Longue, douloureuse et meurtrière, la Grande Guerre vit s'entretuer des millions d'hommes qui, la veille encore, juraient « guerre à la guerre ». Ils furent les frères d'armes de ceux qu'ils accusaient d'être des militaristes, des chauvins, des bellicistes et des millions d'autres qui firent la guerre par devoir ou encore sans trop savoir pourquoi...
Passé 1918, devenus anciens combattants, ni les uns, ni les autres ne mirent en doute la légitimité de leur sacrifice; ils avaient combattu pour la défense de la patrie et la guerre qu'ils avaient faite était une « juste guerre ». Pendant cinquante ans, ils n'ont cessé de le répéter.
Marc Ferro, La grande guerre 1914-1918 (idées, Gallimard, 1969, page 12)
La Grande Guerre de 1914-1918 est à tort appelée Première Guerre mondiale. Les Américains la qualifient plus justement de Guerre européenne (« The European War ») car elle s'est déroulée pour l'essentiel sur le Vieux Continent.
Quand elle éclate, en août 1914, l'Europe est au sommet de sa puissance. Ses idées, ses produits et ses armes exercent leur emprise sur toute la planète sans autre concurrence que les jeunes États-Unis. Ses élites circulent sans entrave et baignent dans ce que l'on appellerait aujourd'hui la « mondialisation heureuse ». Ses peuples, bercés par les rapides avancées des sciences et des techniques, rêvent à des lendemains qui chantent.
Mais des signes laissent entrevoir la catastrophe... Dix ans plus tôt, la France a enterré une rivalité de sept siècles avec l'Angleterre. Reportant son attention sur l'Empire allemand, elle a noué une alliance défensive avec le tsar de Russie. Certains exaltés songent à une Revanche qui leur rendrait l'Alsace et la Lorraine du Nord, enlevées en 1871. L'empereur allemand Guillaume II, lui-même quelque peu exalté, renforce sa flotte de guerre en vue de concurrencer sur les mers la Grande-Bretagne, la superpuissance de l'époque. Par solidarité germanique, il soutient aussi la frêle Autriche-Hongrie du vieil empereur François-Joseph Ier. Celui-ci s'inquiète des revendications belliqueuses des petits peuples balkaniques, tout juste libérés de la domination ottomane.
Les dirigeants européens, poussés par leurs opinions publiques et leurs généraux, vont ainsi déclencher l'apocalypse sans l'avoir sciemment voulue.
Voici le récit des principaux événements :
1914
L'étincelle qui va embraser l'Europe survient aux marches du continent, à Sarajevo, capitale de la Bosnie-Herzégovine, une ancienne province ottomane passée sous la souveraineté autrichienne.
Le 28 juin 1914, un terroriste serbe tue l'archiduc François-Ferdinand, héritier de la couronne austro-hongroise, et sa femme. L'empereur allemand Guillaume II encourage François-Joseph Ier à donner une leçon à la petite Serbie. La Russie apporte son soutien à cette dernière, par solidarité slave. La France se sent obligée d'apporter sa garantie à la Russie. L'Allemagne, de son côté, se doit de soutenir l'Autriche...
C'est ainsi que l'équilibre européen va être victime de ses systèmes d'alliance. Entraînés par leurs engagements respectifs et poussés de l'avant par leurs opinions publiques, les dirigeants des grands États provoquent un conflit généralisé sans l'avoir vraiment voulu.
Face à l'escalade des déclarations officielles au mois de juillet 1914, le Royaume-Uni reste dans l'expectative, ce qui donne l'espoir à Guillaume II d'une victoire rapide sur la France.
Les stratèges allemands craignent par-dessus tout d'être pris en tenaille par la France et la Russie. Ils ne voient l'espoir du salut que dans une attaque immédiate et brutale de la France qui mettrait celle-ci hors de combat avant que le tsar de Russie ait eu le temps de mobiliser ses troupes innombrables.
Comme dans un duel entre cow-boys, la victoire, croit-on, appartient au premier qui dégaine. Sous la pression de ses généraux, qui craignent d'être pris de court, le tsar mobilise dès le 30 juillet.
Le 1er août, l'empereur d'Allemagne riposte en lui déclarant la guerre et en mobilisant ses troupes. La France mobilise à son tour dans les minutes qui suivent.
