une Constitution limitant les pouvoirs du roi. La souveraineté résidait désormais, non plus dans la personne du Roi, mais dans le Peuple qui l'exerçait par l'intermédiaire de ses représentants.

La dénomination de l’assemblée a souvent changé au fil des révolutions et coups d’État : Assemblée nationale législative (1791-1792), Convention (1792-1795), Conseil des Cinq Cents (1795-1799), Corps législatif (1800-1814), Chambre des représentants (1815), Chambre des députés des départements (1814-1815 et 1815-1830), Assemblée nationale constituante (1848-1849) et Assemblée nationale législative (1848-1851), Corps législatif (1852-1870), Assemblée nationale (1871-1876) et Chambre des députés (1876-1940), Assemblée consultative provisoire (1943-1945), Assemblée constituante (1945-1946), Assemblée nationale (1946- ).

Depuis le Conseil des Cinq-Cents, créé en 1795, les députés français se réunissent au Palais Bourbon, magnifique résidence édifiée par la duchesse de Bourbon, fille de Louis XIV et la marquise de Montespan. L’édifice se situe sur la rive gauche de la Seine, face à la Concorde et au cœur du quartier des ministères.

La salle des Cinq-Cent à Saint-Cloud le soir du 18 brumaire an VIII, Jacques Sablet, musée des Beaux-Arts de Nantes. Agrandissement : Bas-relief e l'hémicycle du Palais Bourbon représentant La Renommée embouchant sa trompette publie les grands événements de la Révolution et l'Histoire écrit le mot République,  sculpture de François-Frédéric Lemot, 1798. Il est une des reliques de la salle originale du Conseil des Cinq-Cents .

Quel que soit le régime, l’assemblée est naturellement amenée à coexister avec le représentant du pouvoir exécutif (roi, Directeurs, Premier Consul, Empereur, président de la République).

Depuis le Directoire (1795), les députés doivent aussi partager le pouvoir législatif avec une « haute assemblée », Conseil des Anciens, Tribunat puis Sénat, à l’imitation de la Chambre des Lords anglaise ou du Sénat américain. Cette disposition est une réponse aux excès de la Terreur sous la Convention. Elle a pour objectif de modérer les députés et d’améliorer la rédaction des lois. Les projets de lois font ainsi la navette entre les deux chambres et sont plusieurs fois relus et amendés avant d’être promulgués.

Par ailleurs, le Premier Consul Napoléon Bonaparte crée une assemblée composée de magistrats désignés et non élus, le Conseil d’État. Lointaine réminiscence du Conseil du Roi, elle est destinée à conseiller le gouvernement et aussi examiner les plaintes relatives aux lois promulguées.

L’enracinement du régime parlementaire se produit sous la IIIème République.  Les lois constitutionnelles de 1875 partagent le pouvoir législatif entre la Chambre des députés, élue pour quatre ans au suffrage universel direct, et le Sénat, élu pour neuf ans au suffrage indirect. Les deux chambres ont des attributions très étendues, en matière tant d'initiative des lois que de contrôle du gouvernement dont elles peuvent mettre en jeu la responsabilité.

Jean Jaurès à la tribune de la Chambre des députés, 1903, Jean Veber, Paris musée Carnavalet.

L’art oratoire à la tribune

Si depuis sa naissance, l’Assemblée nationale a résonné des discours enfiévrés d’orateurs comme Mirabeau, Danton, Marat, Robespierre, Lamartine, la Troisième République a constitué l’époque des grands débats parlementaires au cours desquels se sont illustrés des tribuns ou des bretteurs comme Gambetta, Jaurès, Clemenceau, Briand dans des styles différents. Maurice Barrès reconnaissait que Jaurès était « une des deux flammes de la Chambre », avec le catholique Albert de Mun.

Photographie d'Albert de Mun. Agrandissement : Affaire Dreyfus, Les défenseurs de la liberté. Carte postale sur laquelle Albert de Mun est représenté la main tendue au-dessus des femmes agenouillées.Le 7 mars 1895, le socialiste tarnais à l’accent rocailleux condamnait dans une de ses formules imagées, la société capitaliste qui « porte en elle la guerre comme la nuée dormante porte l’orage ». A l’été 1897, il tenait la tribune pendant trois samedis de suite, du 17 juin au 3 juillet, par une chaleur suffocante, afin de raconter les souffrances du monde paysan.

Lors du premier grand débat sur l’affaire Dreyfus, le 24 décembre 1894, à la suite d’une échange violent avec le ministre des Travaux publics, Louis Barthou, Jaurès était exclu temporairement de la Chambre. Le lendemain, les deux hommes se battront en duel au pistolet, mais sans effusion de sang. Débats sur la loi de séparation des Églises et de l’État, sur la peine de mort, sur la loi des Trois ans (durée du service militaire), entre autres : le Palais Bourbon est alors au centre de la vie politique dont les débats sont relayés par une presse en plein essor.

