La tragédie du pouvoir

Le courage de Georges Pompidou

Édouard Balladur (Seuil, 340 pages, 22 euros,  2013)

La tragédie du pouvoir

Curieux ouvrage, qui fait penser à la chanson d’Aznavour : «je vous parle d’un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître…», vingt ans étant en l’occurrence à remplacer par quarante ans.

Édouard Balladur, conseiller social à Matignon devenu très proche du Premier ministre Georges Pompidou pendant les évènements de mai 1968, puis secrétaire général adjoint de l’Élysée lorsque ce dernier est élu Président de la République, devient secrétaire général en 1973 lorsque son prédécesseur Michel Jobert arrive sous la lumière des projecteurs en devenant ministre des affaires étrangères.

Lui-même reste dans l’ombre qui sied à un haut fonctionnaire, et remplit avec abnégation son rôle de secrétaire général auprès d’un Président à qui la maladie laisse sa pleine lucidité tout en le rendant de plus en plus souvent indisponible physiquement pour remplir ses fonctions.

Le livre de Balladur est pour l’essentiel le journal des trois derniers mois de la vie de Pompidou jusqu’à sa mort le 2 avril 1974, et permet à l’auteur de livrer sa part de vérité sur cette période douloureuse dans un style plus heureux que celui de la préface d’Alain Pompidou à la récente édition des lettres de son père.

Pas de grande révélation sur la maladie de celui-ci : Pompidou était un paysan qui ne s’est couché que pour mourir, en cachant à son entourage, et d’abord à son épouse comme à son secrétaire général et à son Premier ministre, la nature réelle de sa maladie qu’il connaissait.

Balladur s’est laissé abuser, même s’il avait compris que le mal était plus profond que celui décrit dans les communiqués lénifiants qu’il contribuait à rédiger. Il a cru par exemple que le dernier voyage à l’étranger du Président à Pitsounda sur les bords de la Mer Noire, pour une rencontre avec Brejnev à laquelle il avait lui-même participé, ne s’était pas trop mal passé ; l’infirmière de Pompidou viendra le voir après sa mort pour lui révéler que le Président y avait eu une crise si grave qu’il avait craint de mourir sur place, si loin de chez lui.

L'auteur hésite en fait entre plusieurs attitudes : celle du mémorialiste, mais il aurait alors été préférable d’éviter certains portraits dont le contenu puise à la connaissance ultérieure des événements, comme celui d'un Giscard d'Estaing égocentrique mais suffisamment intelligent pour conserver un plus grand tact que ses concurrents, celui d'un Chirac en ambitieux forcené, incapable de s’en tenir à la moindre conviction, celui d'un Chaban-Delmas en Premier ministre dont la légèreté irrite autant Pompidou que la transparence de son successeur Messmer le désole.

L’attitude du constitutionnaliste, avec une réflexion sur les rôles respectifs du secrétaire général de l’Élysée, du Premier ministre et du Président du Sénat appelé à faire l’intérim en cas d’empêchement du Président de la République : Balladur est le seul à avoir vécu deux aventures voisines dans les deux premiers rôles cités, puisqu’il sera vingt ans plus tard Premier ministre de cohabitation d’un François Mitterrand dont la santé se dégradait fortement, sans que l’issue fatale n’intervienne avant la fin de son mandat présidentiel en 1995. Mais alors pourquoi faire preuve à son tour d’égocentrisme en ne mentionnant ni l’existence ni le rôle du secrétaire général de l’Élysée de cette deuxième époque, Hubert Védrine, qui connut la même situation difficile que lui et deviendra deux ans plus tard ministre des Affaires étrangères de Lionel Jospin ?

L’attitude de l’honnête homme, rôle dans lequel Édouard Balladur excelle et où il se place sans difficulté au-dessus de bien des indiscrets, à commencer par le médecin personnel de Mitterrand qui osa publier des mémoires personnels révélant par le menu le déroulement de la maladie de son client peu après sa mort, avec un mépris du secret professionnel qui fut sanctionné par l’Ordre des médecins.

Mais alors pourquoi parsemer son ouvrage de compliments et portraits dithyrambiques de personnages qui ne diront bientôt plus rien à personne comme François-Xavier Ortoli, directeur du cabinet de Georges Pompidou à Matignon puis président de la Commission européenne, ou qui semblent intéressés comme celui de l'académicien Jean d’Ormesson ?

Bref, un ouvrage de moyenne facture d’un Édouard Balladur qui nous avait habitué à mieux, mais témoignage de première main qui sera sans doute utile dans le futur aux historiens.

Michel Psellos

Publié ou mis à jour le : 10/06/2016 09:42:47

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