Le 3 août, l'Allemagne déclare la guerre à la France et pour hâter les choses, envahit la Belgique dont la neutralité est garantie par... Londres.
Aussi, dès le lendemain, au nom de la parole donnée, les Anglais déclarent à leur tour la guerre à l'Allemagne alors qu'ils ne se sentaient initialement pas concernés par le conflit continental. Seule l'Italie reste encore en-dehors du conflit, s'interrogeant sur le meilleur parti à prendre.
En quelques jours, 6 millions d'hommes se retrouvent ainsi sous les drapeaux ! D'un naturel pacifiste mais animés par des sentiments nationaux très forts, les peuples européens, paysans et ouvriers, partent à la guerre avec le sentiment de devoir défendre leur pays, qui contre la menace slave (Allemagne), qui contre la menace germanique (France).
Chacun se résigne à un conflit que l'on espère court et, fait exceptionnel, on compte très peu de désertions dans tous les camps.
En application du plan Schlieffen, l'Allemagne porte son effort principal sur la Belgique et la France du nord, prenant les Français à revers. Mais la résistance héroïque et inattendue des Belges et de leur roi va les retarder et laisser aux armées de l'Entente le temps de se ressaisir.
En vertu de leur plan XVII, les Français lancent quant à eux une offensive sur l'Alsace et entrent à Mulhouse le 7 août, direction Berlin ! Mais trois jours après, les voilà obligés de se replier.
Les affrontements révèlent une violence inconnue encore à ce jour du fait des ravages de l'artillerie sur les charges à la baïonnette des fantassins. La journée du 22 août 1914 est la plus meurtrière de l'Histoire de France avec 27 000 soldats français morts ce jour-là !
Défait dans la « bataille des frontières » (14-24 août), le général en chef français, le placide et bedonnant Joseph Joffre, organise une retraite générale en bon ordre.
Les Allemands, trop heureux de leur succès, retirent deux divisions pour les envoyer vers le front russe. Du coup, ils renoncent à encercler Paris et contournent la capitale en bifurquant vers la Marne, au sud-est.
Erreur fatale. En présentant son flanc à l'ennemi, l'armée allemande se met en position de faiblesse. Le général Joseph Gallieni, qui commande la place de Paris, y voit l'opportunité d'une contre-offensive d'une dernière chance. Il convainc Joffre de lancer une contre-attaque avec toutes les troupes disponibles autour de Paris.
L'invasion est stoppée net par la contre-offensive de la Marne, du 6 au 9 septembre, avec des pertes énormes des deux côtés et au prix d'un effort surhumain de la part des Français.
Du 17 septembre au 17 novembre, les troupes allemandes et françaises tentent de se déborder l'une l'autre par l'ouest. C'est la « course à la mer ». Mais personne n'arrive à percer le front. Épuisées et meurtries, les troupes allemandes creusent des tranchées et s'y terrent pour éviter de reculer davantage. Les troupes françaises font de même.
Après une guerre de mouvement qui s'est brisée sur les déluges de feu et d'acier de l'artillerie, on en vient à une guerre de position ; chaque armée se met à l'abri en attendant que revienne l'occasion d'une offensive décisive.
Le front franco-allemand se stabilise dans la boue, de la mer du nord aux Vosges, sur 750 km. On ne sait pas encore que cette situation va durer trois longues et terribles années jusqu'au retour des offensives du printemps et de l'été 1918 !
À la frontière orientale entre la Russie et l'Allemagne, les armées russes mobilisent et attaquent plus tôt que prévu (grâce en particulier aux chemins de fer financés par les épargnants français). Heureusement pour l'Allemagne, le front se stabilise grâce à la victoire inespérée du général allemand von Hindenburg à Tannenberg, qui a raison du légendaire « rouleau compresseur » russe.
La guerre débute très mal pour l'Autriche-Hongrie qui échoue à occuper la petite Serbie et voit ses provinces orientales de Galicie et Ruthénie envahies par les Russes.
Pendant ce temps, le 23 août 1914, le Japon, allié de l'Angleterre, a déclaré la guerre à l'Allemagne dont il convoite les concessions chinoises. Le 1er novembre 1914, l'empire ottoman (la Turquie) entre quant à lui en guerre aux côtés des Puissances Centrales après avoir fermé les Détroits aux navires russes, français et anglais. Les « Jeunes-Turcs », des militants nationalistes qui gouvernent l'empire ottoman au nom du sultan Mehmet V, espèrent par ce biais prendre une revanche sur la Russie.