Il connaît une tragique éclipse pendant l’Occupation.  Le 10 juillet 1940, la Chambre des députés et le Sénat convoqués à Vichy confèrent les pleins pouvoirs au maréchal Pétain malgré le refus de 80 parlementaires. Il n'existera plus aucun organe de représentation de la volonté nationale jusqu'en août 1944, date à laquelle le Gouvernement provisoire mettra en place une assemblée consultative, avant qu'une Assemblée constituante élue élabore les institutions de la Quatrième République

Propagande allemande sur la façade du palais Bourbon pendant l?occupation de Paris lors de la Seconde Guerre mondiale : L'Allemagne vainc sur tous les fronts, Bundesarchiv.

La Constitution du 27 octobre 1946 consacre, comme la précédente, la souveraineté parlementaire et la primauté du pouvoir législatif. L'Assemblée nationale élue au scrutin proportionnel dispose, à côté d'un Conseil de la République aux attributions restreintes, des prérogatives les plus étendues : maîtresse de la durée de ses sessions et de son ordre du jour, elle peut seule renverser le gouvernement. En contrepartie, celui-ci peut la dissoudre mais ce droit obéit à des conditions particulièrement strictes qui n'ont été réunies qu'une seule fois en 1955 sous le gouvernement d'Edgar Faure. Favorisée par un régime électoral qui ne permet pas la constitution de majorités politiques homogènes, l'instabilité ministérielle sera de nouveau la règle jusqu'au retour du général de Gaulle en 1958.

Façade nord du Palais Bourbon, vue depuis le quai des Tuileries. Agrandissement : Hémicycle de l'Assemblée nationale.

Déclin de la démocratie parlementaire

Les institutions de la Cinquième République ont limité le rôle du Parlement, notamment à travers l’encadrement du régime des sessions parlementaires (deux par an dont la durée globale était de cinq mois), la mainmise du gouvernement sur la maîtrise de l’ordre du jour des assemblées et de la procédure législative, et la définition rigoureuse des conditions dans lesquelles l’Assemblée peut renverser l’équipe ministérielle.

L’exercice du pouvoir par le général de Gaulle, l’élection du président de la République au suffrage universel, l’instauration du quinquennat en 2000 et l’inversion du calendrier électoral en 2001 (qui place les élections législatives dans la foulée de l’élection présidentielle), les dissolutions de 1981 et 1988, enfin la médiatisation à outrance de la vie politique et notamment du chef de l’État ont amoindri le rôle et le poids de l’Assemblée nationale.

Dès les années 1960, le parti gaulliste est accusé d’être constitué de députés « godillots » uniquement animés par le souci de voter systématiquement les projets de loi du gouvernement. En 1981, les mêmes reproches sont formulés envers les socialistes après que François Mitterrand a dissous l’Assemblée pour disposer d’une majorité « à sa main ». En 2017, les élus de la République en marche ont dû faire face à des griefs identiques (note). Seul François Hollande n’a pas profité à plein de sa majorité, victime des « frondeurs » de son propre parti. Preuve qu’il est bien difficile pour la formation politique au pouvoir de trouver un juste équilibre entre soumission à l’exécutif et relative autonomie.

Cependant, des réformes du fonctionnement de l’Assemblée et des révisions constitutionnelles ont permis d’accroître le rôle de celle-ci dont les missions essentielles restent le vote de la loi et le contrôle de l’action du gouvernement. Ainsi la création d’une session parlementaire ordinaire unique de neuf mois renforce l’efficacité de l’action des députés et sénateurs. La révision du 22 février 1996 étend la compétence du Parlement afin de lui permettre de déterminer les conditions de l’équilibre financier de la sécurité sociale. Celle du 23 juillet 2008 comporte un ensemble de mesures favorables également à l’Assemblée, dont la limitation au recours, par le gouvernement, d’une disposition lui permettant de faire adopter une loi sans vote en engageant sa responsabilité.

Le public assiste aux séances depuis les tribunes (2013). Agrandissement : Richard Ferrand, président de l'Assemblée nationale depuis septembre 2018.Mais l’Assemblée nationale, dont les Français connaissent mal le fonctionnement et le travail en profondeur des députés, souffre, aux yeux de l’opinion publique, d’être une chambre d’enregistrement notamment lorsque le gouvernement y dispose de la majorité absolue, ou d’apparaître comme un théâtre d’affrontements plus ou moins factices. Périodiquement, non sans une certaine démagogie, revient le débat sur le nombre des parlementaires.

En 2017, Emmanuel Macron s’était engagé à diminuer d’un tiers la quantité de députés et de sénateurs, au motif illusoire de réduire les dépenses de l’État. Il a suggéré aussi d’en élire 20 % à la proportionnelle afin d’assurer une meilleure représentation des partis minoritaires et notamment du Rassemblement national, empêché de conclure des alliances de second tour du fait de son positionnement à l’extrême-droite.