L'été 1914 se signale par des crimes de guerre à grande échelle de la part des Allemands et des Austro-Hongrois. Ils ne sont pas le fait de soldats indisciplinés mais d'une politique délibérée des états-majors.
En Belgique, les soldats allemands, rendus nerveux par la crainte exagérée d'être pris pour cible par des francs-tireurs (on dit aujourd'hui « snipers »), se livrent à toutes les abjections possibles : exécutions sommaires, viols, destructions et incendies volontaires (la vénérable bibliothèque de Louvain disparaît dans les flammes). Le souvenir de ces violences poussera les Belges et beaucoup de Français sur les routes de l'exode quand l'invasion se renouvellera en mai 1940.
Les Austro-Hongrois n'ont rien à envier aux Allemands sur le chapitre de l'horreur.
Dès juillet 1914, une ordonnance impériale a soumis les populations civiles aux tribunaux militaires. La loi martiale prescrit l'« exécution sur le champ » des personnes simplement soupçonnées d'espionnage « par trahison, commise au moyen de cloches, de signaux lumineux ou de fumée, d'autres signaux, de mouvements de bestiaux etc. »
Le poète Georg Trakl, à Lemberg (aujourd'hui Lviv, en Ukraine) se suicide après avoir assisté à une vision d'horreur : « Sur une place, d'abord en effervescence puis soudain calme, il y avait des arbres. Un groupe d'arbres d'une immobilité macabre, voyant chacun se balancer sous lui un pendu. Des villageois ruthènes exécutés ».
Trente mille sujets de la monarchie auraient été ainsi pendus dès les deux premiers mois de la guerre en Galicie et en Ruthénie, dont les habitants sont accusés de faire cause avec l'ennemi. À quoi s'ajoutent les exactions commises par les Autrichiens en Serbie lors de l'invasion de celle-ci. Ces crimes de guerre seront dénoncés dès 1917, au Reichsrat, le Parlement de Vienne, par les députés eux-mêmes.
1915
Le conflit a débuté à l'ancienne mode, avec cavaliers en gants blancs et fantassins en uniformes joliment colorés. Très vite, il change de nature. Pour la première fois de l'Histoire, on a affaire à une guerre totale. Dès l'entrée en guerre, la France a mobilisé à elle seule 4 millions d'hommes (10% de sa population totale !), l'Angleterre 2 millions... Les civils sont mis à contribution. Dans les usines, les femmes (et les indigènes des colonies) remplacent les hommes partis sur le front.
Dès l'été 1914, les états-majors, qui prévoyaient des offensives de l'infanterie à l'ancienne, avec charges à la baïonnette, ont été pris de court par les performances nouvelles de l'artillerie et l'apparition en grand nombre des mitrailleuses, en premier lieu dans l'armée allemande.
Ainsi le fameux canon français de calibre 75 arrive-t-il à une cadence de tir de 20 obus à la minute. C'est par centaines de millions que vont se compter les obus tirés pendant les quatre années de guerre.
L'horreur s'ajoute à l'intensité du tir avec des obus constitués d'un mélange de poudre et de billes de plomb qui, tels les Shrapnels allemands, fracassent les visages et les corps.
Après quelques mois excessivement meurtriers, les troupes d'infanterie renoncent à l'offensive et choisissent de s'enterrer dans des tranchées creusées à la hâte pour éviter d'être inutilement massacrées.
On entre alors dans une guerre d'attrition ou d'usure : il s'agit de « grignoter » l'ennemi, selon l'expression malheureuse de Joffre et de protéger tant bien que mal ses propres troupes.
Dans les tranchées, les longues périodes d'oisiveté sont entrecoupées par quelques brèves attaques, aussi inutiles que meurtrières. Chaque attaque de l'infanterie est précédée d'une intense préparation de l'artillerie si bien que les trois quarts des blessures et des morts sont le fait d'éclats d'obus !
Les rouleaux de barbelés rendent les tranchées quasi-imprenables et donnent l'avantage à la défensive jusqu'à l'apparition des gaz de combat, des bombardements aériens et surtout des chars d'assaut montés sur chenilles qui vont écraser les rouleaux de barbelés et rendre à nouveau possible les offensives au printemps et à l'été 1918...
À l'été 1915, les soldats français adoptent la tenue bleu horizon et le casque en métal (la « bourguignotte ») qui vont camper leur triste silhouette pour la postérité.
Dans la boue et la vermine des tranchées, dans l'ennui et l'angoisse, ces « poilus » endurent l'épouvante.
Malgré cela, pendant l'année 1915, les tentatives du général Joffre pour rompre le front en Artois et en Champagne échouent au prix de pertes sanglantes (93 000 morts du 9 mai au 17 juin 1915 pour tenter de s'emparer de la crête de Vimy, en Artois !). Le vainqueur de la Marne a beau répéter : « Je les grignote », personne ne le croit plus et son étoile pâlit. Au Sénat, le président de la commission de l'armée, un certain Georges Clemenceau, le conteste sans ménagement.
L'empire ottoman s'étant associé à l'Allemagne et à l'Autriche-Hongrie, les Alliés franco-britanniques tentent d'ouvrir un nouveau front en débarquant dans le détroit des Dardanelles, aux portes d'Istamboul. C'est une idée de... Winston Churchill, Premier Lord de l'Amirauté ! Les Australiens et Néo-Zélandais sont particulièrement mis à contribution dans cette bataille mais ils sont repoussés sans ménagement par les Turcs. Finalement, les troupes d'Orient sont transférées à Salonique, en Grèce, et réunies aux débris de l'armée serbe.
En mai 1915, suite à un traité secret qui lui promet de substantielles annexions en cas de victoire, l'Italie se rallie à la Triple-Entente (France, Angleterre, Russie).
En cette année 1915, le nouveau commandant en chef allemand, le général von Falkenhayn, veut concentrer ses efforts sur le front russe. Avec les Autrichiens, il reprend la Galicie, s'empare de la Pologne et de la Lituanie. Il détruit au total, de mai à septembre 1915, la moitié de l'armée russe mais sans réussir à provoquer son effondrement. C'est un demi-échec.
L'Allemagne engage par ailleurs la guerre sous-marine contre les navires qui approvisionnent ses ennemis au risque de se mettre à dos les États-Unis.
Lorsque la guerre éclate en 1914, tous les belligérants tablent sur une guerre courte. Après plusieurs mois seulement, ils prennent des mesures pour remédier à la pénurie de main-d’œuvre et satisfaire les commandes militaires.
Les usines d’armement font revenir du front une partie des ouvriers qualifiés et recrutent des femmes pour compléter leurs effectifs, les « munitionnettes ». Les femmes sont aussi requises dans les métiers plus classiques, le temps de la guerre. La plupart retourneront à leurs fourneaux une fois la paix revenue.
Les Alliés vont également recourir à la main-d'oeuvre d'outre-mer : la France enrôlera plus de 180 000 travailleurs venus d’Indochine et d’Afrique du Nord, le Royaume-Uni environ 100 000 Chinois.
Pour accroître la productivité, la durée quotidienne du travail est également allongée. Elle passe, par exemple, de 12 à 14 heures en France. Le taylorisme, c’est-à-dire l’emploi d’une main-d’œuvre peu qualifiée effectuant des tâches simples et répétitives, se généralise dans les usines européennes.
En France, en Allemagne, comme au Royaume-Uni ou en Russie, les besoins militaires nécessitent une intervention grandissante de l’État dans l’économie, en rupture avec la tradition libérale qui prévalait jusque-là. Les gouvernements organisent les commandes militaires auprès des grands industriels : Krupp, qui fabrique en Allemagne des canons célèbres comme la « Grosse Bertha », ou encore Renault, l’un des pionniers dans la construction de chars d’assaut.
Afin de répondre aux dépenses énormes occasionnées par la guerre, les belligérants recourent aussi à une inflation contrôlée pour modérer le montant des remboursements. Ils souscrivent également des emprunts auprès de leur population mais aussi des pays neutres, et notamment des États-Unis, qui deviennent le premier créancier d’une Europe ruinée par la guerre.