En juillet 2018, une proposition de loi sur la réforme des institutions devait concrétiser cette promesse mais les débats ont été ajournés après avoir été percutés par l’affaire Benalla. Par la suite, le Sénat s’est opposé à une telle mesure avant que la crise des Gilets jaunes et la Covid ne viennent chambouler l’agenda parlementaire, et finalement enterrer le projet… qui n’a été repris par aucun des candidats à la présidentielle de 2022. Il faut dire que le nombre des députés n’est pas sans conséquences sur les caisses des partis. Ainsi, si elles obtiennent au moins 1 % des voix dans au moins 50 circonscriptions au premier tour, les formations politiques perçoivent 1,64 euro par voix et par an. Par ailleurs, après le second tour, une deuxième tranche de financement public est débloquée, à savoir un montant de 37 400 euros par élu et par an jusqu’au prochain scrutin. L’enjeu d’une élection législative n’est pas seulement politique, il est aussi financier…

Jean-Pierre Bédéï
Modes de scrutin : en France et à l’étranger

Jusqu’au milieu du XIXe siècle, partout dans le monde était appliqué le suffrage censitaire (dico), les élites bourgeoises se méfiant plus que de raison des classes populaires. En France, par la loi du 5 mars 1848, sous la Seconde République, le suffrage universel s’est imposé mais ce n’est qu’à la Libération qu’il s’est ouvert aux femmes (et aux militaires).
Pour les élections législatives, on continue aussi en France de s’interroger sur l’opportunité d’introduire une part de proportionnelle dans le mode d’élection.
Le scrutin majoritaire est le plus souvent employé même si, lors des élections de 1919 et 1924, il a été remplacé par un scrutin mixte (mélange de scrutins majoritaire de liste et proportionnel). En 1986, le pouvoir socialiste a aussi introduit un scrutin à la proportionnelle départementale à seule fin de faire entrer le Front national (extrême-droite) à l’Assemblée et ainsi gêner la droite.
Hormis ce cas unique, les députés sont élus au scrutin uninominal majoritaire à deux tours qui avantage les grands partis capables de con tracter des alliances, et permet de dégager des majorités nettes. Pour être élu dès le premier tour, il faut obtenir la majorité absolue, soit plus de la moitié des suffrages exprimés. Le nombre de suffrages doit en outre être au moins égal au quart des électeurs inscrits. Si aucun candidat n'y parvient, il y a lieu de procéder à un second tour. Seuls les candidats ayant obtenu au premier tour un nombre de suffrages au moins égal à 12,5 % des électeurs inscrits peuvent y accéder. Au second tour, le candidat ayant obtenu le plus grand nombre de suffrages l'emporte.
En Europe, 26 pays sur 28 ont recours à un scrutin législatif intégrant une part de proportionnelle. En Espagne, l’assemblée des Cortes est constituée de 350 parlementaires élus au scrutin proportionnel plurinominal, pour un mandat de quatre ans, dans le cadre d’une configuration bicamérale. En Italie, en 2020, les électeurs ont approuvé par référendum la réduction du nombre de députés de 630 à 400. Ils sont élus pour cinq ans dans le cadre d’une proportionnelle intégrale par listes bloquées, avec une prime de majorité.
Au Royaume-Uni, lors des élections générales, les électeurs ne votent qu'une fois : le candidat arrivé en tête dans une circonscription emporte le siège. Le nombre de voix recueillies au niveau national importe peu. Ce qui compte c'est le nombre de fois où un parti réussit à placer un candidat en tête. Ce système assure une certaine stabilité politique. Les 650 députés de la Chambre des Communes sont élus pour un mandat de cinq ans.
Le Danemark s’est doté d’un parlement unicaméral, Les 175 députés sont élus tous les quatre ans au système proportionnel. Parmi les députés danois, 135 sont élus dans dix circonscriptions électorales. Les 40 derniers sièges sont répartis pour assurer une proportionnalité optimale au niveau national. En Allemagne, le mode de scrutin s’avère assez complexe : 598 sièges au moins sont en jeu au Bundestag. La moitié (299) est attribuée dans les circonscriptions sur le mode du scrutin majoritaire à un tour. L'autre moitié se base sur le nombre de voix obtenues par chaque parti au niveau national. Le calcul se fait de manière proportionnelle entre les partis ayant récolté au moins 5% des voix. Ainsi lors du scrutin, l'électeur allemand effectue deux votes : le premier pour le candidat qu'il souhaite voir remporter la circonscription, le second pour le parti de son choix au niveau national. En Israël la Knesset comprend 120 députés élus pour un mandat de quatre ans lors d'un scrutin proportionnel de liste à un tour. Les partis obtenant plus de 3,25% des voix sont représentés. Ce mode de scrutin rend improbable la formation d'une majorité cohérente et oblige souvent à des alliances contre-nature et à de longues tractations.


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Publié ou mis à jour le : 2024-10-15 11:03:25

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