1916
Rassuré par les succès austro-allemands sur le front oriental face aux Russes, le général allemand von Falkenhayn décide de « saigner » l'armée française. Il concentre son effort sur le saillant mal défendu de Verdun. L'attaque débute le 21 février 1916 après une intense préparation d'artillerie.
Très vite, le commandant de la IIe Armée, Philippe Pétain, organise la riposte. Il met en place une liaison avec Bar-le-Duc, à l'arrière. En 24 heures, 6 000 camions montent vers le front en empruntant cette « Voie sacrée ». L'assaut allemand est repoussé et la brèche colmatée mais la pression ennemie va perdurer pendant dix mois.
Aucune bataille n'a autant marqué la mémoire des Français que celle-ci. Presque tous les soldats de la Grande Guerre y ont participé chacun à leur tour.
Pour soulager Verdun, Français et Anglais lancent le 1er juillet 1916 l'offensive de la Somme. Mal conduite par le commandant en chef britannique Douglas Haig, avec des soldats anglais courageux mais novices, l'offensive va se poursuivre envers et contre tout jusqu'en novembre 1916. Les alliés en obtiendront un gain dérisoire de 10 km. Le prix en est exorbitant : 400 000 Britanniques tués et blessés ainsi que 200 000 Français et 450 000 Allemands... À comparer aux 750 000 victimes de Verdun.
À la suite de ces grandes offensives sans résultat palpable, von Falkenhayn sera remplacé le 28 août 1916 par le maréchal Paul von Hindenburg et son adjoint Ludendorff à la tête de l'état-major allemand tandis que le général Joseph Joffre cèdera sa place au général Robert Nivelle le 26 décembre 1916.
Le 31 mai 1916 a lieu la bataille du Jutland, plus grande bataille navale de la guerre. Elle se solde par un résultat indécis mais fragilise assez la marine allemande pour l'obliger à ne plus sortir désormais de ses ports !
Sur le front oriental, le général russe Broussilov passe à l'offensive le 4 juin 1916. La bataille de Loutsk, menée jusqu'à la mi-août 1916, lui permet de reprendre aux Austro-Allemands la Bukovine et une partie de la Galicie.
Le 27 août 1916, la Roumanie entre en guerre aux côtés des Alliés. Mal lui en prend. Elle est aussitôt occupée par les Austro-Allemands. Le feld-maréchal August von Mackensen joue d'audace et, à la tête de maigres forces bulgares et allemandes, occupe Bucarest le 5 décembre 1916.
À la fin de l'année, la lassitude commence à se faire partout sentir. Les populations d'Allemagne et d'Autriche-Hongrie souffrent de plus en plus du rationnement induit par le blocus des Alliés, mais leurs troupes gardent un mince avantage sur le terrain.
L'empereur Charles Ier, qui succède à François-Joseph Ier à Vienne, fait en vain des offres de paix séparée. Guillaume II lui-même demande au président américain Woodrow Wilson de s'entremettre entre les combattants. Mais ces efforts échouent.
1917
Le 6 avril 1917, le président Wilson, qui ne pouvait admettre que les sous-marins allemands relancent la guerre sous-marine et s'en prennent aux navires de commerce américains, entraîne les États-Unis dans la guerre aux côtés de l'Entente. Mais, faute de troupes immédiatement disponibles, leur participation ne deviendra effective qu'en juillet 1918 !
Sans les attendre, le 16 avril 1917, le général Nivelle engage l'offensive du Chemin des Dames, en Picardie. Mal préparée, désastreuse, c'est l'offensive de trop. Elle vaut à son responsable de céder la place à Pétain, le « héros » de Verdun.
Celui-ci a la conviction que les offensives sont vouées à l'échec sans renforts et armements nouveaux. « J'attends les chars et les Américains », dit-il.
Il s'attache en premier lieu à rétablir le moral des troupes qui ne supportent plus de mourir pour rien dans des assauts inconsidérés et s'insurgent en maints endroits ! En fait de « mutineries », il s'agit de mouvements de colère qui surviennent en arrière du front, les soldats n'ayant nulle intention défaitiste.
En Flandre, le Britannique Douglas Haig, qui s'est acquis le surnom de « boucher de la Somme », engage une violente offensive en direction des ports de Bruges et Ostende, bases importantes de sous-marins allemands. Anglais et Canadiens se lancent le 31 juillet 1917 à l'assaut du village de Passchendaele sous la pluie et dans la boue. Échec dramatique et sanglant de l'une des plus absurdes offensives de la guerre.
1917 se signale par des crises gravissimes. Le tsar est détrôné en février-mars au profit d'une république démocratique. Le nouveau gouvernement poursuit le combat contre l'Allemagne et l'Autriche. Désormais, pour la propagande franco-britannique, la guerre prend l'aspect d'un combat entre les démocraties et les monarchies absolues (Allemagne, Autriche et Turquie).
Le 1er juillet 1917, le général russe Broussilov tente une offensive à Lemberg (Lvov ou Lviv) mais une partie de ses soldats refuse de combattre et il doit renoncer. Du coup, les Allemands en profitent pour donner un coup de main aux Autrichiens. Les deux alliés enfoncent le front italien à Caporetto, le 24 octobre 1917. Les Italiens se replient sur la Piave, loin en arrière. Le général Luigi Cardona, aussi incompétent que détesté de ses hommes, est destitué.
Le plus grave est à venir avec, en Russie, en octobre-novembre 1917, un coup de force des bolcheviques, à l'instigation de leur chef Lénine. Ce dernier profite de la faiblesse du gouvernement républicain pour instaurer sa dictature. Il obtient l'appui des soldats en se retirant de la guerre de façon unilatérale. C'est une aubaine pour l'Allemagne qui peut dès lors reporter tous ses efforts sur le front occidental.
À Paris, le 17 novembre 1917, le président Poincaré se résout à confier le gouvernement à son adversaire Georges Clemenceau en qui il voit avec raison le seul leader capable de surmonter la crise. Le « Vieux » (surnom affectueux donné par les poilus) va dès lors instaurer une quasi-dictature de salut public avec un seul but : la victoire.
1918
Quand s'ouvre l'année 1918, il devient impératif pour les empires centraux d'emporter la décision sur le terrain avant que ne débarquent en Europe les troupes de Washington.
Le 21 mars 1918, au prix d'un gigantesque effort, les Allemands lancent une offensive de la dernière chance sur tout le front occidental, en direction de Paris. Ils arrivent à Château-Thierry et bombardent Paris avec des canons à longue portée, dont la « grosse Bertha » !
Face au péril, le chef du gouvernement français Georges Clemenceau obtient que le commandement des armées franco-anglaises soit désormais confié à un seul homme pour plus d'efficacité. À Doullens, le 26 mars 1918, il est décidé que le général Ferdinand Foch coordonnera désormais toutes les opérations sur le front occidental.
Dès avril, Foch arrête l'offensive allemande sur la Somme. Surpris par la rupture du front au Chemin des Dames, le 27 mai 1918, il arrive néanmoins à contenir la poche allemande. Le 18 juillet 1918, il peut enfin passer à la contre-offensive. C'est la deuxième bataille de la Marne. Pour la première fois sont utilisés à grande échelle les chars d'assaut et l'aviation.
Les Allemands sont partout repoussés. Ils subissent leur plus grave défaite à Montdidier, le 8 août, et dès lors engagent une retraite générale.
Le général américain John Pershing, qui a jusque-là tenu en réserve ses soldats, au nombre de 1,8 millions, apparaît comme l'atout maître des Alliés. Une division de marines s'est illustrée à Bois-Belleau dans la région de Villers-Cotterêts, entre le 1er et le 26 juin 1918, et deux cent mille Américains sont aussi engagés dans une violente bataille sur le saillant de Saint-Mihiel (Meuse), les 12 et 13 septembre 1918.
Pour le général en chef des armées allemandes Erich Ludendorff, il ne fait plus de doute que la guerre est perdue. En public, toutefois, il refuse la capitulation et laisse aux dirigeants civils le soin d'assumer le désastre.
En Allemagne, les militants révolutionnaires encouragés en sous-main par les bolcheviques russes s'agitent. Les grèves et les insurrections se multiplient. Une révolution éclate le 3 novembre. Pour éviter que le pays ne tombe comme la Russie sous une dictature communiste, les gouvernants et les chefs militaires convainquent l'empereur d'abdiquer.
C'est chose faite le 9 novembre et deux jours plus tard, avant que les Alliés aient pénétré en Allemagne, les représentants civils du pays signent à leur tour l'arrêt des combats (armistice) le 11 novembre 1918 dans l'attente du traité de paix définitif.
Le général Louis Franchet d'Esperey (futur maréchal de France) prend en juin 1918 le commandement des armées alliées d'Orient et lance une offensive décisive. La Bulgarie fait, la première, défection à l'Allemagne. Elle se résigne à signer l'armistice le 29 septembre 1918. L'empire ottoman signe à son tour l'armistice de Moudros le 30 octobre 1918.
Pendant ce temps, le 24 octobre 1918, les Italiens remportent la victoire de Vittorio-Veneto sur une armée austro-hongroise qui, à vrai dire, n'existe pratiquement plus. L'Autriche-Hongrie signe l'armistice de Villa Giusti avec l'Italie le 3 novembre.
La débandade des empires centraux est consommée. Les militants indépendantistes tchèques encouragés par les Occidentaux poussent à la désintégration de l'empire. Ils proclament leur indépendance le 14 octobre, suivis par les Hongrois, puis les Croates et les Slovènes. L'empereur Charles 1er abdique le 13 novembre.
1919
Quatre ans de conflit généralisé laissent neuf à dix millions de morts. De nombreuses régions comme le nord de la France sont transformées en champs de ruines. Les États européens entrent dans la paix avec des dettes énormes contractées pour l'essentiel auprès des États-Unis. Ces derniers apparaissent comme les grands vainqueurs de la guerre bien que leurs soldats n'y aient participé que de façon marginale.
Au vu des bouleversements à l'est comme à l'ouest, chacun sent que plus rien ne sera comme avant et que c'en est fini de la grande Europe qui imposait quelques années plus tôt ses volontés au monde.
En attendant, il faut signer les traités de paix avec l'Allemagne et chacune des puissances qui se sont alliées à elle : l'Autriche, la Hongrie et la Turquie. Éprouvés par la dureté extrême de la guerre, les négociateurs du camp vainqueur, en particulier Georges Clemenceau, veulent humilier et écraser les vaincus, au risque d'empêcher toute réconciliation durable.
En Russie s'installe un gouvernement d'une espèce encore inconnue. Le régime bolchévique ou communiste dirigé par Lénine est le premier régime de nature « totalitaire ». Il sacrifie les libertés, les droits des individus et les prescriptions morales à une idéologie messianique qui promet le bonheur pour tous.
La fin de la Grande Guerre marque en Russie le début de la guerre civile. Encore plus meurtrière que le précédent conflit, elle s'accompagnera de famines et frappera la population civile plus encore que les hommes sous les armes.
Les autres pays d'Europe centrale et orientale tardent tout autant à connaître la paix. La Hongrie bascule dans une brève mais très violente dictature communiste. La Finlande connaît aussi une guerre civile cruelle. La Pologne ressuscitée doit combattre contre la Russie bolchévique pour faire reconnaître son droit à l'existence. Même chose avec la Turquie sortie des décombres de l'empire ottoman, qui doit repousser les Grecs et les Occidentaux.
Ce n'est que le 23 juillet 1923, avec le traité de Lausanne fondant la Turquie moderne, que sera soldée la Première Guerre mondiale... Quelques semaines plus tard, le 9 novembre 1923, le putsch de la Brasserie à Munich marquera l'entrée en scène de Hitler. Avec lui, c'est la Seconde Guerre mondiale qui se profile déjà.
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Voir les 8 commentaires sur cet article
Anonyme (11-04-2017 15:26:29)
Mon Père y était. Bien que blessé à trois reprises, il ne nous a jamais parlé de toutes ces horreurs. Je suis triste de ne lui donner , plus d'Amour.
Hugo (11-04-2017 03:33:13)
Post-Scriptum: HONTE, aussi, aux généraux "honteux-et-confus", qui ont tenté de camoufler leur incompétence à Verdun, en empêchant le Général Weygand d'y effectuer la tournée d'inspection po... Lire la suite
Hugo (09-04-2017 23:20:03)
A Monsieur Huron: JUSTEMENT, honte à ceux des généraux....... qui ont méprisé la troupe et ses lourds sacrifices, sans rien risquer ni se sentir aucune obligation pour eux-mêmes. Au fond de ... Lire la suite